Œuvres de Saint François De Sales

 

TOME XIX. LETTRES — VOLUME IX

 

 

 

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Cinquième édition pour la concordance: seulement les écrits de saint François de Sales

 

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Lettres de saint François de Sales. Année 1619. 17

MDXLI. A Madame de Lamoignon. Compassion pour une âme. — Souhaits pieux. 17

MDXLII. Madame Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal a Maubuisson. Cinq avis au sujet d'une confession générale. — Par quel motif la faire. — Se laisser à la Providence. — Assurance d'union éternelle. 18

MDXLIII. A Madame Le Nain de Crevant. Témoignage d'affection et souhaits de perfection spirituelle. 18

MDXLIV. A la Mère de Chantal, a Paris. Recommandations à une convalescente. — Saint Bernard prêché par lui-même. — Une nièce de Mme Amelot, prétendante de la Visitation. 20

MDXLV. A une dame. La courte durée des séparations faites par la mort. — Contemplation de Jésus et de Marie sur le Calvaire. — Une mère dépouillée de son plus précieux vêtement. 21

MDXLVI. A Madame Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal. Joyeux retour d'un petit voyage. — Une amitié qui commence. — Dans quel esprit la Mère Arnauld doit servir Dieu. 21

MDXLVII. A une dame de Paris. Faire courtement les exercices de piété, et avec un maintien digne de Dieu. — La pensée de l'éternité, souveraine consolation ici-bas. — Protestation d'invariable souvenir. 22

MDXLVIII. A une demoiselle de Paris. Les adieux d'un Saint. — Béatitude de l'âme qui n'est qu'à Dieu; ce qu'elle cherche et ce qu'elle veut. 22

MDXLIX. A une Religieuse. Garder la paix sans se troubler de la variété des sentiments intérieurs. — Le Monastère, « academie de la correction, hospital de malades spirituelz. » — Remède contre la crainte des esprits. — Souvenir de jeunesse de François de Sales. — Pourquoi les ténèbres et la solitude de la nuit lui sont devenues délicieuses. 23

MDL. A Madame Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal. Le Saint quitte Paris. — Réponse aux appréhensions sur l'avenir. — Ne pas examiner son oraison d'une manière curieuse. — La patience «parmi les niaiseries et enfances» du prochain. — Un châtiment miséricordieux de la Providence divine. — Ce que Dieu unit est inséparable   24

MDLI. A Mesdames de Villeneuve et de Frouville. Une seule lettre pour deux sœurs. — Combien salutaire l'union des cœurs et des âmes. — Les abeilles spirituelles dans leurs ruches. — Assurance de perpétuel et affectueux dévouement. 25

MDLII. A la Mère de Chantal, a Paris. Fatigué du voyage, l'Evêque envoie des lettres à distribuer. — Itinéraire. — Les prétendants du monde et les prétendantes au Ciel 26

MDLIII. A Madame Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal. Le retour à Maubuisson de la Mère Arnauld; affectueuse sollicitude de François de Sales. — Ses sentiments au milieu des faveurs de la cour. — Abeilles et guêpes. — Salutations paternelles. 27

MDLIV. A la Mère Marie de Jésus, sous-prieure du Carmel d'Amiens (Inédite). Joie de l'Evêque de Genève d'avoir revu deux des filles de Mme Acarie; regret de n'avoir pu visiter la troisième, au Carmel d'Amiens. 28

MDLV. A Madame Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal. Intime union que l'éloignement resserre de plus en plus. — Un père chrétiennement résigné. — Attendrissement du Saint sur la maladie de deux de ses filles spirituelles; prière qu'il adresse à Dieu. 28

MDLVI. A Madame le Maistre. Les faveurs de l'Epoux divin. — Eloge de Robert Arnauld. — Le martyre de saint Maurice; le martyre du cœur. — «Tintamarres et presse» qui empêchent le Saint d'écrire à son gré. 29

MDLVII. A M. Antoine Arnauld. Consolations sur plusieurs afflictions. — De quoi nous devons remercier Dieu. Modérer son travail «a mesure que le tems amoindrit les forces.». 31

MDLVIII. A la Mère de Chantal, a Paris (Inédite). L'hôte de l'Evêque de Genève à Bourges. — Lettres du Saint et de a Sainte trop lentes à parvenir. — Début des tracasseries au sujet du mariage de M. de Foras. — La courte consolation des Sœurs de Moulins. — Pourquoi François de Sales n'écrit pas longuement. 32

MDLIX. A la Mère Rosset Superieure de la Visitation de Bourges. Quelque chose qui est «demeuré sur le cœur» du Saint. — Un métier plus difficile que celui de reprendre. — Ne pas être prompte à promettre, mais agit avec conseil. — Obtenir à la fois le respect et l'amour de ses inférieurs. — La douceur ne doit point ressembler à la timidité. 33

MDLX. A la Mère de Chantal, à Paris (Inédite). Pourquoi François de Sales n'a pu voir à souhait Mme de Villesavin. — Témoignages d'estime qu'il a reçus de la Reine mère. — Les Prélats de la cour et les bons propos de l'Evêque de Luçon. — On cherche à retenir le Saint en France; ses sentiments à ce sujet. — Projet d'itinéraire. — Heureuses rencontres à Tours et à Bourges. — Ce qu'on perd à la cour. — De quoi on blâme la Mère Anne-Marie Rosset; conseils que lui a donnés le saint Fondateur. — La future fondation d'Orléans et les aversions de Mgr Frémyot. — Nouvelles du Monastère de Moulins où Mme du Tertre «exerce sa vanité fort honnorablement.». 35

MDLXI. A la Soeur de la Roche, Assistante-Commise à Annecy. Réponse au sujet d'un délai pour la profession d'une Novice. 37

MDLXII. A Monseigneur Jean-Pierre Camus, Evêque de Belley. Deux amis qui n'ont pu se dire adieu, ni se rencontrer en chemin. — le «nid» de l'Evêque de Genève bien loin de l'«aymable Paris» de l'Evêque de Belley. — Pourquoi les PP. Capucins sont plus propres à faire le bien dans le diocèse de Mgr Camus. — Messages d'honneur et d'affection. 38

MDLXIII. A la Mère de Chantal, a Paris (Fragment). L'unique ambition du grand Aumônier de Christine de France. — Pourquoi il méprise la cour. 39

MDLXIV. A Madame Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal. Comment se rassurer au milieu des inclinations mauvaises de la nature. — Exemple de saint Paul. — L'inconstance de notre âme; ce qui doit y demeurer stable. — Manière de combattre les tentations d'affectation. — Conséquences des fautes vénielles. — Etre juste envers soi-même. — Le danger des austérités indiscrètes. 39

MDLXV. A la Mère de Chantal, a Paris (Fragment). Une Communauté fervente, sous une Supérieure très sainte mais plus propre à converser avec Dieu qu'avec les hommes. 41

MDLXVI. A M. Claude de Blonay (Inédite). Inépuisable condescendance et sainte fermeté de François de Sales. 42

MDLXVII. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Infraction aux désirs et aux ordres de Son Altesse pour les prébendes de Contamine. — Lettres obtenues subrepticement. — Prière de faire connaître la véritable volonté du duc de Savoie. 43

MDLXVIII. Au Prieur et aux Religieux du Monastère de Sixt. Aimable salut de retour. — Tentation de désunion au Monastère de Sixt. Ce qu'elle empêchera si elle prévaut. 44

MDLXIX. A la Mère de Chantal, a Paris. Le rassasiement des affamés de justice. — Un enseignement de saint Paul que l'Evêque de Genève veut mettre en pratique. — Dans quelle mesure il tient à sa réputation. 44

MDLXX. A la Présidente Amelot (Fragment inédit). Prédiction du Fondateur sur l'Ordre de la Visitation. 45

MDLXXI. A une demoiselle de Paris. L'accomplissement d'une promesse. — Une «avette parmi les toiles des araignees.» — Ce que souhaite le Saint à sa correspondante, au souvenir de leurs adieux. 46

MDLXXII. A une dame. Maladie et affliction du cœur. — Petit ange envolé au Ciel. — Les richesses que nous amassons ici-bas. — Etre à Dieu toujours. 46

MDLXXIII. Au Comte Jacques de Viry (Inédite). Ce qui reste à faire pour permettre la célébration d'un mariage. 47

MDLXXIV. A Madame de la Fléchère (Inédite). Comment le Saint occupera ses rares loisirs jusqu'aux fêtes. Le futur mariage de Mme de la Croix. 47

MDLXXV. A M. François de Montholon (Fragment). Douces plaintes et légitimes excuses. — Quelle coopération l'Evêque de Genève a donnée au mariage de M. de Foras. 48

MDLXXVI. A un gentilhomme (Fragment). Ce qui attriste le Saint dans les blâmes faits contre lui. — La seule cause de ses fautes. — Pourquoi il voudrait regagner «la bonne grace» de ses adversaires. 49

MDLXXVII. A Monseigneur Jean-Pierre Camus, Evêque de Belley. Quelle part l'Evêque de Genève prend au deuil de son ami. — Eloge de M. Camus de Saint-Bonnet et de sa famille. — Surcroît d'affliction pour le Saint au sujet de ce trépas. — Explication loyale sur le mariage de M. de Foras. — Le mécontentement injuste de M. de Montholon   49

MDLXXVIII. A la Mère de Chantal, a Paris. Envoi de lettres ouvertes. — Ce qu'il faut faire de celle adressée à M. de Montholon. — Indifférence du Saint dans «la tempeste et la bonace.» — L'exemple de saint Joseph. — Doux reproche à la Mère de Chantal. — Le prédicateur de l'Avent. — Des âmes un peu trop empressées au bien. — Messages. 51

MDLXXIX. A Madame Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal. Un Père qui connaît bien sa fille. — Les cerisiers et les palmiers. — Regard compatissant sur les faiblesses humaines. — Combien de fois le jour remettre son cœur «en posture d'humilité.» — La volonté du saint Evêque «suivante» de celle de Dieu. — Deux âmes en péril. — Encouragement à une affligée. — Difficultés suscitées au bien. — Une des joies du Ciel 52

MDLXXX. Au Chanoine Jean-François de Sales, son frere. Vieilles lettres qui attendaient un porteur. — Les futurs aumôniers de Madame. — Quelques nouvelles. — Un Mémoire à présenter au prince de Piémont. — Projet d'union d'un bénéfice au Chapitre de Genève. — Des jaloux auxquels il faut répondre par des bienfaits. — Commissions, recommandations et messages. 54

MDLXXXI. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Requête au nom d'un Monastère qui fleurit «en veritable devotion.» — Un Mémoire dont la lecture n'est pas «hors de sayson» pendant les fêtes de Noël. 56

MDLXXXII. A une Religieuse de la Visitation. Comment accueillir l'aimable «petit Jesus». — Une de ses larmes sur notre cœur. — Troupe de bergères offrant leur plus bel agneau au divin Enfant. 56

MDLXXXIII. A Madame du Tertre. Les larmes de la nature sur la séparation du monde. — Compassion et espérance. — Respect du Saint pour l'action de Dieu dans les âmes. — Sacrifice de «poudres» et de «papiers dorés». — Confidence paternelle. — Coups de rasoir divins. — Avis sur des choses quelque peu superstitieuses et sur les visites. — Les conversations de l'Evêque de Genève après son sacre. 58

MDLXXXIV. A la soeur de Blonay, maitresse des novices a la Visitation de Lyon. Vin heureusement mêlé de baume. — Un zèle «tout bon» qui avait besoin d'être purifié. — Regard sur l'Enfant de Bethléem. — A qui appartiennent la joie et la paix. — La condition suffisante pour recevoir le divin Nouveau-né. 60

MDLXXXV. A M. Claude de Quoex. Démarches infructueuses en vue d'obtenir un accommodement entre deux parties. 61

MDLXXXVI. A Madame de la Fléchère (Fragment). Que faut-il pour devenir une vraie fille de la Visitation ?  62

MDLXXXVII. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble (Fragments). Mourir à soi pour vivre à Dieu. — Abandon à la Providence. 62

MDLXXXVIII. A Madame de Thou, novice de l'abbaye de Port-Royal. Un bien inestimable. — Pourquoi le saint Evêque est «beaucoup» Père de la Novice. — Humilité, obéissance et joie. 63

Année 1620. 64

MDLXXXIX. A une Religieuse de la Visitation. Ingénieuse interprétation d'un texte de l'Ecriture. — Le sang de Jésus marquant l'entrée de l'année nouvelle. — Comment rendre les nôtres fertiles. — Transformation de l'âme. — Pourquoi Dieu nous laisse des imperfections. 64

MDXC. A Messieurs du Conseil de la Sainte-Maison de Thonon (Inédite). Recommandation en faveur d'un ancien converti. 65

MDXCI. A la Mère de Chantal, a Paris. L'Evêque de Genève roi de la fève à la Visitation d'Annecy. — Préparation à un «renouvellement extraordinaire». — Bonne correction à une âme opiniâtre. — Science acquise à la cour par Jean-François de Sales; honneurs qu'il y reçoit. — Protecteur d'année; pourquoi le Saint aime la pauvreté   65

MDXCII. A Madame Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal. A quoi faut-il employer la nouvelle année. — La Mère Angélique aux pieds de l'Enfant de Bethléem; l'abeille autour de son roi 67

MDXCIII. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble. Contentions en matière de préséance. — L'Evêque de Genève officiant ou prédicateur à plusieurs réceptions de Religieuses à Paris. — Mieux vaut avoir mille écus par une voie de douceur que douze cents en disputant. — Préférer l'obéissance au jeûne. — L'opiniâtreté d'une tentation. — Bonheur de la pauvreté. — Quelles dispositions porter à la sainte Table. 68

MDXCIV. Au Pere Dominique de Chambery Vicaire-Provincial des Capucins (Inédite). Permission demandée pour un voyage du Frère Adrien des Echelles. — Quand les vocations extraordinaires doivent-elles être estimées. — Regrets sur le décès du P. Constantin. — Réponse de l'Evêque de Belley au sujet des Capucins. 70

MDXCV. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble (Inédite). Manière douce et tranquille de rejeter l'amour-propre. — La gloire de l'abjection. — Chimères, contradiction et extravagance d'une tentation. — Comment aider à la combattre et à en triompher. 71

MDXCVI. A la soeur de Gerard Religieuse de la Visitation de Grenoble. Les solitaires que Dieu n'aime pas et avec lesquels il ne veut point d'union. — Exemple d'obéissance de saint Siméon Stylite. — Marques de l'inspiration. — Energiques conseils. 72

MDXCVII. A un oncle. Double affliction en un trépas. — Se consoler sur le départ des nôtres et sur les circonstances de ce départ, par la raison et par la foi. — Miséricorde de Dieu qui a peut-être employé le feu d'ici-bas pour épargner à une âme celui du Purgatoire. 73

MDXCVIII. Au Comte Jacques de Viry. Respectueuse et ferme remontrance au sujet d'un mariage contracté sans la dispense nécessaire. 74

MDXCIX. A la Princesse de Piemont, Christine de France (Minute). François de Sales célèbre le jour deux fois heureux où Dieu donna une princesse, à la France, par sa naissance, à la Savoie, par son mariage. — Les vœux et les prières du grand Aumônier de Christine. 75

MDC. Au duc Roger de Bellegarde. Pourquoi l'Evêque de Genève réitère sa recommandation en faveur des Pères Barnabites. 75

MDCI. A M. Claude de Quoex. Noble désintéressement du Saint. — Ce qu'il ne peut trouver supportable. — Les droits légitimes seront respectés; mais l'Evêque ne peut ni ne veut céder les siens. — Recours au Sénat pour «faire faire place» à son autorité. 76

MDCII. A Monseigneur Jean-Pierre Camus, Evêque de Belley (Fragment). Mesure de réputation que l'Evêque de Genève ambitionne. 77

MDCIII. A Madame de la Fléchère (Fragment). Un «petit cœur» où le Saint veut loger lui-même l'Hôte divin   78

MDCIV. A Madame Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal a Maubuisson. Nouvelles de la mort de M. Arnauld et de la résignation des siens, données par la Mère de Chantal au saint Evêque. — Notre cœur, tiré «piece apres piece» vers Dieu. — Paternelle sollicitude pour les enfants du défunt. — La réforme de l'extérieur servant à celle de l'intérieur. — Comment combattre les pensées de vanité. — Faire toutes choses «tout bellement,» et ne pas se mettre en peine des saillies sans volonté. — Douce et gracieuse plaisanterie sur une «petite niaiserie.» — La discrétion du Directeur. — Conseils pour l'oraison. — Spécial intérêt pour Mme Le Maistre. 78

MDCV. A Madame Rousselet (Inédite). Raison d'une lettre particulière à la destinataire. — Souhaits de bénédictions. Deux chères vertus, nées de la confiance en Dieu. 80

MDCVI. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble. Influence du mal physique sur le moral. — Une crainte du saint Fondateur. — Décision en faveur d'une infirme. — Regarder Dieu et non ses propres imperfections. — Ce que François de Sales apprit à la cour. — Fondations en France. 81

MDCVII. A M. Marc-François de Malarmay de Lauray. La chose la plus agréable et salutaire en ce monde. — Affection paternelle et filiale entre l'Evêque de Genève et Mme de Rossillon. — Remerciements pour un présent. — Une amie de l’Abbesse de Baume. — Saint adieu. 82

MDCVIII. Au Baron prosper de Rochefort. Heureuse naissance d'un petit-neveu de saint Bernard de Menthon. — Une pauvre femme pour laquelle on a trouvé un logis. — La retraite à Talloires de Benoît de Chevron; soupçons de sa mère contre l'Evêque de Genève. 82

MDCIX. Au Chanoine Jean-François de Sales, son frère (Inédite). Vent en poupe et faveurs princières. — Démarches à Rome. — François de Sales voudrait savoir à quoi Son Altesse désire l'employer. — Trois sortes de gens qui ne témoignent pas de joie de la promotion de Jean-François à la coadjutorerie. — Ceux qui s'en réjouissent  83

MDCX. A M. Etienne Jarcellat-Beybin (Inédite). Prière de s'intéresser à l'affaire de la coadjutorerie de Jean-François de Sales qui doit se traiter en Cour de Rome. 84

MDCXI. A Madame de Granieu. Deux mots seulement à la destinataire, pour avoir le temps d'écrire à d'autres. — Humilité et patience. — M. de Boisy, évèque. — A quoi François de Sales emploiera son loisir. 85

MDCXII. A Madame de Veyssilieu. Double raison pour le Saint d'aimer une postulante. — Confiance en Dieu, et nous ne serons pas confondus. 86

MDCXIII. A Madame de Jomaron (Inédite). La consolation d'une paternité spirituelle. — «Trois vertus colombines que Jesus Christ recherche en ses amantes.» — Surcharge de correspondance. 86

MDCXIV. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble (Fragment). Prochaine entrée au noviciat d'une sœur de la Mère de Chastel. — Le bon cœur de M. d'Ulme; ce qu'il voudrait savoir. 88

MDCXV. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon. Comment entendre un «document» du saint Fondateur. — Avantages du Directoire spirituel; où conduisent ses multiples exercices. — Conseils à la Maîtresse des novices. 89

MDCXVI. Au Baron Louis de la Tournette. Un vieil ami de M. de Boisy. — Concurrents pour la chapelle Sainte-Catherine; pourquoi le Saint ne peut favoriser le fils du destinataire. 90

MDCXVII. A la Soeur de la Roche, Assistante-Commise de la Visitation d'Annecy. Conseils au sujet d'une malade   90

MDCXVIII. A la Mère de Chantal, a Paris. Heureuse nomination de Jean-François de Sales à la coadjutorerie de l'évêché de Genève. — Ce que fait la vieillesse dans le cœur et dans l'âme du Saint. — Ses pensées sur les projets qu'on forme pour lui à Paris. — Sollicitude pour l'avenir de Françoise de Chantal. — L'abandon à Dieu au milieu des «douleurs interieures et exterieures.» — Perplexité sans affliction. — Messages affectueux. — «M. Vincent,» bon conseiller  92

MDCXIX. A un gentilhomme (Fragment inédit). Reconnaissance pour de bons offices. 94

MDCXX. A une Religieuse de l'abbaye de Sainte-Catherine. Le cadran exposé au soleil. — Cri de guerre de la volonté. — Un prédicateur de Carême qui réclame des prières. — La pensée du Saint sur la clôture de l'abbaye de Sainte-Catherine. — Son dévouement et son dégagement. 94

MDCXXI. A un Religieux de la Compagnie de Jésus (Inédite). La vocation de M. de Sonnaz. — Une âme «parfaitement bonne,» mais qui a besoin de réfléchir encore. — Excellente chose d'affranchir le collège de Chambéry des trésoriers et financiers; comment y arriver. 96

MDCXXII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Reconnaissance impuissante à s'exprimer. 96

MDCXXIII. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Délicat remerciement pour la nomination de Jean-François de Sales comme coadjuteur. 98

MDCXXIV. A la Princesse de Piémont, Christine de France (Minute). Les faveurs considérées en ceux qui les donnent et en ceux qui les reçoivent. — Ce que la princesse a dû voir dans le cœur de François de Sales et dans celui de son frère. 99

MDCXXV. A la Mère Claudine de Blonay, abbesse de Sainte-Claire d'Evian (Inédite). Les Clarisses d'Evian en inquiétude sur un prétendu départ du saint Evêque. Voyage très assuré que celui-ci recommande à leurs prières. 99

MDCXXVI. Au Président François de Tardy. Bon droit des Religieux de Sixt et grande misère des habitants du pays. 100

MDCXXVII. A M. Montenet. Une promesse fidèlement tenue. — Réciprocité d'honneur et d'affection. 100

MDCXXVIII. A M. Claude de Blonay. Suspendre une nomination jusqu'à l'arrivée d'un Bref de Rome. — Regrets du départ d'un ecclésiastique. 102

MDCXXIX. A la Mère Rosset, Supérieure de la Visitation de Bourges. Décision au sujet de la réception d'une Sœur. — Le Fondateur revise les Règles de son Ordre. 103

MDCXXX. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon. Accablement d'affaires. — Lettres recommandées. — Nombreuses demandes de fondations de la Visitation. — Où trouver des filles? Confiance en Dieu. 103

MDCXXXI. A la Mère de Chantal, a Paris (Fragment). La coadjutorerie de Jean-François de Sales est uniquement l'œuvre de Dieu. 104

MDCXXXII. A un ami (Fragment inédit). Un mot de l'âme du Saint. 105

MDCXXXIII. A Madame du Tertre. La mue du serpent; sa transformation en colombe. — Ne pas regarder en arrière. — Condescendance et humilité du Fondateur. — Suivre les inspirations d'En-haut et laisser faire à Dieu. — Quel soin il faut avoir de la créature nouvelle, née du Saint-Esprit. 105

MDCXXXIV. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble (Inédite). Des raisons qui ne satisfont pas l'esprit de François de Sales. — Les prétentions de M. d'Ulme. On ne peut lier la liberté pour le choix ou le changement des Pères spirituels. — Salutations affectueuses. — Disette de Supérieures pour de nombreuses fondations  106

MDCXXXV. A M. Guillaume de Bernard de Foras. Délicatesse dans le silence. — L'ordinaire méthode de la Providence divine. — Véritable marque de la bénédiction de Dieu sur un mariage. — Conserver son bonheur et laisser parler le monde. 107

MDCXXXVI. A Madame de Villesavin (Inédite). La préface d'une grande lettre. — Quelle est la meilleure marque de la dilection de Dieu pour ses enfants. — Salutations à une petite fille. 107

MDCXXXVII. A la Duchesse de Nemours, Anne de Lorraine. Trois requêtes renouvelées; appel à la bonté, à la justice, à la piété du duc et de la duchesse de Nemours. 108

MDCXXXVIII. Au Chanoine Jean-Baptiste Germonio (Inédite). Envoi des saintes Huiles. 108

MDCXXXIX. Au Chanoine Jean-François de Sales (Fragment). Avis du Saint sur une affaire embarrassante. — Envoi de lettres et promesse d'écrire bientôt. 110

MDCXL. Au Cardinal Frédéric Borromée, Archevêque de Milan. Excuse pour un remerciement tardif. — Des Pères Barnabites en route vers Milan. 111

MDCXLI. A Don Jérome Boerio, Général des Barnabites. Le Saint prie le Général de renvoyer à Annecy deux Pères Barnabites et de leur en adjoindre un troisième d'àge vénérable. 112

MDCXLII. A la Mère de Chantal, a Paris. Nouvelles de l'âme de François de Sales. — Ses lumières sur les maximes évangéliques et sur la prudence humaine. — M. de Boisy à la cour. — Les affaires et la santé de Mme de la Flèchère   113

MDCXLIII. A M. Claude de Quoex. Débats au sujet de la nomination à une cure. — Un accommodement des Ermites du Mont-Voiron procuré par les délégués de l'Evêque de Genève. 114

MDCXLIV. A Madame de Valfin (Inédite). Une forte et tendre affection paternelle et filiale. — Incertitude du Saint sur l'avenir. — L'enfant suspendu «au col de la Providence.». 114

MDCXLV. A la Mère de Chantal, a Paris. Quatre objections au projet de fixer l'Evêque de Genève en France. — Son désir de demeurer attaché à son Eglise. — Ce qui vaut mieux pour lui qu'un chapeau de cardinal. — Point de népotisme. — Voyage probable à Rome. 115

MDCXLVI. A Madame Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal A Maubuisson. Les fautes involontaires n'empêchent pas la marche vers la perfection. — Vraie cause du mal chez la Mère Arnauld. — Comment modérer sa promptitude. — Ne point se dépiter contre soi-même, mais être enfant en humilité. — Un nouveau saint Paul intercesseur pour Onésime. 116

MDCXLVII. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon. Avis sur un voyage; la fondation de Turin. — Quelle doit être la durée du noviciat; quand on peut le prolonger. — Etablissement de la Visitation en Auvergne. — Pourquoi François de Sales est empêché d'aller prêcher à Lyon. 117

MDCXLVIII. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble. A quelles conditions on peut recevoir à la Visitation des aspirantes qui n'ont pas encore l'âge d'entrer au noviciat. — L'habit qu'il faut leur donner. — Rester indifférente sur le choix que font les postulantes d'une Maison ou d'une autre. — Bien que les Sœurs ne récitent que le petit Office, il est bon de maintenir le rang des Associées. — Profiter de nos mouvements imparfaits pour nous humilier. 119

MDCXLIX. A M. Guillaume Drujon Prieur Commendataire d'Anglefort. La nomination au prieuré de Ripaille, désormais au pouvoir du saint Evéque. — Son double avantage. — Prière d'avoir soin de papiers importants pour cette affaire. 120

MDCL. Aux Ermites du Mont-Voiron (Fragment inédit). La charité. — Souhait. 121

MDCLI. A Madame de la Fléchère. Un tracas qui empêche de recevoir des consolations et d'en donner. — Petites contestations. — Le seul souci que nous devons avoir. — Désir de mettre fin à un procès. 122

MDCLII. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon (Fragment). Bénédictions divines promises à la Sœur de Blonay. 123

MDCLIII. Au Marquis Sigismond de Lans (Minute inédite). Une adresse erronée. — Nouvelle nomination faite par le marquis de Lans. 123

MDCLIV. A une religieuse. L'entrée dans la voie de la vraie dévotion et le secret pour y persévérer. — Préparation à la fête de la Pentecôte. — Le vin du Ciel, et le pain de la terre. 123

MDCLV. A Mademoiselle Lhuillier de Frouville. Fâcheuse affaire terminée. — Que fera la destinataire de sa liberté? — Impossibilité de demeurer en l'état où elle est. — Les périls et les mortifications du mariage. — Douce violence que le Saint doit faire à sa fille spirituelle. — Ce qu'est la vie religieuse. — Réponse aux plaintes et aux appréhensions de la nature. 125

MDCLVI. A M. Antoine de Pignier de Fontany (Fragment inédit). Prière au destinataire de régler les affaires qui retardent la Profession de sa sœur. 128

MDCLVII. A M. Guillaume de Bernard de Foras. Permutation probable de François de Sales et de son frère. — Un esprit qui aurait besoin de mûrir. — Annonce d'une lettre à la Mère de Chantal 129

MDCLVIII. Au Chanoine Jean-François de Sales, son frère. Double raison de rendre service à M. Roero. — Un canonicat prochainement vacant. — Les talents et qualités d'un futur aumônier de Mme Royale. — Incapacité de beaucoup de prétendants à ce poste. — Comment faire réussir un désir de M. et de Mme de Cornillon. — Envieux et victorieux. — Une réponse embarrassante. — Affaires de Ripaille et de la Sainte-Maison. — Coupable qui ne veut pas reconnaître ses torts. — Désir de François de Sales de favoriser les prétentions de M. de Longecombe; difficultés qu'il y rencontre. — Quelques nouvelles. 130

MDCLIX. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. A quoi employer les prébendes de Contamine. 132

MDCLX. A la Comtesse de Rossillon (Inédite). Une supplication que la destinataire est priée d'appuyer. — La vocation à l'état ecclésiastique doit procéder de libre volonté. 132

MDCLXI. Au Chanoine Jean-François de Sales, son frère (Inédite). Contradictions au sujet des Bulles du futur Evêque de Chalcédoine. — Pourquoi le Saint n'a pu accepter de prêcher le Carême à Lyon. — Salutations et nouvelles. — Quelqu'un qui veut être du voyage de Rome pour entretenir à loisir François de Sales. 134

MDCLXII. A la Mère de Bréchard, Supérieure de la Visitation de Moulins. Prochain départ de quelques Sœurs pour Moulins, Paris, Orléans. — Une lettre qui mettrait l'Evêque «bien en peine.» — Avis sur les Règles de saint Augustin. — Les monastères des Filles de la Visitation en voyage. — On ne peut faire la Profession avant la fin de l'année du noviciat. 135

MDCLXIII. A Madame des Gouffiers. Perplexité au sujet d'une âme. — Les tendances d'esprit et de caractère qui lui rendraient périlleux le séjour dans le monde; aversion qui l'éloigne de la vie religieuse. — Quel état mitoyen elle peut embrasser. — Souvenir attristé d'un temps de ferveur. — Les procès, «tres mauvaise occupation.» — Etre pauvre plutôt que de s'enrichir par cette voie. 136

MDCLXIV. Au Chanoine Jean-François de Sales, son frère. Entreprise à l'avantage de Son Altesse, proposée par Louis de Sales. — Comment préparer doucement la réalisation du projet d'Antoine Favre pour son fils. — Les qualités du président de la Valbonne. — Nouveau prétendant à la charge d'aumônier de la princesse de Piémont. — Bien qui résulterait de l'élection de Jean-François au doyenné de Notre-Dame. — Cinq cents écus qu'on n'arrive pas à retirer. — Le Monastère de Turin et les fondations de France. — Une traduction de Philothée. — Grande alarme parmi les Religieuses non réformées du diocèse de Genève. — Prédicateur de grandissime talent. 138

MDCLXV. A M. Guillaume Rousselet. Affaires recommandées au duc de Nemours et dont l'Evêque de Genève espère bonne issue. — Le marquis de Lans outrepassant ses pouvoirs, — Louis de Sales, gardien du château d'Annecy. — Ce qui rend inutile l'intervention du Saint en faveur d'une Novice. — Commissions affectueuses. 140

MDCLXVI. A la Mère de Chantal, a Paris. L'excellence et les effets du don surnaturel d'intelligence. — Quel don le complète. 141

MDCLXVII. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble. Préparation d'une pieuse caravane pour la France. — Une âme fortement attachée aux choses intérieures a quelquefois de la peine à se rendre attentive aux extérieures. — Quelques conseils pratiques. — Le livre de la Volonté de Dieu, et le danger de l'imagination jointe à l'amour-propre. — Plusieurs décisions pour la clôture, non encore établie au Monastère de Grenoble. — Aimable mot sur la sœur de la destinataire. — Supprimer les réflexions, les examens inquiets, et marcher avec confiance et abandon. — Pourquoi cette lettre ne part qu'après coup. — Encore un mot de paix. 142

MDCLXVIII. A Madame de Granieu. Providentiel mélange des douceurs parmi les amertumes. — «Petite prise» inopinée entre l'Official et un ordinand. — Une mortification pour les Sœurs qui s'en vont en France. — Trois lois «pour ne point pecher en la chasse.» — L'amitié des enfants de Dieu. 144

MDCLXIX. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Un projet concernant Genève. — Prière d'écouter favorablement le porteur. 145

MDCLXX. A Madame de Geneve, abbesse de Baume-Les-Dames. Un pieux dessein du marquis de Lullin, non réalisé. — Combien important de se préparer de bonne heure à la mort. — Espérance déçue du saint Evêque. — Pourquoi il se réjouit de la nomination de son frère. 146

MDCLXXI. A Madame de Villeneuve. Tendresse surnaturelle et paternelle. — Réponses à des cas de conscience   147

MDCLXXII. A la Mère de Chantal, a Paris. La Sœur d'Avisé jointe à la petite troupe des partantes. — Election d'une Assistante-commise au Monastère d'Annecy. — «Loup par nature, mais brebis par grace.» — Deux lettres que la Mère de Chantal pourra confronter plus tard. — Le formulaire de la Profession chez les Bénédictins et à la Visitation. — Eloge de Mme de Herse et de la comtesse de Fiesque. — Messages affectueux pour plusieurs filles spirituelles du Saint. — Mgr de Belley à Annecy. — Zèle et miséricorde de François de Sales pour une âme. 148

MDCLXXIII. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Un dessein recommandé à l'attention du prince. 150

MDCLXXIV. A Madame Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal a Maubuisson. M. Michel député pour une visite. — Il n'y a rien à craindre des misères spirituelles non aimées. — Une fille du monastère de la croix et volonté de Dieu   151

MDCLXXV. A la Présidente de Herse. Une religieuse «protestation» avant un «petit mot de liberté et de franchise.» — Silence réciproque du Père et de la fille. — Pourquoi l'Evêque ne l'a pas rompu. — Le gémissement de saint Paul. — Se résigner à sentir les attaques de l'amour-propre, mais n'y point consentir. — Où se réfugie la vraie indifférence. — Que faire après une chute. — Un charmant filleul de François de Sales; ce que son parrain en attend. 152

MDCLXXVI. A Monseigneur Maroaurele Maraldi (Fragment). Le décanat de Saint-Germain l'Auxerrois offert à l'Evêque de Belley. — Pourquoi il ne peut l'accepter. — Exposé des raisons qui rendent une dispense légitime et nécessaire. — Un diocèse bien disproportionné à la valeur de son Pasteur. 154

MDCLXXVII. A une Religieuse de la Visitation. L'humilité, réparatrice de nos imperfections. — Vertus à pratiquer pour s'unir parfaitement à Dieu. 156

MDCLXXVIII. A Madame de Granieu. Retour de la Mère de Chastel à Grenoble. — La commission dont l'avait chargée Mme de Granieu. — Pourquoi le Saint, malgré son désir, n'a pu y répondre. — Sa fidélité aux âmes. — Espérance d'un revoir. 156

MDCLXXIX. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Montferrand. Lettre à l'Evêque de Clermont et humilité de l'Evêque de Genève. — Perpétuels délais pour la fondation de Turin. — La Mère de Chastel à Annecy. — Amis du Saint en Auvergne. — Nouvelles de famille. 157

MDCLXXX. Au Père Jean-Antoine Rigaud, Ermite du Mont-Voiron (Fragment). Repos en l'amitié; sainte armure, invincible confiance. 158

MDCLXXXI. A Messieurs du Conseil de la Sainte-Maison de Thonon (Inédite). La Bulle de fondation de la Sainte-Maison oblige ses ecclésiastiques à la Règle de l'Oratoire. — Moyen nécessaire pour mettre cette condition en vigueur. — Volonté du Prince, ordonnance de l'Evêque. — Projet d'un voyage de François de Sales à Thonon. 159

MDCLXXXII. A la Mère de Bréchard, Supérieure de la Visitation de Moulins. Difficulté pour la fondation de Nevers; d'où elle vient et le cas qu'il faut en faire. — L'avis du Saint sur l'emploi des personnes et de l'argent. — Des entreprises «merveilleusement fascheuses;» les supporter, les porter, et les aimer. — Vouloir servir Dieu, sans s'attacher aux moyens de le servir. — Les contradictions, présage de succès. — Une béatitude. 160

MDCLXXXIII. A la Mère de Chantal, a Paris. Grandes lettres à Moulins pour l'affaire de Nevers. — Le titre épiscopal de M. de Boisy. — Souhaits de bénédictions sur des cœurs aimés. 161

MDCLXXXIV. A Madame du Tertre. Un témoignage que la destinataire doit rendre en faveur de la vérité. — Désintéressement de l'Evêque de Genève. — Les désirs de M. et de Mme de Saint-Géran et d'autres personnes de Moulins. — Comment le vœu de Mme du Tertre en faveur de Nevers devra être exécuté. — Félicitations sur ses progrès dans la piété. 161

MDCLXXXV. A M. Nicolas de Palierne. Pourquoi François de Sales a choisi le monastère de Moulins pour la retraite de Mlle du Tertre. — Ce qu'il apprit par une de ses lettres. — Affaire où il n'y a nulle sorte d'injustice. — Silence discret du Saint sur un «advis de conscience.» — L'abjection que la Mère de Bréchard devra porter en patience. 163

MDCLXXXVI. A Monseigneur Jean-François de Sales, son frère, Evêque nommé de Chalcédoine (INÉDITE). L'inconvenance de la proximité d'une étable et d'une église. — Moyens à prendre pour y remédier. 164

MDCLXXXVII. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble. Heureuse disposition de la Providence. — Un nouvel Evêque à Grenoble; ce qu'il faudra faire avec lui. — Petite tentation filiale de la Mère de Chastel. — Ne pas «espier» les sentiments de son âme. 164

MDCLXXXVIII. A Madame le Maistre. Ce qui soulagerait la destinataire dans ses afflictions. — «L'honneur de souffrir beaucoup,» partage des enfants de Dieu ici-bas. — Deux sentiments de l'âme du Saint. — Demande affectueuse de nouvelles. 165

MDCLXXXIX. A la Mère Geneviève de Saint-Bernard, prieure du Carmel de Chartres. Quand Dieu nous a donné une charge, il nous doit sa grâce pour la bien remplir. — Petit dialogue. — On est fidèle, si on est humble; on est humble, si on désire l'être. — Le pain quotidien. — Faire bien aujourd'hui, sans penser à demain, se fiant en la Providence   166

MDCXC. A la Mère de Chantal, à Paris (Inédite). L’été, mauvaise saison pour la santé de François de Sales. — A quelle condition il écrira courtement à la Mère de Chantal. — Deux sœurs qui s'aiment bien et qui sont très aimées par leur Père spirituel. — Ce que va faire D. Juste en Piémont. — Regret de ne pouvoir envoyer quelques lettres, et messages paternels. 167

MDCXCI. Au Baron Prosper de Rochefort (Inédite). Pauvre âme à «l'esprit renversé» et à la conscience dévoyée. — Promesse d'intervenir auprès de Mgr de Belley en faveur du destinataire. 169

MDCXCII. A Dom Jean de Lucinge, prieur de Contamine. Une rixe sur laquelle il faut informer. 170

MDCXCIII. A la Mère de Bréchard, Supérieure de la Visitation de Moulins (Inédite). Un passage d'une lettre de Mme du Tertre. — Réponse que lui fit François de Sales. — Sa décision après plus ample information. — La douceur des Règles de la Visitation Sainte-Marie. — «Oublier les orages et les flotz,» et ne point se lasser de souffrir. 170

MDCXCIV. A la Mère de Chantal, a Paris. Nouvelles réponses à Moulins et à Nevers pour éclaircir les premières. — Le caractère de «race des biens des anciens chrestiens.» — Epreuves de la Mère de Bréchard. — Seule habitation stable de l'Evêque de Genève; regard sur l'autre vie. — Quelques mots de la Communauté d'Annecy. — L'unique chose à traiter à Rome pour la Congrégation. 172

MDCXCV. A Mademoiselle Lhuillier de Frouville. Saint résultat de la promptitude à faire la volonté de Dieu. — Le calme après une rude secousse. — Néant de ce que l'on quitte pour le Seigneur, valeur immense de ce que l'on trouve. — Trois parties de l'holocauste. 174

MDCXCVI. A Madame de Villeneuve. Une action héroïque, digne des premiers temps du christianisme. — Servir Dieu en Dieu. — Consolation et force. 175

MDCXCVII. A M. François Lhuillier d'Interville. Félicitations à un père qui a généreusement donné sa fille à Dieu. Grâces qui naîtront de son sacrifice. 175

MDCXCVIII. Au Père Antoine Antoniotti, de la Compagnie de Jésus (Inédite). Appréciation du Saint sur une traduction de l'Introduction a la Vie devote. — Critiques qu'il réfute; corrections qu'il a faites. — Envoi du Traitté de l'Amour de Dieu; multiples fautes d'impression de la sixième édition. — Trois ou quatre mille sermons en vingt-huit ans. — Pourquoi l'Evêque de Genève ne peut écrire comme ses amis l'en prient. — Philothée réimprimée plus de quarante fois. 177

Minute de la lettre précédente (Fragment inédit). 179

MDCXCIX. A Monseigneur Jean-François de Sales, son frère, Evêque nommé de Chalcédoine (Inédite). La paix en France, et les projets du Prince Cardinal. — Déplaisirs de ce monde. —Nécessité croissante de réformer certains Monastères. — Les intrigues du sacristain Perret. — Cuisinier et tailleur à «façonner au service et a la modestie.» — Salutations respectueuses. — «Un article de foy morale.» — Remerciements à faire à plusieurs Cardinaux  180

MDCC. A la sœur de Morville, novice de la Visitation de Moulins. Inspirations partielles du Saint-Esprit. — Le père de l'Evangile et ses deux fils. — Dieu ne veut être aimé que totalement. — Qu'attend-il pour verser dans les cœurs le «don sacré de l'orayson?» — Baume divin et parfums de ce monde. — A qui appartient une aumône déjà livrée. — Il doit être indifférent à Mme du Tertre de donner ici ou là, puisqu'elle donne au Seigneur. 182

MDCCI. A la Mère Favre Supérieure de la Visitation de Montferrand (Fragment). Double joie du saint Fondateur de la Visitation. 183

MDCCII. A la Mère de Chantal, a Paris (Inédite). Lettre pour les Barnabites à Mgr de Bourges. — Douce espérance de revoir la Sainte à Paris. — Le Monastère d'Orléans. — Réponses que François de Sales pense faire de vive voix. — Les désirs de «plusieurs gens de bien » au sujet de Mgr Camus. — Ce qui contrebalance les réels défauts de Mme de Port-Royal. — Combien il lui serait avantageux de se retirer un peu à la Visitation; difficultés à ce projet. — Des «honneurs» à faire. 184

MDCCIII. A un gentilhomme. Une importante affaire dont le succès dépend en partie de l'intervention du destinataire. 185

MDCCIV. A une dame. La partie inférieure de l'âme se ressent des incommodités du corps. — Dieu ne laisse pas d'agréer les actes de l'esprit faits avec peine et sans joie sensible. — Etre juste envers nous-même. — Comment changer le plomb en or. — Un peintre Capucin. — La future «image vivante de la divine Majesté.». 186

MDCCV. A la Mère Marie de Jésus, prieure du Carmel d'Orléans. Une affeçtion vieille de dix-huit ans. — Grande qualité des amitiés créées par le Ciel. — Les desseins miséricordieux de la Providence sur les trois filles de Mme Acarie. — Espérance pour ses trois fils. — Portrait en échange de reliques. — Les Sœurs de la Visitation en visite au Carmel; une règle qui leur fut «souvent inculquee.». 187

MDCCVI. Au Supérieur d'une communauté (Minute). François de Sales attend, pour permettre une quête et une publication d'Indulgences, une attestation des pouvoirs du quêteur. 188

MDCCVII. A la Mère de Chantal, a Paris. L'opinion de François de Sales sur la juridiction la meilleure pour les Ordres de femmes. 189

MDCCVIII. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Montferrand (Fragment). Le rôle de la destinataire et celui de l'Introduction à la Vie dévote. 190

MDCCIX. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Exposé des facilités d'une fondation d'Oratoriens à Rumilly et des avantages qui en résulteraient. — Que devrait faire le prince pour aider à cette bonne œuvre. — Les curés d'Armoy et de Draillant toujours sans argent. 190

MDCCX. A la Mère de Chantal, a Paris. Pourquoi le Saint se réjouit du retard du voyage en France. — L'Evêque de Luçon et la Reine mère. — M. Michel apportant de Paris «une milliasse de lettres.» — L'Abbesse de Port-Poyal auprès de la Mère de Chantal 192

MDCCXI. A Madame de Granieu. Les effets des affections saintes. — Humble sentiment de reconnaissance de l'Evêque de Genève. — Avis sur la santé de la Supérieure de la Visitation de Grenoble. 192

MDCCXII. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble (Fragment). La Sainte Vierge aussi bien Mère de Notre-Seigneur sur le Calvaire qu'à l'heure du Magnificat. — Paternelle sollicitude du Saint pour la santé de la destinataire. — Sentiment et consentement. 194

MDCCXIII. A Madame de Granieu. Des maladies utiles à deux âmes. — Comme le monde se trompe dans ce qu'il appelle bien et mal. — Double prière et souhait paternel. 195

MDCCXIV. A M. Louis de Gerbais de Sonnaz. Le saint Evêque consent à la retraite du destinataire. — Un oncle qu'il faut contenter. — Attente d'une réponse du prince de Piémont. 196

MDCCXV. A Madame Gasparde de Ballon, Religieuse de l'abbaye de Sainte-Catherine. La solitude mentale au milieu du monde. — Comment suppléer aux exercices de piété qu'on ne peut faire. — Préparation à la fête de la Toussaint et à celle des Morts. 197

MDCCXVI. A une Religieuse de l'abbaye de Sainte-Catherine. On peut dire son mal, mais il ne faut pas s'en plaindre. — Un coup d'œil sur la Jérusalem céleste. 197

MDCCXVII. A la soeur de Blonay, maitresse des novices a la Visitation de Lyon (Fragment). Souvenirs charmants de l'enfance de Marie-Aimée de Blonay. — L'ardente foi d'alors doit la consoler dans le trouble de la tentation actuelle   198

MDCCXVIII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Témoignage de la fidélité et du mérite du collatéral Flocard   198

MDCCXIX. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Un serviteur fidèle de Son Altesse. 200

MDCCXX. A la Mère de Monthoux, Supérieure de la Visitation de Nevers. «Lettre d'attente.» — Quelle réponse faire à l'Evêque de Nevers. — Les filles ineptes ne doivent pas être reçues. — Echange de bréviaires. 201

MDCCXXI. A la soeur de Chastellux, Assistante de la Visitation de Nevers. Le Saint se réjouit de la savoir Directrice à Nevers. — L'esprit qu'il faut donner aux Novices. 202

MDCCXXII. Aux membres du souverain sénat de Savoie (Inédite). La cure de Rumilly étant désormais unie au Chapitre des Altariens, les poursuites du Prieur contre le Curé n'ont pas de raison d'être. 203

MDCCXXIII. A M. Jean Rosetain. L'Evêque de Genève charge son Officiai forain d'une affaire qui intéresse le Chapitre de sa cathédrale. — Prochain départ pour le Faucigny. 203

MDCCXIV. Au Baron Jean-Claude de Clermont-Mont-Saint-Jean (Inédite). Demande de papiers, inutiles au destinataire, et très utiles à François de Sales. 204

MDCCXXV. A la Mère de Monthoux, Supérieure de la Visitation de Nevers. La Visitation n'est pas instituée pour l'éducation des petites filles. — Double inconvénient de donner entrée au monastère à de trop jeunes enfants. — Quelques avis sur différentes affaires. — La source des «tendretés» sur soi-même. — Une pensée dangereuse pour les fondatrices. — Combien rares les femmes «sans fantasie et malice et bigearrerie.» — Sous quelle condition promettre aux aspirantes de les recevoir. — Ne pas prêter facilement les Constitutions jusqu'à ce qu'elles soient corrigées. — Faut-il se laisser peindre? — Divers conseils relatifs aux Règles et observances. — Pour quelle raison admettre les postulantes riches; pourquoi les pauvres ne doivent pas être rejetées. — Considération et désintéressement dans l'admission des sujets. — Les dix mille francs de la Sœur de Morville. 205

MDCCXXVI. A la Mère de Chantal, a Paris (Fragment inédit). Une lettre toute d'or. 207

MDCCXXVII. A Monseigneur Jean-François de Sales, son frère, Evêque nommé de Chalcédoine. Profonde douleur du Saint sur un apostat. — Aveuglement étrange de cette âme et étonnantes contradictions. — Sa séparation du monde et de l'Eglise. — Espérance de conversion pour l'Angleterre. — Les effets de cette chute sur l'esprit et le cœur de François de Sales. — Quelle assurance Mgr de Chalcédoine devra donner au malheureux tombé. 208

MDCCXXVIII. Au même. Quantité de lettres au retour d'un voyage. — Dispositions du Prieur de Rumilly toutes favorables à l'établissement des Pères de l'Oratoire. — L'élection de M. du Châtelard au doyenné de Notre-Dame. — Quelqu'un que le Saint voudrait servir de son propre sang. — Nouvelles de famille. — Tentative pour le retour d'une âme à la foi. — A qui appartient le Royaume des cieux. 209

MDCCXXIX. A la Mère de Chantal, A Paris. Affliction profonde, mélangée d'espérance. — Causes de la chute de M. de Granier. — Le jugement, «partie rare.» — Quelle consolation le Fondateur reçoit de sa Congrégation. — Le tardif, mais beau fruit du dattier. 210

MDCCXXX. A la Mère Thérése de Jésus, prieure du Carmel de Lyon (Fragment). Une vocation divine pour l'Oratoire. — Troubles au Carmel. Un pourquoi qui serait long à dire. 211

MDCCXXXI. A Madame de Granieu. Les matériaux des bâtiments célestes «au quartier des hommes.» — Ce que les Anges pourraient nous envier. — Transformer l'infirmité en oraison. — Comment Notre-Seigneur nous fait souvent le plus de bien. — Un cœur faible et assoupi, mais non point infidèle. 211

MDCCXXXII. A M. Amédée Berchat, Curé de Notre-Dame du Chastel (Inédite). Délégation pour enquête canonique. 213

MDCCXXXIII. A Monseigneur Jean-François de Sales, son frère, Evêque nommé de Chalcedoine. Désagrément causé par les neiges. — Un service à rendre à M. de la Pierre. — Métamorphose soudaine du sieur Bonfils. — Pourquoi l'Evêque de Genève cèle le plus qu'il peut la nouvelle d'une apostasie. — Bonne mine et bon jeu. — Maladies, mariage et mort. — Témoignages d'honneur et d'affection donnés par le Saint au nouvel Evêque de Chalcédoine   213

MDCCXXXIV. Au Président Jean-Georges Crespin (Inédite). François de Sales assure le destinataire de son souvenir et de son dévouement. — Ermite qui saura bientôt toutes les nouvelles de la cour. 215

MDCCXXXV. A Madame Bellot. Prière à la destinataire de donner les ordres nécessaires pour le bon succès d'une œuvre de charité. 215

MDCCXXXVI. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Excès de misère de la Sainte-Maison de Thonon, et sa triste conséquence. — D'où vient cette détresse. — Comment on peut y remédier. 216

MDCCXXXVII. A la Mère de Chantal, a Paris. Le Saint «accommode» les Constitutions. — Comment tenir unies les Maisons du nouvel Institut? — A défaut d'un hôtel «asses beau,» il faut se contenter d'un «trop beau.» — Démarches que doit faire à Rome Mme de Port-Royal pour obtenir de passer de son Ordre dans celui de la Visitation   217

MDCCXXXVIII. A Monseigneur Jean-François de Sales, son frère Evêque nommé de Chalcedoine. Préparatifs pour le voyage de France. — L'Evêque voudrait laisser son frère en sa place. — L'impossibilité où il se trouve d'aller jusqu'à Turin. — Insolence de deux laquais au logis de François de Sales; démêlé qui en résulte entre M. de la Valbonne et le baron de Tournon. — Méthode pour garder la paix et gagner les cœurs. — Prises d'habit au Monastère d'Annecy  218

MDCCXXXIX. A la Sœur Thérése de Jésus, sous-prieure du Carmel d'Orléans. Dangereuse tentation survenue dans quelques Monastères de Carmélites. — Quand on est bien, ne pas chercher le mieux, de peur de trouver le mal. — Eloge des Supérieurs du Carmel. — Le manteau d'Elie et son esprit. 220

MDCCXL. A la Mère Marie de Jésus, prieure du Carmel d'Orléans (Inédite). Le Carmel ne doit point désirer de changer de Supérieurs. — Affection du saint Evêque pour cet Ordre et spécialement pour la Prieure et la Sous-prieure d'Orléans. 221

MDCCXLI. A Madame Louise de Ballon, Religieuse de l'abbaye de Sainte-Catherine. L’«humeur» de l'Abbesse de Sainte-Catherine et celle de l'Evêque de Genève. — Aversion de l'esprit humain à recevoir «les conceptions d'autruy.» — Le Dieu de paix triomphant au milieu de la guerre. — Bonne saison pour la récolte. 222

MDCCXLII. A deux Religieuses de l'abbaye de Sainte-Catherine. 222

MDCCXLIII. A M. Charles Bally (Inédite). Un Capucin peintre de tableaux d'église. — Indications du Saint pour le groupement des personnages. 222

Appendice. 224

I. Lettres adressées a saint François de Sales par quelques correspondants. 226

A. Bref de Sa Sainteté Paul V.. 226

B. Lettres de Charles-Emmanuel Ier, duc de Savoie. 227

II. Lettres & Pièces diverses. 229

A. Lettre du Chanoine Jean-François de Sales a M. Barthelemy Flocard. 229

B. Brevet de Charles-Emmanuel Ier, duc de Savoie, pour la coadjutorerie de Jean-François de Sales  229

C. Lettre de Christine de France, Princesse de Piemont, au Cardinal Scipion Caffarelli-Borghese. 230

D. Lettres de Victor-Amedee, Prince de Piemont, a l'abbé Philibert-Alexandre Scaglia. 232

E. Lettres de l'abbe Philibert-Alexandre Scaglia. 232

I. Au duc de Savoie. 233

II. Au Prince de Piemont. 233

III. Au duc de Savoie (Fragment). 233

IV. Au même (Fragment). 234

F. Lettre du Cardinal Pierre Aldobrandini au Prince de Piemont. 234

III. La fondation du Monastère de la Visitation de Nevers, huitième de L'ordre. 235

 

 

Lettres de saint François de Sales. Année 1619

 

(Suite)

 

 

MDXLI. A Madame de Lamoignon. Compassion pour une âme. — Souhaits pieux.

 

Paris, 7 août 1619.

 

            Voyla, ma tres chere Fille, pour la bonne madame de Vaugrenant, a laquelle j'ay beaucoup de compassion, [1] la considerant ainsy environnee d'affaires, elle qui, a mon advis, n'est pas accoustumee a cela. Mays Dieu l'assistera et la tiendra de sa main, ainsy que j'en supplie sa souveraine Bonté, que je ne cesseray jamais non plus de vous souhaiter propice et secourable, ma tres chere Fille, demeurant a jamais

                                   Vostre tres humble et tres affectionné serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de.Geneve.

            7 aoust 1619, a Paris.

                        A Madamoyselle

            Madamoyselle de Lamoignon.

 

MDXLII. Madame Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal a Maubuisson. Cinq avis au sujet d'une confession générale. — Par quel motif la faire. — Se laisser à la Providence. — Assurance d'union éternelle

 

Paris, 8 août 1619.

 

            Dieu soit beni, ma tres chere Fille, de la tressainte bonté qu'il exerce envers vostre cœur, que le mien, en verité, cherit, ce me semble, tout incomparablement et vrayement comme soy mesme.

            Au premier point, je dis que vous fassies donq cette confession; au second, que vous vous y preparies par maniere d'une amoureuse humilité; au troysiesme, si vous voules faire quelques marques sur le papier, que je l'appreuverois, mais sans anxieté; au quatriesme, que cela se face en un jour, c'est a dire en troys ou quatre heures d'un jour, car cela suffit; au cinquiesme, que vous changees de motif, car je vous connois, a mon advis, fort entierement. Faites le donq pour cette bienaymee humilité, et pour animer d'une forte resolution l'offrande et totale remise de vostre esprit es mains du Pere eternel. Il ne faut point d'autre preparation qu'une humble, mays [2] noble et courageuse confirmation des mouvemens, resolutions et propositions que nos exercices ont excité en nostre esprit.

            Je ne suis ni gueri, ni malade; mais je pense que bien tost je seray tout a fait le premier. O mon Dieu, ma tres chere Fille, il faut laisser nostre vie et tout ce que nous sommes a la pure disposition de la divine Providence; car en somme, nous ne sommes plus a nous mesmes, ains a Celuy qui, pour nous rendre siens, a voulu d'une façon si amoureuse estre tout a fait nostre.

            J'attens response de Monseigneur le [Prince de Piémont], et j'espere que ce sera pour mon retour, auquel mon ame me presse grandement a cause de mon devoir; et ne puis m'imaginer que ni retour, ni chose quelcomque me puisse jamais separer de vous: non, ni mesme la mort, puisque nostre union est en Celuy qui ne meurt plus. Mais tous-jours je vous iray voir, ou avec N. ou seul; car il faut que je le face.

            Et tandis, Dieu soit a jamais au milieu de vostre cœur, et je suis invariablement

                                                           Vostre tres humble frere et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce 8 aoust 1619. [3]

 

 

 

MDXLIII. A Madame Le Nain de Crevant. Témoignage d'affection et souhaits de perfection spirituelle.

 

Paris, 20 août 1619.

 

            Je me blasmerois moy mesme, ma tres chere Fille, si je laissois partir cette chere seur sans luy donner, en ces trois lignes, ce foible mais asseuré tesmoignage de la souvenance que j'ay de vous et de vostre cœur que je cheris parfaitement, avec mille desirs qu'il se perfectionne de plus en plus en douceur et humilité, affin quil vive tout selon le cœur de Nostre Seigneur, auquel je le recommande incessamment, et tout ce qui vous est plus aymable, demeurant a jamais et invariablement,

            Ma tres chere Fille,

                                                                       Vostre tres humble serviteur,

                                                                                                          FRANÇS E. de Geneve.

            XX aoust 1619.

                        A Madamoyselle

            Madamoyselle de Crevant.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. L. Chagot,

au château de Rastignac (Dordogne). [4]

 

MDXLIV. A la Mère de Chantal, a Paris. Recommandations à une convalescente. — Saint Bernard prêché par lui-même. — Une nièce de Mme Amelot, prétendante de la Visitation

 

Paris, 20 août 1619.

 

            Dieu soit loué, ma tres chere Mere. Non, ne dites pas encor l'Office, mais si vous pouves bien descendre pour la Messe, je le veux bien; et tenes vous assise le plus que vous pourres, et en lieu ou ce grand vent qui tire dans le chœur ne vous frappe point.

            Je me prepare pour le sermon, avec beaucoup de desir, non toutefois sans defiance, de bien rendre ce devoir a ce grand Saint, bien que je veuille que ce soit luy mesme qui face le sermon, toutes les conceptions d'iceluy estant tirees de luy mesme.

            Hier, madame la Presidente Amelot m'amena madamoyselle du Plessis, niece de M. de Marillac, et me pria que j'intercedasse pour elle affin que l'on peust avoir resolution demain. Elle m'asseura que les Seurs Carmelites l'aymoyent et cherissoyent grandement, et ne l'ont rejettee pour autre occasion que pour son incommodité corporelle. Il me semble que ce soit une bonne fille; et si, je metz en quelque consideration qu'elle est de bon lieu et bien apparentee. Elle a 200 livres annuelles a perpetuité, c'est a dire qui demeureront a la Mayson, et ce qu'il faut pour l'entree. Elles reviendront demain pour sçavoir la response, et, en cas qu'on la reçoive, quand on [5] la mettra au premier essay. Madame Amelot est si vertueuse que, comme je croy, elle parle sincerement des qualités de la fille.

            Bon jour, ma tres chere Mere, je suis incessamment vostre.

 

MDXLV. A une dame. La courte durée des séparations faites par la mort. — Contemplation de Jésus et de Marie sur le Calvaire. — Une mère dépouillée de son plus précieux vêtement.

 

Paris, 23 août 1619.

 

            Ayant sceu vostre affliction, ma tres chere Fille, mon ame en a esté touchee de la mesure de l'amour cordial que Dieu m'a donné pour vous; car je vous voy, ce me semble, grandement assaillie de desplaysir, comme une mere qui est separee de son filz unique, et certes bien aymable. Je ne doute pas pourtant que vous ne pensies bien et soyes tres asseuree que cette separation ne soit pas de longue duree, puisque tous nous allons a grans pas ou ce filz se retreuve: entre les bras, comme nous devons esperer, de la misericorde de Dieu. C'est pourquoy vous deves mitiger et adoucir tant qu'il vous sera [6] possible, par la rayson, la douleur que la nature vous donne.

            Mays je vous parle trop reservement, ma tres chere Fille. Il y a si long tems que vous aves desiré de servir Dieu et que vous estes apprise a l'eschole de la croix, que non seulement vous acceptes celle ci patiemment, mais, je m'asseure, doucement et amoureusement, en consideration de Celuy qui porta la sienne et fut porté sur la sienne jusques a la mort, et de Celle qui n'ayant qu'un filz, mais filz d'amour incomparable, le vit mourir sur la croix, avec des yeux pleins de larmes et un cœur plein de douleur, mais de douleur douce et suave, en faveur de vostre salut et de celuy de tout le monde.

            En fin, ma tres chere Fille, vous voyla despouillee et desnuee du vestement le plus pretieux que vous eussies. Benisses le nom de Dieu qui vous l'avoit donné, et l'a repris, et sa divine Majesté vous tiendra lieu d'enfant. Pour moy, j'ay des-ja prié Dieu pour ce defunt, et continueray selon le grand devoir que j'ay a vostre ame, laquelle je prie la bonté eternelle de Nostre Seigneur vouloir remplir de benedictions; et suis sans reserve tout vostre, ma tres chere Fille, et

                                                                       Vostre serviteur plus humble,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 23 aoust 1619. [7]

 

 

 

MDXLVI. A Madame Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal. Joyeux retour d'un petit voyage. — Une amitié qui commence. — Dans quel esprit la Mère Arnauld doit servir Dieu

 

Paris, 3 septembre 1619.

 

            Si faut il, ma tres chere Fille, que je vous die que nous sommes arrivés icy joyeusement. Et comme se pouvoit il faire autrement, apres tant de caresses receues a Andilly, et par M. vostre pere en cette ville? car, a mon advis, il m'a veu et entretenu de bon cœur, et croy qu'en fin j'aurois grand acces en son amitié, si son loysir et mon sejour me permettoyent de le voir souvent. Je vous escriray sur ce sujet mes pensees avant que je parte.

            Ce pendant, ce billet vous porte une tres intime et tres chere salutation de la part de mon ame, qui vous voit incessamment et ayme tout uniquement la vostre. O Dieu eternel, benisses l'ame de cette fille qu'il vous a pleu lier a la mienne, et respandes sur elle vostre grace en affluence, affin qu'elle vous serve en l'esprit de la dilection des espouses eternellement.

            Je salue tendrement nos cheres Seurs Marie et [8] Marie Eugenie, et leur souhaite mille benedictions. Amen.

            3 septembre 1619.

 

 

 

MDXLVII. A une dame de Paris. Faire courtement les exercices de piété, et avec un maintien digne de Dieu. — La pensée de l'éternité, souveraine consolation ici-bas. — Protestation d'invariable souvenir.

 

Paris, 4 septembre 1619.

 

                        Ma tres chere Fille,

            L'Introduction a la Vie devote ayant esté faite pour des ames de vostre condition, je vous supplie de la lire [9] et observer au plus pres que vous pourres; car elle vous fournira presque tous les advis qui vous sont necessaires. Seulement j'adjouste en particulier, que vous deves apprendre a faire vos exercices courtz, d'autant que vous n'aves pas tous-jours le loysir requis pour vous dilater en iceux.

            Le matin, demi petit quart d'heure suffira. Quand vous pourres ouÿr la sainte Messe, faites le; quand vous ne pourres pas l'ouÿr, faites une demi heure de priere, unissant vostre esprit a la tressainte Eglise en l'adoration de ce saint Sacrifice et du Redempteur de nos ames qui y est contenu. Ayes un grand soin d'estre attentive en toutes vos prieres et de tenir vostre cors en reverence devant Dieu, en sorte que le prochain voye que c'est a la divine Majesté que vous parles.

Soyes humble et douce envers tous; car ainsy Dieu vous exaltera au jour de sa visitation. Pries souvent pour les ames desvoyees de la vraye foy, et benisses souvent Dieu de la grace avec laquelle il vous a maintenue en icelle.

            Tout passe, ma tres chere Fille; apres le peu de jours de cette vie mortelle qui nous reste, viendra l'infinie eternité. Peu nous importe que nous ayons icy des commodités ou incommodités, pourveu qu'a toute eternité nous soyons bienheureux. Cette eternité sainte qui nous attend soit vostre consolation, et d'estre chrestienne, fille de Jesus Christ, regeneree en son sang, car en cela seul gist nostre gloire: que ce divin Sauveur est mort pour nous.

            Au reste, bien que je m'en aille sans esperance apparente de jamais vous revoir en terre, la dilection que Dieu m'a donné pour vostre ame ne recevra aucune diminution, ains demeurera ferme, stable et invariable; et ne cesseray jamais de souhaiter que vous vivies saintement en ce monde et tres heureusement en l'autre. [10]

            Attendant de nous revoir par sa misericorde divine, je seray,

                        Ma tres chere Fille,

                                                                                  Vostre tres humble serviteur,

                                                                                               FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 4 septembre 1619, a Paris.

 

 

 

MDXLVIII. A une demoiselle de Paris. Les adieux d'un Saint. — Béatitude de l'âme qui n'est qu'à Dieu; ce qu'elle cherche et ce qu'elle veut.

 

Paris, 7 septembre 1619.

 

                        Ma tres chere Fille,

            Je vous dis de tout mon cœur adieu. A Dieu soyes vous a jamais en cette vie mortelle, le servant fidellement entre les peines que l'on y a de porter la croix en sa suite, et en la vie eternelle, le benissant eternellement avec toute la Cour celeste.

            C'est le grand bien de nos ames d'estre a Dieu, et le tres grand bien de n'estre qu'a Dieu. Qui n'est qu'a Dieu ne se contriste jamais, sinon d'avoir offencé Dieu; et sa tristesse pour cela se passe en une profonde, mays tranquille et paysible humilité et sousmission, apres laquelle on se releve en la Bonté divine par une douce et parfaitte confiance, sans chagrin ni despit. Qui n'est qu'a Dieu ne cherche que luy; et parce qu'il n'est pas moins en la tribulation qu'en la prosperité, on demeure en paix parmi les adversités. Qui n'est qu'a Dieu pense souvent en luy parmi toutes les occasions de cette vie. Qui n'est qu'a Dieu il veut bien que chacun sache qu'il le veut servir et [11] se veut essayer de faire les exercices convenables pour demeurer uni a iceluy.

            Soyes donq toute a Dieu, ma tres chere Fille, et ne soyes qu'a luy, ne desirant que de luy plaire, et a ses creatures en luy, selon luy et pour luy. Quelle benediction plus grande vous puis-je souhaiter? Ainsy donq, par ce souhait que je feray incessamment sur vostre ame, ma tres chere Fille, je vous dis a Dieu; et vous priant de me recommander souvent a sa misericorde, je demeure

                                                                                  Vostre plus humble serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            La veille de Nostre Dame, en septembre 1619.

 

 

 

MDXLIX. A une Religieuse. Garder la paix sans se troubler de la variété des sentiments intérieurs. — Le Monastère, « academie de la correction, hospital de malades spirituelz. » — Remède contre la crainte des esprits. — Souvenir de jeunesse de François de Sales. — Pourquoi les ténèbres et la solitude de la nuit lui sont devenues délicieuses.

 

Paris, 9 septembre 1019.

 

                        Ma tres chere Fille,

            Despuis que j'ay veu vostre cœur je l'ay aymé et le recommande a Dieu de tout le mien, et vous conjure d'en avoir soin. Tasches, ma chere Fille, a le tenir en paix par l'esgalité des humeurs. Je ne dis pas: Tenes le en paix; mais je dis: Tasches de le faire; que ce soit vostre principal souci, et gardes bien de prendre occasion de vous troubler dequoy vous ne pouves si soudainement accoyser la varieté des sentimens de vos humeurs. [12]

            Sçaves vous que c'est que le Monastere? C'est l'academie de la correction exacte, ou chaque ame doit apprendre a se laisser traitter, raboter et polir, affin qu'estant bien lissee et explanee, elle puisse estre jointe, unie et collee plus justement a la volonté de Dieu. C'est le signe evident de la perfection de vouloir estre corrigee; car c'est le principal fruit de l'humilité, qui nous fait connoistre que nous en avons besoin.

            Le Alonastere, c'est un hospital de malades spirituelz qui veulent estre gueris, et pour l'estre, s'exposent a souffrir la saignee, la lancette, le rasoir, la sonde, le fer, le feu et toutes les amertumes des medicamens; et au commencement de l'Eglise, on appelloit les Religieux d'un nom qui veut dire guerisseurs. O ma Fille, soyes bien cela, et ne tenes conte de tout ce que l'amour propre vous dira au contraire; mays prenes doucement, amiablement et amoureusement cette resolution: Ou mourir, ou guerir; et puisque je ne veux pas mourir spirituellement, je veux guerir; et pour guerir, je veux souffrir la cure et la correction, et supplier les medecins de ne point espargner ce que je dois souffrir pour guerir.

            Au reste, ma chere Fille, on me dit que vous craignes les espritz. Le souverain Esprit de nostre Dieu est par tout, sans la volonté ou permission duquel nul esprit ne se meut. Qui a la crainte de ce divin Esprit ne doit craindre aucun autre esprit. Vous estes dessous ses aisles comme un petit poussin, que craignes vous? J'ay, estant jeune, esté touché de cette fantasie, et pour m'en desfaire, je me forçois petit a petit d'aller seul, le cœur armé de la confiance en Dieu, es lieux ou mon imagination me menaçoit de la crainte; et en fin je me suis tellement affermi que les tenebres et la solitude de la nuit me sont a delices, a cause de cette toute presence de Dieu de laquelle on jouit plus a souhait en cette solitude. Les bons Anges sont autour de vous comme une compaignie de soldatz de garde. La verité de Dieu, dit le Psalme, vous environne et couvre de son bouclier: vous ne deves point craindre les craintes nocturnes. Cette asseurance s'acquerra petit a petit, a mesure que la grace [13] de Dieu croistra en vous; car la grace engendre la confiance, et la confiance n'est point confondue.

            Dieu soit a jamais au milieu de vostre cœur, ma chere Fille, pour y regner eternellement. Je suis en luy

                                                                       Vostre plus humble frere et serviteur,

                                                                                  FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 9 septembre 1619.

 

 

 

MDL. A Madame Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal. Le Saint quitte Paris. — Réponse aux appréhensions sur l'avenir. — Ne pas examiner son oraison d'une manière curieuse. — La patience «parmi les niaiseries et enfances» du prochain. — Un châtiment miséricordieux de la Providence divine. — Ce que Dieu unit est inséparable

 

Paris, 12 septembre 1619.

 

            Je pars en fin demain matin, ma tres chere Fille, puisque telle est la volonté de Celuy auquel nous sommes, nous vivons et nous mouvons. O qu'il soit loué, ce grand Dieu eternel, pour les misericordes qu'il exerce envers nous! Vostre consolation console mon cœur, qui est si fort uni avec le vostre, que rien ne sera jamais receu en l'un que l'autre n'y ayt sa part, ains le tout, puisqu'en verité ilz sont en communauté, ce me semble, parfaite; et qu'il me soit loysible d'user du langage de la primitive Eglise, un cœur et une ame.

            Ceci estoit escrit quand j'ay receu vostre seconde lettre; mays je poursuis a vous respondre a la premiere. [14]

            J'espere que Dieu vous fortifiera de plus en plus; et a la pensee, ou plustost tentation, de tristesse sur la crainte que vostre ferveur et attention presente ne durera pas, respondes une fois pour toutes, que ceux qui se confient en Dieu ne seront jamais confondus, et que, tant selon l'esprit que selon le cors et le temporel, vous aves jetté vostre soin sur le Seigneur, et il vous nourrira. Servons bien Dieu aujourd'huy, demain Dieu y pourvoira. Chaque jour doit porter son souci; n'ayes point souci du lendemain, car le Dieu qui regne aujourd'huy, regnera demain. Si sa Bonté eust pensé, ou pour mieux dire conneu que vous eussies besoin d'une assistance plus presente que celle que je vous puis rendre de si loin, il vous en eust donné, et vous en donnera tous-jours, quand il sera requis de suppleer au manquement de la mienne. Demeurés en paix, ma tres chere Fille. Dieu opere de loin et de pres, et appelle les choses esloignees au service de ceux qui le servent, sans les approcher; absent de cors, present d'esprit, dit l'Apostre.

            J'espere que j'entendray bien ce que vous me dires de vostre orayson, en laquelle pourtant je ne desire pas que vous soyes curieuse de regarder vostre procedé et façon de faire; car il suffit que tout bonnement vous m'en fassies sçavoir les mutations plus remarquables, selon que vous en aves souvenance apres l'avoir faite. Je treuve bon que vous escrivies, selon les occurrences, pour m'envoyer par apres selon que vous estimeres estre convenable, sans crainte de m'ennuyer; car vous ne m'ennuyeres jamais.

            Prenés garde, ma tres chere Fille, a ces motz de sot et de sotte, et souvenes vous de la parole de Nostre Seigneur: Qui dira a son frere: Raca (qui est une parole qui ne veut rien dire, ains tesmoigne seulement quelque indignation), il sera coulpable de conseil; c'est a dire, on deliberera comme il le faudra chastier. Apprivoyses petit a petit la vivacité de vostre esprit a la patience, douceur, humilité et affabilité parmi les niaiseries, enfances et imperfections feminines des Seurs qui sont tendres sur elles mesmes et sujettes a tracasser autour des aureilles des Meres. Ne vous glorifies point en [15] l'affection des Peres qui sont en terre et de terre, mays en celle du Pere celeste qui vous a aymee et donné sa vie pour vous.

            Dormes bien; petit a petit vous reviendres aux six heures, puisque vous le desires. Manger peu, travailler beaucoup, avoir beaucoup de tracas d'esprit, et refuser le dormir au cors, c'est vouloir tirer beaucoup de service d'un cheval qui est efflanqué, et sans le faire repaistre.

            Pour la seconde lettre: Ne falloit il pas que vous fussies espreuvee en ce commencement de plus grande pretention? Or sus, il n'y a rien en cela que des traitz de la providence de Dieu, qui a abandonné cette pauvre creature affin de faire que ses pechés soyent plus fortement chastiés, et que par ce moyen elle revienne a soy et a Dieu, duquel il y a si long tems qu'elle s'est departie.         J'eusse voulu que vous ne vous fussies pas raillee et mocquee de ces gens la, mais qu'avec une modeste simplicité vous les eussies edifiés par la compassion dont ilz sont dignes, selon que Nostre Seigneur nous a enseigné en sa Passion. Neanmoins, Dieu soit beni dequoy encor la [16] chose est ainsy passee, avec tant d'édification des autres prochains, selon que le bon M. du V[al] escrit.

            Ma chere Fille, je vous dis adieu, et conjure vostre cœur de croire que jamais le mien ne se separera de luy: il est impossible; ce que Dieu unit est inseparable. Tenes vostre courage haut eslevé en cette eternelle Providence, qui vous a nommee par vostre nom et vous porte gravee en sa poitrine maternellement paternelle; et en cette grandeur de confiance et de courage, prattiqués soigneusement l'humilité et debonnaireté. Ainsy soit il.

            Je suis incomparablement vostre, ma tres chere Fille. Demeurés en Dieu. Amen.

            Je pars un peu plus a la haste, parce que la Reyne desire que je luy face la reverence avant mon retour.

            Ce qui n'est point Dieu doit estre peu en nostre estime. Dieu soit vostre protection. Amen.

            Le 12 septembre 1619. [17]

 

 

 

MDLI. A Mesdames de Villeneuve et de Frouville. Une seule lettre pour deux sœurs. — Combien salutaire l'union des cœurs et des âmes. — Les abeilles spirituelles dans leurs ruches. — Assurance de perpétuel et affectueux dévouement

 

Vers le 18 septembre 1619.

 

            Non certes, mes tres cheres Filles, il ne faut qu'une lettre pour deux seurs qui n'ont qu'un cœur et qu'une praetention. Que cela vous est salutaire de vous tenir ainsy l'une a l'autre! Cett'union des ames est comme l'unguent praetieux qu'on respandit sur le grand Aaron, ainsy que dit le Roy Psalmiste, auquel on mesloit tellement plusieurs liqueurs odorantes, que toutes ne faysoyent qu'une senteur et une suavité. Mays je ne veux pas m'arrester sur ce sujet. Ce que Dieu a uni en sang et en sentiment est inseparable tandis que ce mesme Dieu regne en nous; et il y regnera eternellement.

            Or sus, vives donq ainsy, mes tres cheres Filles, douces et amiables a tous, humbles et courageuses, pures et sinceres en tout. Quel meilleur souhait puis-je faire pour vous? Soyes comme des avettes spirituelles qui ne portent que miel et cire dans leurs ruches. Que vos maysons soyent toutes remplies de douceur, de paix, de concorde, d'humilité, de pieté par vostre conversation; et croyes, je vous supplie, que la distance des lieux ni du tems ne m'osteront jamais cette tendre et forte affection que Nostre Seigneur m'a donné pour vos ames, que la mienne cherit tres parfaitement et invariablement.

            Et par ce que la diversité de vos conditions peut requerir que quelquefois je vous escrive differemment, non [18] obstant l'unité de vostre dessein, je le feray un'autre fois; mais pour le present je me contenteray de vous dire et conjurer de le bien croire sans haesiter, mes tres cheres Filles, que je suis

                                   Vostre tres humble et tres affectionné serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

                                   A Mesdames

            Mesdames de Villeneufve et de Frouville.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Rome, à Santa Maria in Vallicella,

dans la chambre de saint Philippe de Néri.

 

 

 

MDLII. A la Mère de Chantal, a Paris. Fatigué du voyage, l'Evêque envoie des lettres à distribuer. — Itinéraire. — Les prétendants du monde et les prétendantes au Ciel

 

Tours, 18 septembre 1619.

 

                        Ma tres chere Mere,

            Voyla nostre bon M. le Collateral qui vous va revoir, pour soudain nous venir rencontrer en chemin. Je luy porte envie, et si j'estois aussi gaillard que luy pour courir la poste, je ne sçai si je ne ferois point comme luy.

            Je ne vous escriray guere, car je n'en puis plus du grand tracas que nous avons fait. Seulement je vous supplie de faire tenir les lettres ci jointes ou elles s'addressent, et de joindre a celle de madame Godeau une copie [19] de l'Exercice; car je n'en ay sceu faire aucune pendant le chemin, que j'ay eu asses a faire a escrire toutes ces lettres que pour bonne consideration j'ay voulu faire.

            Nous partons samedi et allons droit a Bourges, puis a Moulins, de sorte que nous verrons toutes nos Seurs.

            La Reyne mere m'a fait caresse, et si, je n'en suis point plus glorieux pour cela: la veuë de ces grandeurs du monde me fait paroistre plus grande la grandeur des vertus chrestiennes et me fait estimer davantage leur mespris. Quelle difference, ma tres chere Mere, entre cette assemblee de divers pretendans (car la cour est cela et n'est que cela), et l'assemblee des ames religieuses qui n'ont point de pretention qu'au Ciel! Oh! si nous sçavions en quoy consiste le vray bien!

            Or sus, je vous escriray de Bourges, et de Moulins, et de Rouanne, et de Lyon, et tous-jours, Dieu aydant, que je me porte bien. Dieu soit a jamais au milieu de vostre cœur, ma tres chere Mere et tres uniquement chere Mere. Je salue nos Seurs, et suis vostre de la façon que Dieu sçait.

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            A Tours, le 18 septembre 1619. [20]

 

 

 

MDLIII. A Madame Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal. Le retour à Maubuisson de la Mère Arnauld; affectueuse sollicitude de François de Sales. — Ses sentiments au milieu des faveurs de la cour. — Abeilles et guêpes. — Salutations paternelles

 

Tours, 19 septembre 1619.

 

            Le second jour se passe, ma tres chere Fille, des mon arrivee en ce lieu, et je n'ay encor sceu voir monsieur d'Andilly, quoy que je l'aye desiré. Ce sera, Dieu aydant, demain; mais en attendant, faut-il pas que mon cœur salue le vostre?

            Je sceu a mon depart de Paris que vous esties rentree dans Maubuisson avec vostre petite chere troupe, mays je n'ay peu sçavoir si vous avies treuvé vos papiers, vos meubles de devotion et vostre argenterie sacree; car celle qui s'est elle mesme desrobee a Dieu, pourquoy ne desroberoit-elle pas toute autre chose?

            Or sus ma tres chere Fille, parmi toutes ces grandeurs [21] de la cour (ou il faut que je vous die que je suis fort caressé), je n'estime rien tant que nostre condition ecclesiastique. O Dieu, que c'est bien autre chose de voir un train d'avettes qui toutes concurrent a fournir une ruche de miel, et un amas de guespes qui sont acharnees sur un cors mort, pour parler honnestement.

            Je vous escriray avant mon départ de ce lieu, apres que j'auray veu ce cher frere; et croyes moy, ma tres chere Fille, mon ame se console a vous escrire, tant il est vray que Dieu veut que mon ame regarde la vostre, la cherisse et soit parfaitement vostre. Je salue les cheres Seurs Catherine Agnes, Marie et Anne; et nostre bonne seculiere, qui m'est si chere, ma Seur Catherine de [22] Gennes. En somme, mon cœur se tourne a tous momens de vostre costé, et ne cesse point de respandre des souhaitz pour vostre avancement au pur et courageux, mais humble et doux amour divin.

            A Tours, le XIX septembre 1619.

            J'ay veu le bon M. de Bonneuil qui jubile de sçavoir que sa chere fille veuille aymer Dieu. Je la salue, ceste chere petite fille Marie Angelique; son.

                        A Madame

            Madame l'Abbesse de Port Royal.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Lyon-Fourvière.

 

MDLIV. A la Mère Marie de Jésus, sous-prieure du Carmel d'Amiens (Inédite). Joie de l'Evêque de Genève d'avoir revu deux des filles de Mme Acarie; regret de n'avoir pu visiter la troisième, au Carmel d'Amiens.

 

Tours, 20 ou 21 septembre 1619.

 

                        Ma tres chere Seur,

            Je ne desirois pas moins de vous voir que je faysois de voir les deux cheres Seurs que j'ay maintenant veües, [23] l'une a Paris au petit Couvent, l'autre icy. Mays il n'a pas pleu a Nostre Seigneur qu'aucune occasion se soit presentee d'aller du costé d'Amiens pendant mon sejour en ces quartiers, d'où partant tout presentement pour me retirer en mon diocsese, duquel je n'ay esté que trop absent, je vay en esprit aupres de vous, et vous envoye ce billet qui vous dira de ma part que toute ma vie j'ay cheri vostre ame de tout mon cœur, et me suis consolé de sçavoir que la divine Majesté vous avoit retiree a son service en une si [sainte] vocation comm'est celle [24] en laquelle vous vivés, et que j'honnore parfaitement, et en laquelle je prie Dieu, et ne cesseray point, que vous perseveries heureusement, faysant des continuelz progres en......................................

            Nous avons bien fort renouvelé l'ancienne amitié et alliance spirituelle [vos deux chères Sœurs] et moy, et elles sont tous-jours mes filles comme autrefois. Et par ce que je n'[ai point oublié que] vous l'estes aussi fort particulierement, je ne vous appelleray plus ma Seur, [ains ma Fille,] en toutes les occasions qui se presenteront desormais.

                        A la R. Mere en N. S.,

                                   La Seur Marie de Jesus,

            Sousprieure du Monastere des Seurs Carmelites

                                                           d'Amiens.

                        Recommandee a la Mere Prieure de Tours.

 

Revu sur l'Autographe conservé au Carmel d'Orléans.

 

 

 

MDLV. A Madame Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal. Intime union que l'éloignement resserre de plus en plus. — Un père chrétiennement résigné. — Attendrissement du Saint sur la maladie de deux de ses filles spirituelles; prière qu'il adresse à Dieu

 

Amboise, 22 septembre 1619.

 

            A mesure que je m'esloigne de vous, ma tres chere Fille, selon les lieux, je me sens interieurement de plus [25] en plus joint et uni a vostre cœur selon l'esprit; et connois bien par la que c'est le bon playsir de Dieu que nous ayons ce sentiment de veritable et sincere dilection.

            J'ay veu en fin monsieur vostre frere, que je proteste d'estre l'un des aymables personnages que j'aye veu jamais, pour la bonté et pieté de cœur que Dieu luy a donnee. Le jour precedent il avoit eu l'advis du depart de son pauvre petit François, et neanmoins son esprit estoit en une tranquillité parfaite, et avec un certain repos en la volonté de Dieu, qu'autre que Dieu mesme ne pouvoit luy avoir donné.

            J'avois escrit jusques icy, ma tres chere Fille, quand j'ay esté emporté du tracas a la cour, et apres disné ay reveu ce cher frere, tous-jours plus ferme de courage, quoy qu'attendri jusques aux yeux sur la maladie de nos Seurs Catherine de Gennes et Marie. O ma Fille, Dieu me soit en ayde. A peu que je ne luy aye dit les paroles de cet ancien Prophete: Et comment, Seigneur, vous affliges donq encor ces filles, qui pour l'amour de vous m'ont repeu et nourri? Mays non, ma Fille toute tres chere, j'ayme mieux, avec l'autre Prophete, dire: ]e suis muet sous vos verges, et n'ouvre nullement ma bouche, car c'est vous qui faites cela. En somme, il sera tous-jours vray que ceux qui pretendent d'avoir part avec Jesus glorifié doivent premierement avoir part avec Jesus crucifié.

            Or sus, ma Fille, tenes vostre courage haut eslevé en Dieu, en sa providence, en l'eternité. Amen.

            Je suis ce que ce mesme Dieu veut et sçait que je suis pour vous, et je ne le sçaurois mieux dire qu'ainsy. Je vous escriray a toutes rencontres, estimant qu'en contentant mon ame en cela, je feray selon le gré de la [26] vostre, que je prie Nostre Seigneur de rendre toute sainte. Amen.

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 22 septembre 1619.

 

 

 

MDLVI. A Madame le Maistre. Les faveurs de l'Epoux divin. — Eloge de Robert Arnauld. — Le martyre de saint Maurice; le martyre du cœur. — «Tintamarres et presse» qui empêchent le Saint d'écrire à son gré.

 

 

Amboise, 22 septembre 1619.

 

            Que vous diray-je, ma Fille, vous voyant parmi ces amertumes? Oh! courage, je vous prie; l'Espoux que vous aves choisi des que vous estes separee de celuy qu'on vous avoit choysi, est un faisceau de myrrhe: quicomque l'ayme ne peut n'aymer pas l'amertume; et ceux [27] qu'il favorise de son plus estroit amour sont tous-jours piqués de tribulations. Comme pourroit on serrer sur sa poitrine Nostre Seigneur crucifié, sans que les cloux et les espines qui le transpercent ne nous percent?

            O le brave et bon frere que vous aves icy! Helas! le depart de son pauvre petit François ne l'a touché que comme un pere qui voit partir son filz de sa mayson et s'esloigner de luy pour approcher un grand Roy et aller recevoir ses faveurs. Voyla, certes, comme il faut vivre en cette vie si pleyne d'inconstance et d'evenemens divers. Mais quand ce frere a sceu vostre maladie et celle de nostre Seur Marie, son cœur s'est attendri et son sentiment a paru sur les yeux; et toutefois il demeure ferme et sans trouble, tant il est vertueux et vertueusement chrestien.

            Et moy, ma tres chere Fille, j'espere que Dieu ayant receu en sacrifice de suavité l'acquiescement de ce pere et le vostre, et celuy du grand pere et de la grand mere, et des tantes, il ne permettra pas que la tribulation face plus de progres: ainsy je l'en supplie, et qu'il vous face sainte.

            Le grand saint Maurice, patron de la Touraine, dont on fait aujourd'huy la feste, vit tuer toute sa chere legion devant ses yeux; et on peut dire qu'il souffrit autant de [28] fois le martyre comme il vit martyriser et meurtrir de soldatz. Ma Fille, nous souffrons le martyre du cœu quand, pour l'amour de Dieu, nous voyons mourir et acquiesçons a la mort de ceux que nous cherissons. Or sus, que puis je dire davantage? Celle qui vit mourir le plus aymable filz de tous les filz sur la croix, veuille impetrer de ce mesme Filz les consolations qui vous seront convenables, et a monsieur vostre pere et a madamoyselle vostre mere.

            Je porte au milieu de mon cœur la memoire de madamoyselle N., vostre chere cousine et ma chere fille, et voudrois bien luy escrire; mays je ne puis parmi ces tintamarres de cette presse qui a peine m'a peu permettre de vous escrire ces lignes. Salues la cherement de ma part, je vous supplie, et l'asseures que je ne passeray pas Bourges, ou nous nous acheminons demain matin, sans que je luy envoye une de mes lettres. Aymes cette chere ame, et l'appuyes de vostre conversation, affin que, selon ses inclinations bonnes et vertueuses, elle serve Dieu de mieux en mieux.

            Je n'escris point non plus a madamoyselle vostre mere, car je sçai bien qu'elle se contente que ce soit a vous a qui je dis que je suis finalement son serviteur tres humble. Ma tres chere Fille, demeures ferme et forte en l'amour de Nostre Seigneur, qui m'a rendu, sans que jamais je varie, parfaitement tout vostre.

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            D'Amboyse, ce 22 septembre 1619.

 

MDLVII. A M. Antoine Arnauld. Consolations sur plusieurs afflictions. — De quoi nous devons remercier Dieu. Modérer son travail «a mesure que le tems amoindrit les forces.»

 

Amboise, 22 septembre 1619.

 

                        Monsieur,

            Je vous regarde de bien loin selon le cors, mays de bien pres selon l'esprit, et voy vostre cœur paternel affligé de plusieurs accidens survenus despuis mon depart. Mais je voy encor, ce me semble, que Dieu, vostre bon Ange, vostre prudence et vostre courage vous soulagent et fortifient parmi toutes ces secousses. Vous sçaves trop bien la condition de cette miserable vie que nous menons en ce monde, pour estre estonné des evenemens qui y arrivent de diverses sortes. Que vous puis je donq dire en cette occasion? Laissons prendre a Dieu ce qu'il luy plait, et le remercions de ce qu'il nous laisse, et encor plus de ce qu'il nous rendra le tout avec une usure nom-pareille au jour auquel nous verrons sa face.

            J'ay et auray a jamais part a vos contentemens et a vos desplaysirs, puisque je suis inseparable d'affection d'avec vous et vostre famille benite de Dieu, laquelle, en la personne de M. d'Andilly et de moy, vous conjure [30] d'avoir bien soin de vostre personne pour ne point tant travailler des-ormais, qu'a mesure que l'aage decline vous deves vous soulager par un juste repos. Vous feres incomparablement plus en dix ans de labeur moderé qu'en un ou deux de peyne excessive. Il faut, certes, diminuer la charge a mesure que le tems amoindrit les forces.

            Me promettant que vous prendres en bonne part cette cordiale remonstrance, je vous supplie, Monsieur, de bien perseverer a m'aymer, comme sans fin je seray

                        Vostre tres humble et tres affectionné serviteur,

                                                                                  [FRANÇS, E. de Geneve.]

            A Amboyse, ce 22 septembre 1619.

 

MDLVIII. A la Mère de Chantal, a Paris (Inédite). L'hôte de l'Evêque de Genève à Bourges. — Lettres du Saint et de a Sainte trop lentes à parvenir. — Début des tracasseries au sujet du mariage de M. de Foras. — La courte consolation des Sœurs de Moulins. — Pourquoi François de Sales n'écrit pas longuement

 

Bourges, 28 ou 29 septembre 1619.

 

                        Ma tres chere Mere,

            Icy a Bourges, entre les caresses non pareilles de nostre Monseigneur l'Archevesque en sa mayson, j'ay receu vostre lettre du 23 de ce moys, unique, jusques a present, que j'aye receüe. Mais j'admire bien plus que vous ayant escrit de Chatres (sic), d'Orleans, de Tours, [31] d'Amboyse, vous n'en ayes encor receu pas un seul mot. Au moins suis-je asseuré que M. Flocard vous aura veu, et fidelement mis en main ma lettre a l'heure que j'escris celleci, si quelque disgrace ne luy est survenue.

            Or sus, il faut que M. et Mlle de Forax digere (sic) ces amertumes, puisque Dieu le permet, qui, comme j'espere, leur donnera ensuite des bonnes et solides consolations. Ell'a eu rayson de dire que c'estoit elle qui avoit fait le mariage, car je ny ay, pour moy, contribué que ce que je ne pouvois pas refuser a la verité des qualités de M. de Forax et que je ne devois pas denier a son amitié.

            Nos Seurs ont esté consolees plus quil ne se peut dire, bien qu'en cet embaras incroyable je ne les ay guiere veu en particulier, ains seulement a la Messe et exhortation. De leurs nouvelles, je vous en escriray par chemin entre ci et Moulins, comme des nouvelles de celles [32] de Moulins entre Moulins et Lyon; car en ces villes ou on fait les complimens a Madame, il ny a nul moyen d'escrire qu'aux heures esquelles vous ne voules pas que j'escrive.

            C'est pourquoy, bon soir, ma tres chere Mere; Dieu soit a jamais au milieu de nostre unique cœur. Amen.

            Je salue de toute mon affection nos cheres Seurs. Amen.

            Ma tres chere Mere, je partz ainsy, sans loysir d'escrire davantage; mais salues, je vous supplie, nos bonnes dames. Nostre Seigneur soit nostre tres unique praetention. Amen.

                                   A Madame

                        [Mad] ame de Chantal,

            Supre de Ste Marie de la Visitation.

                                   Paris.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Limoges.

 

MDLIX. A la Mère Rosset Superieure de la Visitation de Bourges. Quelque chose qui est «demeuré sur le cœur» du Saint. — Un métier plus difficile que celui de reprendre. — Ne pas être prompte à promettre, mais agit avec conseil. — Obtenir à la fois le respect et l'amour de ses inférieurs. — La douceur ne doit point ressembler à la timidité.

 

Varennes, 2 octobre 1619.

 

                        Ma tres chere Fille,

            Je retourne en arriere vous revoir en esprit et saluer vostre chere ame par ce billet, ne me pouvant contenter [33] de cet a Dieu si court que je fus forcé de vous dire, m'estant demeuré sur le cœur que je ne vous parlay pas asses clairement sur le sujet de vostre conduitte en l'administration de vostre charge, selon que je m'estois proposé de vous en entretenir un peu plus amplement, si j'en eusse eu le loysir. Or, je repare cette faute au mieux que je puis, vous disant: 1. que vous ne monstries point cette lettre que je ne fay que pour vous.

            2. Gardes-vous bien de tomber en aucun descouragement pourvoir quelque petite murmuration, ou quelque sorte [34] de reprehension qui vous soit faite. Non, ma tres chere Fille, car je vous asseure que le mestier de reprendre est fort aysé, celuy de faire mieux, difficile; il ne faut guere de capacité pour treuver les defautz et ce qu'il y a a redire en ceux qui gouvernent et en leur gouvernement. Et quand on nous reprend ou qu'on nous veut marquer nos imperfections en la conduitte, nous devons doucement tout ouÿr, et puis proposer cela a Dieu et nous en conseiller avec nos aydes ou coadjutrices; et apres cela, faire ce qui est estimé a propos, avec une sainte confiance que la divine Providence reduira tout a sa gloire.

            3. Ne soyes pas prompte a promettre, mays demandes du loysir pour vous resoudre es choses de quelque consequence; cela est propre pour bien asseurer nos affaires et pour nourrir l'humilité. Saint Bernard escrivant a l'un de mes praedecesseurs, Arducius, Evesque de Geneve: «Fay,» dit-il, «toute chose avec conseil,» mais conseil de peu de gens, qui soyent paysibles, sages et bons.

            4. Faites si suavement cela, que vos inferieures ne prennent point occasion de perdre le respect qui est deu a vostre charge, ni de penser que vous aves besoin d'elles pour gouverner; ains faites leur connoistre doucement, sans le dire, que vous faites ainsy pour suivre la regle de la modestie et humilité, et ce qui est porté par les Constitutions; car voyes vous, ma chere Fille, il faut tant qu'il est possible, faire que le respect de nos inferieurs envers nous ne diminue point l'amour, et que l'amour ne diminue point le respect.

            5. Ne vous troubles point d'estre un peu rudement contrerollee par cette bonne ame de dehors, mays passes outre en paix, ou a faire selon son advis es choses esquelles il n'y a point de danger de la contenter, ou a faire autrement quand la plus grande gloire de Dieu le requerra; et alhors il faut, le plus dextrement qu'on pourra, la gaigner, affin qu'elle le treuve bon.

            6. Sil y a quelque Seur qui ne vous traitte pas avec asses de respect, faites le luy sçavoir par celle des autres [35] que vous jugeres la plus propre a cela, non comme de vostre part, mais de la sienne. Et affin qu'en toutes façons vostre douceur ne ressemble point a la timidité et ne soit point traittee comme cela, quand vous verries une Seur qui feroit profession de n'observer pas le respect, il faudroit, doucement et a part, vous mesme luy remonstrer qu'elle doit honnorer vostre office et cooperer avec les autres a conserver en dignité la charge qui lie toute la Congregation en un cors et en un esprit.

            Or sus, ma tres chere Fille, tenes vous bien toute en Dieu, et soyes humblement courageuse pour son service; et recommandes luy souvent mon ame qui, de toutes ses affections, cherit tres parfaitement la vostre et luy souhaite mille et mille benedictions.

            Quand je vous dis: ne monstres pas cette lettre, je veux dire: ne la monstres pas indifferemment; car si c'est vostre consolation de la monstrer a quelqu'une, je le veux bien.

            A Varennes, le 2 octobre 1619.

            Je salue cherement nos Seurs, notamment celles qui sont de nostre mayson d'Annessi, que j'ayme incomparablement.

            A ma tres chere Seur en Nostre Seigneur,

                        Ma Sr Anne Marie,

            Supre en la Congregation de Ste Marie de la Visitation.

                        A Bourges.

 

Revu sur une copie faite par la Mère Rosset, conservée à la Visitation d'Annecy.

 

MDLX. A la Mère de Chantal, à Paris (Inédite). Pourquoi François de Sales n'a pu voir à souhait Mme de Villesavin. — Témoignages d'estime qu'il a reçus de la Reine mère. — Les Prélats de la cour et les bons propos de l'Evêque de Luçon. — On cherche à retenir le Saint en France; ses sentiments à ce sujet. — Projet d'itinéraire. — Heureuses rencontres à Tours et à Bourges. — Ce qu'on perd à la cour. — De quoi on blâme la Mère Anne-Marie Rosset; conseils que lui a donnés le saint Fondateur. — La future fondation d'Orléans et les aversions de Mgr Frémyot. — Nouvelles du Monastère de Moulins où Mme du Tertre «exerce sa vanité fort honnorablement.»

 

Roanne-Voreppe, 5-19 octobre 1619.

 

            Il est bien teins, ma tres chere Mere, que je vous rende comte de mon voyage despuis Tours jusques icy. Nous partismes donq de Tours le samedi, avec certes du desplaysir d'y laisser la chere Mme de Villesavin malade, non sans quelque danger. Je ne la vis que deux fois, non seulement par ce que cette cour si grande et en laquelle j'avois tant de complimens a faire m'en empescherent, mais aussi, et encor plus, par ce que monsieur de Villesavin estoit en une si grande anxieté, crainte qu'on ne la fit parler, que nonobstant tout le soin que j'avois pour cela, il estoit merveilleusement en peine. Et moy je le suis certes un peu jusques a ce que je sache qu'elle soit hors de peril, car je la cheris grandement pour sa bonté et veritable vertu.

            La, je vis la Reyne mere et luy fis la reverence a l'arrivee et au depart; et elle me favorisa grandement par le tesmoignage qu'elle rendit du desir qu'ell'avoit eu de [37] me voir, et de celuy qu'ell'avoit de m'ouïr et me voir plus longuement. J'appris a connoistre tout plein de Praelatz, et particulierement M. l'Evesque de Lusson, qui me jura toute amitié et me dit qu'en fin il se rangeroit a mon parti, pour ne penser plus qu'a Dieu et au salut des ames. Je vis M. le Cardinal de la Rochefocaut, qui m'obligea infiniment, et me dit qu'il desiroit faire l'union des Audriettes, et quil auroit un soin tout particulier de la Mayson de Sainte Marie, c'est a dire, dit il, de vos Filles. Or, je vous dis tout ceci affin que si la Reine mere va demeurer a Paris, vous puissies aux occurrences employer la faveur de M. de Lusson, puysquil m'ayme, et que vous esperies aussi en celle de M. le Cardinal.

            Je vis enfin M. le Cardinal de Retz, qui d'abord m'invita a demeurer en France par une proposition laquelle, [38] estant bien mesnagee, seroit la plus convenable a mon esprit de toutes celles qu'on m'eut peu faire. J'en conferay avec M. de Berule et avec mon parfait ami M. des Hayes, duquel, quand il viendra a Paris, vous pourres sçavoir plus entierement la chose; car je luy escriray quil vous en parle, bien que nous fussions demeurés d'accord que nul n'en sceut chose du monde, d'autant que je pensois vous le pouvoir escrire au long; ce que je voy maintenant n'estre pas possible ni asseuré. L'affaire n'est pas encor preste, ni ne le sera pas si tost; et tandis, nous escouterons ce que Dieu en ordonnera, a la plus grande gloire duquel je veux tout reduire et sans laquelle je ne veux rien faire, moyennant sa grace, ainsy que je fis entendre a mondit seigneur le Cardinal d'abord, et le luy repliquay de rechef estant a Amboyse, ou il m'en parla encor plus cordialement; et Monsieur le Cardinal de la Rochefocaut m'en tendit un mot devant M. le Prince, mais en sorte que cela ne fut [39] point consideré. On me dit despuis que M. l'Archevesque de Sens en avoit parlé fort longuement au Roy, qui y avoit pris playsir. Mays en fin, si Dieu ne le veut de sa volonté d'approbation, je ne le veux jamais vouloir, et ni mettray du tout rien du mien que mon consentement a la Providence celeste, quand je connoistray que ce sera son service.

            Le Roy me donna ses commandemens fort amiablement, et tant luy que la Reine mere tesmoignerent a Son Altesse qu'ilz avoit (sic) a playsir que je suivisse Madame. La, a Amboyse, nous receumes l'advis que nous irions a Nice et a Chasteaumorand; avant hier nous fusmes advertis que nous allions droit a Grenoble, et de la en Savoye, a Chamberi, d'où je me retireray a Annessi. Il falloit escrire toutes ces choses du monde a ma Mere, affin qu'elle sache tout: maintenant, parlons des affaires de Dieu.

            A Tours, je vis les Meres Carmelines et y fis un'exhortation, et fus fort edifié de voir la Superieure, fille de feu Mlle Acarie, qui est une ame de haute vertu et d'esprit merveilleusement amiable et franc, et joyeux et gay. Je vis le P. Suffren, avec mille reciproques consolations, et communicasmes fort franchement; c'est un grand personnage, et veritablement humble et sincere. [40]

            A Bourges, il est incroyable combien de faveurs nous receumes de M. nostre Archevesque, qui est veritablement cordial; mais nous eumes fort peu de tems a parler. M. de Neucheze, qui fait une particuliere profession de vous aymer, me dit quil vous avoit escrit pour se plaindre de la defiance que son cousin avoit de luy; et que quand il vint a Bourges, il ne vint nullement a l'archevesché et ne vid point M. l'Archevesque, qui est fort bien avec M. le Mareschal. Il faudra donner un peu de loysir aux espritz de digerer leurs petitz dépitz, et puis tout se remettra.

            M. de Saint Aignan n'est encor point venu; mais il faut que je vous die que nous avons veu en sa mayson tant de marques de la pieté de Mme de Saint Aignan que j'en suis devenu tout amoureux, m'estant advis qu'elle sera un jour sainte si elle persevere avec humilité. [41]

            Penses vous, ma tres chere Mere, que des Roane j'aye eu le loysir de continuer cette lettre jusques icy a Vareppe, deux liëues pres de Grenoble? C'est une grande perte de tems que d'estre a la cour, et plusieurs y perdent encor l'eternité. Non pas certes pour celleci, car tout y va presque selon Dieu; et c'est une grande consolation de voir nostre petite Madame si gave et toute bonne, et Madame de Vandaume, qui est un (sic) parfaite bonté, et tout son train si bien rangé et vertueux.

            A Bourges, je treuvay la pauvre Superieure entre les mortifications continuelles qu'on luy fait sur ce qu'elle n'est pas habile aux choses du monde et trop facile a la reception des filles et a la conduite des Seurs. La pauvrette est, nonobstant cela, toute douce et amiable. Je luy parlay et a l'Assistente ensemblement, et dis qu'elle ne s'obligeast nullement a faire tous-jours venir l'Assistente au parloir avec elle; mays qu'es affaires de consequence, apres avoir ouy ce qu'on propose, elle prit loysir d'en conferer avec elle et les Coadjutrices, par ce qu'en cette sorte elle conservera la dignité de Superieure et la bonne conduite des affaires ensemblement; et non pas avec cette timidité avec laquelle elle n'osoit venir au parloir sans l'Assistente, de peur qu'on ne luy parlast d'affaires temporelles: en quoy elle se tenoit trop sujette, et privoit les Seurs de deux presences, [42] dont l'une pour le moins est requise pour tenir en devoir les Novices. Et dis a l'Assistence (sic) qu'elle rendit tout respect a la Superieure, nonobstant le peu d'experience qu'ell'avoit aux choses temporelles.

            Mays quant a madame leur bonne protectrice, elle ne sera pas satisfaite si on ne met un'autre Superieure; car, dit elle, cette fille est faite pour estre un (sic) tres excellente Directrice, et c'est dommage de la divertir au soin du temporel auquel elle ne sçauroit reuscir. Mays on verra dans quelque tems ce quil faudra faire.

            Monseigneur l'Archevesque et M. de Neuchaize ne peuvent souffrir qu'on parle d'une Mayson a Orleans, et, comme je vous escrivis estant audit Orleans, ou je laissay ma lettre au P. Lalemand, il faudra conduire prudemment la reception ou acceptation d'une Mayson, et estre bien asseuré de ce qui se promettra; car on me dit que le peuple y estoit un peu dur, et les espritz malaysés a conduire. Mays le P. Lalemant, avec sa charité et prudence, pourra donner les advis asseurés de toute chose. Il faudra tous-jours bien peser l'extreme aversion que Monsieur l'Archevesque a a cela. [43]

            Je treuvay la pauvre Seur Jeanne Françoise toute attendrie dequoy, a son advis, vous ne pouves avoir de l'inclination pour elle; elle s'est grandement changee, et marche de bon pied en la douceur et humilité, a ce que j'appris. J'ay escrit sur chemin a la Superieure pour la soulager un peu, puisque mesme je ne peu luy dire a Dieu qu'a la desrobee, non plus qu'a nos Seurs de Moulins et de Lyon, a cause de la surprise de mon depart que, par force, il me faut faire soudain comme Madame monte en carosse, par ce que je suis de la carosse qui va immediatement devant elle.

            A Moulins, je treuvay tout bien, hormis que nostre Seur a besoin d'une Directrice, ne pouvant fournir a tout elle mesme, a cause du bon nombre de Novices qu'ell'a. La fille des revelations est toute desabusee, et croy qu'elle fera prou. Mlle du Tertre exerce sa vanité fort honnorablement ceans, ayant sa chambre tapissee et son lit de soye; mays il faut un peu la supporter, il y a esperance de mieux. Helas, que les enfans du monde sont niays de vouloir estre estimés grans et dignes de respect par ces mollesses d'esprit!

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            Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Harrow (Londres). [44]

 

 

 

MDLXI. A la Soeur de la Roche, Assistante-Commise à Annecy. Réponse au sujet d'un délai pour la profession d'une Novice.

 

 

Chambéry, 23 octobre 1619.

 

                        Ma tres chere Fille,

            On peut, pour le sujet dont vous m'escrives, retarder la profession de nostre Seur; ce que je vous escrirois plus amplement, n'estoit que je suis si pressé que je n'ay loysir de rien adjouster. Et cependant je me dispose de vous voir dans 4 ou cinq jours, comme je desire. Vous pourres donq recevoir ce que ce sieur porteur donnera, et puis, en son tems, la profession et le reste se feront.

                                   Vostre plus humble frere en Nostre Seigneur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            A Chamberi, le [2]3 octobre 1619.

            A ma tres chere Fille en N. Sr,

                        Ma Seur Claude Agnes,

            Superieure des Seurs de la Visiton.

                                   Anessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Poitiers. [45]

 

MDLXII. A Monseigneur Jean-Pierre Camus, Evêque de Belley. Deux amis qui n'ont pu se dire adieu, ni se rencontrer en chemin. — le «nid» de l'Evêque de Genève bien loin de l'«aymable Paris» de l'Evêque de Belley. — Pourquoi les PP. Capucins sont plus propres à faire le bien dans le diocèse de Mgr Camus. — Messages d'honneur et d'affection.

 

Chambéry, 27 octobre 1619.

 

                        Monseigneur,

            L'affection que vous aves pour moy vous fera, comme je croy, asses imaginer quel a esté mon desplaysir de partir de Paris sans avoir eu lhonneur de prendre congé de vous, que peut estre ne reverray-je jamais. A Chaires (sic) on me dit que vous esties a Estampes; a Estampes on me dit que vous esties a Chatres, et je croy que vous n'esties ni en l'un ni en l'autre des lieux, mays ou a Maubuisson ou par les chemins. En somme, me voyci en mon nid; quelle qu'en soit la vallee, il me sera tous-jours avis que vous en soyes a une journee prés, et en vain, car vous seres dans vostre aymable Paris, parmi cette multitude d'ames que Dieu veut benir par vostre entremise.

            Or, passant icy et entre les a Dieu que je dis a nostre court, les RR. PP. Capucins m'ont fait entendre [46] comme ilz sont desirés a Belley, ou d'autres Religieux se desirent en leur place; et je sçai, Monseigneur, que vostre intention premiere fut d'avoir des Religieux qui administrassent le saint Sacrement de l'absolution, mays que si les Capucins le pouvoyent administrer, vous les praefereries a tous autres. Et a la verité, ilz sont praeferables pour mille raysons, puisque maintenant ilz ont faculté de confesser en cette Province; car ilz ont des gens de capacité, une renommee et approbation incomparable des peuples, une pauvreté qui incommode le moins ceux qui les entretiennent, une correspondance entr'eux qui peut tenir en observance les Religieux, et une tres particuliere inclination a vous honnorer. C'est pourquoy, vostre Belley attendant sur ce vos commandemens, je vous supplie de contribuer vostre authorité a ce parti, duquel je sçai que vostre bercail sera grandement consolé, et vous extremement satisfait.

            Ce pendant, Monseigneur, faites moy la grace de ne point permettre que mon esloignement de vostre presence diminue vostre sacree bienveuillance envers moy qui vous honnoreray a jamays tres cordialement, et seray invariablement

                                                           Vostre tres humble et tres obeissant

                                                                       frere et serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            A Chamberi, le 27 octobre 1619.

            Si je n'esperois d'escrire a la Visitation de Paris et a Maubuisson bien tost, je vous supplierois de commander a M. Jantet qu'il fit mes honneurs en ces deux [47] Maysons; mays puisque dans deux ou trois jours je les feray moymesme par lettres, je me contenteray, sil vous plait, quil asseure monsieur et madame de Saint Bonet de mon humble obeissance; et quand j'escriray par dela, je n'oublieray pas de rendre mon devoir a madame de Herce.

                        A Monseigneur

Monseigneur le Rme Evesque de Belley,

                        Prince du St Empire.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Milan, Archives du prince Trivulzio. [48]

 

 

 

MDLXIII. A la Mère de Chantal, a Paris (Fragment). L'unique ambition du grand Aumônier de Christine de France. — Pourquoi il méprise la cour

 

Chambéry, 30 octobre 1619.

 

            Madame, Son Altesse et M. le Prince ont voulu que je fusse le grand Aumosnier de madite Dame; et vous me croires, je pense, aysement, quand je vous diray que je n'ay directement ni indirectement ambitionné cette charge. Non veritablement, ma tres chere Mere, car je ne sens nulle sorte d'ambition que celle de pouvoir utilement employer le reste de mes jours au service de [49] l'honneur de Nostre Seigneur Non certes, la court m'est en souverain mespris, parce que ce sont les souveraines delices du monde que j'abhorre de plus en plus, et luy, et son esprit, et ses maximes, et toutes ses niaiseries.

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MDLXIV. A Madame Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal. Comment se rassurer au milieu des inclinations mauvaises de la nature. — Exemple de saint Paul. — L'inconstance de notre âme; ce qui doit y demeurer stable. — Manière de combattre les tentations d'affectation. — Conséquences des fautes vénielles. — Etre juste envers soi-même. — Le danger des austérités indiscrètes

 

[Fin octobre ou novembre] 1619.

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            Je voy clairement cette formiliere d'inclinations que l'amour propre nourrit et jette sur vostre cœur, ma tres chere Fille, et sçai fort bien que la condition de vostre esprit subtil, delicat et fertile contribue quelque chose a cela; mays pourtant, ma tres chere Fille, en fin ce ne sont pour tout que des inclinations, desquelles puisque vous sentes l'importunité et que vostre cœur s'en plaint, il n'y a pas de l'apparence qu'elles soyent acceptees par aucun consentement, ou du moins par consentement deliberé. Non, ma tres chere Fille; vostre chere ame ayant conceu le grand desir que Dieu luy a inspiré de n'estre qu'a luy, ne vous rendes pas aysee a croire qu'elle preste son consentement a ces mouvemens contraires. Vostre cœur [50] peut estre tremoussé par le sentiment de ses passions, mais je pense que rarement il peche par le consentement.

            O moy miserable homme, disoit le grand Apostre, qui me delivrera du cors de cette mort? Il sentoit un cors d'armee composee de ses humeurs, aversions, habitudes et inclinations naturelles, qui avoyent conspiré sa mort spirituelle; et parce qu'il les craint, il tesmoigne qu'il les hait; et parce qu'il les hait, il ne les peut supporter sans douleur; et sa douleur luy fait faire cet eslan d'exclamation, a laquelle il respond luy mesme que la grace de Dieu, par Jesus Christ, le garantira, non de la crainte, non de la frayeur, non de l'alarme, non du combat, mais ouy bien de la desfaite, et l'empeschera d'estre vaincu.

            Ma Fille, estre en ce monde et ne sentir pas ces mouvemens de passions sont choses incompatibles. Nostre glorieux saint Bernard dit que c'est heresie de dire que nous puissions perseverer en un mesme estat icy bas, d'autant que le Saint Esprit a dit par Job, parlant de l'homme, que jamais il n'est en mesme estat. C'est pour respondre a ce que vous dites de la legereté et inconstance de vostre ame, car je le croy fermement qu'elle est continuellement agitee des vens de ses passions, et que par consequent elle est tous-jours en bransle; mais je croy aussi fermement que la grace de Dieu et la resolution qu'elle vous a donnee, demeure continuellement en la pointe de vostre esprit, ou l'estendart de la Croix est tous-jours arboré, et ou la foy, l'esperance et la charité prononcent tous-jours hautement: VIVE JESUS!

            Voyes vous, ma Fille, ces inclinations d'orgueil, de vanité et de l'amour propre se meslent par tout, et fourrent insensiblement et sensiblement leurs sentimens presque en toutes nos actions; mays pour cela ce ne sont pas les motifs de nos actions. Saint Bernard les sentant un jour qu'elles le faschoyent tandis qu'il preschoit: «Retire-toy de moy, Satan, dit il; je n'ay pas commencé pour toy, et nefiniray pas pour toy.» [51]

            Une seule chose ay je a vous dire, ma tres chere Fille, sur ce que vous m'escrives que vous fomentes vostre orgueil par des affectations en discours, en lettres. Es discours, certes, quelquefois l'affectation passe si insensiblement qu'on ne s'en apperçoit presque pas; mais si pourtant on s'en apperçoit, il faut soudain changer le stile. Mais es lettres, a la verité, cela est un peu, ains beaucoup plus insupportable; car on void mieux ce que l'on fait, et si on s'apperçoit d'une notable affectation, il faut punir la main qui l'a escritte, luy faysant escrire une autre lettre d'autre façon.

            Au reste, ma tres chere Fille, je ne doute point que parmi cette si grande quantité de tours et de retours de cœur, il ne se glisse par ci par la quelques fautes venielles; mais pourtant, comme estans passageres, elles ne nous privent pas du fruit de nos resolutions, ains seulement de la douceur qu'il y auroit de ne point faire ces manquemens, si l'estat de cette vie le permettoit.

            Or sus, soyes juste: n'excuses, ni n'accuses aussi qu'avec meure consideration vostre pauvre ame, de peur que si vous l'excuses sans fondement vous ne la rendies insolente, et si vous l'accuses legerement vous ne luy abbatties le courage et la rendies pusillanime. Marches simplement, et vous marcheres confidemment.

            Encor faut-il que j'adjouste en ce bout de papier ce mot important: ne charges point vostre foible cors d'aucune autre austerité que de celles que la Regle vous impose; gardes vos forces corporelles pour en servir Dieu es prattiques spirituelles, que souvent nous sommes contraintz de laisser quand nous avons indiscrettement surchargé celuy qui, avec l'ame, les doit exercer.

            Escrives moy quand il vous plaira, sans ceremonie ni crainte; n'employes point le respect contre l'amour que [52] Dieu veut estre entre nous, selon lequel je suis a jamais invariablement

                                                                       Vostre tres humble frere et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

 

MDLXV. A la Mère de Chantal, a Paris (Fragment). Une Communauté fervente, sous une Supérieure très sainte mais plus propre à converser avec Dieu qu'avec les hommes

 

Annecy, [novembre] 1619.

 

                        Ma tres chere Mere,

            J'ay receu une consolation inexplicable de voir a Bourges la chere petite trouppe de nos Filles, si desireuses de la pure perfection de l'amour divin et si amoureuses de l'exacte observance de leurs Regles, qu'il y a lieu d'esperer que cette Mayson sera benite de Dieu et en benediction a la Congregation.

            Mays, a vous dire vray, j'ay treuvé la pauvre petite Mere Rosset si affoiblie de cors et si descheüe, que je croy qu'il la faudra retirer de dessous le fardeau. Cette pure colombe est bien plus propre a demeurer avec son Bienaymé dans le trou de la masure d'une cellule, qu'a converser avec les hommes. Chacun admire sa vertu et bien peu goustent sa conduitte. O ma Mere, il ne se faut pas estonner de cela: toutes les ames n'ont pas la grace de joindre l'actif au passif, et de passer, sans prejudice interieur, de l'un a l'autre.

………………………………………………………………………………………………. [53]

……….Il faut dire la verité: a Grenoble, j'ay treuvé une, mays une Superieure toute selon mon cœur.

 

Revu sur le texte inséré dans la Vie manuscrite de la Mère Rosset,

par la Mère de Chaugy, conservée à la Visitation d'Annecy.

 

MDLXVI. A M. Claude de Blonay (Inédite). Inépuisable condescendance et sainte fermeté de François de Sales.

 

Annecy, 15 novembre 1619.

 

                        Monsieur,

            Je vous priay de dire a M. Combaz quil vint retirer sa fille; mays despuis, sachant l'extremité de la passion en laquelle il est sur ce sujet, j'ay pensé que je pourrois encor voir plus particulierement sil y aura moyen de la [54] retenir; et Dieu sçait si j'en seroys joyeux, n'y ayant que la necessité et force de la conscience qui puisse la faire renvoyer. Mays aussi, quand il le faudra faire, je me disposeray a laisser dire tout ce qu'on voudra et faire mon devoir.

            Je me remetz a vostre discretion, Monsieur, et suis

                                   Vostre tres humble et tres affectionné confrere,

                                                                                  FRANÇS, E. de Geneve.

            XV. IX. 1619.

                        A Monsieur

            [Monsi] eur de Blonnay,

                        Prefect de la Ste Mayson.

                                               Thonon.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Fribourg.

 

MDLXVII. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Infraction aux désirs et aux ordres de Son Altesse pour les prébendes de Contamine. — Lettres obtenues subrepticement. — Prière de faire connaître la véritable volonté du duc de Savoie.

 

Annecy, 19 novembre 1619.

 

                        Monseigneur,

            Des que Vostre Altesse eut l'heureuse pensee de contribuer son soin et son authorité a la reformation des Monasteres de deça, elle donna ordre que les praebendes vacantes de celuy de Contamine fussent reservees pour estre par apres appliquees selon ce dessein. Or maintenant, un Religieux ancien dudit Contamine ayant un desir extreme de faire avoir place et prsebende a un sien neveu, jeune et ignorant, a obtenu des lettres de Son [55] Altesse, par lesquelles elle commande que l'on luy donne cette praebende. Mays on ne peut croire que ces lettres soyent selon l'intention de sadite Altesse, puisque elles sont contraires a la resolution prise avec tant de consideration, delaquelle il se peut faire que la souvenance ne soit pas tous-jours presente a Son Altesse; puysque mesme, en attendant qu'on obtienne de Rome le pouvoir d'appliquer plus fructueusement ces praebendes, on les employe a reparer les domiciles necessaires et entretenir la sacristie de ladite eglise.

            Vostre Altesse donq est suppliee tres humblement de faire declarer la volonté de Son Altesse sur cette occasion, affin que l'on puisse asseurement ou accorder, ou, ce qui est plus desirable, refuser ladite praebende. Et tandis, je prie Dieu qu'il face de plus en plus abonder Vostre Altesse en ses benedictions, et suis,

            Monseigneur,

                        Vostre tres humble, tres obeissant et tres fidele

                                   orateur et serviteur,

                                                                                  FRANÇS, E. de Geneve.

            XIX novembre 1619, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat. [56]

 

MDLXVIII. Au Prieur et aux Religieux du Monastère de Sixt. Aimable salut de retour. — Tentation de désunion au Monastère de Sixt. Ce qu'elle empêchera si elle prévaut.

 

Annecy, 22 novembre 1619.

 

                        Messieurs mes Confreres,

            Je vous salue et vous embrasse tres affectionnement en esprit a cette mienne arrivee apres une si longue absence; et m'estant apperceu que l'ennemy de paix et d'union tasche a semer petit a petit des pensees de separation parmi vous autres, je vous prie et exhorte de tout mon cœur de ne point permettre qu'il prevaille contre les saintes et honnorables resolutions que vous aves prinses avec moy, de vivre jointz et liés ensemble en l'observance de vos Regles, entre lesquelles la communauté et union des cœurs et de biens est la principale. Vous seres fortz estant unis, foibles et aysés a succomber estant desunis. Et comme je prendray tous-jours a gré de vous servir tandis que vous vivres de l'observance des resolutions prinses, aussi me despartiray je aysement de cette affection, si par vostre desunion vous m'ostés le moyen de vous assister.

            Je prie Dieu qu'il vous benisse, et suis

                                   Vostre plus humble et tres affectionné confrere,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Annessi, le XXII novembre 1619.

                        A Messieurs

            les Prieur et Religieux de Six.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [57]

 

 

 

MDLXIX. A la Mère de Chantal, a Paris. Le rassasiement des affamés de justice. — Un enseignement de saint Paul que l'Evêque de Genève veut mettre en pratique. — Dans quelle mesure il tient à sa réputation

 

Annecy, 30 novembre 1619.

 

            Je voy, ma tres chere Mere, par la derniere de vos lettres, du 12 passé, que monsieur [de Foras] est tous-jours en peyne, et que je suis exposé a divers jugemens pour son mariage. Pour luy, je n'ay rien a dire, sinon que bienheureux sont ceux qui ont faim et soif de justice, car ilz seront rassasiés. Et bien que ce rassasiement s'entende pour le jour du jugement auquel on fera justice a tous ceux a qui elle a manqué, et qui par consequent en ont eu faim et soif en ce monde, si est ce que j'espere que le Parlement en fin rassasiera ce personnage, apres qu'il aura eu faim et soif de justice: et Dieu veuille pardonner a ceux qui le persecutent.

            Pour moy, je dis qu'il faut que je prattique l'enseignement de saint Paul: Ne vous defendes point, mes bienaymés, mais laisses le passage a la passion. Et neanmoins, puisque vous le treuves a propos, j'escriray au premier jour a M. Berger, affin qu'il ayt dequoy rejetter la calomnie, asseuré de sa parfaitte charité pour moy qui l'estime et honnore plus qu'il ne se peut dire.

            Demeurés en paix, ma tres chere Mere, sur tout cela. La Providence supreme sçait la mesure de la reputation [58] qui m'est necessaire pour bien faire le service auquel elle me veut employer, et je n'en veux ni plus ni moins que ce qu'il luy plaira que j'en aye. Or sus, c'est asses pour ce coup.

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            Soyés a jamais benite, ma tres chere Mere, et que vostre cœur et le mien soyent a jamais remplis du divin et tres pur amour que la divine Bonté nous a fait la grace de vouloir parfaitement aymer.

            Le 30 novembre 1619.

 

 

 

MDLXX. A la Présidente Amelot (Fragment inédit). Prédiction du Fondateur sur l'Ordre de la Visitation.

 

Annecy, [octobre-décembre] 1619.

 

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            Madame, ne vous estonnes point de voir nos Filles de Sainte Marie si rejettees et abandonnees. Dieu les eslevera [59] et fera croistre; ce petit Institut se multipliera et, comme la violette, respandra par tout sa bonne odeur.

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Revu sur le texte inséré dans l'Histoire de la Fondation du 1er Monastère

de Paris, conservée à la Visitation d'Annecy.

MDLXXI. A une demoiselle de Paris. L'accomplissement d'une promesse. — Une «avette parmi les toiles des araignees.» — Ce que souhaite le Saint à sa correspondante, au souvenir de leurs adieux

 

[Octobre-décembre 1619.]

 

                        Madamoyselle,

            Vous me le fistes promettre, et je le fay soigneusement: je prie Dieu qu'il vous donne sa sainte force, affin que vous rompies genereusement tous les liens qui empeschent vostre cœur de suivre ses celestes attraitz. Mon Dieu, il faut dire la verité: c'est pitié de voir une aymable avette embarrassee parmi les viles toiles des araignees; mays si un vent secourable rompt cette chetifve trame et ces fascheux fïletz, pourquoy est ce que cette chere avette ne prend cette occasion pour se demesler et desprendre de ces pieges et pour aller faire son doux miel? Vous voyes, ma tres chere Fille, mes pensees; faites voir les vostres a ce Sauveur qui vous semond. [60]

            Je ne puis n'aymer pas vostre ame que je connois estre bonne, et ne puis ne luy souhaiter le tres desirable amour de la genereuse perfection, me resouvenant des larmes que vos yeux respandirent lhors que, vous disant adieu, je vous desirois a Dieu, et que, pour estre plus a Dieu, vous dissies adieu a tout ce qui n'est pas pour Dieu.

            Je vous asseure cependant, ma tres chere Fille, que je suis grandement

                                                                                              Vostre serviteur en Dieu.

 

 

 

MDLXXII. A une dame. Maladie et affliction du cœur. — Petit ange envolé au Ciel. — Les richesses que nous amassons ici-bas. — Etre à Dieu toujours.

 

Annecy, 2 décembre 1619.

 

            Le Pere confesseur de Sainte Claire de Grenoble me vient de dire que vous aves esté extremement malade, ma tres chere Fille, apres que vous aves veu passer le cher N., et guerie d'une grande infirmité. Je voy parmi tout cela vostre cœur bienaymé, qui, avec une grande sousmission a la divine Providence, dit que tout cela est bon, puisque la main paternelle de cette supreme Bonté a donné tous ces coups.

            O que cet enfant est heureux d'estre volé au Ciel comme un petit ange, avant que d'avoir presque touché la terre! Quel gage aves vous la haut, ma chere Fille! [61] Mays vous aures, je m'asseure, traitté cœur a cœur avec nostre Sauveur de cet affaire, et il aura des-ja saintement accoysé la tendreté naturelle de vostre maternité, et vous aures des-ja plusieurs fois prononcé de tout vostre cœur la protestation filiale que Nostre Seigneur nous a enseignee: Ouy, Pere eternel; car ainsy vous a-il pleu de faire, et il est bon qu'il soit ainsy.

            O ma Fille, si vous aves fait comme cela, vous estes heureusement morte en ce divin Sauveur avec cet enfant, et vostre vie est cachee avec luy en Dieu; et quand le Sauveur paroistra, qui est nostre vie, alhors vous paroistres avec luy en gloire. C'est la façon de parler du Saint Esprit en l'Escriture. Nous patissons, nous souffrons, nous mourons avec ceux que nous aymons, par la dilection qui nous tient a eux; et quand ilz souffrent ou meurent en Nostre Seigneur, et que nous acquiesçons en patience a leurs souffrances et trespas pour l'amour de Celuy qui, pour nostre amour, a voulu souffrir et mourir, nous souffrons et mourons avec eux. Tout cela bien ramassé, ma tres chere Fille, sont des richesses spirituelles incomparables, et nous les connoistrons un jour, quand, pour ces legers travaux, nous verrons des recompenses eternelles.

            Cependant, ma tres chere Fille, puisque vous aves esté volontier malade tandis que Dieu a voulu que vous le fussies, guerisses aussi maintenant de bon cœur, puisqu'il veut que vous guerissies. Ainsy je le supplie continuellement, ma tres chere Fille, que nous soyons a luy sans reserve ni exception, en santé et en maladie, en tribulation et en prosperité, en la vie et en la mort, au tems et a l'eternité.

            Je salue vostre cœur filial, et suis vostre.

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Annessi, le 2 decembre 1619. [62]

 

 

 

MDLXXIII. Au Comte Jacques de Viry (Inédite). Ce qui reste à faire pour permettre la célébration d'un mariage.

 

Annecy, 10 décembre 1619.

 

                        Monsieur,

            La dispense pour le mariage de madamoyselle vostre fille est arrivee, et neanmoins il reste encor a vuider un empeschement mis au greffe de l'evesché par M. de Paumier, et je voy monsieur du Boys aucunement disposé a l'oster par le moyen de quelque somme d'argent; mays je ne sçai pas si elle sera telle que les parties s'en contentent d'abord. C'est pourquoy j'ay creu que je vous devois donner cet advis, affin que, s'il vous plaist, vous contribuies vostre authorité et dexterité pour haster [63] l'accommodement, et par consequent les noces; puisque je me souviens que vous me tesmoignastes de les desirer voir faites avant vostre despart pour Bourgoigne, affin de contenter monsieur du Boys, et que d'ailleurs, pour briefve que soit la voye de la justice, elle ne peut qu'estre longue et sujette a beaucoup d'accidens.

            Dieu vous veuille a jamais prosperer en sa benediction, Monsieur, et je suis,

                                               Vostre tres humble et tres affectionné serviteur,

                                                                                  FRANÇS, E. de Geneve.

            X decembre 1619, Anessi.

                        A Monsieur

            Monsieur le Comte de Viri.

 

Revu sur une copie appartenant à M. le comte de Viry,

au château de Viry (Haute-Savoie).

 

 

 

MDLXXIV. A Madame de la Fléchère (Inédite). Comment le Saint occupera ses rares loisirs jusqu'aux fêtes. Le futur mariage de Mme de la Croix.

 

Annecy, 10 décembre 1619.

 

                        Ma tres chere Fille,

            Je vous rens graces du livre, que je liray par ci par la, selon le tems que je pouray gaigner, en attendant que vous revenies icy faire les festes, ainsy que la chere cousine m'a dit avoir esté resolu entre vous deux. [64]

            Le mariage de Mme de la Croix a commencé aujourdhuy a se divulguer en cette ville; au moins, plusieurs personnes m'en ont parlé. Dieu, par sa Providence, le rende autant heureux que de tout mon cœur je le souhaite, apres qu'avec la benediction du Pape il aura esté legitimement celebré.

            O que c'est une bonne chose d'estre tout a Dieu! Soyons le donq, ma tres chere Fille. Je suis en luy,

                                                           Vostre tres humble pere, compere et serviteur,

                                                                                                          F., E. de Geneve.

            X decembre 1619.

            Conserves vous bien chaudement, affin quil ne se face point de fluxion sur vostre apostume.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Gênes.

 

 

 

MDLXXV. A M. François de Montholon (Fragment). Douces plaintes et légitimes excuses. — Quelle coopération l'Evêque de Genève a donnée au mariage de M. de Foras.

 

Annecy, 13 décembre 1619.

 

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            Permettes moy, je vous supplie, Monsieur, de soulager mon ame en me plaignant a vous mesme de vos plaintes, [65] lesquelles a la verité m'affligent et m'estonnent, ne croyant pas d'en avoir donné aucune occasion; puisque, hors le veritable tesmoignage que j'ay rendu une seule fois des merites et bonnes qualités du gentilhomme, et une autre fois de sa religion, je n'ay nullement cooperé a cette alliance que peut estre par la recommandation que j'en ay faite a Dieu, si elle devoit estre a sa gloire; et tout ce qui se dit de plus n'est qu'exageration.

            Il est vray que les parties s'estans liees d'affection et de promesses pendant mon absence, je fus present, soudain apres mon retour, a la repetition des promesses qu'elles voulurent renouveller devant moy; mais d'une presence si simple que je ne fis qu'escouter avec plusieurs autres sans dire mot. Pouvois je refuser de telz offices a de telles personnes? Non plus que celuy que je fis envers vous, Monsieur, qui, ce me semble, ne me fistes pas sçavoir que vous eussies une si puissante aversion pour ce mariage, que de la j'eusse peu inferer cet ardent mescontentement que vous aves, ce me dit on………………………………………………………………………..

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MDLXXVI. A un gentilhomme (Fragment). Ce qui attriste le Saint dans les blâmes faits contre lui. — La seule cause de ses fautes. — Pourquoi il voudrait regagner «la bonne grace» de ses adversaires

 

Annecy, 13 décembre 1619.

 

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            Or, Monsieur, je me suis un peu dilaté avec vous pour me soulager; non que je sois grandement touché ni des censures ni des blasmes qu'on jette contre moy pour ce sujet, car je sçay que devant Dieu je suis sans coulpe; mais je suis pourtant marri du souslevement de tant de passions autour d'un affaire ou j'en ay eu si peu. Ceux qui me connoissent sçavent bien que je ne veux rien ou presque rien avec passion et violence; et quand je fay des fautes, c'est par ignorance. Je voudrois bien pourtant regaigner la bonne grace de ces messieurs en faveur de mon ministere; si je ne puis, je ne laisseray pas de marcher en iceluy per infamiam et bonam famam, ut seductor et verax. Je ne veux ni de vie ni de reputation qu'autant que Dieu voudra que j'en aye, et je n'en auray jamais que trop selon ce que je merite.

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MDLXXVII. A Monseigneur Jean-Pierre Camus, Evêque de Belley. Quelle part l'Evêque de Genève prend au deuil de son ami. — Eloge de M. Camus de Saint-Bonnet et de sa famille. — Surcroît d'affliction pour le Saint au sujet de ce trépas. — Explication loyale sur le mariage de M. de Foras. — Le mécontentement injuste de M. de Montholon

 

Annecy, 13 décembre 1619.

 

                        Monseigneur,

            J'ay sceu despuis peu de jours que la divine Providence a en fin retiré de ce monde M. vostre pere; et soudain je suis allé a l'autel offrir le Filz eternel a son Pere pour l'ame de ce defunt, et recommander la vostre et celle de madame vostre bonne mere et celles de toute la trouppe des freres et seurs au Saint Esprit, douce source de toute veritable consolation; car, que peut on faire de meilleur en telles occurrences?

            Certes, j'ay participé a vostre desplaysir; mais la part que j'en ay prise n'aura en rien diminué la totalité du vostre. Oh! si les afflictions devenoyent moindres a mesure qu'elles sont respandues dans le cœur de plusieurs, que vous en auries bon marché, ayant tant de personnes, et autour de vous et bien loin de vous, qui vous honnorent et ayment sincerement, se communiquant les uns aux autres vos sentimens pour les ressentir avec vous.

            Je n'ay rien a vous dire de plus sur ce sujet, sinon que toute ma vie j'honnoreray la riche memoire de ce bon seigneur trespassé, et seray invariablement tres humble [68] serviteur de sa tant honnorable posterité et de madame sa vefve, qui a si heureusement cooperé au bonheur de sa vie et a le faire vivre encor apres la mort en la personne de tant de si dignes enfans; car au reste, de vous vouloir dire des paroles de consolation, je suis trop loin, et ne puis estre ouy qu'apres tant d'autres, que ce seroit une impertinence trop excessive. Et de plus, quand j'eusse esté aupres de vous, que vous eusse-je peu dire sinon: Bibe aquam de cisterna tua? Quelz parfums peut on donner aux habitans de l'Arabie Heureuse? On ne peut leur porter de la suavité qui soit comparable a celle de leur païs, et ne peut on leur dire autre chose sinon: Sentes, odores, receves les exhalaisons de vos cinnamomes, de vos bausmes, de vos myrtes. Ainsy vous eusse-je dit, et a vous et a madame vostre mere, a messieurs et mesdamoyselles vos freres et seurs, vous envoyant tous a vous mesmes pour vous consoler.

            Mays moy, c'est la verité que j'ay encor une douleur sur le sujet de ce trespas qui me fasche tous-jours quand j'y suis attentif. C'est qu'apres une forte resolution d'aller prendre congé de ce bon pere a mon despart de Paris, l'ayant reservé pour le dernier comme celuy a qui je devois beaucoup d'honneur et qui estoit le plus pres, ravi et emporté de la force des visites qui me furent faites ce jour la, je fus tellement suffoqué d'esprit que je ne pensay point a cette obligation sur l'occasion; et estant en chemin, lhors que je ne pouvois plus m'en acquitter, je m'en apperceus, comme seulement pour en estre marri. Et quant a vous, Monseigneur, ce ne fut nullement faute d'attention, mais par la fause asseurance que mon hoste de Chartres me donna que vous esties a Estampes, ou apres je me reconneus trompé, mais trop tard. Or, [69] j'espere que ce bon seigneur m'a aysement pardonné, s'il faut ainsy dire, puisque voyant Celuy qui voit tout, il voit bien que cette mienne faute n'est point procedee de manquement d'honneur, de respect et d'affection. Et vous me pardonnes aysement celle ci, par vostre douceur et bonté envers moy. Dieu m'a donné vostre bienveuillance, Dieu me la conservera, s'il luy plaist; car de moy mesme je n'ay peu la meriter, ni la conservation d'icelle.

            Mais, a ce propos de conserver les bienveuillances, on m'escrit que je suis presque privé de celle de M. de Montholon pour le sujet du mariage de M. de [Foras.] Et encor faut il que je vous rende conte de ceci, puisque vous estes celuy qui me l'avies procuree; et en un mot, je puis dire avec verité que, hors les veritables tesmoignages que j'ay rendus une seule fois a madame de [Vaulgrenant] de la vertu et bonnes qualités de son mari, je n'ay rien cooperé a ce mariage, sinon qu'apres avoir veu et sceu les fortes et vehementes liaisons d'affections, avec des grandes promesses reciproques d'un futur mariage entre ces deux parties, faites pendant que j'estois a Maubuisson, et de plus, la damoyselle se promettre fort asseurement que madamoyselle de [Sanzelles] appreuveroit tout, je dis alhors, qu'encor que je ne doutasse point de leur discretion a la suite de leurs affections, neanmoins je leur conseillois de ne pas beaucoup tarder leur mariage; conseil conforme aux decretz de l'Eglise, et que je donnay ne regardant qu'au plus grand bien et a la plus entiere asseurance de ces ames, et a l'observance des commandemens de Dieu.

            Il y a encor ceci de considerable, que M. de Montholon, lhors qu'il me parla de ce sujet, ne me tesmoigna point d'avoir une si grande aversion ni un si grand interest en cet affaire, que pour cela j'eusse peu croire qu'il en prendroit tant d'ardeur de mescontentement; de sorte que je [70] ne puis encor sousmettre mon jugement pour me tenir coulpable en cet endroit, quoy que grandement marri de voir tant de passions esmeuës a cette occasion, pour l'accoysement desquelles je n'ay autre chose a dire, sinon: Redime me a calumniis hominum, a Celuy devant lequel je suis sans fin,

            Monseigneur,

                                                                       Vostre tres humble et tres obeissant frere

                                                                                              et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

 

 

 

MDLXXVIII. A la Mère de Chantal, a Paris. Envoi de lettres ouvertes. — Ce qu'il faut faire de celle adressée à M. de Montholon. — Indifférence du Saint dans «la tempeste et la bonace.» — L'exemple de saint Joseph. — Doux reproche à la Mère de Chantal. — Le prédicateur de l'Avent. — Des âmes un peu trop empressées au bien. — Messages

 

Annecy, 13 décembre 1619.

 

            VIVE JESUS! auquel et pour lequel et par lequel je suis parfaittement vostre, ma tres chere Mere.

            Je viens d'escrire troys grandes lettres, que je vous envoye ouvertes, affin que vous les voyes, et en icelles plusieurs choses qu'il faudroit que je vous escrivisse; et je n'en ay pas le loysir, estant bien tard.

            En fin donq j'escris a M. de Montholon; mays avant que de luy envoyer la lettre, faites la voir, s'il vous plaist, a M. des Hayes, et consideres s'il sera a propos qu'elle luy soit rendue; car quant a moy, ma tres chere Mere, j'ay remis tous ces mauvais vens a la providence de Dieu: qu'ilz soufflent ou qu'ilz s'accoisent selon qu'il [71] luy plaira; la tempeste et la bonace me sont indifferentes. Bienheureux seres vous quand les hommes diront tout mal contre vous pour l'amour de moy, en mentant. Si le monde ne treuvoit a redire sur nous, nous ne serions pas bonnement serviteurs de Dieu.

            L'autre jour, nommant saint Joseph a la Messe, je me resouvins de cette souveraine moderation dont il usa, voyant son incomparable Espouse toute enceinte, laquelle il avoit creu estre toute vierge; et je luy recommanday l'esprit et la langue de ces bons messieurs, affin qu'il leur impetrast un peu de cette douceur et debonnaireté. Et tost apres, il me vint en l'esprit que Nostre Dame, en cette perplexité, ne dit mot, ne s'excusa point, ne se troubla point, et la providence de Dieu la delivra; et je luy recommanday cette affaire, et me resolus de luy en laisser le soin et de me tenir coy. Aussi bien que gaigne-on de s'opposer aux vens et aux vagues, sinon de l'escume?

            O ma Mere, il ne faut pas estre si tendre sur moy, il faut bien vouloir qu'on me censure: si je ne le merite pas d'une façon, je le merite de l'autre. La Mere de Celuy qui meritoit une eternelle adoration ne dit jamais un seul mot quand on le couvroit d'opprobres et d'ignominies. Aux patiens et debonnaires demeure la terre et le ciel. Ma Mere, vous estes trop sensible pour ce qui me regarde; et donq, faut il que moy seul au monde je sois exempt d'opprobres? Je vous asseure que rien ne m'a tant touché en cette occasion que de vous voir touchee. Demeures en paix, et le Dieu de paix sera avec vous, et il foulera les aspics et les basilics; et rien ne troublera nostre paix si nous sommes ses serviteurs. Ma chere Mere, il y a bien de l'amour propre a vouloir que tout le monde nous ayme, que tout nous soit a gloire.

            Je presche icy, ces Advens, les commandemens de Dieu, qu'ilz ont desiré ouÿr de moy, et je suis merveilleusement escouté, mais aussi je presche de tout mon cœur; [72] duquel cœur je vous diray, ma tres chere Mere, que Dieu, par sa bonté infinie, le favorise fort, luy donnant beaucoup d'amour des maximes du christianisme; et cela en suite des clartés qu'il me donne de leur beauté et de l'amour que tous les Saintz leur portent au Ciel, m'estant advis que la haut on chante avec une joye incomparable: Bienheureux les pauvres d'esprit, car a eux appartient le Royaume des cieux.

…………………………………………………………………………………………………….

            Nos Seurs d'icy font fort bien; il n'y a rien a redire, sinon qu'elles veulent trop bien faire, affin que nostre Mere revenant treuve que tout va bien: cela les presse un peu. Hier nous fismes un entretien ou je m'essayay de les mettre un peu au large.

            Je salue nos très cheres Seurs Anne Catherine et Jeanne Marie; je leur escriray aussi troys motz au premier jour, s'il plaist a Dieu. Et a nostre Seur Marie Anastase mille salutations; c'est une petite Jacobite, car Nostre Seigneur l'a touchee a la cuisse, et elle ira mieux boiteuse au chemin de la perfection qu'elle n'eust fait autrement, comme j'espere. Je salue nostre grande [73] Novice, et toutes, tant qu'elles sont, mes tres cheres Seurs et Filles en Nostre Seigneur.

            Je n'escriray point pour ce coup a ces dames, que j'honnore tant et que Dieu veut que j'honnore de plus en plus; salues les toutes cherement es occurrences. Dieu les veuille combler de ses graces.

            Ce 13 decembre 1619.

 

 

 

MDLXXIX. A Madame Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal. Un Père qui connaît bien sa fille. — Les cerisiers et les palmiers. — Regard compatissant sur les faiblesses humaines. — Combien de fois le jour remettre son cœur «en posture d'humilité.» — La volonté du saint Evêque «suivante» de celle de Dieu. — Deux âmes en péril. — Encouragement à une affligée. — Difficultés suscitées au bien. — Une des joies du Ciel

 

Annecy, 16 décembre 1619.

 

            Je commence par ou vous finisses, ma tres chere et tres veritablement bienaymee Fille; car vostre derniere lettre, entre celles que j'ay receuës, finit ainsy: «Je croy que vous me connoisses bien.» Or il est vray, certes, je vous connois bien, et que vous aves tous-jours dedans le cœur une invariable resolution de vivre toute a Dieu; mais aussi, que cette grande activité naturelle vous fait [74] sentir une grande vicissitude de saillies. O ma Fille, non, je vous prie, ne croyes pas que l'œuvre que nous avons entrepris de faire en vous puisse estre si tost faite. Les cerisiers portent bien tost leurs fruitz parce que leurs fruitz ne sont que de cerises de peu de duree; mays les palmiers, princes des arbres, ne portent leurs dattes que cent ans apres qu'on les a plantés, ce dit on. Une mediocre vie se peut acquerir en un an; mays la perfection a laquelle nous pretendons, o Dieu! ma chere Fille, elle ne peut venir qu'en plusieurs annees, parlant de la voye ordinaire.

            Dites bien encor ceci a cette fille que je vous ay tant recommandee, qu'en verité je ne la puis oublier ni jour ni nuit, mon ame reclamant incessamment la grace de Dieu sur elle; et dites luy hardiment que non, je ne m'estonneray jamais de ses foiblesses et imperfections. Ne serois je pas un desloyal arrogant si je ne la regardois en douceur parmi les effortz qu'elle fait de s'affermir en la douceur, en l'humilité, en la simplicité? Qu'elle continue donq fidelement ses poursuites, et je continueray sans cesse de souspirer et respirer pour son bien et avancement. Le bon pere me remercie si bonnement de la dilection que je porte a cette chere fille, sans considerer que c'est une affection qui m'est si pretieuse et tellement naturalisee en mon ame, que personne ne m'en doit sçavoir non plus de gré que dequoy je me souhaitte du bien a moy mesme.

            Mais dites luy, a cette chere fille, qu'en l'exercice du matin elle mette son cœur en posture d'humilité, de douceur et de tranquillité, et qu'elle s'y remette apres disner, pendant Graces, et a Vespres, et le soir; et que parmi la journee elle se souvienne que je le luy ay dit.

            Dites luy que je demeure icy, en mon diocese, tandis qu'il plaist a Dieu; et que, comme rien ne m'en peut tirer que quelque particuliere occasion que je croiray estre a la gloire de Nostre Seigneur, aussi, cela se [75] presentant, je n'auray non plus difficulté de me desprendre maintenant des faveurs que je reçoy, qu'auparavant qu'elles me fussent donnees. Je suis et seray et veux estre a jamais a la mercy de la providence de Dieu, sans que je veuille que ma volonté y tienne autre rang que de suivante. Vous sçaures tous-jours tout, mais mesnages-le. On m'invite d'aller de rechef a Paris, en une aggreable condition. J'ay dit: Je n'iray point la, ni ne demeureray icy, sinon en suite du bon playsir celeste. Ce païs est ma patrie, selon ma naissance naturelle; selon ma renaissance spirituelle, c'est l'Eglise. Par tout ou je penseray mieux servir celle ci, j'y seray volontier, sans m'attacher a celle la.

            Non, ma Fille, ne laisses pas l'oraison que pour des occasions qu'il est presque impossible de recouvrer. Il n'y a point de mal, ains du bien, a traitter avec nostre bon Ange.

            Mais disons un mot de nos cheres Filles. Helas! la pauvre N. perdra elle ainsy le fruit de sa vocation? O mon Dieu, ne le permettes pas. Sa pauvre seur est en grand danger, a ce qu'on m'escrit; et je vous asseure que mon ame en est toute affligee, et voudrois, si je pouvois, beaucoup faire pour retenir ces deux seurs pour Dieu qui les veut, pourveu qu'elles ne resistent.

            Je n'escris point pour le present a nostre chere seur Catherine de Gennes. Je croy que l'assemblee de L. n'aura rien peu contre elle, puisque vous ne m'en dites rien. O non, car Dieu protegera cette chere ame et ne permettra pas qu'une si rude tempeste la vienne accabler. Qu'elle reprenne ses espritz et qu'elle vive joyeuse.

            Quant a la C., il ne faut pas treuver estrange le [76] refus qu'on en a fait: le bien qui en doit reuscir est trop grand pour n'avoir point de difficulté et de contradiction. M. reviendra a soy; certes, je ne me suis sceu empescher de luy en escrire bien amplement, encor que je ne le connoisse point, m'estant advis que je le devois pour le bien des affaires de Nostre Seigneur.

            Demeures en paix, ma tres chere Fille, et pries souvent pour mon amendement, affin que je sois sauvé et qu'un jour nous tressaillions en la joye eternelle, nous resouvenant des attraitz dont Dieu nous a favorisés, et des reciproques consolations qu'il a voulu que nous eussions en parlant de luy en ce monde. O ma Fille, il soit a jamais l'unique pretention de nos cœurs. Amen.

            Le 16 decembre 1619.

 

MDLXXX. Au Chanoine Jean-François de Sales, son frere. Vieilles lettres qui attendaient un porteur. — Les futurs aumôniers de Madame. — Quelques nouvelles. — Un Mémoire à présenter au prince de Piémont. — Projet d'union d'un bénéfice au Chapitre de Genève. — Des jaloux auxquels il faut répondre par des bienfaits. — Commissions, recommandations et messages.

 

Annecy, 16 décembre 1619.

 

            Mon tres cher Frere,

            Le bon poissonnier qui m'a apporté vos lettres de Ri vole nous asseura de venir dans la huitaine prendre les nostres et vos habitz; mais la quinzaine passe, et il [77] ne vient point. C'est pourquoy je vous envoye tout a coup mes vielles lettres, et celle ci par laquelle je respons a celles que j'ay receües despuis par le sieur [Truytat] et par autre voye.

            M. le Doyen ne veut point aller a la cour, sa devotion le tirant ailleurs, ou il pretend se rendre dans six semaines ou deux mois; mays il desire qu'on ne le sache pas, ne s'en estant descouvert qu'a moy et au Superieur claustral du lieu ou il aspire, sur le rivage de ce lac.

            Je verray a [ces Ordres] M. l'Abbé de [Chézery,] et sçauray en quelle disposition il se treuve; et quant a [78] M. du Chastelard, il me dit l'autre jour qu'en l'advertissant un mois auparavant il se tiendra prest. Reste M. Favre, qui desire d'attendre M. de [Charmettes.] Si quelqu'un de vostre connoissance vouloit entrer au premier quartier, en m'advertissant dans quinze ou dix huit jours affin que je n'en fisse pas tenir prest l'un des susnommés, cela seroit bon, comme je pense. Je pense aussi que la division de l'aumosne sera a propos ainsy que vous l'aves projetté.

            M. de [Duyn] aura response par les ci jointes, que [Mlle] de la Salle aura cent mille francs de son pere et trente mille de sa mere, ainsy que M. de Medio m'asseure.

            M. Favre m'escrit que M. de Foras n'est pas encor [79] hors de prison, par l'opiniastreté des parens qui font le pis qu'ilz peuvent. J'[ai] escrit a M. de Montholon, pour voir si on le pourra destourner de la fause creance qu'il a de mon procedé, dont je ne me repens point, ni n'ay sujet aussi de me repentir.

            Je ne sçavois pas que les livres de Visites fussent a Paris, car on me l'a celé; mais il y a apparence que monsieur le President en aura soin. Je les luy demanday l'autre jour, et il m'escrivit qu'il en avoit un peu affaire pour encor, et qu'il me les envoyeroit par apres.

            Je vous envoye le projet que Monseigneur le Prince me commande de faire pour la reformation des Monasteres de deça, m'ayant semblé a propos qu'il luy fust remis parmi les festes, en tems auquel telles pensees sont de sayson. Vous luy pourres dire que j'ay [écrit] apres avoir conferé avec M. de Monthoux et M. l'Abbé d'Abondance, et qu'il sera expedient que les Memoires soyent dressés en italien ou en latin, mais plustost en italien, de quelque bonne main.

            Vous verres que nous n'avons pas oublié nostre Eglise, pour laquelle il se presente encor une occasion dont le Chapitre m'a prié de vous donner advis, affin que dextrement vous sachies si on en pourroit reuscir. C'est que Monsieur le Reverendissime du Montdevis a, ce dit [80] on, un prieuré pres de [Belley], qui s'appelle Consieu, duquel s'il vouloit se desfaire en faveur de nostre Eglise, on luy asseureroit une bonne pension, pourveu qu'elle n'excedast pas tous les fruitz; et apres on pourroit traitter avec le Chapitre de Belley, du doyenné de Seyserieux. Or, je voy en cela une extreme difficulté, a cause du placet du Roy qui tres mal volontier ordonnera pour unir a un cors qui est hors du royaume. Neanmoins, parce que le Chapitre a cela en desir, vous pourres avec dexterité sçavoir ce qui se pourra faire par dela avec Monseigneur du Montdevis.

            M. le Prevost gousta merveilleusement la bonne pensee que vous aves faite, de voir si on pourroit loger mon neveu de la Feuge chez Monseigneur le Prince Cardinal; et s'il se peut, ce sera une tres grande charité.

            Mon frere [de Thorens] vous escrit de la lettre que les gens de bien font voir par ci par la a la desrobee. Il y a apparence qu'ilz feront ce qu'ilz pourront pour [81] ravaler le peu de faveur qu'ilz voyent naistre pour nous; mais il ne faut pas que vous vous en remuies, ains que vous respondies seulement par bienfaitz a leur mesdire. C'est le vray moyen de les fascher et combattre, mesprisant leurs effortz par l'asseurance que nous tesmoignerons d'avoir dans nostre innocence et inviolable affection au service de nos Princes.

            M. le Marquis de Saint Damian s'en reva, qui m'est venu voir avec beaucoup de demonstrations de nous aymer. Il faut donq correspondre, affin que de toutes partz nous fassions paroistre que nous sommes nous mesmes.

            M. de Cormand a fiancé la bonne madamoyselle de la Croix, et croy que l'on est apres de poursuivre la dispense. M. de Leaval s'estoit chargé de retirer le depesche du sieur Menyer; s'il ne va pas bien tost en Piemont, madame de Charmoysi vous prie de procurer qu'on le face, et de donner advis de l'argent qu'il faut pour le retirer, affin qu'on l'envoye soudain. Je croy bien que pour celuy de naturalité de M. de [Bonnières] il faudroit donner quelque chose en chancellerie, mais il n'y a remede: si c'est peu de fait, il faudra avancer.

            Les Seurs de Sainte Claire [d'Evian] me conjurent fort de vous recommander leur affaire, en laquelle M. le [82] Marquis de [Lullin] les aydera fort. Ce porteur est l'un de leurs Religieux.

            Je suis grandement ayse de sçavoir que madame de Saint George demeurera, sachant combien elle a de pouvoir et de vouloir pour le bien de l'esprit de nostre Maistresse, et par consequent pour le contentement plus desirable de Son Altesse et de Monseigneur nostre Prince, et le bonheur de cet Estat. La connoissance que j'ay des qualités de cette dame m'a tous-jours fait souhaiter qu'elle demeurast, et loüe Dieu de tout mon cœur que cela soit. Salues la cherement de ma part et l'asseures de mon service tres humble, et de mesme toutes les dames qui me font l'honneur de m'aymer; mais, comme vous sçaures bien faire, mettes a part la signora Donna Genevra, ma tres chere fille. Je ne sçaurois luy escrire, ni quasi plus a personne; ce sera au premier jour, et a nostre tres cher frere le P. D. Juste, duquel j'ay receu la boëte et la lettre du P. Justin.

            Les deux dames qui vous ont escrit de France sont mesdamoyselles de Crevant, qui s'appelle Anne de Bragelonne, et de Verton, qui s'appelle Marie de Bragelonne.

            Nous avons achevé l'annuel de M. de Charmoysi ce matin; et la bonne madame de Charmoysi se sent grandement obligee a vostre amitié, et pour le soin que vous aves de son Henri. [83]

            Monseigneur de Turin me recommande le Pere Sommier (?) pour la prebende de l'abbaye d'Aulps; mais c'est la, et non icy, ou il faut faire l'office. Vous le feres, s'il vous plaist, envers Monseigneur le Prince Cardinal, et puis en rendres conte a Monseigneur l'Archevesque.

            Las et recreu de tant escrire, je prie Dieu qu'il vous comble de contentement, et suis

                                                                       Vostre tres humble frere et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

Le 16 decembre 1619.

                        A Monsieur

            [Monsieur] de Boysi,

Chantre et Chanoine de l'Eglise cathedrale de St Pierre de Geneve,

            Vicaire general du Diocese

et premier Aumosnier de Madame. [84]

 

MDLXXXI. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Requête au nom d'un Monastère qui fleurit «en veritable devotion.» — Un Mémoire dont la lecture n'est pas «hors de sayson» pendant les fêtes de Noël.

 

Annecy, 17 décembre 1619.

 

                        Monseigneur,

            Les Seurs de Sainte Claire d'Evian font supplication a Vostre Altesse pour avoir la place et les masures du chasteau de ce lieu-la, affin d'y bastir leur couvent, puisque monsieur le Marquis de Lulin tesmoignera que cela ne peut en rien nuire a la conservation de la ville. Et puis qu'elles ont encor desiré mon intercession aupres de Vostre Altesse, je la fay tres humblement, adjoustant qu'il ny a, comme je pense, aucun Monastere de cet Ordre-la qui fleurisse plus en veritable devotion que celuy ci.

            J'envoye aussi a Vostre Altesse le projet dressé par son commandement, pour la reformation des Monasteres de deça les montz, duquel la lecture ne sera point hors de sayson parmi ces festes, puisque tout le dessein regarde la plus grande gloire du divin Enfant, la naissance duquel on celebre, et que je ne cesseray jamais de supplier qu'il face de plus en plus prosperer Vostre Altesse,

            Monseigneur, delaquelle je suis

                                                                       Tres humble, tres obeissant et tres fidele

                                                                                  orateur et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Annessi, XVII decembre 1619.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme Boarelli di Verzuolo,

à Saluces (Piémont). [85]

 

 

 

MDLXXXII. A une Religieuse de la Visitation. Comment accueillir l'aimable «petit Jesus». — Une de ses larmes sur notre cœur. — Troupe de bergères offrant leur plus bel agneau au divin Enfant.

 

Annecy, 18 décembre 1619.

 

                        Ma tres chere Fille,

            Voyla le tant aymable petit Jesus qui va naistre en nostre commemoration ces festes-ci prochaines; et puisqu'il naist pour nous venir visiter de la part de son Pere eternel, et que les pasteurs et les Rois le viendront reciproquement visiter en son berceau, je croy qu'il est le Pere et l'Enfant tout ensemble de Sainte Marie de la Visitation.

            Or sus, caressés le bien, faites luy bien l'hospitalité avec toutes nos Seurs, chantes luy bien des beaux cantiques, et sur tout adores le bien fortement et doucement, et en luy sa pauvreté, son humilité, son obeissance et sa douceur, a l'imitation de sa tressainte Mere et de saint Joseph; et prenes luy une de [ses] cheres larmes, douce rosee du Ciel, et la mettes sur vostre cœur, affin qu'il n'ayt jamais de tristesse que celle qui res-jouit ce doux Enfant. Et quand vous luy recommanderes vostre ame, recommandes luy quant et quant la mienne, qui est certes toute vostre.

            Je salue cherement la chere trouppe de nos Seurs, que je regarde comme des simples bergeres veillantes sur leurs troupeaux, c'est a dire sur leurs affections, qui, adverties par l'Ange, vont faire l'hommage au divin Enfant, et pour gage de leur eternelle servitude luy offrent le plus beau de leurs aigneaux, qui est leur amour sans reserve ni exception.

                                                                       Vostre tres affectionné Pere et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce 18 decembre 1619. [86]

 

MDLXXXIII. A Madame du Tertre. Les larmes de la nature sur la séparation du monde. — Compassion et espérance. — Respect du Saint pour l'action de Dieu dans les âmes. — Sacrifice de «poudres» et de «papiers dorés». — Confidence paternelle. — Coups de rasoir divins. — Avis sur des choses quelque peu superstitieuses et sur les visites. — Les conversations de l'Evêque de Genève après son sacre.

 

Annecy, 18 ou 19 décembre 1619.

 

            Que de joye, ma chere Fille, que mon cœur reçoit de voir la franchise et rondeur du vostre a ce commencement! Non, ne vous estonnes point de ces larmes; car, bien qu'elles ne soyent pas bonnes, elles viennent neanmoins de bon lieu. Si nos resolutions estoyent petites et revocables, nous n'aurions pas ces sentimens en ces abnegations et hautes conclusions que nous avons prises. David pleura tant sur Saül mort, quoy que ce fust son plus grand ennemi: pleurons un peu sur ce monde, [87] qui meurt, ains qui est mort pour nous, et auquel nous voulons a jamais mourir.

            O ma Fille, ma bonne Fille, que je suis ayse de vous voir un peu travaillee de ce mal d'enfant! Non, jamais nulle ame n'enfanta Jesus Christ sans douleurs, sinon la Sainte Vierge, a laquelle en contrechange il en donna des grandes en mourant. Mays, ma Fille, vous verres qu'apres ces tranchees de cœur vous aures mille sortes de consolations. Et moy, ne croyes vous pas que mon cœur s'attendrisse sur le vostre? Si fait, je vous asseure, mais attendrissement doux et suave, pour voir que vos douleurs sont des presages de plusieurs faveurs que Dieu vous fera, si constamment et fidellement vous perseveres en cette entreprise, la plus digne, la plus genereuse, la plus utile que vous pouvies jamais faire.

            Or, poursuives donq, ma tres chere Fille; tenes bien vostre cœur ouvert. Pour moy, ne doutes nullement de ma fidelité; confies vous en moy sans crainte, sans reserve et sans exception, car Dieu qui l'a voulu me tiendra de sa sainte main affin que je vous serve bien. [88]

            Ce mesme Dieu sçait que sur vostre despart, il me [vint] en la pensee de vous dire qu'il failloit retrancher le musc et les senteurs; mais je me retins, sur ma methode, qui est suave, de laisser lieu au mouvement que petit a petit les exercices spirituelz ont accoustumé de faire dans les ames qui se consacrent entierement a sa divine Bonté. Car vrayement mon esprit est extremement amy de la simplicité, mays la serpe avec laquelle on tranche ces inutiles rejettons, je la laisse ordinairement es mains de Dieu: et voyla, ma tres chere Fille, qu'il vous en va donner un coup pour ces poudres, pour ces papiers dorés. Qu'a jamais sa misericorde soit benite, car elle vous est fort misericordieuse, je le voy bien.

            Ouy, donnes ces poudres et ces papiers dorés a quelque dame du monde, qui soit neanmoins de telle confiance que vous luy puissies marquer le sujet de ce petit renoncement, et ne doutes point que cela scandalise; au contraire, cela edifiera son ame, puisque je presuppose que ce soit une dame qui en ayt une bonne. Vous aves rayson, ma tres chere Filie, de renoncer a tout cela; croyes moy, ces petites abnegations seront fort aggreables a Dieu.

            Vrayement il faut que je vous die ceci, puisque j'ay commencé a vous communiquer mon ame avec naïfveté. Je n'ay jamais seulement voulu porter des bas d'estame, ni jamais des gans ni lavés ni musqués, des que je me suis voué a Dieu, ni jamais papier doré ni poudres; ce sont des mignardises trop menues et vaines. O Dieu, quel cœur vous me donnes en vostre endroit, marchant de si bon pied!

            Helas, ma chere Fille, il est certes vray: ces eternelz et irrevocables renoncemens, ces adieux immortelz que nous avons ditz au monde et a ses amitiés, font quelque attendrissement a nostre cœur. Et qui ne se mouvroit a ces coups de rasoir qui separent et divisent l'ame d'avec l'esprit, et le cœur de chair d'avec le cœur divin, et nous mesmes d'avec nous mesmes? Mais, vive Dieu! Ces [89] coups sont donnés, c'en est fait: non, jamais plus il n'y aura reunion de l'un a l'autre, moyennant la grace de Celuy pour auquel nous unir inseparablement nous nous sommes separés pour jamais de toute autre chose.

            Laisses absolument toutes ces guerisons par paroles: ce sont niaiseries que cela, que je permettrois a une ame moins resignee que la vostre; mais a la vostre, ma Fille, je dis hautement: Laisses ces enfances et bagatelles, lesquelles, si elles ne sont pechés, sont des amusemens inutiles, tendans a la superstition.

            O Dieu, ma Fille, a toutes ces compaignies mondaines qui vous arriveront, il faut rendre une contenance doucement joyeuse. Mais affin que vous vous entretenies de nouvelles reciproquement, entretenes les comme venant de l'autre monde, et elles vous entretiendront comme venans du monde; car si vous leur parles le langage de leurs lieux, ce ne leur sera pas grande nouvelle. Je fus un moys, apres ma consecration a l'evesché, que, venant de ma confession generale et d'emmi les Anges et les Saintz, entre lesquelz j'avois fait mes nouvelles resolutions, je ne parlois que comme un homme estranger du monde, et il me semble que j'avois bonne grace; et quoy que le tracas ayt un peu alangouri ces bouillonnemens de cœur, les resolutions, par la grace divine, me sont demeurees. Soyes courte la ou vous ne profiteres pas.

            Ce grand Dieu aggrandisse de plus en plus le regne de son saint amour en nous. Je suis en luy, mais d'une affection toute particuliere, vostre.

            Si j'avois davantage de loysir, je vous escrirois encor, car je ne me lasse point en ce doux entretien de Dieu, de son amour, de nos ames. Demandes fort au petit Jesus naissant sa sainte nudité pour vostre cœur, affin que nuement et purement il soit a luy.

                                                                       Vostre tres affectionné Pere et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve. [90]

 

MDLXXXIV. A la soeur de Blonay, maitresse des novices a la Visitation de Lyon. Vin heureusement mêlé de baume. — Un zèle «tout bon» qui avait besoin d'être purifié. — Regard sur l'Enfant de Bethléem. — A qui appartiennent la joie et la paix. — La condition suffisante pour recevoir le divin Nouveau-né.

 

Annecy, 19 décembre 1619.

 

            O ma Fille, Dieu vous a fait une grande misericorde d'avoir rappellé vostre cœur au gratieux support du prochain, et d'avoir saintement jetté le bausme de la suavité de cœur envers autruy dans le vin de vostre zele.

            Voyesvous, en fin je respons, quoy que tard, a la lettre que vous m'escrivies apres mon passage, et respons courtement, simplement, amoureusement, comme a ma tres chere Fille que j'ay aymee presque des le berceau, parce que Dieu l'avoit ainsy disposé. Il ne vous failloit que cela, ma tres chere Fille; vostre zele estoit tout bon, mais il avoit ce defaut d'estre un peu amer, un peu pressant, un peu inquiet, un peu pointilleux. Or, le voyla purifié de cela; il sera des-ormais doux, benin, gratieux, paysible, supportant. Hé! qui [ne] voit le cher petit Enfant de Bethlehem, duquel le zele pour nos ames est incomparable, car il vient pour mourir affin de les sauver; il est si humble, si doux, si amiable.

            Vives joyeuse et courageuse, ma chere Fille, (je dis en la portion superieure de vostre ame) car l'Ange qui preconise la naissance de nostre petit Maistre annonce en chantant, et chante en annonçant, qu'il publie une joye, une paix, un bonheur aux hommes de bonne volonté, [91] affin que personne n'ignore qu'il suffit, pour recevoir cet Enfant, d'estre de bonne volonté, encor que jusqu'icy on n'ayt pas esté de bon effect; car il est venu benir les bonnes volontés, et petit a petit il les rendra fructueuses et de bon effect, pourveu qu'on les luy laisse gouverner, comme j'espere que nous ferons les nostres, ma tres chere Fille. Ainsy soit il.

            Je suis ensuite tout entierement vostre. Amen, il est vray.

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 19 decembre 1619.

 

Revu sur un ancien Manuscrit conservé à la Visitation de Bourg-en-Bresse.

 

MDLXXXV. A M. Claude de Quoex. Démarches infructueuses en vue d'obtenir un accommodement entre deux parties.

 

Annecy, [vers le 25 décembre 1619.]

 

                        Monsieur,

            Je tiens parole, et vous diray, qu'ayant tiré de la courtoysie de monsieur de Dalma tout ce que je desirois pour le dessein d'un accommodement amiable, et pris le mesme jour que j'avois des-ja marqué a monsieur de [92] Paschal qui, de sa grace aussi, m'avoit donné sa parole a mesme fin, voyci que ce billet m'a esté envoyé tout maintenant, par lequel vous connoistres que j'ay besoin en cet endroit d'estre aydé du credit que vous y aves.

            Mon Dieu, que ce miserable monde nous tourmente! Que bienheureux sont ceux qui le mesprisent de tout leur cœur. Je suis de tout le mien, Monsieur,

                                                                       Vostre serviteur bien humble,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            J'avois pris jour au lundy apres Noel.

                        A Monsieur,

            Monsieur de Quoex,

            premier Conseiller et Collateral

                        au Conseil de Genevois.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Chambéry, Archives du Sénat de Savoie.

 

MDLXXXVI. A Madame de la Fléchère (Fragment). Que faut-il pour devenir une vraie fille de la Visitation ?

 

[1618 ou 1619.]

 

…………………………………………………………………………………………………….

            Je salue ma filleule, priant Dieu qu'il la benisse; et vous, ma chere Fille, je vous prie de l'eslever fort humble, douce, devote et modeste, car il faut estre ainsy, ou devenir ainsy, pour estre vraye fille de nostre petite Visitation………………………………………………………………

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Turin.

 

 

 

MDLXXXVII. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble (Fragments). Mourir à soi pour vivre à Dieu. — Abandon à la Providence

 

Annecy, [novembre 1619-1620.]

 

            Que diray je a cette chere Fille qui m'est si fort a cœur? Vives toute en Nostre Seigneur, ma tres chere Fille, et croyes que, pour luy, la sainte amitié que je vous porte vit fort entierement et immortellement en mon esprit. Qu'a jamais puissions nous perir a nous mesmes pour nous retreuver tout en Nostre Seigneur.

……………………………………………………………………………………………………..

            Ne permettes plus tant a vostre esprit de faire des reflexions sur vostre misere et sur vostre incapacité; car, a quoy est bon tout cela? Dépendes vous pas de la Providence de Dieu en tout et par tout? Or, celuy qui habite dans le sejour du Seigneur demeurera en sa protection.

………………………………………………………………………………………………… [94]

 

MDLXXXVIII. A Madame de Thou, novice de l'abbaye de Port-Royal. Un bien inestimable. — Pourquoi le saint Evêque est «beaucoup» Père de la Novice. — Humilité, obéissance et joie

 

Annecy, [fin 1619 ou 1620.]

 

            Je me resjouis grandement, ma tres chere Fille, du bonheur dont vous jouisses en cette sacree compaignie en laquelle vous estes, ainsy que monsieur vostre bon pere m'a fait sçavoir; car ce vous est un bien inestimable de vivre au service de Dieu en un lieu ou toutes les ames le servent, et ou leur conversation environne vostre jeunesse pour la conserver et affermir en ses bons propos.

            Et quant a moy, j'auray perpetuellement une grande affection a vostre avancement en la devotion, non seulement parce qu'estant fille d'un pere que j'honnore parfaitement, et madame vostre mere, j'ay mon interest en leur contentement, mais aussi d'autant qu'avec leur permission et celle de Madame vostre Abbesse, je pense avoir quelque part en vostre ame, puisque elle porte le sacré caractere de la Confirmation par mon entremise. C'est pourquoy vous estes un peu ma fille, comme je croy, et je suis beaucoup vostre Pere asseurément, ayant et sentant un'affection grandement paternelle pour vous. Et en cette consideration, je vous prie de tout mon cœur de vous exercer fidelement en la sainte humilité et obeissance [95] envers ces ames sacrees a qui Dieu a confié la vostre, affin qu'un jour elle soit toute sienne et son espouse bien-aymee. Et tenes vous joyeuse, ma tres chere Fille, puisque il n'y a point de veritable joye en cette vie mortelle que celle de se treuver en la voÿe la plus asseuree pour parvenir a l'immortelle.

            Vives donq ainsy humblement et doucement devant Dieu, ma tres chere Fille, et pries-le souvent pour moy qui suis

                        Vostre humble et tres affectionné frere et serviteur

                                               en Nostre Seigneur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

                                   A Madame

                        Marie Angelique [de] Thouz,

                        Religieuse Novice de Port Royal.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Chartres. [96]

 

Année 1620

 

 

 

MDLXXXIX. A une Religieuse de la Visitation. Ingénieuse interprétation d'un texte de l'Ecriture. — Le sang de Jésus marquant l'entrée de l'année nouvelle. — Comment rendre les nôtres fertiles. — Transformation de l'âme. — Pourquoi Dieu nous laisse des imperfections

 

Annecy, 2 janvier [1620.]

 

            Vrayement, ma bonne Fille, vous m'aves bien consolé de m'envoyer des nouvelles de vostre ame a ce commencement d'annee. Quand l'Escriture Sainte veut parler d'une personne bonne, douce, innocente et dediee a Dieu, elle dit: C'est un filz ou une fille d'un an. Helas! ma Fille, si nous n'avons pas correspondu ci devant a l'amour de ce gratieux Sauveur par une sainte et inseparable union de nos affections a sa sainte volonté, faisons maintenant en sorte qu'au bout de cette annee nous puissions estre appellés enfans d'un an.

            Je disois hier, ma chere Fille (car je vous veux faire part de nos predications), que quand Dieu voulut prendre en sa sauvegarde les enfans des Israelites, affin que l'Ange exterminateur ne les tuast comme il faisoit ceux des Egyptiens, il ordonna que leurs portes fussent enduites et [97] marquees du sang de l'Aigneau paschal; et qu'ainsy sa divine Majesté marquoit du sang de sa Circoncision la porte et l'entree de cette annee sur nous, affin qu'en icelle l'exterminateur de nos enfans n'eust aucun pouvoir sur eux. Et vous sçaves qui sont nos enfans, car je parle de ceux du cœur: nos bons propos, nos bons desirs, nos amours divins.

            Je l'espere, ma chere Fille, que nous serons inviolablement fidelles a ce Sauveur, et que ces annees suivantes nous seront comme les annees fertiles de Joseph, lequel, par le moyen du mesnage qu'il fit en icelles, se rendit vice Roy d'Egypte; car nous mesnagerons si bien nos ans, nos mois, nos semaines, nos jours, nos heures, voire nos momens, que le tout s'employant selon l'amour de Dieu, le tout nous sera profitable a la vie eternelle pour regner avec les Saintz. Mais n'est ce pas, donq, ma Fille, dores-en-avant nous ne serons plus ces vieux nous mesmes que nous avons esté devant; nous serons des nous mesmes qui, sans exception, sans reserve, sans condition, serons a jamais sacrifiés a Dieu et a son amour, et, comme de petitz phœnix, nous serons renouvellés de ce feu de la dilection divine pour laquelle, avec un irreconciliable divorce, nous avons pour jamais abandonné et rejetté le monde et toute sorte de vanité. Nos petites choleres, nos petitz chagrins, les petitz frissonnemens de cœur sont des restes de nos maladies, que le souverain Medecin nous laisse affin que nous craignions la recheute, que nous nous humilions et demeurions en une sincere sousmission. Nous irons neanmoins nous establissans de jour en jour, et ces petites alterations s'affoibliront, Dieu aydant.

            Ayés courage, ma Fille, car ce petit Jesus vous ayme bien. Je suis en luy tout vostre.

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

 

Revu sur une copie conservée à Turin, Archives de l'Etat. [98]

 

 

 

MDXC. A Messieurs du Conseil de la Sainte-Maison de Thonon (Inédite). Recommandation en faveur d'un ancien converti.

 

Annecy, 8 janvier 1620.

 

                        Messieurs,

            Il y a si long tems que Son Altesse tesmoigne d'affectionner le secours de monsieur de Corsier, et que je vous prie de l'avoir en recommandation comme l'un de ceux pour qui premierement fut erigee la Sainte Mayson, que je pense estre superflu d'y rien adjouster; et sur tout puisqu'il est tant appuyé de parens et amis en ces quartiers la. Neanmoins, pour rendre mon devoir et a sa condition et aux intentions de Son Altesse, je continue ma recommandation tres affectionnee, qui suis,

            Messieurs,

                        Vostre plus humble et tres affectionné confrere,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            VIII janvier 1620, Annessi.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Turin. [99]

 

 

 

MDXCI. A la Mère de Chantal, a Paris. L'Evêque de Genève roi de la fève à la Visitation d'Annecy. — Préparation à un «renouvellement extraordinaire». — Bonne correction à une âme opiniâtre. — Science acquise à la cour par Jean-François de Sales; honneurs qu'il y reçoit. — Protecteur d'année; pourquoi le Saint aime la pauvreté

 

Annecy, 8 janvier 1620.

 

            O ma tres chere Mere, Dieu par sa bonté soit a jamais au milieu de nostre cœur, pour y vivre et regner selon son bon playsir.

            Que diray je a ce commencement d'annee? Je suis roy de bon jeu en vostre Mayson, et nos Seurs en sont fort contentes, et m'ont envoyé par escrit une grande protestation de leur sousmission et obeyssance, et m'ont demandé quelques nouvelles loix selon lesquelles elles vivront; et je les mediteray pour leur en porter quand je pourray leur faire une exhortation, que je m'essayeray de faire dans cette octave le plus gratieusement que je sçauray, car j'ay des-ja une idee aggreable pour cela.

            Sur le commencement de la semaine qui vient, je feray ma reveuë pour un renouvellement extraordinaire que Nostre Seigneur m'invite de faire, affin qu'a mesure que ces annees perissables passent, je me prepare aux eternelles.

            La Seur N. nous a donné de l'exercice et ne veut encor pas cesser; car elle a un moule a part, auquel elle fait [100] des pechés mortelz, et opiniastre qu'elle ne peut se communier pour cette occasion. Je luy fis une bonne correction, avec autant de vinaigre que d'huyle, que je repeteray, en changeant les motz, si souvent, qu'elle operera moyennant la grace de Dieu. Tout le reste va bien; sur tout les jeunes sont gratieuses.

            Monsieur [de Boisy] est tous-jours a la cour, ou il apprend la mortification de la propre volonté, excellemment, et encor plus celle de l'impatience, activité et soudaineté, car il faut demeurer trois heures et quatre a attendre les heures du service; beaucoup plus, certes, que quand il treuvoit quelqu'un a l'autel de la Visitation. Mais au reste, c'est la verité qu'il fait des merveilles; et non seulement nostre chere Madame, mais Son Altesse et tous les Princes et Princesses, seigneurs et dames le cherissent et l'estiment grandement; et des maintenant, sans que j'en aye parlé en sorte quelconque, on le va jetter dans la coadjutorerie, si Madame est de croire, affin que son premier Aumosnier soit Evesque.

            O ma Mere, soit que la providence de Dieu me face changer de sejour, soit qu'elle me laisse icy (car cela m'est tout un), ne seray-je pas mieux de n'avoir pas tant de charge, affin que je puisse un peu respirer en la Croix de Nostre Seigneur et escrire quelque chose a sa gloire?

            Mon Saint, c'est saint François, avec l'amour de la [101] pauvreté; mays je ne sçai comme l'aymer cette aymable pauvreté, car je ne la vis jamais de bien pres: neanmoins, en ayant ouy dire tant de bien a Nostre Seigneur, avec lequel elle nasquit, vescut, fut crucifiee et resuscita, je l'ayme et l'honnore infiniment.

            VIVE JESUS!

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 8 de janvier 1620.

 

MDXCII. A Madame Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal. A quoi faut-il employer la nouvelle année. — La Mère Angélique aux pieds de l'Enfant de Bethléem; l'abeille autour de son roi

 

Annecy, 8 janvier 1620.

 

            Mon cœur salue cherement le vostre, ma tres chere Fille, et celuy de toutes nos quatre seurs bienaymees et bien aymables. Je n'ay nul autre loysir que cela.

            O ma Fille, employons bien cette nouvelle annee pour acquerir l'eternitté. Je vous voy, ce me semble, autour de l'Enfant de Bethleem, que, luy baysant ses petitz pieds, vous le supplies quil soit vostre Roy. Demeures-la, ma tres chere [Fille], et apprenes de luy quil est doux, humble, simple et amiable. Que jamais vostre ame, comme un'abeille mistique, n'abandonne ce cher petit Roy, et qu'elle face son miel autour de luy, en luy et pour luy, [102] et qu'elle le prenne sur luy, duquel les levres sont toutes detrempees de grace, et sur lesquelles, bien plus heureusement que l'on ne vid sur celles de saint Ambroyse, les saintes avettes, amassees en essein, font leurs doux et gratieux ouvrages.

            Ma Fille, je suis de plus en plus parfaitement vostre.

            VIII janvier 1620.

                        A Madame

Madame l'Abbesse de Port Royal.

                        A Maubuisson.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Lyon-Fourvière.

 

MDXCIII. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble. Contentions en matière de préséance. — L'Evêque de Genève officiant ou prédicateur à plusieurs réceptions de Religieuses à Paris. — Mieux vaut avoir mille écus par une voie de douceur que douze cents en disputant. — Préférer l'obéissance au jeûne. — L'opiniâtreté d'une tentation. — Bonheur de la pauvreté. — Quelles dispositions porter à la sainte Table.

 

Annecy, 11 janvier 1620.

 

                        Ma tres chere Fille,

            Je confesse que je n'entens rien en toutes ces considerations ceremoniales, parce que je n'y ay jamais pensé. Quatre bonnes fois, pour le moins, j'ay presché a Paris pour la reception des Religieuses, qu'un simple prestre a fait l'Office; une fois j'ay fait la reception, qu'un Pere Jesuite a presché; et en l'une et l'autre façon je ne laissois pas d'estre ce que je suis. Quicomque presche, il tient le lieu et fait la fonction de l'Evesque: c'est pourquoy, si le bon monsieur [d'Ulme] fait l'Office, je ne voy pas [103] qu'un autre ne puisse prescher, quel qu'il soit. Ni Monsieur l'Evesque de Nantes, ni Monseigneur l'Archevesque de Bourges n'en font nulle difficulté a Paris, ni je ne l'ay jamais faite icy, a Sainte Claire et a Sainte Catherine.

            Mays avec cela, je confesse aussi que c'est une vraye humanité au bon monsieur [d'Ulme] de croire qu'il importe a sa reputation qu'il face ou ne face pas l'Office, et mesme n'ayant pas le talent de la predication; et croy, quant a moy, que ce soit au contraire. Mais apres cela, quel remede? car, de le divertir, c'est renverser son esprit. Il sera donq a propos que si nostre bon M. [d'Aoste] peut faire que messieurs ses parens ne le treuvent pas mauvais, ce soit luy qui face l'exhortation; et je ne puis deviner quelle rayson ilz peuvent avoir de le treuver mauvais, estant une chose si bonne et honnorable. Et tous-jours l'action sera plus authorisee par ce moyen que par aucun autre. Que si cela ne se peut, il faudra prier quelque Pere Religieux; car, que faire parmi ces imaginations? Le jour est court, et de disposer Monseigneur a autre chose il n'y a pas de l'apparence. Je vous asseure, [104] ma Fille, qu'une fille de consideration se faysant Carmelite, je fis l'exhortation, et M. du Val, docteur en theologie, fit l'Office, qui eust mieux presché que moy, et moy mieux fait l'Office que luy. O Dieu, a quoy demeurons nous accrochés! Or bien, voyla mon advis. Que s'il ne se peut encor, il faudra faire l'Office de la reception devant disner, et l'exhortation apres disner.

            Au reste, ma tres chere Fille, il est vray, qui a son cœur et sa pretention en Dieu, il ne se sent point, au moins en la partie superieure, des agitations des creatures; et qui l'a au Ciel, comme dit saint Gregoire a deux Evesques, il n'est point tourmenté des vens de la terre.

            Non seulement je consens, mais j'appreuve, ains j'exhorte de tout mon cœur que quand les parens riches donnent raysonnablement selon leur condition et moyens, qu'on ne tracasse point pour tirer davantage. Comme, par exemple, en la fille qui fait son essay: j'aymerois cent fois mieux doucement avoir mille escus, que douze cens avec amertume, et long et fascheux tracas. L'esprit de Dieu est genereux, suave et humble. On gaigneroit peut estre deux cens escus en disputant, mais on perdroit de reputation a quatre cens; et on oste encor le courage aux riches de laisser venir leurs filles, quand on exige si chichement tout ce qu'on peut. Voyla mon sentiment, voyla ce que je fay prattiquer icy.

            Elle a rayson, certes, la bonne fille, de croire que son humeur jeusneuse est une vraye tentation: ce l'a esté, ce l'est et ce la sera tandis qu'elle continuera de faire ces abstinences, par lesquelles il est vray qu'elle affoiblit son cors et la volupté d'iceluy, mais, par un pauvre eschange, elle renforce son amour propre avec sa propre volonté; elle amaigrit son cors, et surcharge son cœur de [105] la veneneuse graisse de sa propre estime et de ses propres appetitz. L'abstinence qui se fait contre l'obeissance oste le peché du cors pour le mettre dans le cœur. Qu'elle mette son attention a retrancher ses propres volontés, et bien tost elle quittera ces fantosmes de sainteté auxquelz elle se repose si superstitieusement. Elle a consacré ses forces corporelles a Dieu; ce n'est plus a elle a les ruiner, sinon quand Dieu l'ordonnera, et elle n'apprendra jamais l'ordonnance de Dieu que par l'obeissance aux creatures que le Createur luy a donnees pour sa direction.

            Si faut, ma tres chere Fille, il la faut faire ayder contre cette tentation par les advis de quelque vray serviteur de Dieu; car il faut plus d'une personne pour desraciner ces persuasions de sainteté exterieure et cherement choisies par la prudence de l'amour propre. Faites donq ainsy, pries monsieur N. de l'instruire et fortifier contre cette tentation; et s'il est par luy treuvé bon, que ce soit mesme en vostre presence.

            Est ce tout de bon, ma tres chere Fille, quand vous dites: Nous sommes prou pauvres, Dieu mercy? O que, s'il estoit vray, je dirois volontier: Que vous estes donq trop heureuses, Dieu mercy! Mays je n'ose gueres parler d'une vertu que je ne connois que par le recit infallible du Roy des pauvres, Nostre Seigneur; car, quant a moy, je n'ay jamais veu la pauvreté de pres.

            Tenes vous dans le train de la Communion que nous vous dismes, et dressés vostre intention a l'union de vostre cœur a Celuy duquel vous receves le cors et le cœur tout ensemble. Puys, ne vous amuses pas a penser quelles sont les pensees de vostre esprit pour cela, puisque de toutes ces pensees il n'y en a point qui soit vostre pensee que celle que, deliberement et volontairement, vous aures acceptee, qui est de faire la Communion pour l'union et comme une union de vostre cœur a celuy de l'Espoux.

…………………………………………………………………………………………………….

                                                                                  Vostre tres affectionné serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 11 janvier 1620. [106]

MDXCIV. Au Pere Dominique de Chambery Vicaire-Provincial des Capucins (Inédite). Permission demandée pour un voyage du Frère Adrien des Echelles. — Quand les vocations extraordinaires doivent-elles être estimées. — Regrets sur le décès du P. Constantin. — Réponse de l'Evêque de Belley au sujet des Capucins.

 

Annecy, 12 janvier 1620.

 

                        Mon Reverend Pere,

            La necessité des moliniers de cette ville et l'utilité de la continuation de leurs ouvrages, me donnent la confiance de vous supplier de donner permission au Frere Adrien pour un voyage jusques a Lyon, auquel il se comportera selon les loix et conditions qu'il vous plaira de luy prescrire, ainsy qu'il m'asseure de vouloir faire en toutes autres occurrences; autrement, certes, je ne serois pas de ses confederés, ne pouvant jamais estimer les vocations extraordinaires, sinon quand elles sont sousmises et correspondantes aux ordinaires.

            Mays, mon Reverend Pere, n'est ce pas pitié du tres-pas du bon P. Constantin? Je l'ay regretté, et luy rendray, comme j'ay commencé, mon devoir es saintz [107] Sacrifices. Dominus dedit, Dominus abstulit sit nomen Domini benedictum.

            Au reste, je suis invariablement

                                                                       Vostre tres humble confrere et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            XII janvier 1620, Annessi.

            Monseigneur de Belley m'a fait response quil estoit engagé avec les Peres Augustins, et que ce n'a esté que sur le refus que les Peres luy avoyent fait il y a quelques annees.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le comte Albert Solaro

della Margarita, à Turin.

 

MDXCV. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble (Inédite). Manière douce et tranquille de rejeter l'amour-propre. — La gloire de l'abjection. — Chimères, contradiction et extravagance d'une tentation. — Comment aider à la combattre et à en triompher

 

Annecy, 14 janvier 1620.

 

            Je vous escrivis avant hier, ma tres chere Fille, et respondis a vos deux lettres praecedentes. O ma Fille [108] veritablement toute bienaymee de mon cœur, faites bien ainsy: ne permettes pas a vostre esprit de considerer ces miseres; laisses faire a Dieu, il en fera quelque chose de bon. Ne faites guere de reflexions sur ce que vostre nature meslera avec vos actions. Ces saillies de l'amour propre doivent estre negligees; pour les desadvouer deux ou trois fois le jour, on en est quitte; il ne faut pas les rejetter a force de bras, il suffit de dire un petit non.

            Vous aves rayson: une fille qui est a Dieu ne doit penser a la reputation, cela est impertinent. Quant a moy, dit David, je suis abject et mesprisè; je n'ay point pour cela oublié vos justifications. Que Dieu face et de nostre vie, et de nostre estime, et de nostre honneur a son gré, puisque tout est a luy. Si nostre abjection sert a sa gloire, ne devons nous pas estre glorieux d'estre abjectz? Je me glorifie, disoit l'Apostre, en mes infirmités, affin que la vertu de Jesuschrist habite en moy. Quelle vertu de Jesuschrist? L'humilité, l'acquiescement a l'abjection.

            J'escris a cette pauvre chere fille. Je ne vis jamais une tentation plus manifeste et connoissable que celle la; ell'est presque sans fard et sans praetexte. Rompre des vœux pour jeusner, presumer d'estre bonne pour la solitude sans estre bonne pour la Congregation, vouloir vivre a soymesme pour mieux vivre a Dieu, vouloir avoir l'entiere jouissance de sa propre volonté pour mieux faire la volonté de Dieu: quelles chimeres! Qu'une inclination, ou plus tost fantasie et imagination, chagrine, bigearre, depiteuse, dure, aigre, amere, testue, puisse estre un'inspiration, quelle contradiction! Cesser de louer Dieu et se taire de depit es Offices que la sainte Eglise ordonne, par ce qu'on ne le peut louer en un coin selon son invention, quelle extravagance! Or sus, j'espere que Dieu tirera de la gloire de tout ceci, puisque cette pauvre chere fille se sousmet en fin a ce qu'on luy commandera et qu'elle revere vostre presence. Commandes luy souvent, et luy imposes des mortifications opposees a ses [109] inclinations; elle obeira, et bien quil semblera que ce soit par force, ce sera pourtant utilement et selon la grace de Dieu.

            Je n'ay nul loysir. VIVE JESUS en tout et par tout, sur tout au milieu de nos cœurs! Amen.

            XIIII janvier 1620.

                        A ma très chere Seur en N. S.,

            La Mere Superieure de Ste Marie de la Visitation.

                                               A Grenoble.

 

Revu sur une copie authentique conservée à la Visitation d'Annecy.

 

MDXCVI. A la soeur de Gerard Religieuse de la Visitation de Grenoble. Les solitaires que Dieu n'aime pas et avec lesquels il ne veut point d'union. — Exemple d'obéissance de saint Siméon Stylite. — Marques de l'inspiration. — Energiques conseils.

 

Annecy, 14 janvier 1620.

 

                        Ma tres chere Fille,

……………………………………………………………………………………………………...

            La cogitation de sortir a toutes les plus veritables marques de tentation qu'on sçauroit treuver; mays Dieu soit loué dequoy en cet assaut le donjon n'est pas encor rendu ni, comme je pense, prest a se rendre. O Dieu! ma tres chere Fille, gardes vous en bien de vouloir sortir. Il n'y a point d'entredeux entre vostre sortie et vostre perte; [110] car ne voyes vous pas que vous ne sortiries jamais que pour vivre a vous mesme, de vous mesme, par vous mesme et en vous mesme? et ce d'autant plus dangereusement, que ce seroit sous pretexte d'union avec Dieu, qui toutefois n'en veut point avoir ni n'en aura jamais point avec les solitaires retirés, particuliers et singuliers, qui quittent leurs vocations, leurs vœux, leurs Congregations par amertume de cœur, par chagrin, avec depit et par degoust de la societé, de l'obeyssance des Regles et sainte observance.

            Oh! ne voyes vous pas saint Simeon Stilite, si prompt a quitter sa colomne sur l'advis des anciens? Et vous, ma tres chere Fille, vous ne quitteres pas vos abstinences sur l'advis de tant de gens de bien, qui n'ont nul interest de vous les faire quitter que pour vous faire rendre quitte et exempte de vostre propre amour? Or sus, ma tres chere Fille, chantes meshuy le cantique de l'amour: O que c'est une chose douce et bonne de voir les Seurs habiter ensemble! Traittés rudement vostre tentation; dites luy: Tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu; Va en arriere, Satan; tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et a iceluy seul tu serviras.

            Je vous laisse a penser, ma tres chere Fille: faire les genuflexions au Saint Sacrement comme par despit, en suitte de la tentation, quelle plus grande marque de tentation peut on avoir? La force des inspirations est humble, douce, tranquille et sainte; et comme donq peut estre inspiration vostre inclination, qui est si depiteuse, dure, chagrine et tempestueuse? Retires vous de la, ma tres chere Fille; traittés cette tentation comme on traitte celles du blaspheme, de trahison, d'heresie, de desespoir. Ne devises point avec elle, ne capitules point, ne l'escoutes point; traverses-la le plus que vous pourres par des frequens renouvellemens de vos vœux, par des frequentes sousmissions a la Superieure; invoques souvent vostre bon Ange, et j'espere, ma tres chere Seur, que vous treuveres la paix et la suavité de l'amour du prochain. Ainsy soit il.

            Je vous escris sans loysir; mais faites ce que je vous dis. Chantes au chœur tous-jours plus constamment a [111] mesure que la tentation dira: Taises vous! a la façon de ce saint aveugle. La paix du Saint Esprit soit avec vous.

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 14 janvier 1620.

 

MDXCVII. A un oncle. Double affliction en un trépas. — Se consoler sur le départ des nôtres et sur les circonstances de ce départ, par la raison et par la foi. — Miséricorde de Dieu qui a peut-être employé le feu d'ici-bas pour épargner à une âme celui du Purgatoire.

 

Annecy, 16 janvier 1620.

 

                        Monsieur mon Oncle,

            Il me semble que je voy vostre esprit doublement affligé pour le trespas de madamoyselle ma cousine et pour la façon d'iceluy, car moy mesme, a la verité, ay eu ce double sentiment. Mays pourtant, bien que la douleur ne puisse pas estre si tost tout a fait appaysee, nous devons neanmoins l'adoucir le plus qu'il nous sera possible, par toute sorte de bonnes et veritables considerations.

            Or, qu'elle soit trespassee, c'est un accident si commun, si general et si inevitable, que ce seroit ne connoistre pas ce que vous estes et la fermeté de vostre esprit, que de vous vouloir donner du secours pour vostre consolation en cela. Et quant au reste, ce sont les precedentes dispositions au trespas, et non les circonstances d'iceluy, qui sont en effect considerables. Cette chere fille estoit bonne et vertueuse; et, comme je m'asseure, elle hantoit les saintz Sacremens, et par consequent estoit tous-jours bien disposee, au moins suffisamment, pour se conserver [112] en la grace de Dieu: c'est pourquoy son trespas n'a peu estre que bon, non plus que celuy de saint Simeon Stilite, que la foudre et feu du ciel tua sur la colomne. Il faut entrer dans cette admirable providence de Dieu et s'accoyser en ses ordonnances, avec une sainte confiance qu'elle aura eu soin de cette bonne ame, qu'elle aura mesme peut estre purifiee en ce feu pour luy eviter celuy du Purgatoire. En somme, il faut donner passage aux afflictions dedans nos cœurs, mais il ne leur faut pas permettre d'y sejourner.

            Dieu, vostre bon Ange et la sagesse que vostre longue experience vous a acquise, vous suggereront mieux tout ceci que je ne sçaurois faire; mais je le dis pour vous tesmoigner qu'apres avoir contribué mes prieres a vostre consolation et conservation, je voudrois bien y dedier tout ce qui seroit en mon pouvoir, puisqu'ayant le bien et l'honneur de vous estre si proche, j'ay encor le devoir, avec une tres sincere volonté,

            Monsieur mon Oncle, d'estre a jamais

                                                           Vostre tres affectionné neveu et serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            Annessi, le 16 janvier 1620.

 

MDXCVIII. Au Comte Jacques de Viry. Respectueuse et ferme remontrance au sujet d'un mariage contracté sans la dispense nécessaire

 

Annecy, 28 janvier 1620.

 

                        Monsieur,

            Je croy fort asseurement que nul homme du monde ne vous honnorera jamais plus franchement que je fay; et d'autant plus suis-je marri de ce qui s'est passé ces derniers jours en vostre mayson, puis que Dieu y a esté [113] offensé et le publiq scandalisé, et que le mariage est tout a fait nul et invalide, la commission de dispenser obtenue a Rome n'ayant point esté executee; de sorte qu'il sera requis de celebrer derechef le contract du consentement nuptial, affin de rendre cette conjunction et la posterité legitime. A quoy je contribueray tout ce qui sera en mon pouvoir, sous la conduite des loix et constitutions ecclesiastiques, pourveu qu'il vous playse, et aux parties, prendre creance que je ne rechercheray en cela nulle condition que celle qui sera entierement necessaire et inevitable, puisque en verité je suis,

            Monsieur,

                                                           Vostre serviteur tres humble et tres affectionné,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            XXVIII janvier 1620, Annessi.

                        A Monsieur

            Monsieur le Comte de Viry.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Tarascon. [114]

 

MDXCIX. A la Princesse de Piemont, Christine de France (Minute). François de Sales célèbre le jour deux fois heureux où Dieu donna une princesse, à la France, par sa naissance, à la Savoie, par son mariage. — Les vœux et les prières du grand Aumônier de Christine.

 

Annecy, 30 janvier 1620.

 

                        Madame,

            Puisque, graces a Dieu, vous voyla en fin arrivee au lieu auquel vous devies achever le voyage de vostre bien heureuse venue en ces Estatz, il m'a semblé que je puis oser meshuy presenter de mes lettres a Vostre Altesse, [115] tandis qu'elles ne luy seront point desaggreables. Et j'espere que celle ci aura ce bonheur, comme escritte seulement pour contribuer, en la façon que je puis, mon sentiment a la joye publique et generale que toutes les provinces de la sujettion de Vostre Altesse recevront en ce jour anniversaire qui nous represente celuy auquel, par vostre naissance, Dieu vous donna a la France, et treize ans apres, par vostre mariage, il vous donna a cet Estat, dans lequel sans doute chacun benira a l'envi cet aggreable jour.

            Mays moy, Madame, comme le plus obligé du monde, je le benis et beniray incomparablement par les plus ardens souhaitz que mon ame puisse faire. Que ce jour soit a jamais conté entre les jours que Dieu a creés pour sa gloire; que ce soit un jour d'eslite entre les jours qui sont destinés aux humains pour les acheminer a l'eternité; que ce jour auquel, Madame, vous fustes faite chrestienne, face jour a la consolation de toute la Chrestienneté; et face ce mesme jour, auquel vous aves esté faite nostre tres honnoree Dame et Princesse, reluire la serenissime Mayson de Savoye en une heureuse et tous-jours auguste posterité de Vostre Altesse.

            Ce sont les vœux, Madame, que je fay, prosterné en esprit devant la divine Bonté, a laquelle, selon le rang qu'il vous a pleu me donner au service de Vostre Altesse, j'offre et consacre tous les jours vostre chere et pretieuse vie, affin que par sa souveraine Providence il luy playse de la multiplier par une longue suite d'annees, la sanctifier par une sainte fertilité d'actions chrestiennement royales, et qu'a la fin elle la glorifie par la couronne de l'immortalité.

            Je fay en toute humilité la reverence a Vostre Altesse, de laquelle,

            Madame, je suis

                                   Tres humble, tres obeissant et tres fidele

                                               orateur et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Annessi, le 30 janvier 1620. [116]

 

 

 

MDC. Au duc Roger de Bellegarde. Pourquoi l'Evêque de Genève réitère sa recommandation en faveur des Pères Barnabites.

 

Annecy, 30 janvier 1620.

 

                        Monsieur mon tres cher Filz,

            Quand les Peres Barnabites allerent a Paris pour obtenir du Roy leur entree au college de Beaune, je les recommanday a Vostre Grandeur comme Religieux grandement estimables, fructueux et sinceres; mays je ne laisse pas, en confirmant cette creance, de repeter maintenant ma supplication pour leur rendre tesmoignage de l'affection que je leur dois, et non par aucune defiance que j'aye que vous ne leur facies ressentir vostre bonté et pieté en ce qui sera de vostre pouvoir. [117]

            Et ce pendant, ce m'est tous-jours de lhonneur et de la consolation de vous ramentevoir et raffraichir la tres humble et inviolable passion paternelle que j'ay pour vous, Monsieur mon Filz, selon laquelle je vous souhaite incessamment les plus favorables benedictions de Nostre Seigneur, et suis

                        Vostre tres humble et tres obeissant serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            30 janvier 1620, Annessi.

                                   A Monsieur

                        [Monsieur] de Bellegarde,

            Marquis de Seurre, chevalier des Ordres,

                        Pair et grand Escuyer de France,

Gouverneur de Bourgoigne, Bresse, Beugey, Valromey et Gex.

 

Revu sur l'Autographe conservé au 1er Monastère de la Visitation de Paris.

 

 

 

MDCI. A M. Claude de Quoex. Noble désintéressement du Saint. — Ce qu'il ne peut trouver supportable. — Les droits légitimes seront respectés; mais l'Evêque ne peut ni ne veut céder les siens. — Recours au Sénat pour «faire faire place» à son autorité

 

Annecy, 31 janvier 1620.

 

                        Monsieur,

            C'est le fin moindre de mes soucis que c'est que deviendra l'heritage de feu M. Gras, et apres un peu [118] de consideration du droit de l'Evesché, vous seres le maistre de tout ce qui en dependra, comme de tout le reste qui appartient a ma personne. Mays qu'un prestre, sans tiltre ni vray ni coloré, se tienne dans une cure par force, ne veuille reconnoistre l'authorité de l'Evesque, rejette l'œconome qui est legitimement envoyé, empesche que l'Evesque ne face inventaire de ce qui est dans une mayson presbiterale, appelle comme d'abus d'une tres legitime authorité, tout ainsy que si du moins le soin des benefices de ma charge, tandis qu'ilz sont vacans et jusques a tant qu'ilz soyent prouveuz, ne m'appartenoyt pas: tout cela, je ne le puis ni treuver bon, ni civil, ni supportable.

            Quand M. Gras me fera voir ses legitimes provisions, je ne les mespriseray point, et les luy feray fidelement valoir tout ce qu'elles vaudront, sachant le respect qui est deu et aux droitz et aux faitz du Superieur general des ecclesiastiques. Mays en attendant, je veux estre le maistre, ayant un bon tiltre pour moy, et luy n'en ayant point ni pour luy ni contre moy. Que s'il est permis, sur des patentions, d'esloigner les justes et ordinaires procedures [119] des Praelatz par voye de fait, quelz inconveniens n'en verrons nous pas? Je me demettray quand il en sera tems; mays quant a present, je ne puis, ni ne dois, ni par consequent je ne veux point ceder mon droit de donner tel ordre que bon me semblera a ce benefïce vacant, en attendant qu'il soit prouveu; et ne veux nullement que ceux qui s'ahurtent y administrent les Sacremens, ayant deputé un prestre qui ira demain, pour empescher que ce peuple ne demeure pas desprouveu de ce qui luy sera necessaire de ce costé la.

            J'ayme messieurs les Grassi, et d'autant plus que l'un d'entre eux est a vostre service; mais je suis obligé de maintenir le respect qui est deu a l'authorité qui m'est confiee et a luy faire faire place ou il est requis. A cette intention j'ay envoyé au Senat, et pour venir a chef de l'inventaire et pour relever l'appellation comme d'abus, affin que je sois desabusé si j'abuse de l'authorité que j'ay, ou que je face desabuser ceux qui pensent que j'en abuse.

            Tout mon desplaysir seroit si en cela je vous desplaysois aucunement; mays je ne le croyray pas ni ne le sçaurois croire, puisque mon intention est bonne et sans fiel, et vous m'aymes constamment, qui suis aussi invariablement,

            Monsieur,

                                                                       Vostre tres humble serviteur et compere,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            31 janvier.

 

Revu sur l'Autographe qui se conservait chez les PP. Missionnaires

de Saint-François de Sales d'Annecy. [120]

 

 

 

MDCII. A Monseigneur Jean-Pierre Camus, Evêque de Belley (Fragment). Mesure de réputation que l'Evêque de Genève ambitionne

 

Annecy, janvier 1620.

 

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            On me mande de Paris que l'on m'y rase la barbe a bon escient, mais j'espere que Dieu la fera recroistre plus peuplee que jamais, si cela est necessaire pour son service. Certes, je ne veux de reputation qu'autant qu'il en faut pour cela; car, pourveu que Dieu soit servi, qu'importe que ce soit par bonne ou mauvaise renommee, par l'esclat ou le descri de nostre reputation?............................

 

MDCIII. A Madame de la Fléchère (Fragment). Un «petit cœur» où le Saint veut loger lui-même l'Hôte divin

 

Annecy, [janvier ou février 1616 ou 1620.]

 

            Ma tres chere Fille,

            Je desire que vous disposies ma filleule a faire sa premiere Communion que je desire luy donner de ma [121] main pour ces Pasques prochaines. Je la prie qu'elle prepare son petit cœur pour estre le logis de Celuy qui la veut toute posseder. Enseignes-luy de bonne heure que pour loger un tel Hoste, il faut bien nettoyer son ame de toutes sortes de vices et imperfections, en l'ornant de toutes les vertus, singulierement de la devotion, amour, humilité.

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A Madame de la Flechere.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Turin.

 

 

 

MDCIV. A Madame Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal a Maubuisson. Nouvelles de la mort de M. Arnauld et de la résignation des siens, données par la Mère de Chantal au saint Evêque. — Notre cœur, tiré «piece apres piece» vers Dieu. — Paternelle sollicitude pour les enfants du défunt. — La réforme de l'extérieur servant à celle de l'intérieur. — Comment combattre les pensées de vanité. — Faire toutes choses «tout bellement,» et ne pas se mettre en peine des saillies sans volonté. — Douce et gracieuse plaisanterie sur une «petite niaiserie.» — La discrétion du Directeur. — Conseils pour l'oraison. — Spécial intérêt pour Mme Le Maistre

 

Annecy, 4 février 1620.

 

            O ma tres chere Fille, que vous puis je dire sur ce trespas? Nostre bonne Mere de la Visitation m'en a donné l'advis; mais a mesme tems elle m'escrit qu'elle avoit veu madame vostre mere et ma tres chere fille vostre seur Catherine de Gennes, braves, resolues et [122] vaillantes, et de plus, que M. de Belley avoit receu de vos lettres, par lesquelles vous luy tesmoignies vostre asseurance en cette occasion. Je n'en doutois pas, ma tres chere Fille, que Dieu n'eust soin de vostre cœur en ces occurrences, et que s'il le blessoit d'une main, il n'appliquast son bausme de l'autre. Il frappe et guerit, il mortifie et vivifie; et tandis que nous pouvons lever les yeux et regarder dans la Providence celeste, l'ennuy ne nous sçauroit accabler.

            Mais c'est donq asses, ma tres chere Fille: Dieu et vostre bon Ange vous ayant consolee, je n'y metz plus la main; vostre amertume tres amere est en paix, qu'est il besoin d'en plus parler? A mesure que Dieu tire a soy, piece apres piece, les thresors que nostre cœur avoit icy bas, c'est a dire ce que nous y affectionnions, il y tire nostre cœur mesme; et puisque je n'ay plus de pere en terre, dit saint François, je diray plus librement: Nostre Pere qui es es cieux. Ferme, ma tres chere Fille, tout est a nous, et nous sommes a Dieu.

            J'ay celebré pour cette ame, et celebre tous les jours avec memoire particuliere d'icelle devant Dieu. Mais, ma Fille, et nos Seurs Catherine de Sienne, Anne et Marie, que font elles, les pauvres filles? Elles sont constantes, n'est ce pas? car elles sont nos seurs. De M. d'Andilly et de M. Arnauld mon filz, il n'en faut pas douter. [123] Certes, quand je me souviens comme M. d'Andilly me parla de son petit François, j'en suis encor consolé. La paix de Dieu soit tous-jours au milieu de nos cœurs. Amen.

            Je respons des-ormais a vos deux dernieres lettres, du 19 novembre et du 14 decembre. Il est vray, je suis merveilleusement accablé d'affaires; mais vos lettres, ma Fille, ne sont pas des affaires, ce sont des rafraischissemens et allegemens pour mon ame: cela soit dit pour une bonne fois.

            C'est beaucoup qu'exterieurement vous soyes plus observatrice de la Regle. Dieu forma premierement l'exterieur de l'homme, puis il inspira le spiracle de vie au dedans, et cet exterieur fut fait en homme vivant. Les humiliations, dit nostre Seigneur, precedent et introduisent bien souvent l'humilité; continues en cet exterieur, qui est plus aysé, et petit a petit l'interieur s'accommodera.

            O Dieu, ma Fille, je voy vos entortillemens dans ces pensees de vanité; la fertilité, jointe a la subtilité de vostre esprit, preste la main a ces suggestions; mais dequoy vous mettes vous en peyne? Les oyseaux venoyent becqueter sur le sacrifice d'Abraham: que faysoit-il? avec un rameau qu'il passoit souvent sur l'holocauste, il les chassoit. Ma Fille, une petite, simple prononciation de quelque parole de la Croix chassera toutes ces pensees, du moins leur ostera toute nuysance: O Seigneur, pardonnés a cette fille du viel Adam, car elle ne sçait ce [124] qu'elle fait. O femme, voyla ton Pere sur la croix. Il faut chanter tout doucement: Deposuit pot entes de sede, et exaltavit humiles. Je dis qu'il faut faire ces rejetz tout doucement, simplement, et comme si on les disoit par amour et non pour la necessité du combat.

            Accoustumes vous a parler un peu tout bellement, et a aller, je veux dire marcher, tout bellement, a faire tout ce que vous feres, doucement et tout bellement; et vous verres que dans trois ou quatre ans vous aures rangé tout a fait cette si subite soudaineté. Mais souvenes vous bien de faire ainsy tout bellement, et parles tout bellement es occasions ou la soudaineté ne vous pressera point et ou il n'y aura nulle apparence de la craindre: comme, par exemple, a vous mettre au lit, a vous lever, a vous asseoir, a manger, quand vous parleres avec nostre Seur Marie ou Anne, ou avec nostre Seur Isabelle; en somme, en tout et par tout, ne vous en dispenses point. Or, je sçai bien que parmi tout cela vous feres mille eschappees le jour, et que tous-jours ce naturel si actif fera des saillies; mais il ne m'en chaut pas, pourveu que ce ne soit pas vostre volonté, vostre deliberation, et que tous-jours vous appercevant de ces mouvemens, vous taschies de les appayser.

            Prenes bien garde a ce qui peut offencer le prochain et a ne rien descouvrir de secret qui luy puisse nuire; et s'il vous arrive, taschés a reparer le tort, tant que vous pourres, sur le champ. Ces menues envies ne sont rien, ains elles sont utiles, puis qu'elles vous font voir clairement vostre amour propre, et que vous faites l'acte contraire.

            Mais, ma Fille, cet amour de la propre excellence n'est [125] il pas gratieux en cette fille que je vous ay tant recommandee et qui en verité m'est chere comme mon ame? Car, qu'y a il de plus gentil que cette petite aversion, laquelle [provient] d'estre appellee fille de cette pauvre Mere? Mays demandes luy, je vous prie, si elle a encor point de sentiment dequoy je l'appelle ma Fille, et si elle voudroit point que je l'appellasse ma Mere? O vray Dieu, qu'il luy a cousté d'effortz pour me dire cette petite niaiserie! Certes, ma Fille, je ne sçai pas combien il luy couste, mais je ne voudrois pour rien du monde qu'elle ne me l'eust dit, puisqu'en cela elle a prattiqué une si profonde resignation et confiance envers moy.

            Elle est de rechef encor plus aggreable quand elle me defend de dire ceci a cette pauvre Mere. O ma Fille, dites luy que ces menues communications de son ame a la mienne entrent en un lieu d'ou elles ne sortent jamais qu'avec congé de celle qui les y met. Au reste, ma tres chere Fille, je ne sçai pas ce que cette fille m'a fait, mais je treuve ses miseres, qu'elle me descrit si naïfvement, si bien remarquees que rien plus. Or dites luy qu'elle m'escrive tous-jours simplement, et qu'encor qu'estant la aupres d'elle, elle ne m'eust jamais monstré des lettres qu'elle escrivoit a ses seurs, maintenant, si j'y estois, elle n'en feroit nulle difficulté; car elle me connoist bien mieux qu'elle ne faysoit pas, et sçait bien que je ne suis pas d'humeur mesprisante.

            Pour l'orayson, ma tres chere Fille, je treuve bon que vous lisies un peu dans vostre Theotime, affin d'arrester vostre esprit, et que de tems en tems, a mesure que vous appercevres que vous estes en distraction, vous disies tout bellement des paroles contraires a Nostre Seigneur. Mays voyes vous, ne vous estonnes pas de ces distractions: Si j'estois sainte, si je parlois au Pape, et semblablables; car, pour estre fort vaines, elles n'en sont que plus parfaitement distractions, et n'y faut nul autre remede que de ramener doucement le cœur a son object.

            Je vous ay respondu a tout, ma tres chere Fille. O Dieu, [126] salues un peu bien tendrement de ma part la pauvre chere seur aisnee; mon cœur regarde le sien avec compassion. Je sçai qu'il est tellement a Nostre Seigneur, que non pas mesme ce rude coup n'a sceu luy oster la paix interieure; mays son ennuy et ses apprehensions auront esté grandes. Cette seur m'est chere tout extraordinairement.

            Dieu soit a jamais nostre tout. Amen. Je suis en luy tout vostre, d'une façon que la seule Providence vous peut faire concevoir. La grace, paix, et consolation du Saint Esprit soit avec vous. Amen.

            Annessi, le 4 febvrier 1620.

            Mon frere est tous-jours aupres de Madame. Oserois je saluer le petit frere Simon et la chere petite seur? Mais ma fille Marie Angelique, certes, je la salue de tout mon cœur, et le bon M. Manceau, et, quand vous la verres, vostre grande amie et ma chere seur de la Croix.

            Dieu soit au milieu de vostre cœur. Amen.

A Madame l'Abbesse de Port Royal. [127]

 

 

 

MDCV. A Madame Rousselet (Inédite). Raison d'une lettre particulière à la destinataire. — Souhaits de bénédictions. Deux chères vertus, nées de la confiance en Dieu.

 

Annecy, 4 février 1620.

 

            Ce n'est pas pour vous separer de monsieur vostre cher mari, que je vous escris separement et a l'un et a l'autre, Madamoyselle ma tres chere Fille, mais c'est par ce que l'inscription seroit trop grande si je la faysois a tous deux ensemble.

            J'ay une continuelle memoire de vostre sainte dilection, et ne cesse point de vous souhaiter mille et mille benedictions, ne doutant point que reciproquement vous ne me recommandies souvent a la misericorde de Nostre Seigneur quand, en l'orayson, vous vous presentes devant sa face.

            La paix et tranquillité du cœur, qui prennent leur origine d'une parfaite confiance en la bonté de Dieu et sont le lieu du Saint Esprit, soyent aussi a jamais vos plus cheres compagnes. Amen.

            Je salue monsieur vostre pere de tout mon cœur, et suis sans fin,

            Madamoyselle ma tres chere Fille,

                                                                       Vostre tres humble et tres affectionné serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            4 febvrier 1620, Annessi. [128]

            Je vous supplie de saluer de ma part monsieur vostre tres digne Curé et l'asseurer de mon service plus humble. Mon frere est tous-jours aupres de Madame.

            A Madamoyselle

Madamoyselle Rousselet.

 

Revu sur l'Autographe appartenant aux Filles de la Croix de Tréguier.

 

 

 

MDCVI. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble. Influence du mal physique sur le moral. — Une crainte du saint Fondateur. — Décision en faveur d'une infirme. — Regarder Dieu et non ses propres imperfections. — Ce que François de Sales apprit à la cour. — Fondations en France.

 

Annecy, 7 février 1620.

 

            Ce papier va treuver vos yeux, pour saluer par leur entremise vostre cœur tres aymé du mien, ma tres chere [129] Fille. Oh! ce pauvre cœur, je le voy tout alangouri en la lettre que vous m'escrivistes le 12 decembre, que je receus fort tard. Mais je parle mal sans y penser, ma tres chere Fille: ce n'est pas vostre cœur qui est alangouri, c'est vostre cors; et a cause de la liayson qui est entre eux, il semble au cœur qu'il a le mal du cors. Mon Dieu, ma Fille, ne vous tenes nullement chargee de souffrir ce qu'il faut que vous souffries: c'est pour la tressainte volonté de Dieu, qui a donné ce poids et cette mesure a vostre estat, corporel; mais l'amour sçait tout et fait tout; il me rend ce me semble, medecin.

            Je suis grand partisan des infirmes, et ay tous-jours peur que les incommodités que l'on en reçoit n'excitent un esprit de prudence dans les Maysons, par lequel on tasche de s'en descharger, sans congé de l'esprit de charité sous lequel nostre Congregation a esté fondee, et pour lequel on a fait expres la distinction des Seurs qu'on y veut. Je favorise donq le parti de vostre infirme, et pourveu qu'elle soit humble et se reconnoisse obligee a la charité, il la faudra recevoir, la pauvre fille; ce sera un saint exercice continuel pour la dilection des Seurs.

            O ma tres chere Fille, demeures en paix, ne vous amuses point a vos imperfections, mais tenes les yeux haut eslevés en l'infinie bonté de Celuy qui, pour vous contenir dans l'humilité, vous laisse vivre dans vos imperfections et infirmités. Ayes toute vostre confiance en sa [130] Bonté, et il aura soin de vostre ame et de tout ce qui la regarde plus que jamais nous ne sçaurions penser.

            Je serviray ce que je pourray monsieur N.; mais il faut advouer qu'en matiere de negociations et affaires, sur tout mondaines, je suis plus pauvre prestre que je ne fus jamais, ayant, graces a Dieu, appris a la cour a estre plus simple et moins mondain.

            Demeures en paix, ma tres chere Fille, et vives toute en Dieu. Je salue tres cordialement nos cheres Seurs, et suis infiniment vostre, ma tres chere Fille. Nostre Mere a bien de la besoigne taillee en France, pour la multitude des Maysons qu'on demande.

            VIVE JESUS! et son nom soit beni es siecles des siecles. Amen. Vous estes ma tres chere Fille, et Dieu veut que j'aye de la consolation a le dire.

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 7 febvrier 1620. [131]

 

MDCVII. A M. Marc-François de Malarmay de Lauray. La chose la plus agréable et salutaire en ce monde. — Affection paternelle et filiale entre l'Evêque de Genève et Mme de Rossillon. — Remerciements pour un présent. — Une amie de l’Abbesse de Baume. — Saint adieu.

 

Annecy, 8 février 1620.

 

                        Monsieur,

            En fin il se faut consoler; rien n'est si aggreable ni si salutaire en cette vie mortelle que de bien aymer Dieu, et pour Dieu le prochain. Je le voy, certes, et je sens que vous m'aymes cordialement et que vous y aves bien du playsir; et croyes aussi, je vous prie, que de mon costé j'ay un contentement nompareil en l'extreme affection que Nostre Seigneur m'a donnee pour vous.

            Et puis, voyla la tres chere seur qui de mesme ne respire presque que la bienveuillance de son beaufrere, et ayme filialement ce chetif Pere spirituel, de qui Dieu luy a [132] donné une si entiere et parfaite amitié qu'elle ne se peut exprimer. Et si, il faut que je vous le die, mon tres cher Frere, (et ne voules vous pas ce tiltre cordial?) que cette pauvre me fait un peu de pitié, comme la voyant la es chams, un peu trop tristement solitaire. Mais, c'est son calice; ne faut il pas qu'elle le boive? Et puis, je m'imagine que vous luy escrives souvent, et alleges son tendre cœur par la communication des sentimens du vostre.

            Mais n'attendes pas, mon cher Frere, que je vous face le remerciement que je devrois de vostre boëte toute pleine de parfums sacrés: seulement je vous asseure que j'estime plus ce present que l'or et le topaze, car il vient de vostre dilection et ne rend que devotion.

            Je me resouviens fort bien que j'allay visiter une damoyselle, grande amie de madame l'Abbesse de Baume; et elle sera donq la mienne puisqu'elle est la vostre, car les cœurs qui sont unis a un cœur ne peuvent qu'ilz ne soyent unis ensemble.

            Mon frere ne se peut desprendre de la cour, ou le service et les faveurs de Madame l'attachent; mais je puis bien respondre pour luy, qu'il est grandement vostre serviteur tres humble. Il faut que je m'arreste, puisque le porteur me presse.

            Vives tous-jours uniquement en Dieu, mon tres cher et tres veritablement tous-jours plus cher Frere, et aymes continuellement mon ame, laquelle souhaite mille et mille consolations et prosperités saintes a la vostre, vous cherit et vous honnore invariablement.

            Monsieur mon tres cher Frere, c'est la veritable profession de

                                                           Vostre tres humble, tres obeissant et tres fidele

                                                                                  frere et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Annessi, 8 febvrier 1620. [133]

 

 

 

MDCVIII. Au Baron prosper de Rochefort. Heureuse naissance d'un petit-neveu de saint Bernard de Menthon. — Une pauvre femme pour laquelle on a trouvé un logis. — La retraite à Talloires de Benoît de Chevron; soupçons de sa mère contre l'Evêque de Genève.

 

Annecy, 12 février 1620.

 

                        Monsieur,

            Je me resjouis grandement avec vous et toute vostre mayson de la naissance de ce beau filz, auquel je souhaite toute sorte de benedictions et celle-la particulierement, de participer beaucoup aux vertus du glorieux saint Bernard, comm'il a le bonheur de participer a son sang. Tous vos justes contentemens, Monsieur, m'en donneront tous-jours, mon ame estant tellement affectionnee a la vostre qu'elle a tous-jours des ressentimens de vos sentimens, et des complaysans en vos playsirs, et des condoleances a vos douleurs; comme, quand a celles ci, j'espere d'avoir un jours (sic) part en la gloire qu'elles vous apporteront, si vous les souffres avec l'humilité et charité que vostre bon Ange et vostre propre esprit vous suggerent, en l'union des travaux de Nostre Seigneur.

            On a treuvé un logis et un' honneste compaignie pour cette pauvre femme, dont il vous plaira faire donner advis a M. Rosetain, affin que, s'il est tous-jours estimé expedient, on la dispose a se praevaloir de cett'occasion. [134]

            Mays vous sçaves bien que le bon M. le Doyen de Chevron, mon cousin et vostre parent, que j'avois retenu des il y a trois ans en nostre profession ecclesiastique, estimant qu'il y pouvoit rendre plus de service a Nostre Seigneur, enfin s'est retiré a Talloyres, dans la vocation monastique. Dequoy c'est la verité quil communiqua premierement avec moy, sur le sujet du refus quil fit d'aller aupres de Madame, ou Monseigneur le Serenissime Prince le desiroit; mais ce fut avec une resolution en laquelle il ny avoit plus aucun lieu de conseil. Cependant, madame de Chevron, ma bonne tante, a pensé jusques a present que j'avois esté l'autheur de cette retraitte; qui a esté la cause que je ne suis point allé voir madame de Boege, en attendant que, par mesme voye, allant visiter l'une de ses (sic) dames, je puisse aussi visiter l'autre, estant si voysines comme elles sont; et lhors je n'oublieray pas ce quil vous a pleu de me recommander, Dieu aydant, ayant tous-jours un desir invariable de vous pouvoir, par quelque preuve, asseurer,

            Monsieur, que je suis et seray toute ma vie

                                                           Vostre tres humble et tres affectionné

                                                                       serviteur et parent,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            XII febvrier 1620, Annessi.

                        A Monsieur

            Monsieur le Baron de Rochefort.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à la famille de la Flèchère,

à Saint-Jeoire (Haute-Savoie). [135]

 

 

 

MDCIX. Au Chanoine Jean-François de Sales, son frère (Inédite). Vent en poupe et faveurs princières. — Démarches à Rome. — François de Sales voudrait savoir à quoi Son Altesse désire l'employer. — Trois sortes de gens qui ne témoignent pas de joie de la promotion de Jean-François à la coadjutorerie. — Ceux qui s'en réjouissent

 

Annecy, 16 février 1620.

 

            Voyla ma procuration, mon tres cher Frere, et le Memoire des choses qui me semblent a propos d'estre remonstrees a Rome; mais puisque vous aves le vent en pouppe et que tout le monde sçait cette affaire par dela, je pense que les faveurs de Son Altesse et de Messeigneurs les Princes osteront toute difficulté. Le gratis est d'importance, et l'acceleration; a quoy vient a propos que, commejecroy, monsieur l'Ambassadeur sera favorable, et si Madame fait recommander l'affaire a Monseigneur le Nonce, auquel neanmoins j'escriray dans peu de jours. [136]

            Nostre monsieur de Quoex, dit quil ne faut rien que la procure que j'ay faite, et que la chose soit vivement sollicitee; pour cela, j'escris a monsieur Beybin, qui est non seulement de ce diocese, mais curé de Saint Germain de la Chevre et respondant de Dumont, et voysin de monsieur l'Abbé de Cheysery, et fort dependant de Monsieur de Bourges.

            C'est la verité qu'il est expedient que je n'aille pas a Turin qu'apres Pasques et le Sinode, s'il se peut, et particulierement s'il faut que l'information super vita et moribus se face en cette ville. Je voudrois bien sçavoir, s'il se peut, en quoy Son Altesse me veut employer, selon que monsieur Cavoret vous a dit; mais si vous le pouves tirer, quand vous m'escrires il ne sera pas besoin de me marquer sinon en tierce personne, comme par exemple: L'amy sera employé en telle et telle chose.

            Je vous envoyeray au premier jour les lettres de remerciement, ne le pouvant maintenant.

            Presque tout le monde icy tesmoigne de la joye de vostre promotion, et ceux qui ne la tesmoignent pas sont de trois sortes: les uns, parce qu'ilz ont opinion que c'est tout a fait pour m'oster d'icy, et ilz nous voudroyent tous deux; les autres, parce que cela leur est tellement [137] inopiné, qu'a l'abord ilz ont eu peine de le croire; et les autres, qui sont fort peu et si peu que ce n'est rien, par envie, jalousie et amertume de cœur. Mais messieurs du Chapitre, et particulierement monsieur le Prevost, ont grande joye dequoy l'on prend du sein de l'Eglise leurs Evesques. Messieurs du Conseil et toute la ville, tout cela est en joye, et chacun l'appreuve encor plus parce que cela s'est fait sans brigue ni recherche. Le bon monsieur du Chatelart en eut la premiere nouvelle, c'est a dire deux jours devant moy, de sorte qu'on commença d'en parler avant que j'en sceusse rien. En un mot, il faut si bien faire, et si saintement et si humblement, que la gloire en demeure a Dieu.

            Je vous envoyeray mes Bulles par mon neveu, ou par autre premiere commodité, affin que s'il y avoit quelque chose qui servit, on le prit; mais on sçait tout cela en chantant. Je n'escris a personne, car je n'en ay nul loysir, et il faut faire partir cette procure et ce Memoire, qui est l'essence de l'affaire. Il n'est point besoin de placet a Rome, la lettre de Son Altesse a l'Ambassadeur suffit; mais il le faut avoir pour la possession, que le Senat ne permettroit pas sans cela.

            Dieu soit au milieu de vostre ame. Amen.

            XVI febvrier.

A Monsieur de Boysi.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Rome. [138]

 

 

 

MDCX. A M. Etienne Jarcellat-Beybin (Inédite). Prière de s'intéresser à l'affaire de la coadjutorerie de Jean-François de Sales qui doit se traiter en Cour de Rome.

 

Annecy, 17 février 1620.

 

                        Mio Signore,

            Sua Altezza havendo favorito mio fratello della nomina alla coadiutoreria di questo Vescovato cum futura successione, hô creduto che V. S. mi renderebbe volontieri questo buon ufficio d'intraprenderne la sollecitatione, gia che la di lei nascita in questa diocesi e l'amicitia che suo padre et i suoi fratelli mi hanno professata, [139] l'inviterà a farlo. Et perciò io la prego di tutto cuore a volerlo fare con affetto et a contribuirci una buona diligenza, poichè Sua Altezza e Monsignore il Prencipe desiderano ardentemente che la cosa riesca ben presto, per qualche degna consideratione che risguarda il loro contento e servigio. E potrà V. S. sicuramente impegnare la mia parola, che noi non habbiamo impiegato in questa materia nè artificio di corte, nè importunità, nè dimanda o richiesta.

            La mensa episcopale è picciola, la diocesi grande et onerosa; perciò, se mio fratello potrà ritenere i suoi beneficii tanto che durerà la coadiutoreria, sarà molto a proposito. V. S. dunque ci oblighi della condotta di [140] questo affare secondo la confidenza ch'io ne piglio, e mi tenga,

            Signor mio, per

                        Suo ben humile et affettionatissimo confratello e servitore,

                        FRANCO, V. di Ginevra.

            XVII Febraro 1620, Annessi.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à l'Archevêché de Naples.

 

 

 

                        Monsieur,

            Son Altesse ayant fait à mon frère la faveur de le nommer à la coadjutorerie de cet Evêché avec future succession, j'ai pensé que Votre Seigneurie me rendrait volontiers le service d'en entreprendre la sollicitation, d'autant plus que votre naissance en ce diocèse et l'amitié que votre père et vos frères m'ont toujours témoignée [139] vous inviteront à le faire. Je vous prie donc instamment de vouloir bien vous en occuper avec affection et toute diligence; car Son Altesse et Monseigneur le Prince désirent beaucoup que l'affaire réussisse promptement pour de dignes considérations qui regardent leur satisfaction et service. Votre Seigneurie pourra en toute assurance engager ma parole pour attester que nous n'avons employé en ceci ni artifice de cour, ni importunité, ni demande ou requête.

            La mense épiscopale est petite, le diocèse est grand et onéreux; c'est pourquoi, si mon frère pouvait garder ses bénéfices pendant la durée de la coadjutorerie, ce serait fort à propos. Que Votre [140] Seigneurie veuille donc nous obliger en se chargeant de la conduite de cette affaire, selon la confiance que je prends de vous en prier, et tenez-moi,

            Monsieur, pour

                        Votre bien humble et très affectionné confrère et serviteur,

            FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            17 février 1620, Annecy.

 

 

 

MDCXI. A Madame de Granieu. Deux mots seulement à la destinataire, pour avoir le temps d'écrire à d'autres. — Humilité et patience. — M. de Boisy, évèque. — A quoi François de Sales emploiera son loisir.

 

Annecy, 17 février 1620.

 

            A vous, ma tres chere Fille, il ne faut point de ceremonie, car Dieu ayant rendu mon cœur si fortement serré au vostre, il n'y a plus d'entredeux, ce me semble. C'est pour vous dire que je ne vous escris que ces deux motz, reservant le loysir pour escrire a d'autres a qui il faut faire responce. [141]

            Mais que sont ilz ces deux motz? Humilité et patience. Ouy, ma tres chere Fille, et tous-jours, certes, plus chere Fille. Vous estes environnee de croix tandis que le cher mary a du mal: or, l'amour sacré vous apprendra qu'a l'imitation du grand Amant, il faut estre en la croix avec humilité, comme indigne d'endurer quelque chose pour Celuy qui a tant enduré pour nous, et avec patience, pour ne point vouloir descendre de la croix qu'apres la mort, si ainsy il plait au Pere eternel. O ma tres chere Fille, recommandes moy a ce divin Amour crucifié et crucifiant, affin qu'il crucifie mon amour et toutes mes passions, en sorte que je n'ayme plus que Celuy qui, pour l'amour de nostre amour, a voulu estre douloureusement mais amoureusement crucifié.

            Mon frere de Boysi, vostre hoste, s'en va estre evesque pour me succeder, Madame l'ayant ainsy desiré et Son Altesse voulu, sans que jamais, ni directement ni indirectement, je l'aye recherché. Cela me fait esperer un peu de repos pour escrire encor je ne sçay quoy du divin Amant et de son amour, et pour me preparer a l'eternité.

            Ma tres chere Fille, je suis incomparablement vostre serviteur tres humble, et de monsieur vostre mary, et de monsieur C., mais sur tout de vostre chere ame, que Dieu benisse. Amen.

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 17 febvrier 1620. [142]

 

 

 

MDCXII. A Madame de Veyssilieu. Double raison pour le Saint d'aimer une postulante. — Confiance en Dieu, et nous ne serons pas confondus.

 

Annecy, 17 février 1620.

 

            Cette fille me sera chere, venant de la main de la providence de Dieu, et sur vostre recommandation, ma tres chere Fille, qui m'est de tres grande estime en toute façon. Playse a cette mesme Bonté celeste de respandre ses graces sur nous, affin que nous suivions tous les sacrés attraitz de sa sainte vocation.

            Je n'ay encor point parlé a monsieur N.; mais, a veuë de païs, je ne laisse pas de vous dire, ma tres chere Fille, que vous tenies la teste hautement relevee en Dieu et les yeux dans l'eternité bienheureuse qui vous attend. Qu'est ce qui peut nuire aux enfans du Pere eternel qui ont confiance en sa debonnaireté? En toy, Seigneur, j'ay mon esperance; disons bien cecy, ma tres chere Fille, mais disons le souvent, disons le ardamment, disons le hardiment, et ce qui s'ensuit nous arrivera: Je ne seray point confondu. Non, ma Fille, ni pour cette vie, ni pour la future, jamais nous ne serons confondus. Esperes en Dieu, faites bien, et continues vos exercices; aymés les pauvres, et demeures en paix. [143]

            Pour moy, je cheris vostre cœur de plus en plus, je le benis de plus en plus, et suis en verité de plus en plus

                                                                                              Vostre tres humble serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce 17 febvrier 1620.

 

 

 

MDCXIII. A Madame de Jomaron (Inédite). La consolation d'une paternité spirituelle. — «Trois vertus colombines que Jesus Christ recherche en ses amantes.» — Surcharge de correspondance.

 

Annecy, 17 février 1620.

 

            Il est vray, vous l'aves desiré et je l'ay accepté: vous estes ma tres chere Fille, et j'en ay de la consolation, estimant que vos bons souhaitz devant Dieu ne serviront pas peu pour impetrer sa misericorde sur mon ame, laquelle aussi reclame souvent cette mesme Bonté sur la vostre, affin qu'elle soit toute sainte, et qu'en verité elle marche en douceur, humilité et simplicité interieure, qui sont les trois vertus colombines que le divin Espoux Jesus Christ recherche en ses amantes. Alles donq ainsy, ma tres chere Fille, et parmi ce tracas du monde tenes vostre cœur ou vous aspires, dans le sein de la debonaireté de ce grand Dieu, en sa sainte gloire seternelle.

            Je vous escris ces motz sans loysir ni haleine, pour la multitude des responses quil faut que je face; mais je ne [144] les envoye pas sans un'extreme affection que j'ay pour vous, puisqu'il plait a Celuy, ma tres chere Fille, qui m'a rendu, en son divin bon playsir,

                                                                                  Vostre tres humble serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            XVII febvrier 1620, Annessi.

                        A Madamoyselle

            Madamoyselle de Jomaron.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Albano Laziale (Italie), au Scolasticat

des PP. Oblals de Saint-François de Sales.

 

MDCXIV. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble (Fragment). Prochaine entrée au noviciat d'une sœur de la Mère de Chastel. — Le bon cœur de M. d'Ulme; ce qu'il voudrait savoir

 

Annecy, 17 ou 18 février 1620.

 

                        Ma tres chere Fille,

            Vous me seres bonne, s'il vous plait, de m'excuser si je vous escris peu; mais vous estes trop ma chere fille pour user d'excuses envers vous.

            La chere seur viendra donq icy samedi, a ce que monsieur le President vostre beaufrere m'a fait dire, et croyes qu'elle sera parfaitement la bien venue, car je la cheris d'une dilection incomparable.

            Nous avons parlé, le bon M. d'Ulme et moy, et nous [145] n'avons rien conclu, sinon qu'il attendra jusques a ce que vous soyes en Chalamont, coulant ainsy le tems doucement; et entre ci et la, Dieu luy mesme accommodera toutes choses, ainsy que nous devons esperer. Je treuve bien en luy le bon cœur que vous me dites, et pour cela il faut grandement l'honnorer et cherir. En somme, il voudroit sçavoir en quelle qualité on le tient, et croy qu'il voudroit celle de Pere spirituel, pour deux raysons: l'une, parce que l'amour…………………………………………….

 

MDCXV. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon. Comment entendre un «document» du saint Fondateur. — Avantages du Directoire spirituel; où conduisent ses multiples exercices. — Conseils à la Maîtresse des novices.

 

Annecy, 22 février 1620.

 

……………………………………………………………………………………………………...

            Or sus, je vous dis, ma tres chere Fille, que si j'ay dit en quelque Entretien: douze heures dans la mayson [146] pour une au parloir, j'ay dit ce qui seroit desirable, s'il estoit prattiquable. On dit souvent de telles propositions qui se doivent entendre commodement, c'est a dire quand les choses se peuvent bonnement faire, selon les lieux, les personnes et les affaires que l'on a. Demeures donq en paix, et faites valoir ce document, sagement, prudemment, non durement ni rigoureusement, ni ric a ric.

            Le Directoire du noviciat propose quantité d'exercices, il est vray, et il est encor bon et convenable pour le commencement de tenir les espritz rangés et occupés; mays quand, par le progres du tems, les ames se sont un peu exercees en cette multiplicité d'actes interieurs et qu'elles sont façonnees, desrompues et desengourdies, alhors les exercices s'unissent a un exercice de plus grande simplicité: ou a l'amour de complaysance, ou a l'amour de bienveuillance, ou a l'amour de confiance, ou de l'union et reunion du cœur a la volonté de Dieu; de sorte que cette multiplicité se convertit en unité. Et de plus, s'il se treuve quelque ame, voire mesme au noviciat, qui craigne trop d'assujettir son esprit aux exercices marqués, pourveu que cette crainte ne procede pas de caprice, outrecuydance, desdain ou chagrin, c'est a la prudente Maistresse de les conduire par une autre voye, bien que pour l'ordinaire celle ci soit utile, ainsy que l'experience le fait voir.

            Vives toute a Dieu, en paix, en douceur, courageusement et saintement, ma tres chere Fille.

            Je suis en luy parfaitement vostre, tout a fait.

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 22 febvrier 1620. [147]

 

MDCXVI. Au Baron Louis de la Tournette. Un vieil ami de M. de Boisy. — Concurrents pour la chapelle Sainte-Catherine; pourquoi le Saint ne peut favoriser le fils du destinataire.

 

Annecy, 23 février 1620.

 

                        Monsieur,

            Je loue Dieu et vous remercie humblement de la paix et douceur que vous aves donnee a vostre curé qui, je m'asseure, l'employera a rendre meilleur service a l'Eglise. Et ne puis que recevoir a beaucoup de faveur la memoire qu'il vous plait d'avoir de la ferme et reciproque amitié de nos peres, laquelle, de ma part, je cultiveray fort affectionnement en toutes les occasions esquelles mon pouvoir s'estendra, de vous rendre service.

            Que si la chapelle dont vous m'escrives estoit en ma main, tres volontier je la contribuerois a vostre contentement, pour la retraitte de monsieur vostre filz, Religieux en Soüisse. Mays monsieur le Doyen la possedera encor toute l'annee de son noviciat, apres laquelle il en veut disposer en faveur d'un parent qui luy est si proche, [148] et a vous, Monsieur, que quand il me l'a eu nommé et dit ses raysons, il m'a osté tout a fait le courage d'interceder pour tout autre. Et mesme que monsieur de Menthon, de la nomination duquel est ladite chapelle, praeferera aussi celluy-la a quicomque pourroit venir, puisqu'il luy est aussi proche qu'a vous, Monsieur, qui sous la faveur de Son Altesse ne tarderes pas, comme j'espere, beaucoup sans avoir des autres bonnes commodités pour monsieur vostre filz; et moy, je desireray tous-jours le bonheur de m'y pouvoir employer.

            Ce pendant, Monsieur, cette mesme amitié ancienne qu'il vous a pleu de me marquer, m'oblige a vous communiquer lhonneur que Son Altesse a fait ces jours passés a mon frere qui est aupres de Madame, l'ayant nommé mon coadjuteur et successeur en cett'Evesché, avec une gratification d'autant plus honnorable que ça esté sans que je l'aye jamais ni demandee ni fait demander. De sorte, Monsieur, qu'a mon manquement, vous aures un autre Evesque qui, estant mon frere, sera ensuite comme moy,

                                                           Vostre tres humble et tres affectionné serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            XXIII febvrier 1620.

                        A Monsieur

            Monsieur le Baron de la Tornette,

Conseiller d'Estat de S. A. et son Ambassadeur ordinaire

                                   en Souisse.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation du Mans. [149]

 

 

 

MDCXVII. A la Soeur de la Roche, Assistante-Commise de la Visitation d'Annecy. Conseils au sujet d'une malade

 

Annecy, 25 février 1620.

 

            Il n'y a rien a craindre, ma tres chere Fille; il y a du malheur en l'esprit de cette Seur qui luy fait parler et de vostre chastiment et du mien avec une esgale fauseté. Elle n'a garde de se faire du mal qui cuise, elle ayme trop sa peau. Demain je luy parleray, mais non pas seul, affin qu'elle ne dise pas que je la flatte. Si elle porte un cousteau, il le luy faut tres bien oster. Elle est veritablement hors de sens, mais non pas tant qu'elle soit excusable en ses fautes. Je ne suis marry sinon de la peyne que vous en aves, et du trouble qu'elle excite dans la mayson. En fin, elle me contraindra de l'enfermer et la traitter en forcenee.

            Je pars, et vous vay faire l'exhortation promise. [150]

 

MDCXVIII. A la Mère de Chantal, a Paris. Heureuse nomination de Jean-François de Sales à la coadjutorerie de l'évêché de Genève. — Ce que fait la vieillesse dans le cœur et dans l'âme du Saint. — Ses pensées sur les projets qu'on forme pour lui à Paris. — Sollicitude pour l'avenir de Françoise de Chantal. — L'abandon à Dieu au milieu des «douleurs interieures et exterieures.» — Perplexité sans affliction. — Messages affectueux. — «M. Vincent,» bon conseiller

 

Annecy, 26 février 1620.

 

VIVE † JESUS

 

            Saches, ma tres chere Mere, que par une voye admirable Son Altesse a nommé mon frere a ma coadjutorie et succession en cet Evesché, sur le desir de Madame et de Monseigneur le Prince, brevet expedié et toutes les faveurs les plus favorables pour Rome; mays avec des paroles si avantageuses de Son Altesse et de Madame pour toute nostre mayson, pour mon frere et pour moy, que rien ne s'est veu de pareil. Et l'excellence du fait, c'est que, ni directement ni indirectement, j'e n'ay demandé ni procuré ce bienfait, qui n'est pas grand, a la verité, quant aux moyens, mais bien grand quand a lhonneur et la façon encor plus honnorable de le conferer. De sorte, ma tres chere Mere, que dans trois moys, voyla un nouvel Evesque tout sacré; car ces Princes, et particulierement Madame, le veulent ainsy avoir tout fait vistement. Or ne sçai-je pas si avec cela ilz accroistront point la pension de six cens escus, c'est a dire 300 pistoles, qu'ilz nous ont accordé et delaquelle nous sommes entrés en payement des le quartier d'octobre, novembre et decembre passés. En somme, nous voyla asses bien selon le lieu ou nous sommes, car mon frere retiendra ses benefices, qui suffiront avec la pension, puisque a la cour [151] il aura cinq bouches et des chevaux entretenus par departement de plat porté en son logis.

            Or, je vous dis ceci: premierement, affin que vous le sachies; secondement, pour m'excuser si je ne vous escris pas, ni a monsieur des Hayes, si amplement que je desirerois, ni a personn'autre qu'a vous deux, car il me faut tant escrire a la cour, a tous ces Princes et Princesses, des lettres de remerciement, et a Rome des lettres de supplications, que j'en suis tout es [soufflé]; tiercement, affin que vous demeuries en paix, avec asseurance que je ne feray point de changement en mes adventures que quand je verray une signalee occasion du service de Dieu et digne d'estre suivie, toutes choses laissees. Je confesse, et il est vray, que je ne suis guere richement accommodé de moyens; mais je suis sans necessité, et n'ay ni occasion ni inclination quelcomque de faire rien d'indigne de ma condition et profession pour en avoir. Je me taste par tout dans le cœur pour voir si la viellesse me porte point a l'humeur avare; et je treuve au contraire qu'elle m'affranchit de souci, et me fait negliger de tout mon cœur et de toute mon ame toute chicheté, praevoyance mondaine et desfiance d'avoir besoin. Demeures donq en paix.

            Je suis certes grandement obligé a ce grand Cardinal pour l'estime qu'il fait de moy, qui n'ay jamais merité la moindre des pensees qu'il a eu pour moy. Mays je luy dis asses intelligiblement a Tours, que je ne voudrois estre demarié que pour n'estre plus marié, et notamment de la sorte que vous m'escrives. Que je me chargeasse de l'espouse d'autruy par obligation, moy! cela, comme je pense, me seroit impossible. Toutefois, monsieur des Hayes qui a tant de bienveuillance pour moy et tant de dexterité en toute sorte d'affaires, apprendra doucement les intentions, et desnoüera sagement l'affaire, sil la faut desnoüer. C'est asses de cela; je cours au reste. [152]

            Si vous nous donnes advis que ma chere fille madamoyselle de Chantal ne soit point mariee, ni pour l'estre de dela, je m'essayeray de renouer le mariage, ou avec le neveu de M. d'Andelot, sil revient asses tost d'Italie ou il est (j'entens l'oncle), ou avec monsieur de Ballon, s'il n'espouse madamoyselle de Charmoysi qu'il recherche avec force grans corrivaux.

            La pauvre [Sœur Jeanne Françoise] nous exerce extremement, car, si je ne me trompe, il y a apparence que sa cervelle va renverser. Nous ferons ce que nous pourrons, et sil plait a Dieu que ce malheur arrive, nous la retirerons en quelqu'une des maysons de mes freres. Dieu soit beni!

            Je vous dis courtement qu'ouy: cet abandonnement en Dieu parmi les douleurs interieures et exterieures est tres [153] bon, et bon aussi de dire vocalement les paroles que vous me marques, de tems en tems, pour faire sçavoir au cœur qu'il est en Dieu, par le tesmoignage que ces paroles luy rendent. Il avoit dit, le grand saint Etienne: O Seigneur Jesus, receves mon esprit; et ayant dit, il s'endormit en Nostre Seigneur. Il faut donq dire quelque chose de semblable et s'endormir en Nostre Seigneur, et puis, de tems en tems, repeter les mesmes ou semblables paroles, et se rendormir.

            Ne vous fasches point de ce que je vous ay dit de cette Seur Jeanne Françoise, car j'en suis plus en peine que fasché; c'est a dire, je suis plus en perplexité comme je dois faire, qu'affligé de ce qu'il y faut faire. En verité, je ne sens quasi point ce desplaysir, non plus que si c'estoit d'un'autre.

            Je salue cordialement nos cheres Seurs, toutes. La grande est grandement aymee de mon cœur: quelle patience avec moy, d'attendre si longuement que j'escrive! La chere Seur Anne Catherine sçait bien ce que je luy suis, et la chere Seur Jeanne Marie et Marie Anastase, et la premiere Novice, et toutes. Mays a la bonne madame de Villesavin, que ne luy suis-je pas? Je recommande sa grossesse et sa famille, de tout mon cœur, a la divine Majesté.

            Si l'affaire de Valence est si bien disposé comme vous l'escrivés, car voyla la premiere nouvelle, je pense qu'il ne seroit pas mal a propos qu'il y eut une Mayson, car ce quartier la est peuplé en noblesse; mais il faudroit bien adjuster l'affaire. [154]

            Je voy a la desrobee les Directoires, et n'ay sceu achever, non plus que faire les entretiens que vous desiries.

            M. Vincent vous conseille fort bien. Je n'ay jamais bien peu concevoir qu'il fut juste qu'on fit perdre les creances a un homme pour les conserver au debiteur qui, [155] en aage de discretion, a fait l'emprunt; mays si on pouvoit mettre ordre pour l'advenir affin qu'on ne peut plus valablement emprunter et que cela fut notifié aux presteurs, cela seroit bon.

            La Seur Jeanne Françoise me vient de promettre des merveilles; car saches que le porteur qui me pressoit tant hier n'estant pas parti, j'ay adjousté ces deux motz.

            Mille salutations, je vous supplie, a toutes nos cheres dames. O qu'il me fasche de ne pouvoir escrire a ma tres chere fille Madame de Port Royal et a mesdamoyselles Arnaud et Le Maistre. Il ny a pas moyen; ce sera bien tost. Ces filles sont en verité au milieu de mon ame, et je suis, comme vous sçaves vous mesme, tout vostre.

            XXVI febvrier 1620.

A ma tres chere Mere en N. S.,

            La Mere Supe [de] Ste Marie.

                                   A Paris.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

MDCXIX. A un gentilhomme (Fragment inédit). Reconnaissance pour de bons offices

 

Annecy, fin février ou commencement de mars 1620.

 

                        Monsieur,

            Je me sens si extremement obligé a la faveur que vous exerces envers mon frere et moy, que je ne sçai comme commencer ni par ou finir a vous en faire action de [156] graces. Seulement vous supplie-je tres humblement d'accepter la veritable protestation que je fay d'en avoir un aussi grand sentiment qu'on sçauroit desirer d'un'ame toute pleine de connoissance de son devoir, avec un'infinie affection de correspondre par toute sorte de fidele service.

            Mays, Monsieur, sera ce point offencer les termes de la civilité, si demeurant redevable du remerciment deu a vostre……………………………………………………………………….

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Violation d'Annecy.

 

 

 

MDCXX. A une Religieuse de l'abbaye de Sainte-Catherine. Le cadran exposé au soleil. — Cri de guerre de la volonté. — Un prédicateur de Carême qui réclame des prières. — La pensée du Saint sur la clôture de l'abbaye de Sainte-Catherine. — Son dévouement et son dégagement.

 

Annecy, fin février ou commencement de mars 1620.

 

            Il m'est advis que je voy vostre cœur comme un cadran qui est posé au soleil et qui ne remue point, ains demeure immobile, tandis que l'esguille et calamite qui est dedans [157] s'agite incessamment et, par des continuelles inquietudes, s'eslance du costé de sa belle estoile; car ainsy vostre cœur demeurant immobile, vostre volonté tend par des bons mouvemens a son Dieu. C'est elle qui, emmi la meslee des passions, crie tous-jours intelligiblement: VIVE JESUS! Vous aves donq bien rayson de demeurer en paix. Ouy, demeures en paix, ma tres chere Fille, et pries Nostre Seigneur qu'il luy plaise de s'asseoir sur mes levres comme sur son throsne pour, de la, faire bien entendre ses volontés et ordonnances a mes auditeurs pendant ce Caresme.

            Il faut que je me res-jouisse avec vous de vostre petite confiance avec la chere petite cousine, que vrayement mon cœur ayme tendrement, comme vous. J'espere que Nostre Seigneur la rendra fort sa servante.

            Il faut que je vous die ce mot, sur l'opinion qu'on a prise que je procurois de renfermer vostre Monastere. Quicomque me connoistra, dira tout aussi tost qu'il ne faut pas croire de moy des duplicités. Si j'avois cette pensee, de procurer vostre enfermement, je l'aurois dit; je m'en serois declairé, je ne dis pas a vous, qu'en vraye verité j'estime correspondre a mon affection, mais a madame l'Abbesse et autres qui m'ont parlé confidemment, tant je vay loyalement en semblables occasions. Je vous veux un jour tout dire ce que Son Altesse m'a communiqué de son dessein pour cela, et ce que je luy ay repliqué. Vous verres si je suis doux en cela, et si c'est vous loger au sepulchre! Non, je n'ay pas voulu, en un Monastere ou j'avois toute authorité, les enfermer, parce que les filles n'y avoyent pas inclination; et ay tous-jours dit que ces grans traitz dependoyent de l'inspiration et non de l'authorité exterieure, laquelle peut bien faire des enfermees, mais non pas des Religieuses.

            Soyes bien ferme a ne point mescroire de moy, ma bonne Fille, et soyes toute certaine que je suis tout ouvert de cœur avec vous. Et pour les autres, Dieu les assistera, [158] s'il veut que je les serve; et s'il ne le veut pas, sa volonté soit faite. Pourveu que sa Majesté soit glorifiee en elles, comme je m'asseure qu'elle sera tous-jours, je seray tres satisfait, et renonceray de bon cœur au contentement spirituel que j'esperois avoir d'estre utile a leur bien. Mon Dieu, ma chere Fille, non seulement pour celuy la, mays pour tous les autres encor, je renonce et resigne tout mon interest au profit de la gloire de Dieu, et prie Dieu qu'il me rende tout purement resigné moy mesme a son amour.

……………………………………………………………………………………………………...

 

MDCXXI. A un Religieux de la Compagnie de Jésus (Inédite). La vocation de M. de Sonnaz. — Une âme «parfaitement bonne,» mais qui a besoin de réfléchir encore. — Excellente chose d'affranchir le collège de Chambéry des trésoriers et financiers; comment y arriver.

 

Annecy, 2 mars 1620.

 

                        Mon Reverend Pere,

            Je fay la response que vous me demandes sur le sujet de monsieur de Saunas. Il vint icy les festes de Noël, renvoyé, ainsy qu'il me dit, par son Pere confesseur qui, ne se pouvant pas bien resoudre sur sa vocation, me l'addressa affin qu'il en conferast avec moy. Ce qu'il fit, mais en confession, en sorte que je ne puis dire sur ce sujet que deux veritables verités: l'un'est que cett'ame est parfaitement bonne et toute exposee a la volonté de Dieu; et l'autre, que j'ay estimé a propos de luy donner [159] encor un peu de tems, tandis qu'elle acheve son cours de theologie, pour plus entierement digerer ses cogitations sur le fait de sa vocation. Son confesseur, a ce qu'il m'a dit, est un tres grand personnage, et de la Compaignie, qui verra plus clairement a la suite ce qui sera convenable, et en discernera mieux que je ne sçaurois faire.

            Mays quant au point de procurer un benefice au college de Chamberi, jusques a la concurrence de ce que Son Altesse contribue, affin qu'on n'ayt rien a faire avec les tresoriers et financiers, je l'appreuverois grandement, voire mesme quand la concurrence ne seroit pas du tout egale. Que si monsieur de Saunas ne donne pas son prieuré, il y en a d'autres aupres de Chamberi, comme Saint Bardot, et quelques autres petitz qui pourroyent servir a cela. Et pourroit ce dessein estre mesnagé sur l'erection d'un evesché a Chamberi, que Son Altesse semble tant affectionner et qui y est si nécessaire, et dont [160] la commodité est meilleure que jamais tandis que M. le mareschal des Diguieres gouverne; car la proposition d'un Seminaire estant faite, on pourra faire aysement entrer en propos l'entretenement de quelques Peres pour la conduite d'iceluy.

            Je vous salue tres humblement, mon Reverend Pere, et suis a jamais

                                                           Vostre tres humble et tres affectionné

                                                                       confrere et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            2 mars 1620.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à la famille d'Epenoux,

au château d'Epenoux (Haute-Saône).

 

 

 

MDCXXII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Reconnaissance impuissante à s'exprimer.

 

Annecy, 6 mars 1620.

 

                        Monseigneur,

            Je ne me puis taire sur la nomination de mon frere a ma coadjutorie, car les grans coups de faveur, comme ceux de la douleur, excitent qui que ce soit a parler; et si, je ne puis rien dire a Vostre Altesse sur ce sujet, qui ne soit grandement au dessouz de mon sentiment. Et pour cela je me contenteray de luy en faire tres humblement la reverence et l'asseurer que, comme elle pouvoit gratifier grande multitude de gens de plus de merite, aussi n'eut elle peu en regarder de plus de fidelité et d'obeissance [161] que mondit frere et moy, qui ne cesseray jamais de louer Dieu de quoy il m'a rendu, par tant de devoirs,

            Monseigneur,

                        Tres humble, tres obeissant et tres fidele orateur

                                   et serviteur de Vostre Altesse Serenissime,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            VI mars 1620, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat.

 

MDCXXIII. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Délicat remerciement pour la nomination de Jean-François de Sales comme coadjuteur

 

Annecy, 6 mars 1620.

 

                        Monseigneur,

            Les faveurs les moins meritees sont a la verité les moins honnorables, mais elles sont aussi les plus obligeantes; et quand elles viennent d'un haut lieu et d'une main souveraine, elles sont estimees parfaites, et ostent a ceux qui les reçoivent le pouvoir d'en faire des dignes actions de [162] graces. Pour cela, Monseigneur, je ne destine pas ces lignes au tres humble remerciment que je devrois faire a Vostre Altesse pour la grace qu'il luy a pleu d'exercer envers mon frere et moy, le nommant a ma succession en cet Evesché; mais je luy en fay seulement tres humblement la reverence, pour tesmoignage qu'en cette nouvelle obligation je renouvelle et confirme l'hommage et la fidele obeissance que je doy a la bonté de Vostre Altesse, la suppliant en toute humilité de continuer, comme ell'a commencé, de me proteger tous-jours avec mes freres sous la douceur de sa debonnaireté, puisque nous ne respirerons jamais si cherement et cordialement autre chose quelcomque de ce monde, que l'inviolable devoir par lequel nous sommes si heureux que d'estre et vivre en la sujettion de Vostre Altesse, a laquelle souhaitant incessamment le comble de toute sainte prosperité, je suis,

            Monseigneur,

                        Tres humble, tres fidele, tres obligé et tres obeissant

                                                           orateur et serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            6 mars 1620, Annessi.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.

 

MDCXXIV. A la Princesse de Piémont, Christine de France (Minute). Les faveurs considérées en ceux qui les donnent et en ceux qui les reçoivent. — Ce que la princesse a dû voir dans le cœur de François de Sales et dans celui de son frère

 

Annecy, 6 mars 1620.

 

                        Madame,

            Si vous mesures vos faveurs a ce que Dieu a voulu que vous fussies, il n'y en aura jamais de trop grandes; mays [163] si elles sont balancees avec le merite de ceux qui les reçoivent, celle dont il vous a pleu de gratifier mon frere et moy, en la nomination faite par Son Altesse, sera sans doute des plus excessives, et faudra advoüer, Madame, qu'elle n'a nul fondement qu'en la grandeur de vostre bonté; sinon que, parmi plusieurs graces de Dieu, vous aves encor celle la de connoistre les cœurs, et que dedans les nostres Vostre Altesse ayt regardé l'incomparable passion que Dieu mesme y a mise, pour nous rendre infiniment dediés a vostre service et nous faire resigner a jamais a l'obeissance de vos commandemens: car en ce cas, Madame, s'il vous a semblé bon de mettre en consideration nostre tres humble sousmission, Vostre Altesse aura bien eu quelque sujet de nous departir ce bienfait, duquel je luy rens tres humbles graces.

            Et luy en faysant reverence avec un extreme respect, je prie la divine Majesté qu'elle comble la royale personne de Vostre Altesse de l'abondance de ses benedictions, qui suis,

            Madame,

                        Vostre tres humble, tres obeissant et tres fidele

                                               orateur et serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            Le.. mars 1620.

 

 

 

MDCXXV. A la Mère Claudine de Blonay, abbesse de Sainte-Claire d'Evian (Inédite). Les Clarisses d'Evian en inquiétude sur un prétendu départ du saint Evêque. Voyage très assuré que celui-ci recommande à leurs prières.

 

Annecy, 14 mars 1620.

 

            Demeurés en paix, ma tres chere Seur, et ne croyes point que j'aille ni en Espagne ni ailleurs, au moins ny [164] a-il nulle apparence de cela; et j'espere que j'auray le contentement de vous rendre quelque service pour vostre logement avant mesme que j'aille en l'autre monde, qui est le plus long et le plus esloigné, comm'aussi le plus asseuré de tous les voyages que j'aye a faire, et lequel je vous supplie tous-jours de recommander et faire recommander a Dieu par vos cheres Filles, affin quil me soit heureux. Et croyes, je vous supplie, que si vous m'aymés toutes, je vous cheris aussi d'une dilection tres entiere, et ne cesse point de souhaiter que vous abondies en toute sainteté.

            Je suis donq, ma tres chere Seur, et de vous et de toutes vos Filles bienaymees,

                                                                                  Vostre tres humble frere et serviteur,

                                                                                                          F., E. de Geneve.

            XIIII mars 1620.

                        A ma tres chere Seur en N. S.,

            La Rde Mere Abbesse de Ste Claire d'Evian.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme la générale Joppé, à Reims.

 

 

 

MDCXXVI. Au Président François de Tardy. Bon droit des Religieux de Sixt et grande misère des habitants du pays.

 

Annecy, 18 mars 1620.

 

                        Monsieur,

            Outre que les venerables Religieux de Six, pour leur bonne vie et affection a la reformation, meritent d'estre [165] protegés, l'affaire qu'ilz ont maintenant prenant son origine en partie de la visite que j'y ay faite, et en laquelle je puis bien prendre Dieu mesme a tesmoin d'avoir eu seulement son service en veüe, et en laquelle, de plus, je n'ay presque rien ordonné qu'apres avoir, par raysons, tiré le consentement amiable des parties, je me sens obligé de faire avec lesdits Religieux une mesme supplication aupres de vous, affin qu'il vous playse de les favoriser en la conservation de leur bon droit; en quoy vous feres chose grandement aggreable a Nostre Seigneur et qui m'obligera extremement, qui suis a jamais,

            Monsieur,

                                                                                              Vostre serviteur tres humble,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            XVIII mars 1620, Annessi.

            Monsieur, les habitans de Six, pour leur grande misere, sont dignes de compassion, et, pour leur pieté, sont dignes d'estre affectionnés; c'est pourquoy je ne fay point de difficulté de vous supplier tres humblement de leur departir vostre justice et faveur en la conservation de leurs bons droitz.

                                   A Monsieur

            Monsieur de Tardy, Conseiller d'Estat de S. A.,

                        President au souverain Senat de Savoye.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [166]

 

 

 

MDCXXVII. A M. Montenet. Une promesse fidèlement tenue. — Réciprocité d'honneur et d'affection.

 

Annecy, 21 mars 1620.

 

                        Monsieur,

            Cette bonne Seur Jeanne m'a souvent dit que vous conservies tous-jours quelque souvenance de moy, continuant a m'aymer, ainsy que vous me promistes la derniere fois que j'eu le bien de vous voir. Et j'ay un si grand playsir de sçavoir cela, que je n'ay pas voulu laisser partir cette Seur Jeanne sans luy donner ce billet, par lequel je vous remercie de tout mon cœur et vous asseure que reciproquement je vous honnore passionnement, et voudrois bien estre si heureux que de vous rendre quelque service. Mays cependant, je vous souhaite toute sainte benediction, et a madamoyselle Montenet vostre femme, que je salue cordialement, et suis, Monsieur,

                                   Vostre bien humble serviteur en Nostre Seigneur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            XXI mars 1620, Annessi.

A Monsieur Montenet.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. Parraud, à Frontenay (Jura). [167]

 

MDCXXVIII. A M. Claude de Blonay. Suspendre une nomination jusqu'à l'arrivée d'un Bref de Rome. — Regrets du départ d'un ecclésiastique

 

Annecy, 27 mars 1620.

 

                        Monsieur,

            J'attens tous les jours un Brief du Pape, que mon frere m'escrit avoir veu entre les mains de Monseigneur le Nonce, par lequel je suis commis pour ranger au meilleur ordre qu'il se pourra toutes affaires de la Sainte Mayson; et je vous prie que l'on attende jusques a ce tems la de remplir la place que monsieur Thomas laisse, lequel il me fait mal de voir partir de ce diocese, pour la vertu qu'il a tous-jours tesmoignee, bien que d'ailleurs [168] je suis grandement consolé qu'il aille en la vigne de Lyon, qu'on me dit avoir tant besoin de cultivateurs.

            Je suis, Monsieur,

                                                                                  Vostre tres humble confrere,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            Monsieur de Boys m'a dit que je ne pouvois faire autre decret sur la requeste de monsieur Bidal.

            A Monsieur de Blonnay,

Prefect de la Ste Mayson de Thonon.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.

 

MDCXXIX. A la Mère Rosset, Supérieure de la Visitation de Bourges. Décision au sujet de la réception d'une Sœur. — Le Fondateur revise les Règles de son Ordre

 

Annecy, 27 mars 1620.

 

                        Ma tres chere Fille,

            Ce billet que j'arrache de force d'entre un accablement extreme, n'est que pour vous dire que cette bonne fille de laquelle vous m'escrives, ayant esté des premieres de cette Mayson la, et estant de si importante consideration, comme vous me dites, pour tenir en paix cette bonne dame et plusieurs personnes apparentes, je croy qu'il la faut recevoir a la Profession, puisque mesme il n'y a point d'obstacles de consequence; et j'espere que cette feminine tendreté sur elle mesme se passera petit a petit. [169] Elle pourra estre des Seurs Associees, qui sont l'objet de la plus parfaite charité qu'on puisse exercer, ce me semble, en attendant que, le courage luy venant, elle puisse se rendre un peu sujette au chœur. En un mot, il faut exercer une franche et suave charité envers son esprit, et estimer que Dieu a voulu qu'elle fust la a cet effect.

            Je revoy les Regles et les Constitutions et les Formulaires, ou j'ay treuvé de grans manquemens, tant en l'impresse qu'es escritz, que je repare; et mettray ces benitz vœux si expressement, que ce sera asses pour tout le monde affin qu'il demeure en repos.

            O ma tres chere Fille, je vous escriray de rechef bien tost, mais j'ay creu que je ne devois pas tarder davantage de faire ce billet. Je salue vostre cœur de toute l'affection du mien, et suis parfaitement vostre. Je salue nos cheres Seurs. Dieu soit loüé. Amen.

            27 mars 1620.

 

Revu sur la copie faite par la Mère Rosset, conservée à la Visitation d'Annecy. [170]

 

 

 

MDCXXX. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon. Accablement d'affaires. — Lettres recommandées. — Nombreuses demandes de fondations de la Visitation. — Où trouver des filles? Confiance en Dieu

 

Annecy, 27 mars 1620.

 

                        Ma tres chere Fille,

            Ce garçon est venu en un tems auquel je n'ay, pour tout, sceu le depeseher que ce matin, 27 du moys, accablé, je vous asseure, d'affaires si pressantes que je n'ay peu m'en eschapper. Je vous supplie de donner seure addresse aux lettres de Paris, et de recommander a nostre Seur de Moulins celle de Bourges qui importe a la Superieure de ce lieu la.

            Quant a Clermont, je treuve vostre response toute bonne, puisque vous aves des filles pour fournir cette Mayson la. Mais y auroit il encor, outre cela, une fille pour estre Superieure ou Maistresse des novices? car je voy que de toutes partz on demande des Maysons; et voyla que celle de Turin se va dresser, ou il en faudra bien, tant pour la qualité du païs que pour satisfaire a Madame. Or, Dieu fera des filles, quand il les devroit tirer des pierres, et donnera l'esprit de gouvernement a mesure qu'il voudra multiplier les Maysons.

            Ma tres chere Fille, je suis uniquement vostre. J'ay grand desir de sçavoir ce que Monseigneur l'Archevesque fera pour l'execution du Bref Apostolique, et espere [171] que l'humilité et douceur ne vous manqueront pas en toutes occurrences.

            Je salue cherement nos Seurs, et tres uniquement vostre cœur, ma tres chere Fille. Amen.

            XXVII mars 1620.

                        A ma tres chere Fille en N. S.,

            Ma Seur Marie [J.] Favre, Superieure.

 

 

 

MDCXXXI. A la Mère de Chantal, a Paris (Fragment). La coadjutorerie de Jean-François de Sales est uniquement l'œuvre de Dieu

 

Annecy, mars 1620.

 

……………………………………………………………………………………………………..

            Vous me croires bien, ma tres chere [Mère], quand je vous diray simplement que la nomination de mon frere a la coadjutorie est si clairement une œuvre de Dieu, que je n'en ay jamais dit ni escrit une seule parole, ni mendié ni procuré aucune recommandation. La faveur est toute entiere de la part de nos Serenissimes Princes et de l'absolue volonté de Madame; et ce procedé me console, n'y voyant rien du mien ni rien d'humain.

………………………………………………………………………………………………[172]

 

MDCXXXII. A un ami (Fragment inédit). Un mot de l'âme du Saint

 

Annecy, [vers la fin de mars] 1620.

 

            Nous sommes icy sans nouvelles, car elles sont toutes en Piemont maintenant, avec cette ample et grande cour que les noces y maintiennent. Pour moy, je n'y suis nullement, non pas mesme par la pensee, car mon ame est toute contournee a la vie contraire, et ne sçauroit s'amuser a la consideration d'un objet qui luy revient si peu.

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Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [173]

 

 

 

MDCXXXIII. A Madame du Tertre. La mue du serpent; sa transformation en colombe. — Ne pas regarder en arrière. — Condescendance et humilité du Fondateur. — Suivre les inspirations d'En-haut et laisser faire à Dieu. — Quel soin il faut avoir de la créature nouvelle, née du Saint-Esprit

 

Annecy, fin mars ou avril 1620.

 

            C'est la verité, ma tres chere Fille, que mon ame vous cherit tres parfaitement; et m'est impossible, quand je pense en vous, qui n'est pas peu souvent, que je ne ressente un eslan d'affection fort particuliere.

            Or sus, il falloit bien que le serpent se fourrast de force dans l'aspreté de la pierre pour se desfaire de sa vielle peau et se rajeunir heureusement, affin d'estre transformé en colombe. Dieu soit loué, ma tres chere Fille, que vous aves souffert les tranchees d'un accouchement quand vous vous estes enfantee vous mesme a Jesus Christ! Marches maintenant saintement et soigneusement en cette nouveauté d'esprit, et gardes bien de regarder en arriere, car il y auroit un extreme danger; et benisses la divine Providence qui vous avoit preparé une nourrice si aymable. O que Dieu est souverainement bon et gratieux, ma tres chere Fille! Certes, j'ay eu un contentement incroyable a voir comme il vous a conduitte en l'abondance de son amour. Hé! ne l'abandonnes donq jamais, et donnes toute liberté a vostre cœur de s'unir et serrer invariablement a son bon playsir, car il est fait pour cela.

            Que cette chere Mere soit Superieure, j'y consens sans difficulté; mays que cela se puisse faire si absolument [174] comme vous m'en parles, je n'en sçay pas les moyens, ni il ne dependra pas de moy, qui suis fort peu de chose icy et rien du tout ailleurs: seulement je repete que pour mon consentement je le donne, et contribueray, de plus, ce que je pourray bonnement faire a vostre intention.

            Mais, ma tres chere Fille, ne sommes nous pas enfans, adorateurs et serviteurs de la celeste Providence et du cœur amoureux et paternel de nostre Sauveur? n'est ce pas sur ce fonds sur lequel nous avons basti nos esperances? Faites ce qu'il vous a inspiré pour sa gloire, et ne doutés nullement qu'il ne face pour vostre bien ce qui sera le meilleur. Ne capitulons point avec luy: il est nostre Maistre, nostre Roy, nostre Pere, nostre Tout; pensons a le bien servir, il pensera a nous bien favoriser.

            Donq, ma Fille, pour conclure, je feray pour vostre petit contentement tout ce que je pourray, qui est peu; de dela, je m'asseure qu'on fera de mesme; mais au Ciel on fera tout, on vous comblera de consolations par les moyens que la Sagesse supreme connoist et void, et que nous ne sçavons pas.

            Demeures en paix, nourrisses amoureusement soigneusement et fidelement cette nouvelle enfant Aymee que vostre ame a nouvellement enfantee au Saint Esprit, affin qu'elle se fortifie en sainteté et qu'elle croisse en benedictions, pour estre a jamais aymee du Bienaymé. Que vous puis je desirer de plus, ma tres chere Fille?

            Je suis tout a fait, je vous asseure,

                        Vostre tres humble serviteur en Nostre Seigneur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve. [175]

 

 

 

MDCXXXIV. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble (Inédite). Des raisons qui ne satisfont pas l'esprit de François de Sales. — Les prétentions de M. d'Ulme. On ne peut lier la liberté pour le choix ou le changement des Pères spirituels. — Salutations affectueuses. — Disette de Supérieures pour de nombreuses fondations

 

Annecy, 2 avril 1620.

 

            Je suis certes marri, ma tres chere Fille, que nostre bon monsieur d'Ulme se retire ainsy; les raysons qu'il allegue ne sont pas selon le goust de mon foible esprit. Si Monseigneur de Grenoble l'eut commis pour faire l'office de Pere spirituel, je l'eusse treuvé bon; mays cela ne l'eut pas contenté, car je voy que tous-jours il eut volu estre en asseurance de parti, ce qui ne se peut ni doit faire, a cause de la consequence.

            On ne doit pas estre variable a vouloir changer, sans grande rayson, de confesseur, mays on ne doit pas aussi estre tout a fait invariable, y pouvant survenir des causes legitimes de changement; et les Evesques ne se doivent pas lier les mains, qu'ilz ne peussent, quand il sera expedient et sur tout quand les Seurs de commun sentiment le requerront, changer de Pere spirituel. Et je croy bien que jamais rien ne fut survenu du costé de monsieur d'Ulme qui eut apporté du changement, mais tous-jours ne pouvoit on pas donner une totale asseurance. Vostre Mayson sera tous-jours obligee a l'honnorer et respecter et a prier Dieu pour luy. J'appreuverois que le chapelain fut confesseur, car autrement il y auroit et des grans fraitz et des grandes incommodités. [176]

            Salués cherement nostre tout uniquement bienaymee seur Mme de Granieu, et M. d'Aouste que j'honnore parfaitement en mon ame, et toutes nos cheres Seurs.

            Vive Jesus! Amen.

            A madame de Veycelieu, mille et mille salutations; sa niece est une fille tres bonne et a un cœur bien conditionné.

            On demande force Maysons en France; mais on a peine de treuver suffisamment de Superieures.

            2 avril 1620.

            A ma tres chere Seur en N. S.,

Ma Seur Per. Marie de Chatel, Superieure a Ste Marie.

                        Grenoble.

            La chere seur est tres bonne, et je croy quelle reuscira grandement.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

 

 

 

MDCXXXV. A M. Guillaume de Bernard de Foras. Délicatesse dans le silence. — L'ordinaire méthode de la Providence divine. — Véritable marque de la bénédiction de Dieu sur un mariage. — Conserver son bonheur et laisser parler le monde.

 

Annecy, 8 avril 1620.

 

                        Monsieur mon tres cher Frere,

            Ne prenes pas garde, je vous supplie, a ce que j'ay tant tardé de vous escrire, car vous auries grand tort si vous [177] pensies que pour cela j'aye jamais cessé de vous cherir et honnorer tendrement et tres partialement, et d'autant plus, certes, que je vous sçavois estre en peine sous la persecution que l'on faysoit a vostre personne et a mon nom; mais j'avois quelque desfiance que mes lettres n'eussent pas esté ni utiles ni a propos, si l'on eust sceu que vous les eussies receuës. Or, laissons cette pensee, et pour moy j'ay tous-jours esperé que vostre mariage reüsciroit grandement heureux en son progres, cette entree ayant esté si fascheuse; car c'est une des ordinaires methodes dont la providence de Dieu use en ce qu'elle destine a sa gloire, de faire naistre les espines avant les roses.

            On m'escrit que vostre amitié nuptiale est si entiere et parfaite que rien plus: et n'est ce pas cela la veritable et certaine marque de la benediction de Dieu sur un mariage? Et ce que Dieu benit, qu'importe-il que les hommes le censurent? Continues seulement en cette benediction, et nourrisses soigneusement ce bonheur par une perseverante fidelité au service de la divine Majesté; et que tout le monde parle tant qu'il voudra. Mays on me dit que tous ces messieurs les parens commencent fort a s'apayser, et je le croy aysement; car en fin ilz ouvriront les yeux, et verront que la volonté de Dieu doit estre adoree en tout ce qu'elle fait, et qu'elle a fait cette liayson de sa sainte main.

            Je finis donq, vous asseurant que je suis sans fin,

                                   Monsieur mon tres cher Frere,

                                                           Vostre tres humble et tres affectionné frere

                                                                                  et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 8 avril 1620. [178]

 

 

 

MDCXXXVI. A Madame de Villesavin (Inédite). La préface d'une grande lettre. — Quelle est la meilleure marque de la dilection de Dieu pour ses enfants. — Salutations à une petite fille.

 

Annecy, 9 avril 1620.

 

            Ces quattre lignes suffiront, ma tres chere Fille, pour servir de preface a une plus grande lettre que je me sens obligé de vous escrire, pour reparer le manquement que j'ay fait de vous rendre ce devoir des mon arrivee en ce pais, ou je vous supplie de croire que vous estes toute presente a mon esprit, qui ne finira jamais de cherir infiniment le vostre et luy souhaiter toutes les plus favorables benedictions de Nostre Seigneur, et particulierement un continuel progres en l'amour celeste qui seul peut assoüir vos affections.

            J'ay loué sa divine Majesté quand j'ay sceu que vous esties acouchee heureusement apres tant de maux et de peines, par lesquelles la divine Providence vous veut associer a sa croix, qui est la plus estimable marque de sa dilection parmi ses enfans. C'est un vray martire, ma tres chere Fille, de souffrir beaucoup pour la volonté de Celuy a qui nous avons voué la nostre, et qui nous a tant aymé quil a volu mourir pour nous.

            Je vous demande permission de saluer en ce petit bout de lettre ma tres chere petite fille madamoyselle Anne, qui, je m'asseure, est encor plus devote que belle. [179]

            Dieu soit a jamais au milieu de vostre cœur, ma tres chere Fille, et je suis tout a fait en luy,

                                               Vostre tres humble et tres affectionné serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            9 avril 1620.

                        A Madame

             [Madame] de Villesavin.

 

Revu sur l'Autographe conservé au 1er Monastère de la Visitation de Paris.

 

 

 

MDCXXXVII. A la Duchesse de Nemours, Anne de Lorraine. Trois requêtes renouvelées; appel à la bonté, à la justice, à la piété du duc et de la duchesse de Nemours.

 

Annecy, 11 avril 1620.

 

                        Madame,

            Je pense que Vostre Grandeur aura bonne souvenance que, donnant advis a Monsieur de la mort du feu sieur [de] Charmoysi, je le suppliay tres humblement de continuer sa grace et ses bienfaitz a la vefve et au filz du defunt; ce que Sa Grandeur m'accorda avec une tres grande demonstration de sa volonté et inclination a cela, [180] et Vostre Grandeur, Madame, adjousta sa toute puissante faveur a ma recommandation.

            Maintenant donq, renouvellant ma supplication, je recours de rechef a cette mesme gratification qu'il pleut a Vostre Grandeur de tesmoigner, affin qu'il luy playse d'en commander les depesches, comme aussi ceux de deux autres graces que je demanday a Monsieur pour deux autres de mes amis; puisque, si je ne me trompe, l'une est de justice, pour reparation d'un tort fait a un gentilhomme nourri et envielli au service de Monsieur, et l'autre est de pieté, pour l'assoupissement d'un proces que les gens de Sa Grandeur ont avec deux filles pupilles. Et je me garderay fort bien de jamais rien demander, ni mesme desirer de vostre bonté, Madame, ni de celle de Monsieur, qui ne soit selon les loix de l'honneur et bonheur que j'ay d'estre,

            De Vostre Grandeur, Madame,

                                                           Le tres humble……………………………………………..

            Annessi, 11 avril 1620. [181]

 

 

 

MDCXXXVIII. Au Chanoine Jean-Baptiste Germonio (Inédite). Envoi des saintes Huiles.

 

Annecy, 16 avril 1620.

 

                        Monsieur,

            Voyla les saintes Huiles que vous desires, tres ayse que je seray toute ma vie de pouvoir rendre quelque digne service a Monseigneur vostre oncle, a son Evesché et a vous, a qui je suis de toutes mes forces, et vous saluant humblement,

            Monsieur,

                                   Vostre tres humble confrere et tres affectionné

                                                           serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Le Jeudi Saint, en haste, 1620.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Turin. [182]

 

MDCXXXIX. Au Chanoine Jean-François de Sales (Fragment). Avis du Saint sur une affaire embarrassante. — Envoi de lettres et promesse d'écrire bientôt.

 

Annecy, 23 avril 1620.

 

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…………………………………………………………on l'apprendroit a l'avantage, et seroit on deschargé de plus de la moytié de la peine quand ce viendroit au fait et au prendre, car on n'auroit a faire sinon d'appliquer cela au point. Or, ce constitus la se peut avoir de tous les docteurs, tant de droit que de theologie, et peut on le demander ou faire demander par maniere de curiosité. De retourner a Orleans, j'y voy fort peu d'apparence, car cela est bien loin; chacun voudroit sçavoir pourquoy, et il seroit malaysé de treuver un praetexte. Voyla donq mon sentiment. Et a monsieur Deage, que vous surpasseres de beaucoup, et a moy, il ne cousta pour tout que a chacun 40 escus. Il faudra avoir un promoteur favorable qui fera tout et conduira tout.

            Voyla des lettres de Mme de Grignolz. Je vous escriray plus amplement dans trois ou 4 jours que M. du Chastelard partira, car j'ay tant escrit que je n'en puis plus. [183] Bonsoir, mon tres cher Frere, mon ami. N'ayes nullement peur que l'on voye vos lettres, ni que celles de M. Beybin se perdent.

            La pauvre Mme de Charmoysi est toute affligé (sic) de son filz qui est de si mauvaise humeur, a ce qu'on luy a dit, et m'a prié de luy escrire une lettre de censure.

            Ce XXIII avril 1620.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Toulouse.

 

MDCXL. Au Cardinal Frédéric Borromée, Archevêque de Milan. Excuse pour un remerciement tardif. — Des Pères Barnabites en route vers Milan.

 

Annecy, 23 avril 1620.

 

Illustrissimo et Reverendissimo Signor mio colendissimo,

 

            Ho ricevuto la lettera suavissima che V. S. IIIma et Reverendissima si compiaque di scrivermi questi mesi passati, insieme colle reliquie di San Carlo; et hô aspettato sin adesso di farne il dovuto humilissimo ringratiamento, che andando costi questi nostri buoni Padri [184] Barnabiti, il P. D. Candido, latore, mi ha promesso di compire anco con lei per supplire al mancamento mio. Il che è molto a proposito, non havendo io nè senno, nè modo di far con V. S. Illma il debito mio, sebene io di affetto et rispetto verso di lei non credo di dovere cedere a nessuno.

            Et con questa certissima verità, glie faccio humilissima riverentia et le pregho dal Signor Iddio ogni santa prosperità.

            Di V. S. Illma et Rma,

            Humilissimo et divotissimo servitore,

            FRANCO, Vescovo di Geneva.

            In Annessi, alli 23 di Aprile 1620.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Milan, à la Bibliothèque Ambrosienne. [185]

 

 

 

Illustrissime, Révérendissime et très vénéré Seigneur,

 

            J'ai reçu, avec les reliques de saint Charles, la très aimable lettre que Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime a daigné m'écrire ces mois derniers. J'ai attendu jusqu'à présent de vous offrir l'humble remerciement qui vous est dû, car nos bons Pères Barnabites [184] se rendant à Milan, le P. D. Candide, porteur, m'a promis de suppléer à mon défaut en accomplissant ce devoir pour moi. Certes, cela est très à propos, n'ayant moi-même ni la capacité ni le moyen de le faire, bien que, pour l'attachement et le respect envers Votre Seigneurie Illustrissime, je croie n'avoir à le céder à personne.

            Et sur cette vérité très certaine, je lui présente mes humbles hommages, et je prie Dieu notre Seigneur de lui donner toute sainte prospérité.

            De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

            Le très humble et très dévoué serviteur,        FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            Annecy, le 23 avril 1620. [185]

 

 

MDCXLI. A Don Jérome Boerio, Général des Barnabites. Le Saint prie le Général de renvoyer à Annecy deux Pères Barnabites et de leur en adjoindre un troisième d'àge vénérable.

 

Annecy, 23 avril 1620.

 

Reverendissimo Padre in Christo osservandissimo,

 

            Andando questi nostri Padri al Capitolo et alla ubedientia di V. P. Rma, vado ancora io con essi loro per salutarla et proferirmeglie per servitore affettionatissimo; supplicandola di più che si degni, se però così far si può et è espediente, rimandarli in qua, essendo che havendo egli imparata la lingua et le usanze del paese, potranno con più utiltà fatigar in questi luoghi che altri che verrebbono senza tali istromenti et mezzi necessarii.

            Et nientedimeno, non lasciarò a dire a V. P. Rma come in vero zelante del bene et honore della sua Congregatione, che sarebbe anche a proposito che con essi loro venisse uno de quei vecchi Padri, l'età del quale potesse [186] produrre una nuova veneratone a questi nuovi collegi, li quali forse presto ne havranno un terzo di Novitiato; et così, tutte queste Case, con la canuta presenza et authorità di tal personaggio, verranno compite.

            Fratanto, augurando dal Signore ogni santa prosperità a V. P. Rma, glie resto

                                   Humilissimo fratello et servitore,

                        FRANCO, Vescovo di Geneva.

            XXIII Aprile 1620.

                        Al Rmo Padre in Christo,

Il P. Generale della Congregatione [di S. Pao]lo.

                                               Milano.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Monza (Milan), chez les RR. PP. Barnabites. [187]

 

 

 

Révérendissime et très honoré Père dans le Christ,

 

            Puisque ces Pères se rendent au Chapitre et à l'obédience de Votre Paternité Révérendissime, je vais aussi avec eux la saluer et m'offrir à Elle en qualité de serviteur très affectionné. Je vous supplie en même temps, si toutefois cela se peut et s'il est expédient, de vouloir bien les renvoyer ici; car, ayant appris la langue et les usages du pays, ils pourront y travailler plus utilement que d'autres qui viendraient sans ces éléments nécessaires de succès.

            Néanmoins, je ne laisserai pas de dire à Votre Paternité Révérendissime, comme très désireux du bien et de l'honneur de sa Congrégation, qu'il serait aussi très à propos d'envoyer avec eux un des Pères anciens, dont l'âge inspirerait plus de respect encore [186] pour ces collèges récemment fondés qui s'augmenteront peut-être bientôt d'un troisième pour le Noviciat; ainsi, par la présence et l'autorité d'un si vénérable personnage, toutes ces Maisons recevraient leur entier perfectionnement.

            En attendant, je souhaite que le Seigneur comble de toute sainte prospérité Votre Paternité Révérendissime, et je demeure Son très humble frère et serviteur,

            FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            23 avril 1620.

            Au Révérendissime Père dans le Christ,

Le Père Général de la Congrégation de Saint-Paul.

                                               Milan. [187]

 

 

 

MDCXLII. A la Mère de Chantal, a Paris. Nouvelles de l'âme de François de Sales. — Ses lumières sur les maximes évangéliques et sur la prudence humaine. — M. de Boisy à la cour. — Les affaires et la santé de Mme de la Flèchère

 

Annecy, fin avril ou commencement de mai 1620.

 

            Que vous diray je? Rien autre, ma tres chere Mere, sinon qu'il me semble que mon ame est un peu plus solidement establie en l'esperance qu'elle a eu, de pouvoir un jour jouir des fruitz de la mort et resurrection de Nostre Seigneur; lequel, comme il m'est advis, parmi les jours de la Semaine Sainte et jusques a present, non seulement m'a fait voir plus clairement, mays avec une certitude et consolation intellectuelle et toute en la pointe de l'esprit, les sacrés axiomes et les maximes evangeliques, plus clairement et suavement, dis je, que jamais; et je ne puis asses admirer comme, ayant tous-jours eu une si grande estime de ces maximes et de la doctrine de la Croix, j'ay si peu pris de soin pour les prattiquer. O ma tres chere Mere, si je revenois au monde avec mes sentimens presens, je ne croy pas que toute la prudence de la chair et des enfans de ce siecle me peust esbransler en la certitude que j'ay que cette prudence est une vraye chimere et une toute veritable niaiserie. Or sus, j'ay dit ces quatre motz pour obeir a vostre cœur, que je cheris incomparablement et comme le mien propre. Je vous escriray une autre fois d'autres choses.

            La coadjutorie s'en va estre toute arrestee et accomplie avec tant de faveur que rien plus; et ne se peut croire [188] combien mon frere tesmoigne d'esprit et de vertu aupres de Madame et de ces grans Princes, de sorte que je commence d'estre conneu et aymé parce que je suis son frere.

            La petite seur est allee conduire sa fille a Vanchi. Madame de la Flechere est tous-jours bonne fort solidement, et tous-jours accablee d'affaires et de mauvaise santé. Ce bon Pere vous dira tout le reste.

            Ma tres chere Mere, Dieu soit au milieu de nostre cœur. Amen. [189]

 

MDCXLIII. A M. Claude de Quoex. Débats au sujet de la nomination à une cure. — Un accommodement des Ermites du Mont-Voiron procuré par les délégués de l'Evêque de Genève.

 

Annecy, 6 mai 1620.

 

                        Monsieur,

            J'eusse desiré que le sieur Grassi se fut contenu dans les termes du respect et de la verité a Vienne, et que monsieur Gariod n'eut pas fait l'esclat qu'il a fait a Chamberi (sur lequel monsieur le Marquis de Lans m'a escrit que le service de Son Altesse requeroit qu'on donnat la cure de Villy aux doctes, et monsieur le procureur general a appellé comme d'abus, et le Senat a tesmoigné de l'affection a la conservation du concours), ou qu'il eut eu encor un peu de courage pourvoir sortir les effectz de sa requeste et de son bon droit, affin que l'equité estant victorieuse et l'authorité des Evesques maintenue, on eut par apres plus honnorablement et courtoysement accommodé toute cette affaire en la façon mesme qu'il a, comme je voy, acceptee. Mays puis que il a treuvé bon de le faire avant ce tems-la, je ne m'y oppose point, et dautant plus, qu'autant quil me sera possible j'affectionneray tous-jours vos desirs et ceux de monsieur de [190] Polinge. Et sil faut joindre cette piece encor, je diray que je suis encor bien ayse du bien de ce jeune ecclesiastique qui, a ce moyen, pourra en s'occupant devenir tous-jours meilleur. Et ce pendant monsieur Gariod praeparera des excuses pour la grande chaleur quil avoit donnee a cette affaire a Chamberi.

            Pour l'autre chef, les Hermites seront contens en l'accomodement quilz ont fait, et, comme j'espere, encor monsieur de Boege; mays je ne sçai pas encor les particularités, cela s'estant passé par l'advis de monsieur le Prevost mon cousin, monsieur Jai, M. Questan, M. Rosetain que j'avois commis pour cela.

            Au reste, je suis invariablement, Monsieur,

                                                                                  Vostre tres humble serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            VI may 1620.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Chambéry, aux Archives du Sénat de Savoie. [191]

 

 

 

MDCXLIV. A Madame de Valfin (Inédite). Une forte et tendre affection paternelle et filiale. — Incertitude du Saint sur l'avenir. — L'enfant suspendu «au col de la Providence.»

 

Sales, 12 mai 1620.

 

            Non veritablement, ma tres chere Fille, il n'est pas vray que je vous puisse dire de quel cœur je vous cheris et honnore, ni par consequent que jamais je vous puisse obliger en vous escrivant le plus souvent que je puis; quoy que je le fay avec bien plus de douceur, sachant que vous aymes a recevoir ce petit tesmoignage de mon infinie affection, que vous ne pouves guere connoistre humainement d'autre sorte, et de laquelle en suite vous auries bien sujet de douter si Dieu, qui en est l'autheur, ne vous en donnoit la certitude dans le fond de vostre ame, comm'au milieu de la mienne il a planté un invariable sentiment de ce que vous m'estes et de ce que vostre cœur est au mien. Or sus, cette verité est trop grande et trop constante pour estre curieusement protestee. Demeurons en icelle, puisqu'il plait a Dieu, et demeurons y en paix, sans apprehension de vaciller ni d'haesiter jamais.

            Je pense, pour moy, que je ne bougeray point de ce païs avant la Feste Dieu, et ne suis pas certain si encor, apres cela, j'iray en aucun autre lieu, n'estant guere plus certain de l'employ de ma vie que de l'heure de ma mort, tant je suis maintenant engagé dans la volonté d'autruy. O que ce me seroit un contentement incomparable si j'allois de………………………………………. [192]

... [ma] tres chere Fille, attaches vous au col de sa Providence comme un petit enfant a celuy de sa mere; il vous portera, il vous allegera, il vous allaitra parmi les chemins pierreux de cette mortalité. Et quand vous verres a Besangon le Saint Suaire, et en iceluy la marque de la playe de l'amoureuse poitrine du Sauveur, faites moy bien part des desirs que vous aures de vivre, comm'un heureux hermite, dans la caverne sainte de la dilection infinie que vous descouvrires-la. Je suis

                                                           Vostre tres humble et invariable frere et serviteur,

                                                                                                          F., E. de Geneve.

            A Sales, XII may 1620.

                        A Madame

            Madame de Vallefin.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Boulogne-sur-Mer.

 

 

 

MDCXLV. A la Mère de Chantal, a Paris. Quatre objections au projet de fixer l'Evêque de Genève en France. — Son désir de demeurer attaché à son Eglise. — Ce qui vaut mieux pour lui qu'un chapeau de cardinal. — Point de népotisme. — Voyage probable à Rome

 

Annecy, 14 mai 1620.

 

            Or sus, ma Mere, je suis dans vostre parloir, ou il m'a fallu venir pour escrire ces quatre ou cinq lettres que je vous envoye.

            Il faut donq que je vous die que je ne puis avoir opinion que rien se face de ce costé-la, que vous sçaves, si Dieu ne le veut de sa volonté absolue; car premierement, ce fut ce que d'abord je dis a Monsieur le Cardinal, que [193] si je quittois ma femme, ce seroit pour n'en avoir plus. Je vay doucement, quoy qu'avec grand travail, supportant les charges de la mienne, avec laquelle je suis envielly: mais, avec une toute nouvelle a moy, que ferois-je? La seule gloire de Dieu, manifestee par mon superieur le Pape, me peut oster de cette demarche.

            2. Voyla mon frere Evesque; cela ne m'enrichit pas, il est vray, mais cela m'allege et me donne quelque esperance de me pouvoir retirer de la presse: cela vaut mieux qu'un chapeau de Cardinal.

            3. Mais vos neveux seront pauvres. Ma Mere, je considere qu'ilz ne le sont pas des-ja tant comme ilz estoyent quand ilz nasquirent, car ilz nasquirent nuds. Et puis, deux ou trois mille escus, ni quatre mesme, ne me donneroyent pas dequoy les secourir, sans diminution de la reputation d'une prelature en laquelle il faut tant d'aumosnes, d'œuvres pies, et de frais justes et requis.

            4. Voyla Son Altesse qui me mande advertir que de toute necessité il veut que j'accompaigne Monseigneur le Cardinal son filz a Rome; et en effect, il sera a propos, pour le service mesme de l'Eglise, que je face ce voyage, bien qu'en toute verité, ma Mere, il ne soit nullement selon mon inclination: car en somme, c'est tous-jours aller, et j'ayme a demeurer; et c'est tous-jours aller a la cour, et j'ayme la simplicité. Mais il n'y a remede; puisqu'il le faut, je le feray de bon cœur, et tandis, les [194] pensees de ce grand Prelat de dela auront du loysir de se dissiper. En somme, je ne feray rien pour ce parti la que je ne sois grandement asseuré que Dieu le veuille. N'en parlons donq plus que selon les occurrences, ma Mere.

            Je suis a jamais, sans reserve et sans comparayson, c'est a dire au dessus de toute comparayson, vostre, et certes, comme vous sçaves tres bien vous mesme, je suis vostre tres parfaitement.

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 14 may 1620.

 

 

 

MDCXLVI. A Madame Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal A Maubuisson. Les fautes involontaires n'empêchent pas la marche vers la perfection. — Vraie cause du mal chez la Mère Arnauld. — Comment modérer sa promptitude. — Ne point se dépiter contre soi-même, mais être enfant en humilité. — Un nouveau saint Paul intercesseur pour Onésime

 

Annecy, 14 mai 1620.

 

            Pour tout ce que vous m'escrives en trois de vos lettres, ma tres chere Fille, je ne laisse pas d'avoir une tres parfaite confiance que la fille que je vous ay tant recommandee, et qu'en verité j'ayme comme mon ame propre, reuscisse une grande servante de Dieu; car elle ne fait point de faute a dessein, ni pour aucune volonté qu'elle ayt de nourrir ces inclinations revesches, vaines et un peu mutines. Or, cela estant, il n'y a rien a craindre.

            Sa promptitude naturelle est la cause de tout son mal; car elle anime sa vivacité, et sa vivacité anime sa promptitude. Partant, vous luy dires de ma part, que son soin principal soit a tenir son esprit dans la modestie, douceur et tranquillité, et pour cela, que mesme elle allentisse toutes ses actions exterieures: son port, son pas, sa contenance, ses mains, et s'il luy plait, encor un peu sa langue et son langage; et qu'elle ne treuve point estrange [195] si cela ne se fait point en un instant. Pour mettre un jeune cheval au pas et l'asseurer sous la selle et la bride, on employe des annees entieres.

            Mais voyes vous, ma tres chere Fille, vous luy estes un peu trop severe a la pauvre fille; il ne luy faut point tant faire de reproches, puis qu'elle est fille de bons desirs. Dites luy que, pour toute broncharde qu'elle pourroit estre, jamais elle ne s'estonne, ni ne despite contre soy mesme; qu'elle regarde plustost Nostre Seigneur qui, du haut du Ciel, la regarde comme un pere fait son enfant qui, encor tout foible, a peyne d'asseurer ses pas, et luy dit: Tout bellement, mon enfant; et s'il tombe, l'encourage, disant: Il a sauté, il est bien sage, ne pleures point; puis s'approche et luy tend la main. Si cette fille est un enfant en humilité et qu'elle sache bien qu'elle est enfant, elle ne s'estonnera point d'estre tombee, car elle ne tombera pas aussi d'en haut.

            O Dieu, ma tres chere Fille, si vous sçavies combien mon cœur ayme cette fille et de quelz yeux je la regarde des icy a tous momens, vous auries un grand soin d'elle, encor pour l'amour de moy, outre ce que vous luy estes; car vous m'aymes d'un amour qui est asses fort pour vous faire aymer tout ce que j'ayme. Quand le grand Apostre recommande a Philemon le pauvre garçon Onesime, il luy dit mille paroles si douces qu'elles ravissent d'amour: Si tu m'aymes, dit il, si tu m'a receu dans ton cœur, reçois aussi mes entrailles; appellant ainsy le pauvre cher Onesime, qui avoit fait un mauvais trait a Philemon, pour lequel Philemon estoit courroucé. O ma chere Philemone, ma Fille, veux je dire, si vous m'aymes, si vous m'aves receu dedans vostre cœur, receves y aussi ma chere fille Onesime, et la supportes; c'est a dire, receves mes entrailles, car cette fille est en verité cela pour Nostre Seigneur. Et si quelquefois elle vous donne de la peine, supportes la suavement a ma consideration, mays sur tout a la consideration de Celuy qui l'a tant aymee, que, pour l'aller prendre dans son neant ou elle estoit, il s'est abbaissè jusques a la mort, et la mort de la croix. [196]

            Et quant a vous, ma tres chere Fille, comme n'aymeres vous pas Dieu qui vous ayme tant? Quel tesmoignage de son amour, ma Fille, en cet heureux trespas de ce bon pere auquel vous aves tant souhaité une telle fin! Certes, j'en suis ravi.

            Mille benedictions sur vostre cœur, ma chere Fille, et sur toutes nos cheres Seurs, et sur tout ce qui est a vous, en vous et pour vous; et j'y auray donq ma bonne part, puisque je suis infiniment a vous en Jesus Christ et pour Jesus Christ.

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 14 may 1620.

 

 

 

MDCXLVII. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon. Avis sur un voyage; la fondation de Turin. — Quelle doit être la durée du noviciat; quand on peut le prolonger. — Etablissement de la Visitation en Auvergne. — Pourquoi François de Sales est empêché d'aller prêcher à Lyon

 

Annecy, 14 mai 1620.

 

            Croyes moy, ma tres chere Fille, ne faites point la discrette avec moy pour ne m'oser pas escrire tous les jours quand vous voudres; car jamais je ne verrav de vos let tres qu'avec tres grande consolation pour moy. Or, je respons a la vostre derniere.

            Je treuveray fort bon que vous venies un peu a l'advantage icy, pour plusieurs raysons, et que vous passies a Grenoble, puisque mesme, ainsy faysant, vous gaigneres le passage de Chamberi quand vous ires a Turin; d'autant qu'y ayant esté en venant, et veu monsieur vostre pere, vous n'aures pas sujet de vous destourner pour y repasser, ains ires le droit chemin et avanceres d'une [197] journee. Mais de vous dire bien precisement quand vous ires a Turin, je ne le puis encor; mon frere m'escrivoit dernierement que ce seroit environ la fin de juin ou le commencement de julliet.

            Le Concile de Trente prefige absolument une annee de noviciat, en sorte que nul ne peut en establir deux, ni mesme un seul mois davantage, sans special privilege du Pape; bien qu'es cas particuliers, les Superieurs, ains la Superieure et les Seurs, peuvent differer la Profession quand il y a cause legitime: comme quand, avec un peu de loysir, la Novice pourra se rendre plus capable, ainsy qu'il est dit es Constitutions. Mais cette verité, il la faut doucement mesnager et ne point l'alleguer par maniere de resistance, mais plustost la luy faire dire par quelqu'homme qui la sache dire avec dexterité.

            Si d'Auvergne on poursuivoit pour vous avoir un moys au commencement de la fondation, je pense que cela seroit bon et a propos pour la consolation des Seurs qui iront. [198]

            Cependant, ma tres chere Fille, [vous] me voyes bien marri d'estre reduit a l'impossible pour aller prescher a Lyon, Son Altesse voulant tres absolument que j'accompaigne Monseigneur le prince Cardinal a Rome, qui fera le voyage cet automne. En ce regret neanmoins, j'ay ce contentement de devoir servir un si bon Prince, de pouvoir servir vostre petite Congregation, et de vous voir allant et revenant.

            Je salue vostre ame de tout mon cœur, ma tres chere et tres aymable Fille, et luy souhaite incessamment les saintes benedictions du Ciel, et a ma Seur toute chere Marie Aymee, Anne Françoise, Françoise Hieronime et toutes nos Seurs, que je cheris tres parfaitement, et la malade, et tout a part M. Brun.

            Annessi, 14 may 1620.

            A ma tres chere Fille en N. S.,

Ma Seur Marie Jacqueline Favre,

            Superieure de la Congregation de la Visitation. [199]

 

MDCXLVIII. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble. A quelles conditions on peut recevoir à la Visitation des aspirantes qui n'ont pas encore l'âge d'entrer au noviciat. — L'habit qu'il faut leur donner. — Rester indifférente sur le choix que font les postulantes d'une Maison ou d'une autre. — Bien que les Sœurs ne récitent que le petit Office, il est bon de maintenir le rang des Associées. — Profiter de nos mouvements imparfaits pour nous humilier

 

Annecy, 16 mai 1620.

 

                        Ma tres chere Fille,

            La fille de laquelle vous m'escrives estant de telle consequence, pourveu qu'elle ayt environ douze ans, pourra estre fort bien receuë. Il est vray que ces jeunes gens donnent de la peine; mais que feroit on la? Je ne treuve point de bien sans charge en ce monde. Il faut tellement adjuster nos volontés, que, ou elles ne pretendent point de commodités, ou si elles en pretendent et desirent, elles [200] s'accommodent aussi doucement aux incommodités, qui sont indubitablement attachees aux commodités. Nous n'avons point de vin sans lie en ce monde. Il faut donq balancer: est il mieux qu'en nostre jardin il y ayt des espines pour y avoir des roses, ou de n'avoir point de roses pour n'avoir point d'espines? Si cette fille apporte plus de bien que de mal, il sera bon de la recevoir; si elle apporte plus de mal que de bien, il ne la faut pas recevoir.

            Et a propos de petites filles, la Seur Jeanne Marguerite, fille de madame la concierge, qui a esté receuë si jeune, est malade d'une maladie douloureuse et, comme dit M. Grandis, mortelle; car elle est pulmonique. Je la fus voir l'autre jour, avec une incroyable consolation de voir une si douce indifference a la mort et a la vie, une patience si suave, et un visage riant parmi une fievre ardente et beaucoup de peines, ne demandant pour toute consolation que de pouvoir faire la Profession avant que de mourir.

            Or, si vous receves celle que vous dites, il est vray qu'il ne la faut pas lier aux exercices, car cela la pourroit rebuter en cette si tendre jeunesse, qui ne peut encor savourer ce que c'est de l'esprit, pour l'ordinaire. Pour l'habit, je ne pense pas qu'il le luy faille donner avant l'aage, mais ouy bien luy en procurer un fort simple, et [201] une petite escharpe qu'elle tienne sur sa teste; en sorte qu'elle ressemble en quelque sorte a une Religieuse. Et sera bon qu'il soit ou noir ou tanné, sans ornement, comme j'ay veu a Saint Paul de Milan, ou il y avoit environ cent cinquante Religieuses et vingt ou vingt cinq Novices, et bien autant de pretendantes qui y estoyent en pension et attente; et celles ci estoyent toutes vestues d'une mesme couleur bleue, et des voyles de mesme, et tout leur appareil esgal.

            J'en dis de mesme pour la petite Lambert; et ce sera comme une petite preparation a l'habit, lequel, es filles bien disposees, on peut bien donner quelques mois avant le tems, mais non pas la qualité de Novice, comme on a fait a la Seur Jeanne Marguerite; et toutefois, il me semble qu'il ne le faille pas faire, sinon pour des occasions pressantes.

            Un petit habit tanné, ou blanc, ou de la couleur que vous jugeres plus propre, avec un peu de forme approchant de celle de la Religion, qui monstreroit qu'elles sont en pretention et attendant l'aage, les pourroit contenter.

            Que les filles aillent a Lyon ou ailleurs, il n'importe nullement, et ne vous en mettes point en peine. Quand vous seres en vostre monastere, ses commodités feront leur attraction comme les autres, et les filles y viendront comme les colombes aux colombiers qui sont blancz. Cependant, ma tres chere Fille, qui ne cherche que la gloire de Dieu la treuve dans la pauvreté comme dans les commodités. Ces bonnes filles n'ayment pas la pauvreté necessiteuse, et nous, certes, n'en sommes pas non plus ravis d'amour. Laisses donq doucement et paysiblement aller a Lyon qui voudra; Dieu vous garde mieux que tout cela. [202]

            Vous m'excuseres, ma tres chere Fille, j'espere que Dieu nous assistera affin que le grand Office ne soit jamais introduit en cette Congregation, et le Pape mesme en donna quelque instruction. Et nonobstant cela, il est bon qu'il y ayt des Seurs Associees, pour faire la charité a tout plein de personnes qui ne sçauroyent dire l'Office, ou pour avoir la veuë trop foible et basse, ou pour avoir manquement d'estomach, ou pour quelque autre infirmité. C'est pourquoy l'on n'a pas marqué les exercices qu'il leur faut donner en lieu de l'Office au chœur; car, selon leur infirmité, il'les faut pourvoir. Si elles ont faute de veuë, on leur peut donner des chapeletz; si c'est infirmité d'estomach et non de veuë, elles pourront dire les Heures, et la Superieure pourra disposer d'elles a quelque office non incompatible avec leur infirmité.

            Despuis, j'ay leu la premiere Constitution, ou il est asses clairement dit que les Seurs Associees, comme les Domestiques, diront des Pater et Ave en lieu de l'Office: c'est en la page 118 et 119. C'est pourquoy il ne sera nul besoin qu'elles disent les Heures, ains suffira qu'elles fassent ce qui est porté en l'article de cette Constitution, et qu'au reste la Supérieure les employe selon qu'elle verra qu'elles pourront faire.

            Il sera bon que nostre Mere de Lyon passe a Grenoble pour vous voir; vous en recevres de la consolation toutes deux. Et ne vous mettes nullement en peine de cette petite touche que vostre cœur en ressent, car cela n'est rien, et sert beaucoup pour nous faire humilier doucement, pour nous faire voir la misere de nostre nature, et pour nous faire desirer parfaitement de vivre selon la grace, selon l'Evangile, selon l'esprit de Nostre Seigneur.

            Parles moy tous-jours hardiment; car je proteste devant [203] Dieu et ses Saintz que je suis vostre, ma tres chere et veritablement bienaymee Fille.

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce 16 may 1620.

            Je salue nos Seurs tendrement, et ces bonnes dames.

                        A ma tres chere Fille en N. S.,

            Ma Seur Peronne Marie de Chastel,

Superieure du Monastere de la Visitation Ste Marie.

                                   A Grenoble.

 

 

 

MDCXLIX. A M. Guillaume Drujon Prieur Commendataire d'Anglefort. La nomination au prieuré de Ripaille, désormais au pouvoir du saint Evéque. — Son double avantage. — Prière d'avoir soin de papiers importants pour cette affaire.

 

Annecy, 22 mai 1620.

 

                        Monsieur,

            Quelques uns de mes amis me conseillerent de demander a Son Altesse, quand ell'estoit icy, la nomination au prieuré de Ripaille, vacant par le trespas de Monseigneur de Saint Paul; et je le fis, en sorte qu'elle me fut accordee fort favorablement, la consequence de cette [204] nomination me pouvant estre utile par ce que, du revenu de ce benefice, a esté erigee une commenderie de Saint Lazare, delaquelle, par ma naissance, je suis capable, et, venant a vaquer, ce ne me seroit pas une petite ouverture de la demander quand j'aurois des-ja le tiltre du prieuré. Mays ce point icy je le confie a vous, qui m'aymes, et a M. D….. ne l'ayant volu dire a personne qui vive.

            Or ay je sceu que monsieur Drujon, vostre frere, a en son pouvoir plusieurs tiltres et papiers appartenans audit prieuré; qui me fait vous prier, par nostre commune vocation et l'amitié que vous me portes, de faire que je les puisse avoir, et qu'en attendant que je voye ce que je devray faire pour cela, je vous prie qu'ilz soyent soigneusement conservés.

            Je prieray cependant monsieur…..de conferer de ce sujet avec vous, de qui ayant des-ja receu beaucoup de courtoysie, je me prometz encor celle ci tout a fait, et suis,

            Monsieur,

                        Vostre plus humble et tres affectionné confrere,

                                                                       FRANÇS, E. de Geneve.

            22 may 1620, Annessi.

                                   Monsieur

            Monsieur Drugeon, Prieur d'Enclafort.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme Girod, à Lavours (Ain). [205]

 

 

 

MDCL. Aux Ermites du Mont-Voiron (Fragment inédit). La charité. — Souhait.

 

Annecy, 24 mai 1620.

……………………………………………………………………………………………………...

            La charité est douce, elle est pliable, elle est patiente, et, a la fin, elle fait tout.

            Dieu, qui est la charité mesme, vous veuille tous conserver en son saint service, parmi lequel je vous prie me faire part en vos oraysons.

……………………………………………………………………………………………………...

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [206]

 

MDCLI. A Madame de la Fléchère. Un tracas qui empêche de recevoir des consolations et d'en donner. — Petites contestations. — Le seul souci que nous devons avoir. — Désir de mettre fin à un procès

 

Annecy, 26 mai 1620.

 

            Que vous voyla bien ayse, ma tres chere Fille, en l'aggreable conversation de cette chere cousine! De me souhaiter aupres de vous, je n'ay garde de le faire, car je traine tellement tous-jours mon tracas avec moy, que je ne puis presque ni recevoir les consolations que je pourrois prendre de vous voir, ni encor moins en rendre.

            Je croy aysement que ces messieurs jetteront le droit sur M. Nacot, faute de s'accorder a le payer; et luy se couvrira tout de leur refus et du pretexte d'avoir volu obeir. Mays, quel moyen d'unir les cœurs sans la charité?

            Si madame la Comtesse n'est pas partie, je vous supplie de luy donner asseurance de mon humble service, et a madame de la Croix, laquelle, a mon advis, ne sera pas sans souci de demeurer ainsy seule en l'incertitude de ses pretentions. Dieu, par sa bonté, ne permette pas que nous en ayons jamais d'autre que de le servir et aymer eternellement.

            J'auroys grand'envie de sçavoir un peu clairement le [207] fond de vostre proces, pour voir sil y auroit moyen de le terminer, affin que de ce costé la vous eussies plus de repos. Je suis sans fin, ma tres chere Fille,

                                                                       Vostre tres humble serviteur.

            XXVI may 1620.

                        A Madame

            Madame de la Flechere,

                        ma fille tres chere en N. S.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.

 

MDCLII. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon (Fragment). Bénédictions divines promises à la Sœur de Blonay

 

Annecy, vers la fin de mai 1620.

 

……………………………………………………………………………………………………...

            Laisses en vostre place nostre chere Marie Aymee; les benedictions que Dieu respand sur sa conduite a l'esgard des Novices, s'eslargiront tous-jours sur tout ce qui luy sera commis……………………………………………………………………………………. [208]

 

 

 

MDCLIII. Au Marquis Sigismond de Lans (Minute inédite). Une adresse erronée. — Nouvelle nomination faite par le marquis de Lans

 

Annecy, 29 ou 30 mai 1620.

 

            Ce porteur mesme me remit une lettre de Vostre Excellence, addressee a monsieur de la Feuge, colomnel de la ville dAnnessi; et j'ay eu peine a me resoudre si je [209] la luy envoyerois, puisque il y a long tems quil n'est plus colomnel de cette ville, monsieur de Villette l'ayant esté l'annee passee, et mon frere le Chevalier l'estant celle ci, lequel, n'estant pas a present icy, j'eusse adverti promptement d'y venir, si ce n'eut esté que, par un bruit commun, j'ay sceu que Vostre Excellence avoit donné tout le commandement et du chasteau de cette ville et des compaignies de la ville mesme a monsieur de Monthouz, en sorte que mondit frere ne semble y avoir plus rien a faire. Et neanmoins, pour ne point faillir, j'ay envoyé ladite lettre des ce matin, desireux que je seray tous-jours d'honnorer les volontés de Vostre Excellence, a laquelle souhaitant de plus en plus toute sainte prosperité,

            Monsieur, je demeure, etc.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à MM. Grosset, à Genève.

 

 

 

MDCLIV. A une religieuse. L'entrée dans la voie de la vraie dévotion et le secret pour y persévérer. — Préparation à la fête de la Pentecôte. — Le vin du Ciel, et le pain de la terre

 

Annecy, [fin mai 1620.]

 

                        Ma tres chere Fille,

            N'en doutes point, je vous ayme plus que jamais, parce que je vous voy en estat d'entrer dans cette voye d'une [210] veritable devotion qui commence a destacher son cœur de toutes les choses du monde, affin d'estre toute a Dieu et qu'il puisse absolument disposer de vous, pour n'aymer que ce que Dieu ayme, pour faire sa volonté et suivre ses conseilz, pour fuir avec un soin extreme tout ce qui le peut offencer, mortifier ses passions et regler sa vie sur les maximes de Jesus Christ, estre humble et patiente; car le grand secret pour entretenir une bonne devotion, c'est d'avoir beaucoup d'humilité. Soyes humble, et Dieu sera pour vous et appuyera vostre bonne volonté, vous donnant a luy sans deguisement et sans reserve, luy disant du fond de vostre cœur que si jusques a present vous ne l'aves pas asses bien servi, qu'il ayt la bonté de vous pardonner et fortifier dans la resolution que vous aves prise de vous destacher de toutes les affections du monde, et de ne vous attacher a rien sinon a l'amour de Dieu et, de tout vostre cœur, a le servir fidelement.

            Je veux bien encor, ma chere Fille, vous faire quelque part de ce que je viens d'escrire a la grande Mere Agnes, aux Carmelites, sur les dispositions pour bien recevoir le Saint Esprit a cette grande feste de la Pentecoste. Cet Amour increé, qui, sans esgard a ses propres advantages, s'employe par tout a chercher nostre bien, nous cachant souvent les plus belles flammes ou nous le pensions moins, a ce saint artifice pour nous engager a l'aymer de toute nostre puissance; et parce que cet amour est un don [211] gratuit de son amour, aussi devons nous le chercher de toutes nos forces. Nous ne devons pas nous troubler pour nos offences; car souvent ce divin Esprit est plus liberal de ses dons a ceux qui luy ont esté plus avares de leur cœur et de leurs affections.

            Mais, ma tres chere Fille, il faut que nous tesmoignions a Jesus Christ toute nostre confiance, avec les saintz Apostres et disciples, sur lesquelz il ne voulut pas envoyer le Saint Esprit qu'apres estre monté au Ciel. Et si vous me demandes pourquoy cela, il faut avant sçavoir que le Saint Esprit est le vin du Ciel, chez saint Bernard, qui disoit qu'au Ciel il y avoit surabondance de ce vin, je veux dire l'allegresse du Saint Esprit et la joye beatifique; mais il n'y avoit ce pain sacré de l'humanité de Jesus Christ. La terre, au contraire, avoit ce pain sacré dont elle faysoit ses delices et sa joye; elle n'avoit pas ce vin si suave et si brillant du Saint Esprit, qui devoit enivrer nos ames et les combler de joye.

            Et voyci cette admirable induction de Jesus Christ, remonstrant a ses Apostres qu'il n'estoit pas juste de garder l'humanité de Jesus Christ et de prendre encor ce vin admirable du Ciel. Il faut donq, leur dit Jesus Christ, qu'il y ait un saint commerce entre vous et les Anges: vous aures infalliblement du Ciel ce vin si puissant du Saint Esprit, en luy faysant part de vostre pain sacré qui est encor sur la terre et comme entre vos mains, c'est a dire l'humanité de Jesus Christ.

            Je croy, ma chere Fille, que c'est asses pour bien ouvrir vostre cœur a la reception du Saint Esprit, et de ces langues de feu et de flammes adorables. A Dieu, je suis tout vostre.

                                                                                  FRANÇS, E. de Geneve. [212]

 

MDCLV. A Mademoiselle Lhuillier de Frouville. Fâcheuse affaire terminée. — Que fera la destinataire de sa liberté? — Impossibilité de demeurer en l'état où elle est. — Les périls et les mortifications du mariage. — Douce violence que le Saint doit faire à sa fille spirituelle. — Ce qu'est la vie religieuse. — Réponse aux plaintes et aux appréhensions de la nature.

 

Annecy, 31 mai 1620.

 

            Or sus, au nom de Dieu, ma tres chere Fille, il est vray, Dieu veut que vous vous servies de mon ame avec une confiance toute entiere pour tout ce qui regarde le [213] bien de la vostre, laquelle pour cela il m'a rendue toute chere et pretieuse en son celeste amour.

            Vous voyla donq hors de cette fascheuse affaire, ma tres chere Fille, avec une entiere liberté que la Providence eternelle vous a donnee. Et puisque vous le connoisses ainsy, benisses du plus profond de vostre esprit cette divine douceur; et moy je l'en beniray avec vous, destinant a cela les Sacrifices tressaintz que j'offriray sur ses autelz sacrés, car plus grande action de graces ne puis je faire a la divine Majesté, que de luy presenter Celuy pour lequel et par lequel tout luy est aggreable au Ciel et en la terre.

            Mays, ma Fille, que ferons nous donq de cette liberté que nous avons? Nous la voulons, sans doute, toute immoler a Celuy de qui nous la tenons; car cette resolution est invariable, que, sans reserve ni exception quelcomque, non pas mesme d'un seul moment, nous ne voulons vivre que pour Celuy lequel, pour nous faire vivre de la vraye vie, voulut bien mourir sur la croix.

            Mays comment? en quel estat? en quelle condition de vie? De demeurer en l'estat auquel vous estes, ce seroit bien le plus aysé en apparence, mais en verité le plus difficile. Ce monde de Paris, et mesme de toute la France, ne sçauroit vous laisser vivre en paix dans ce milieu; ilz ne cesseroyent de vous pousser violemment hors des limites de la resolution que vous en auries prise. Et de se promettre une resolution si constante qu'on ne peust l'esbransler et mesme renverser, ce seroit se promettre [214] un vray miracle, en cet aage, en cette forme de visage, entre tant de subtilz advocatz et intercesseurs que le monde et sa prudence auroit aupres de vous, qui, sans merci ni relasche quelcomque, assailliroyent, qui d'un costé, qui d'autre, vostre repos; et a force d'importunités, ou de deceptions et surprises, a la fin cheviroyent de leurs entreprises et de vostre force. Et je voy bien que je ne dois rien dire de plus pour ce point, puisque vous mesme en confesses la verité et connoissesqu'ily a de l'impossibilité. Reste donq pour sujet de nostre consideration, le mariage, ou la Religion.

            Mais, ma tres chere Fille, il ne m'a pas esté besoin d'une clarté extraordinaire pour discerner auquel des deux je vous dois conseiller de vous ranger; car, ainsy que vous me le descrives clairement et que vous me l'aves des-ja fait connoistre tandis que j'avois le bien de vous ouyr parler confidemment de vostre ame a la mienne, le sentiment que vous aves contre le mariage provient de deux causes, dont l'une presque suffiroit pour se resoudre a ne s'y point engager: une puissante aversion, un degoust tout entier, une repugnance tres forte. O ma Fille, c'est bien asses, il n'en faut pas parler davantage. Helas! ces ames qui ont une inclination toute partiale pour le mariage, pour heureux presque qu'il soit, y treuvent tant d'occasions de patience et de mortification, qu'a grand peyne en peuvent elles porter le fardeau. Et comment feries vous y entrant tout a fait a contrecœur? Es autres conditions, j'ay veu cent fois de l'allegement au progres; en celle ci, jamais.

            Certes, les Apostres ayant ouy parler une fois Nostre Seigneur de l'indissoluble lien du mariage, luy dirent: Seigneur, s'il en va de la sorte, il n'est donq pas expedient de se marier? Et Nostre Seigneur appreuvant leur opinion, leur respondit: Tous ne comprennent pas ce mot; qui le peut comprendre, qu'il le comprenne. Ma chere Fille, et moy, apres vous avoir ouy parler et veu vostre lettre sur ce sujet, je vous parle hardiment et vous dis: Certes, ma Fille, puisqu'il est ainsy, il n'est pas expedient de vous marier; et bien que tous [215] ne comprennent pas, c'est a dire n'embrassent pas, n'empoignent pas cette parole, n'en entendent pas le bonheur, ne s'en prevalent pas, si est ce que, quant a vous, ma chere Fille, vous vous en pouves aysement prevaloir, vous pouves facilement atteindre a ce bien la, et comprendre et savourer ce conseil: et faites le donq. Or, je dis encor d'autant plus asseurement ceci, que je voy en vous le mariage plus perilleux qu'a une autre, a cause de ce courage pretendant que vous me marques, qui vous feroit incessamment souspirer apres les aggrandissemens et vous feroit nager continuellement dans la vanité.

            Mais cette resolution estant ainsy prise sans qu'il y ait sujet d'en avoir aucun scrupule, il est bien plus difficile de vous dire ensuite: Entres donq en Religion. Et neanmoins, il faut par force vous le dire, puisque ni les mœurs ni les humeurs de la France, ni les inclinations de vos parens, ni vostre aage, ni vostre mine ne vous sçauroyent permettre de demeurer comme vous estes. Je vous dis donq ainsy, par force: Ma Fille, entres en Religion; mais en vous le disant, je sens une secrette suavité dans cette force, qui fait que cette force n'est point forcee, ains douce et aggreable. Les Anges contraignirent le bon homme Lot, et sa femme, et ses filles, et les empoignerent par la main, et de force les tirerent hors de la ville; mays Lot ne treuve point de violence en cette force, ains il dit qu'il connoist bien qu'il est en leurs bonnes graces. Et Nostre Seigneur commande en sa parabole a son serviteur: Contrains les d'entrer; et pas un de ceux qui furent contraintz ne dit: Laisses moy, vous me blesses. Je suis forcé et contraint de dire a ma Fille: Entres en Religion; mais cette contrainte ne fasche point mon cœur.

            O ma Fille, parlons un peu cœur a cœur ensemble. Penses vous que Dieu donne tous-jours la vocation de la Religion, ou bien de la parfaite devotion, selon les conditions naturelles et les inclinations des espritz qu'il appelle? Non certes, ma Fille, ne croyes pas cela: la vie religieuse n'est pas une vie naturelle, elle est au dessus de la nature, et faut que la grace la donne et soit l'ame de cette vie. Il est vray que la Providence souveraine se [216] sert maintes fois de la nature pour le service de la grace, mais il s'en faut bien que ce soit tous-jours, ni presque tous-jours.

            Celuy qui crioit si lamentablement: Le bien que je veux, je ne le fay pas, mais le mal que je ne veux pas est en moy; c'est a dire: En ma chair n'habite pas le bien; car le vouloir est attaché a moy, mais je ne treuve point le moyen de le parfaire. Helas! pauvre miserable que je suis, qui me delivrera du cors de cette mort? La grace de Dieu par Jesus Christ; ou bien: Je rens graces a Dieu par Jesus Christ. Donq, moy mesme je sers a la loy de Dieu en mon esprit et de mon esprit, et a la loy du peché en ma chair et de ma chair; celuy la, dis je, monstroit bien que sa nature ne servoit guere a la grace, et que ses inclinations n'estoyent guere sousmises aux inspirations. Et neanmoins, c'est un des plus parfaitz serviteurs que jamais Dieu ayt eus en ce monde, et lequel en fin fut si heureux que de pouvoir dire en verité: Je vis moy, mais non plus moy, ains Jesus Christ vit en moy, apres que la grace eut assujetti la nature et que les inspirations eurent subjugué les inclinations.

            Ma Fille, ces craintes de treuver des Superieures indiscrettes et ces autres apprehensions que vous m'expliques si fidelement, tout cela s'esvanouira devant la face de Nostre Seigneur crucifié, que vous embrasseres cordialement. Vostre esprit genereux de la generosité du monde, changera de force, et se rendra genereux du courage des Saintz et des Anges. Vous verres la niayserie de l'entendement humain en ses discours, et vous vous en mocqueres. Vous aymeres la parole de la Croix, que les payens ont tenue pour folie, et les Juifs pour scandale; et laquelle a nous, c'est a dire a ceux qui sont sauvés, est la sagesse supreme, la force et vertu de Dieu.

            Mais, ma Fille, voyci un adoucissement bien grand de ce conseil si absolu, et, ce semble, si rigoureux. Vous estes riche; la vingtiesme, ou peut estre centiesme partie de vos moyens suffiroit pour vous rendre fondatrice d'un [217] Monastere, et en cette qualité la vous auries un gratieux moyen de vivre religieusement hors la presse du monde, en attendant que l'usage, la consideration et l'inspiration donnast le dernier courage a vostre cœur et le dernier comble a vostre resolution, pour estre tout a fait Religieuse. Ainsy vous tromperies finement vostre nature et attraperies vostre cœur subtilement. Oh! vive le Sauveur a qui je suis consacré! que cet advis ne regarde que vostre ame, et n'a nulle mire ni a droitte ni a gauche, que vostre paix et repos.

            Et ce pendant pries Dieu, ma tres chere Fille; humilies vous, destines vostre vie a l'eternité, releves vos intentions, purifiés vos pretentions, penses souvent qu'un seul petit profit en l'amour de Dieu est digne de grande consideration, puisqu'il aggrandira nostre gloire a toute eternité. En somme, vostre esprit, et ce que Dieu a fait pour vous avoir a luy, et mille considerations, vous appellent a une non vulgaire generosité chrestienne. Je vous conseille d'avoir confiance en la bonne Mere de la Visitation comme a moy mesme, car elle vous servira fidelement.

            Or, je suis sans fin ni reserve,

                                                                       Vostre tres humble et invariable serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 31 may 1620. [218]

 

MDCLVI. A M. Antoine de Pignier de Fontany (Fragment inédit). Prière au destinataire de régler les affaires qui retardent la Profession de sa sœur.

 

Annecy, [juin] 1620.

 

……………………………………………………………………………………………………

            Les Seurs de la Visitation m'ont voulu rendre quelque compte de l'estat de leur Monastere, ou, entre autres choses, j'ay treuvé a dire en ce que la bonne Seur Jeanne Marie vostre seur, est tous-jours novice, y ayant si long tems que son annee de probation est passee. Et parce que elles m'ont allegué………….estant ainsy…………….ce qui est requis de vostre part pour sa Profession, j'ay pensé, Monsieur, que vous me sçauriés [219] gré si je vous priois de vouloir contribuer a cette bonne œuvre le soin qu'une bonne seur doit attendre d'un bon frere, et contribuer a l'indemnité de ce Monastere qui, ce pendant, entretient tous-jours cette fille et la fait traitter en ses maladies si frequentes, sans en avoir rien.

            C'est pourquoy, Monsieur, je vous escris ces quatre lignes, que je finis en me disant,

            Monsieur,

                        Vostre serviteur plus humble et plus affectionné,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            ……..Annessi.

 

Revu sur une copie conservée à la Visitation d'Annecy.

 

MDCLVII. A M. Guillaume de Bernard de Foras. Permutation probable de François de Sales et de son frère. — Un esprit qui aurait besoin de mûrir. — Annonce d'une lettre à la Mère de Chantal

 

Annecy, 2 juin 1620.

 

                        Monsieur mon tres cher Frere,

            Je ravis ce moment pour vous saluer tres humblement, et madame ma tres chere Seur, ma fille, et vous affirmer que tout ce qui vous appartient icy se porte bien, et, comme je pense, encor a Turin, ou, ainsy que je voy, nostre commun frere arrestera encor un moys ou six semaines, affin de rendre quelque bon service a Madame apres son sacre, et que, revenu icy, je puisse aller la en sa place.

            Ce porteur est tous-jours luy mesme. Si l'air de Paris pouvoit un peu meurir son esprit, ce luy seroit un [220] grand bonheur. Il m'a grandement vanté l'honneur qu'il dit avoir de vostre bienveuillance; ce seroit bien la plus advantageuse qualité qu'il peust posseder. Si Monsieur luy fait du bien (et mesme il [y] pretend), peut estre s'assujettira-il plus qu'il n'a fait jusqu'a present a mieux vivre.

            Voyla tout, car, pressé que je suis, je differe d'escrire a la bonne Mere de Chantal jusqu'a vendredi ou samedi, que je pourray prendre plus de loysir. Que si vous aves aggreable de [le] luy faire sçavoir, elle en sera consolee.

            Aymes moy tous-jours, s'il vous plait, et vous en supplie tres humblement, Monsieur mon Frere, et croyes qu'a jamais je seray

                                                           Vostre tres humble frere et serviteur,

                                               et de Madame ma chere Seur, ma fille,

                                                                       FRANÇS, E. de Geneve.

            Je vous supplie de treuver bon que je salue en ce petit bout de lettre monsieur et madamoyselle Rousselet.

            Le 2 juin 1620, Annessi.

A Monsieur de Foras.

            A Paris. [221]

 

MDCLVIII. Au Chanoine Jean-François de Sales, son frère. Double raison de rendre service à M. Roero. — Un canonicat prochainement vacant. — Les talents et qualités d'un futur aumônier de Mme Royale. — Incapacité de beaucoup de prétendants à ce poste. — Comment faire réussir un désir de M. et de Mme de Cornillon. — Envieux et victorieux. — Une réponse embarrassante. — Affaires de Ripaille et de la Sainte-Maison. — Coupable qui ne veut pas reconnaître ses torts. — Désir de François de Sales de favoriser les prétentions de M. de Longecombe; difficultés qu'il y rencontre. — Quelques nouvelles.

 

Annecy, 2 juin 1620.

 

            Voyla monsieur de Roüer qui va pour les proces que sa mayson a en ce pais-la. Outre le double lien d'alliance que nous avons avec luy, la grand'assistence que madame de Brescieu fit a feu mon frere, ainsy que mon frere le Chevalier m'a raconté, nous oblige a le servir es occurrences.

            Il vous dira comme M. Fornand s'en [va] aujourdhuy, ou demain au plus tard, pour suivre la voye de toute chair. Troys ou quatre se presenteront pour le canonicat, entre lesquelz, ce me semble, M. Ducrest, qui est [222] docteur, est tout a mon gré et pour l'exterieur et pour l'interieur; mais je ne sçai ce que messieurs du Chapitre feront.

            Pour avoir un aumosnier de Madame, j'ay jetté les yeux sur M. le Prieur de Mesme, tout reformé, qui a bien estudié, qui parle bien, a tres bonne mine et a des moyens, et qui, a mon advis, tiendra fort bien cette place, et nous en sera obligé et toute la ville de La Roche. Je ne sçai pourtant pas encor s'il le voudra, mais je le sçauray bien tost. Son grand pere estoit noble, c'est a dire le fut fait; et si, il n'est point boyteux ni pointilleux. Je le fis deputé du clergé au Sinode, et despuis surveillant du quartier, dequoy il m'a sceu tant de gré que je pense quil merite d'estre avancé; outre que je ne sçai ou jetter ma veüe, tous nos ecclesiastiques de bonne naissance estans ou tarés au cors et au maintien, ou de peu d'intelligence, ou trop vieux, ou sans talent pour cette charge en laquelle nostre Maistresse veut avoir des gens de bonne sorte.

            Or, quant a M. Favre, je croy quil se contentera [223] d'avoir lhonneur et le tiltre sans aller au service, messieurs ses freres s'estant accordés a le luy persuader. Pour celuy qui est a Paris, en verité il auroit bien tous les autres talens, mais je croy que la constance lui manquerait, et seroit dans peu de tems dans une dangereuse liberté qui lui serviroit de reproche, et a nous, le passé nous ayant asses appris ce qui se doit presager pour l'avenir. Mais nous acheminons le plus que nous pouvons l'eschange de son benefice avec un autre qui est possedé par un autre changeant, affin quil puisse revenir; et le tems nous fera sages.

            Mon frere et ma seur de Cornillon ont un desir extreme que M. le curé de Regnier venant a mourir, comm'il semble quil doive faire dans peu de jours, M. François Baudri, qui est maintenant vicaire, leur voysin, et qui a plusieurs bonnes petites conditions, eut la nomination, estimans que le bon M. Pergod, qui est procureur de M. Argentier, en nommeroit peut estre quelqu'autre. Pour [224] cela, sil se peut bonnement, il faudroit prier mondit sieur Argentier de faire une lettre a moy, par laquelle, en cas que ledit messire François se treuvast capable et desiré par les parroissiens, on le preferast; attendu que despuis plusieurs annees en ça il fait effectivement la charge de curé, exhortant, administrant les Sacremens et cathechisant, et en somme suppleant le devoir du curé qui, a cause de son mal, ne le peut faire.

            Quand vous desireres M. Rollant et maistre Nöé, vous les aurés.

            J'ay veu la lettre de M. Beybin, qui ne m'a point estonné; au contraire, je l'eusse esté extremement si, estans Savoyars et gens de bien, nous n'eussions point esté enviés en une si heureuse faveur de nos Princes. La victoire demeure a ceux qui tiennent la place, et faut demeurer en paix.

            J'ay receu la lettre de Son Altesse, par laquelle elle me commande ne rien mouvoir au fait de M. Perret jusques a ce que je luy aye donné advis de ce qui m'en semble. Or, ne sçai qu'escrire, sinon que si Son Altesse veut continuer le dessein d'employer ces prebendes pour Thonon et Evian, ou la Bonneville, il faut qu'elle les treuve vacantes, et que l'on face solliciter a Rome tout [225] ce quil faut pour faire reuscir le projet. Je m'essayeray donq d'en escrire aujourdhuy a sadite Altesse; mays elle ne m'entendra pas si Monseigneur le Prince ne luy remet en memoire le sujet.

            O mon Dieu, quel bonheur si on peut restablir le service de sa divine Majesté en toutes ces provinces! Mays pour Ripaille et pour la Congregation de Thonon, il n'est pas grand besoin que de l'authorité de Son Altesse; car en l'un il ny a personne, et en l'autre on ne change rien, la Bulle de Clement ordonnant que cette Congregation soit des Prestres de l'Oratoire. Et quant a la commission que Monseigneur le Nonce a pour la visite de la Sainte Mayson, s'il ne l'envoye, tous-jours faudra-il que Son Altesse en soit advertie; car cette Mayson depend tellement des bienfaitz de sadite Altesse, que, sans le concours de son authorité, malaysement pourroit on rien faire effectivement. Il seroit donq besoin que l'on sceut ad quos fines ladite commisson tend, et en communiquer avec Monseigneur le Prince; que si il le treuvoit bon, on pourroit par apres me l'envoyer, et je l'executerois selon la necessité ou utilité.

            J'ay un desir extreme de servir monsieur Pernet, mesme en la mauvaise affaire que son cousin a avec [226] ce soldat; et y ay des-ja mis la main par l'entremise de monsieur de Mesme, qui a fort heureusement gaigné sur ledit soldat quil se contentera de ses despens, la difficulté n'estant plus que sur la quantité, laquelle je voy estre fort grande par la liste que j'en ay tiree, et delaquelle, si je ne puis maintenant, au premier jour je vous envoyeray copie. Et ce qui m'oste encor plus l'esperance de pouvoir servir monsieur Pernet en son desir, qui est digne de luy et du soin charitable quil a de ceux qui luy appartiennent, c'est que son cousin, M. le chanoyne, a ses apprehensions si fortes, qu'il croid que sa partie a grand tort et luy en doit de reste; combien que m'estant enquis le plus que j'ay peu de la verité, je treuve que c'est tout au contraire, et que ledit sieur chanoyne Pernet a excedé fort scandaleusement, et que le bon M. Rogex l'a traitté avec un respect duquel la partie a grandement a se plaindre. Mays qui le luy pourra persuader? En somme, je m'essayeray en cett'occasion de tesmoigner a monsieur Pernet que ses recommandations ont tout pouvoir sur moy.

            Vous pouves penser de quell'affection j'honnore monsieur de Pezieu, et comme je regarde en verité toute [227] cette mayson la tout ainsy que si j'avois le bien d'estre l'un des freres. Certes, j'estimerois madamoyselle de Beaufort l'une des plus heureuses femmes du monde, si ell'estoit mariee avec luy. Mays il ny a moyen de le servir en cela par lettres; car d'un costé, je suis engagé des il y a long tems pour M. de Saint Agné, frere de monsieur de Lucei, et d'autre part je sçai que les lettres n'ont nul pouvoir sur l'esprit de cette damoyselle, qui est si pleine de considerations qu'il faut parler, et de presence l'esclarcir des repliques que son esprit luy fournit. Je verray neanmoins de quel biays je pourray prendre quelque occasion de servir ce cher frere, utilement et [228] efficacement, par l'entremise de mes amis et par toute sorte de bons offices. Mays je vous suplie, faites quil me pardonne si je ne luy escris pas pour ce coup, car je n'en puis plus.

            M. de Granier l'aisné me prie pour sa verrerie. J'ay receu le paquet du P. General des Feuillans. Nous attendons nos Peres Barnabites et M. le premier President pour ces festes. Nostre Seur Marie pourra venir quand il luy plaira. Hier la tres bonne Mme de Granieu arriva, et sera icy ces deux jours suivans; ce n'est pas sans parler de vous avec affection.

            Dieu, par sa bonté, vous conserve, mon tres cher Frere, mon ami.

            2 juin 1620. [229]

            M. de Brescieu a desiré que le curé de Bellecombe l'accompaignast, et je n'ay pas eu grande difficulté a le luy accorder, car, jusques a ce que ce curé change d'humeur, son absence sera plus utile que sa presence.

                                   A Monsieur

Monsieur de Boysi, premier Aumosnier de Madame,

J'ay parlé a M. de Mesme qui prend a grand honneur ma pensee,

et je le treuve tous-jours plus a mon gré.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Turin.

 

 

 

MDCLIX. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. A quoi employer les prébendes de Contamine

 

Annecy, 2 juin 1620.

 

                        Monseigneur,

            Vostre Altesse, qui m'avoit commandé de faire recevoir le neveu du sacristain Perret a Contamine,.me commande par un'autre lettre de ne le point faire jusques a ce que je luyaye donné mon advis. Et partant, Monseigneur, je supplieray Vostre Altesse de se resouvenir de l'heureux dessein qu'ell'a d'employer les praebendes de ce prieuré-la pour l'establissement des lectures de theologie et du Novitiat des Peres Barnabites, puisque il est si malaysé [230] de mettre la reforme en un Heu ou il ny a pour encor aucun sujet capable de l'introduire, et tout a fait destitué de bastimens.

            Et sur cela, Vostre Altesse me favorisera de ses commandemens, que j'attendray et recevray avec l'obeissance que je luy doy,

            Monseigneur, comme

                                   Son tres humble, tres obeissant et tres fidele

                                                           orateur et serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            2 juin 1620, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat.

 

 

 

MDCLX. A la Comtesse de Rossillon (Inédite). Une supplication que la destinataire est priée d'appuyer. — La vocation à l'état ecclésiastique doit procéder de libre volonté.

 

Annecy, 2 juin 1620.

 

                        Madame,

            Voyla donq la lettre que j'escris a Monseigneur le Prince Cardinal ensuite du desir de Monsieur le Prothonotaire du Laurey, qui n'est guere moins mon frere que le vostre en mon affection; mays vostre parole animera ma supplication affin qu'elle reuscisse.

            Ce pendant, vives tous-jours, Madame, joyeuse, devote et heureuse, avec le contentement de voir vostre nouveau filz, auquel je souhaite, certes de tout mon cœur, beaucoup de benedictions. [231]

            Monsieur vostre frere le plus jeune m'a grandement tesmoigné de ne vouloir nullement estre ecclesiastique, non seulement par sa façon de vivre, mais par la priere quil m'a faite de supplier madame sa mere d'avoir aggreable qu'il en quitte la robbe. C'est dequoy j'escris donq la ci jointe; et m'est advis que l'on n'aura que du desplaysir si on le veut porter a contrecœur en une vocation en laquelle il faut tant de bonne volonté. Favorises-le donq encor de vostre intercession pour cela, Madame, et moy, de vostre bienveuillance continuelle, puis que continuellement je suis

                                                                       Vostre tres humble parent et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            2 juin 1620.

                        A Madame

Madame la Comtesse de Rossillon.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Wilmington (Etats-Unis).

 

MDCLXI. Au Chanoine Jean-François de Sales, son frère (Inédite). Contradictions au sujet des Bulles du futur Evêque de Chalcédoine. — Pourquoi le Saint n'a pu accepter de prêcher le Carême à Lyon. — Salutations et nouvelles. — Quelqu'un qui veut être du voyage de Rome pour entretenir à loisir François de Sales

 

Annecy, 6 juin 1620.

 

            Et moy, mon tres cher Frere, il faut bien que je corresponde et que j'escrive le plus que je pourray. Je croy que ce petit ahurtement (que l'on mette dans vos Bulles: «la nomination de Son Altesse») ne sera pas de duree, puisque [232] on ne l'a jamais mis. Et de dire que monsieur le Comte de Verrue ayt conillé pour obtenir plus aysement le chapeau, c'est chose impertinente; car mes Bulles furent expediees en un tems auquel monsieur l'Abbé Scaglia estoit si jeune, ou plustost si enfant, que son pere ne pouvoit avoir cette pensee. Il faut attendre en patience, et deux ni trois moys ne sont pas considerables sur une affaire de telle qualité.

            Je voy bien le voyage de Rome incertain, mais il ny a pas moyen de mesnager entre la volonté de Son Altesse que je le face, en cas quil se face, et la qualité de la chaire de Lyon qui ne peut demeurer en attente d'estre prouveue; de sorte que j'ay fait mes excuses.

            Je salue infiniment madame de Saint George, que j'honnore sans fin, et la signora Donna Genevra, ma tres chere fille. Item, nostre frere le bon P. D. Juste, duquel j'attens des nouvelles par nos Peres Barnabites au premier jour.

            Nous attendions M. le premier President pour ces festes, mais son indisposition nous a privés de ce bien jusques a [233] ce quil ayt plus de santé. Vous aures sceu la blesseure du sieur Bonfilz, qui est grande a ce qu'on dit, mais je ne croy pas quil en ayt autre chose que le mal.

            J'escris a madame la Comtesse de Rossillon a qui monsieur de Lauré, que nous vismes a Paris, a despeché ce laquay sur le voyage de Rome, desirant estre du train de Monseigneur le Cardinal. C'est un homme admirable en l'amour quil me porte, et l'affection quil a de m'entretenir pendant le voyage luy donne de la peine. Or, il escrit donq sur ce sujet, dont vous n'aures a faire autre semblant.

            Nous attendrons Seur Marie; quand elle viendra nous en serons consolés. Toute nostre mayson se porte bien. Le Pere Fichet vient faire les praedications de ces festes. Je suis parfaitement joyeux des bons deportemens de mon neveu et des contentemens que monsieur l'Abbé a donné de ses deportemens. J'ay parlé a monsieur le Prieur de Mesme, qui se sent obligé et desire grandement lhonneur; et ne croy pas que nous puissions mieux rencontrer, tant pour la mine que pour le jeu. [234] J'envoyay hier le P. Chavasse en Bornand, pour cette quinzaine en laquelle ilz gaignent le Jubilé.

            Mays voyla nos messieurs du Chapitre qui me viennent prendre pour Vespres. Je suis donq

                                                                                              Vostre tres humble frere.

            La veille de Pentecoste 1620.

            Je salue infiniment madame de Sarsenasq et nos autres dames, et monsieur du Chatelard. Le bon monsieur Fornand mourut le 3 de ce moys.

                        A Monsieur

            Monsieur de Boysi,

                        premier Aumosnier de Madame.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Palerme (Sicile). [235]

 

MDCLXII. A la Mère de Bréchard, Supérieure de la Visitation de Moulins. Prochain départ de quelques Sœurs pour Moulins, Paris, Orléans. — Une lettre qui mettrait l'Evêque «bien en peine.» — Avis sur les Règles de saint Augustin. — Les monastères des Filles de la Visitation en voyage. — On ne peut faire la Profession avant la fin de l'année du noviciat

 

Annecy, 9 juin 1620.

 

            Ainsy que ces bons Peres me venoyent dire a Dieu, j'ay receu vostre lettre, ma tres chere Fille, du 22 may, a laquelle je respons vistement.

            L'obedience de Monseigneur de Lyon suffira pour toutes, puisque vous estes sous sa direction et authorité maintenant; car, quant a mon consentement, vous l'aves des-ja. Nous ferons partir nos Seurs au plus tost, mais non pas, a l'aventure, si tost que vous desireries; car nous n'en voudrions pas faire deux trouppes, et il en faut pour Paris, et Orleans encores. Mays vous seres si proches, que quand vous series contrainte de partir avant l'arrivee de celle qu'on y envoyera pour Moulins, vous la pourres [236] bien instruire, outre que ma Seur de Chatelut soustiendra bien pour un peu.

            J'escriray pour M. le General si tost que je pourray, et au moins par la Seur qui ira-la, laquelle nous voudrions estre grandement excellente; mais il est malayse d'en treuver de telles. Je seray bien en peine si M. le Mareschal de Saint Gerand m'escrit, ce quil n'a pas fait jusques a present; Dieu me donnera la response, s'il luy plait.

            Les Regles sont imprimees a Lyon, et croy que nos Seurs de Lyon en ont quantité de copies. Il y a mille fautes, et sur tout celle la de la fin, ou, en lieu d'Approbation, on a mis Epilogue. Encor qu'es Regles de saint Augustin il y en ayt qui ne sont pas pour ce tems, il ny a point de danger de les lire, tant pour la reverence du Saint, que pour les bonnes consequences qu'on en peut tirer.

            Sil est possible, faites vous porter en carosse jusques a la porte de vostre monastere a Nevers; et quoy qu'on vous aille au rencontre, ne descendes pas, et vous excuses sur ce que la barque sur l'eau, ou le carrosse sur terre sont vos monasteres portatifz. Je ne croy pas qu'on vous [237] y veuille faire des ceremonies; mays si on le veut, vous feres la guerre a l'œil, et l'esprit de conseil vous enseignera ce qui sera requis.

            Je vous envoyeray le Formulaire de la reception au Noviciat par la premiere commodité.

            O ma Fille, il ny a pas moyen d'escrire davantage, non pas mesme a ma tres chere grande fille de Paris, a laquelle neanmoins je dis icy qu'il faut qu'elle ne desire plus la Profession avant l'annee, par ce que cela est impossible. Elle sera asses professe, puisque elle sera si devote et resignee, comme j'espere, et que par son entremise tant de filles parviendront a la veritable devotion.

            IX juin 1620, Annessi.

                        A ma tres chere Seur en N. S.,

            Ma Seur Jane Charlotte de Brechard,

                        Superieure de la Visitation.

                                   A Ste Marie de Moulins.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le comte Allard du Chollet, à Paris.

 

 

 

MDCLXIII. A Madame des Gouffiers. Perplexité au sujet d'une âme. — Les tendances d'esprit et de caractère qui lui rendraient périlleux le séjour dans le monde; aversion qui l'éloigne de la vie religieuse. — Quel état mitoyen elle peut embrasser. — Souvenir attristé d'un temps de ferveur. — Les procès, «tres mauvaise occupation.» — Etre pauvre plutôt que de s'enrichir par cette voie.

 

Annecy, 9 juin 1620.

 

            Cet aymable esprit que j'ay veu en vous quelques moys durant, tandis que vous esties en cette ville, ma tres chere Fille, ne reviendra il jamais dans vostre cœur? [238] Certes, quand je voy comme il en est sorti, je suis en grandeperplexité, non devostre salut, car j'esperequevous le feres tous-jours, mays de vostre perfection, a laquelle Dieu vous appelle et n'a jamais cessé de vous appeller des vostre jeunesse. Car, je vous prie, ma tres chere Fille, comme vous pourrois je conseiller de demeurer au monde? Avec ce tres bon naturel que veritablement je connois en vous dans le fond de vostre cœur, mays accompaigné d'une si forte inclination a la hauteur et dignité de vie, et a la prudence et sagesse naturelle et humaine, et de plus, d'une si grande activité, subtilité et delicatesse d'entendement, que je craindrois infiniment de vous voir dans le monde! n'y ayant point de condition plus dangereuse en cet estat-la que le bon naturel environné de telles qualités; auxquelles si nous adjoustons cette incomparable aversion a la sousmission, il n'y a plus rien a dire, sinon que, pour aucune consideration, quelle qu'elle soit, il ne faut pas que vous demeuries au monde.

            Mais d'ailleurs, comme pourrois je vous conseiller d'entrer en Religion, tandis que non seulement vous ne le desires pas, mais aves un cœur tout a fait contrariant a ce genre de vie?

            Il faudra donq chercher une sorte de vie qui ne soit ni mondaine ni religieuse, et qui n'ayt ni les dangers du monde ni les contraintes de la Religion. On pourra bien, ce me semble, obtenir que vous puissies avoir l'entree en quelque Mayson de la Visitation, pour vous recueillir souvent en cette façon de vie, et que neanmoins vous n'y demeuries pas attachee, ains ayes un logis proche pour vostre retraitte, avec la seule sujetion de quelques exercices de devotion propres a vostre bonne conduitte; car ainsy vous aures la commodité de contenter vostre esprit, qui hait si estrangement la sousmission et liayson a l'obeissance, qui a tant de peine a rencontrer des ames faites a son gré, et qui est si clairvoyant a treuver les a dire et si douillet a les ressentir.

            Oh! quand je me remetz en memoire le tems heureux auquel je vous voyois, a mon gré, si entierement despouillee de vous mesme, si desireuse des mortifications, [239] si fort affinee a l'abnegation de vous mesme, je ne puis que je n'espere de le revoir encor.

            Quant a vostre sejour, je vous en laisse le choix; pour le mien, je croy qu'il ne sera qu'en ce païs-la, apres le voyage de Rome dont je seray de retour a Pasques ou environ, si je le fay. Mais pourtant, faites un bon choix de lieu ou vous puissies estre bien assistee.

            Puisque vous le voules, je traitteray avec monsieur N. O Dieu, que je desire ardemment et invariablement que vos affaires se passent sans proces! car en somme, l'argent que vos poursuites mangeront vous suffira pour vivre et, en fin de cause, qu'y aura il de certain? Que sçaves vous que les juges diront et determineront de vostre affaire? Et puis, vous passeres vos meilleurs jours en cette tres mauvaise occupation, et vous en restera peu pour estre employés utilement a vostre principal objet; et Dieu sçait si, aprrs un long tracas, vous pourres ramasser vostre esprit dissipé, pour l'unir a sa divine Bonté. Ma Fille, ceux qui vivent sur la mer, meurent sur la mer: je n'ay guere veu de gens embarqués dans les procrs, qui ne meurent dans cet embarras. Or, voyes si vostre ame est faite pour cela, si vostre tems sera dignement destiné a cela: je veux dire, prenes M. Vincent, examines bien avec luy toute cette affaire et coupes court. Ne veuilles pas estre riche, ma tres chere Fille; ou du moins, si vous ne le pouves estre que par ces miserables voyes de proces, soyes pauvre plustost, ma tres chere Fille, que d'estre riche aux despens de vostre repos.

            Vous devies faire hardiment vostre confession generale, puisque vous ne pouvies accoyser vostre conscience autrement, et qu'un docte et vertueux ecclesiastique vous le conseilloit. [240]

            Mays il ne m'est pas loysible d'escrire davantage, ravi par les affaires, pressé par le depart de ce porteur. Dieu soit au milieu de vostre cœur. Amen.

            Le 9 juin 1620.

 

MDCLXIV. Au Chanoine Jean-François de Sales, son frère. Entreprise à l'avantage de Son Altesse, proposée par Louis de Sales. — Comment préparer doucement la réalisation du projet d'Antoine Favre pour son fils. — Les qualités du président de la Valbonne. — Nouveau prétendant à la charge d'aumônier de la princesse de Piémont. — Bien qui résulterait de l'élection de Jean-François au doyenné de Notre-Dame. — Cinq cents écus qu'on n'arrive pas à retirer. — Le Monastère de Turin et les fondations de France. — Une traduction de Philothée. — Grande alarme parmi les Religieuses non réformées du diocèse de Genève. — Prédicateur de grandissime talent

 

Annecy, vers le 10 juin 1620.

 

            Vous verres, par la lettre et le memoire de nostre frere, la proposition qu'il desire estre faite a Son Altesse ou a Monseigneur le Prince. Or, il a une grande esperance que, par ce moyen, il rendra un bon et fructueux service a la coronne, car ceux qui entendent en l'affaire l'asseurent qu'ell'est fort bonne et digne d'estre entreprise. Pour moy, je le desirerois bien fort, et croy que Son Altesse n'ayant rien a delivrer presentement, ni mesme a l'advenir, ains seulement a authoriser maintenant l'entreprise et tirer a l'advenir presque tout le fruit de ce travail, elle accordera volontier ce qu'on demande; dequoy ce garçon apportera response, puisqu'il va expres pour cela. [241]

            Monsieur le premier President voyant que sa jambe ne luy pourra guiere meshuy permettre d'aller aux audiences, avoit fait une pensee de supplier Son Altesse de vouloir donner son office a son filz, M. de la Valbonne, qui l'exerceroit des a present et sans autres gages que ceux quil a, pendant la vie de son pere, apres laquelle il succedast aus gages comm'a l'estat. Or, pour parvenir a cela, il seroit requis d'user de praeparatifz, en quoy vous pouvés obliger l'un et l'autre es occasions; comme seroit de faire naistre des propos parmy lesquelz vous puissies, par ci parla, jetter dans l'esprit de Leurs Altesses et de Madame les conceptions suivantes:

            Que M. le premier President est le plus grand jurisconsulte de ce tems, et que c'est dommage quil ne puisse plus si aysement meshuy prononcer les arretz et se treuver a toutes occasions comm'il faysoit; que sa maladie luy donne egalement cette incommodité et presque asseurance de longue vie, puisque elle le decharge des humeurs peccantes; que c'estoit une belle chose, es occurrences, de le voir haranguer et representer le Senat. Puys, que M. de la Valbonne paternise en cela, qu'il est grandement conscientieux; quil harangue heureusement et fait fort bien toutes sortes de complimens; qu'il preside merveilleusement bien et prononce avec beaucoup de grace les arrestz; quil est fort docte; qu'il a esté dix ans au Senat, trois ans juge mage et trois ans President icy, et que, par ces degrés, il s'est acquis une grande habitude a bien distribuer la justice; quil a environ 38, aage de maturité et propre pour rendre beaucoup de service. Et ainsy semblables choses, lesquelles sont fort veritables; de sorte que, sans doute, il ny en [a] pas un au Senat qui peut mieux [242] succeder que luy; car les uns sont si vieux quilz n'en peuvent plus, les autres sont bas de naissance et fort peu bien disans, les autres n'ont pas tant d'estude ni tant d'habilité. En somme, toutes choses bien considerees, il ny en a pas un qui, a tout prendre, puisse mieux, ni certes si bien reuscir en cette charge; car, a ce qu'on me dit, monsieur de Montouz est desiré en la Chambre, et ne veut pas prsetendre ailleurs pour encor.

            Or, tout cela doit estre discretement, sagement et dextrement semé, comme pour praeparatoire et disposition, es occurences; et M. le Premier espere que monsieur le Marquis de Valromey contribuera bien a cet effect de son costé, et partant vous pourres bien en conferer avec luy, mays il faut tenir le tout fort secret. Puis, M. le President estant icy, ou il espere tous-jours de venir bien tost, il prendra resolution de ce quil aura a faire, et sur tout si vous me faites sçavoir sil y pourroit avoir de l'apparence.

            Je treuve M. le Prieur de Mesme fort a mon gré, propre, bonne mine, bon langage et bon esprit, et des [243] moyens suffisans pour honnorer l'office. Monsieur l'Abbé, que j'ay treuvé fort refait et façonné, m'a grandement prié de vous recommander M. le Prieur Curtet, que son pere et ses parens desireroit (sic) grandement voir aumosnier de Madame; si donq vous le jugés a propos, ce seroit bien fait de leur procurer ce contentement.

            Ces messieurs de Nostre Dame ont, par commune conspiration, un grand desir que vous accepties le doyenné, estimans quilz ne sçauroyent mieux relever leur eglise. Leur desir ne peut nuire, et qui pourroit transporter nostre eglise en la leur, par les moyens et avec les articles convenables, selon qu'on en a parlé ci devant, non seulement je ne verrois point d'inconvenient en cela, mais j'y treuverois beaucoup de bien; car, comme Doyen, vous gouverneries l'un des Chapitres; comme Chantre, le chœur de l'un et de l'autre uni, et comm'Evesque, tous deux et tout le clergé de la ville, parmi lequel on pourroit faire renaistre toute sorte de bonne discipline; et vostre canonicat pourroit estre donné a mon neveu. Mays ce [244] que je vous dis n'est que pour sçavoir vostre pensee sur cette proposition, car ce pendant M. le Doyen achevera son noviciat.

            Je suis grandement en peine des parroisses d'Armoy et Draillens pour lesquelles on ne sçauroit avoir un liart, et ceux qui les servoyent, acablés de pauvreté et de dettes dont je suis respondant, se sont retirés par force. Monsieur le President d'Hostel, qui me tesmoigne de l'amitié autant que jamais, me dit qu'a l'advenir on sera payé annee par annee, mais que pour le passé il faut treuver quelque moyen, que pourtant il ne void pas. Si vous voyes lieu d'en parler a propos j'en seray bien ayse, car Monseigneur le Prince m'a tous-jours asseuré quil vouloit que nous fussions payés; et c'est merveille que cinq cens escus coustent tant a retirer en un sujet si plein de justice et de pieté.

            J'ay bien envie de sçavoir que deviendra le Monastere de Turin, encor que je sois bien ayse que ce retardement donne loysir a ma Seur Favre de fonder celuy de Clermont, et a Mme de Chantal celuy d'Orleans et de Nevers. Nous avons esté contraint de destiner Mme de [245] Monthouz a Moulins pour y estre Superieure, par ce que M. Grandis dit que si elle ne changeoit d'air elle mourroit dans peu de semaines, comm'ell'a pensé faire ces jours passés, et l'office de Maistresse des Novices occupoit trop son esprit, qui se portera mieux des affaires exterieures.

Nous verrons si Mme la Signora Donna Genevra, ma tres chere Fille, viendra. Je voudrois bien, pour le service de Leurs Altesses et de nostre Maistresse, que Mme de Saint George arrestast encor quelques annees.

            Voyla un livre de l'Introduction en françois; le P. Antoniotti l'a bien mieux traduit qu'on n'a pas fait a Rome.

            J'attens de sçavoir des nouvelles de nostre P. General des Feuillens, comm'aussi de nostre monsieur l'Abbé d'Abondance, selon l'advis que vous m'aves donné de son affaire, que je luy ay fidelement envoyé. O mon Dieu, que Monseigneur le Serenissime Prince aura de benedictions si la reformation se fait! Toutes ces bonnes Religieuses sont alarmees de ce que M. l'Abbé de [246] Ceyserieu a dit a son retour qu'on les vouloit regler; les unes veulent prevenir en apparence, mays n'ayant pas des Superieurs reformés, je ne sçai comme elles pourront faire. Ce sont des tentations parfumees.

            Nous avons eu icy le P. Alexandre Fichet ces festes de Pentecoste, qui a des grandissimes talens pour precher excellemment, je dis mieux que plusieurs dont on fait si grand estat.

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Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Turin.

 

 

 

MDCLXV. A M. Guillaume Rousselet. Affaires recommandées au duc de Nemours et dont l'Evêque de Genève espère bonne issue. — Le marquis de Lans outrepassant ses pouvoirs, — Louis de Sales, gardien du château d'Annecy. — Ce qui rend inutile l'intervention du Saint en faveur d'une Novice. — Commissions affectueuses.

 

Annecy, 11 juin 1620.

 

                        Monsieur,

            Avec un extreme sentiment d'obligation, je vous rens graces du soin que vous aves eü des affaires dont j'avois supplié Monseigneur de Nemours, et en espere bonne issue, si Sa Grandeur en croid son Conseil de deça, car [247] elles sont toutes tres justes et selon Dieu; ains, quant a celle de monsieur de Vallon, il ny a point de difficulté que il ny ayt obligation de conscience a faire reparer le tort qu'on luy a fait tres manifestement. Apres donq que ces messieurs les officiers auront deliberé sur l'advis qu'ilz en doivent donner, je feray une recharge de supplication a Sa Grandeur.

            Nous sommes parmi le passage des Espaignolz, pendant lequel monsieur le Marquis de Lans a ordonné qu'on fit garde au chasteau de cette ville, et en avoit donné la charge a monsieur de Monthouz; mais sur les remonstrances que ces messieurs du Conseil ont fait, il a revoqué cette charge et l'a laissee audit Conseil, et nommement a mon frere de Thorens qui, en qualité de chevalier dudit Conseil et officier de Monseigneur, en a presentement la garde. Voyla nos nouvelles.

            La Superieure de Sainte Marie de Moulins m'escrivit, il y a quelque tems, que ce n'estoit pas pour aucune infirmité corporelle que la niece que je luy avois tant recommandee luy sembloit ne devoir pas estre retenue, ains pour l'extreme aversion qu'ell'avoit a tous les exercices de Religion, laquelle aversion elle ne vouloit nullement surmonter, ains s'y laissoit tout a fait aller. Despuis, elle ne m'en a point escrit, et pour moy, j'ay recommandé cette fille en sorte, qu'a mon advis, rien que l'impossibilité de la retenir ne la fera renvoyer. J'escris a madame de Chantal, qui en ayant appris plus de particularités, me les fera sçavoir affin que si on peut treuver quelque remede on le face.

            Certes, j'apprehenderois plus cent fois vostre desplaysir que le mien propre, car je suis parfaitement tout dedié a vostre bienveuillance et a celle de madamoyselle ma [248] fille, a laquelle je n'escriray pas pour cette fois, puis que j'ay des-ja trop retenu ce porteur qui devoit partir hier matin si j'eusse peu escrire. Mays vous croires tous deux, je vous en supplie, que vous ne sçauries jamais rencontrer un'ame qui vous honnore plus passionnement et constamment que moy, qui suis,

            Monsieur,

                        Vostre tres humble et tres affectionné serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            Annessi, le XI juin 1620.

            A ma fille Florence, mille benedictions.

            Je vous supplie, Monsieur, d'asseurer monsieur Lefevre que je l'honnore de tout mon cœur et suis son serviteur; comm'aussi de prier monsieur et madame de Forax qu'ilz me favorisent tous-jours de leur bienveuillance, car d'escrire il ny a plus de moyen.

                        A Monsieur

            Monsieur Rousselet,

Secretaire du Roy et de Monseigr le Duc de Nemours.

 

Revu sur un fac-simile de l'Autographe, conservé à la Visitation d'Annecy. [249]

 

MDCLXVI. A la Mère de Chantal, a Paris. L'excellence et les effets du don surnaturel d'intelligence. — Quel don le complète

 

Annecy, vers le 15 juin 1620.

 

            O que puisse je, ma tres chere Mere, bien recevoir et employer le don du saint entendement, pour penetrer plus clairement dans les saintz mysteres de nostre foy! car cette intelligence assujettit merveilleusement la volonté au service de Celuy que l'entendement reconnoist si admirablement tout bon, et dans lequel il est enfoncé et engagé: en sorte que, comme il n'entend plus qu'aucune chose soit bonne en comparayson de cette Bonté, aussi la volonté ne peut plus vouloir aymer aucune bonté en comparayson de cette Bonté, ainsy qu'un œil qui seroit planté bien avant dans le soleil ne peut envisager d'autre clarté.

            Mais parce que, tandis que nous sommes au monde, nous ne pouvons aymer qu'en bien faysant, parce que nostre amour y doit estre actif, comme je diray demain au sermon, Dieu aydant, nous avons besoin de conseil, affin de discerner ce que nous devons prattiquer et faire pour cet amour qui nous presse; car il n'est rien de si pressant a la prattique du bien que l'amour celeste. Et affin que nous sachions comme il faut faire le bien, quel bien il faut preferer, a quoy nous devons appliquer l'activité de l'amour, le Saint Esprit nous donne son don de conseil.

            Or sus, voyla nostre ame bien partagee, avec un bon [250] partage des dons sacrés du Ciel. Le Saint Esprit qui nous favorise, soit a jamais vostre consolation. Mon ame et mon esprit l'adorent eternellement! Je le supplie qu'il soit tous-jours nostre sapience et nostre entendement, nostre conseil, nostre force, nostre science et nostre pieté, et qu'il nous remplisse de l'esprit de la crainte du Pere eternel.

            Ce ne fut pas sans vous que nous celebrasmes cette sainte feste de la Pentecoste; car je me souviens fort de la sainte devotion que vous aves a cette solemnité.

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

 

MDCLXVII. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble. Préparation d'une pieuse caravane pour la France. — Une âme fortement attachée aux choses intérieures a quelquefois de la peine à se rendre attentive aux extérieures. — Quelques conseils pratiques. — Le livre de la Volonté de Dieu, et le danger de l'imagination jointe à l'amour-propre. — Plusieurs décisions pour la clôture, non encore établie au Monastère de Grenoble. — Aimable mot sur la sœur de la destinataire. — Supprimer les réflexions, les examens inquiets, et marcher avec confiance et abandon. — Pourquoi cette lettre ne part qu'après coup. — Encore un mot de paix

 

Annecy, 13-20 juin 1620.

 

            Voyla que des avant hier nous sommes dans le choix des filles qu'il faut envoyer en France, ma tres chere Fille. Et nostre Mere m'escrit que vous luy en donneres une, et la Mayson de Lyon une autre, qui, avec les huit que nous en fournirons, feront le nombre qu'elle desire. Mais je ne sçay pas encor comme nous ferons pour aller prendre la vostre. Or, on y pensera; et ce pendant, [251] parmi ce tracas, je vous respons, ma tres chere Fille, le plus courtement que je pourray.

            Je voy en cette Seur Anne Marie je ne sçay quoy de bien bon et qui me plaist. Il y a un peu d'extraordinaire qui doit estre consideré sans empressement, affin qu'il n'y arrive point de surprise ni du costé de la nature, qui se flatte souvent par l'imagination, ni du costé de l'ennemi, qui nous divertit souvent des exercices de la solide vertu pour nous occuper en ces actions specieuses. Il ne faut pas treuver estrange qu'elle ne soit pas si exacte a faire ce qu'elle fait; car cela arrive souvent aux personnes qui sont attachees a l'interieur, et ne se peuvent tout a fait si bien ranger en toutes choses. De sorte qu'en un mot, il faut empescher qu'elle ne face grand cas de ces veuës, de ces sentimens et douceurs, ains que, sans faire beaucoup de reflexion sur tout cela, elle face en simplicité les choses auxquelles on l'employe. On la pourra retirer de la cuisine, apres qu'elle y aura encor servi quelque tems. O que cette cuisine est excellente et aymable, parce qu'elle est vile et abjecte!

            On peut retirer les Seurs du chœur au rang des Seurs Associees, et les Associees au rang de celles du chœur, quand la rayson le requiert, ainsy qu'il est dit des Seurs Domestiques au premier chapitre des Constitutions.

            Si je vay a Rome, je m'essayeray de servir madame de Sautereau en son desir. [252]

            De sçavoir quand, es contratz, il est requis que le Pere spirituel soit present ou non, cela depend de la nature des contratz, car il y en a ou cela est requis, et des autres ou cela n'est pas requis; comme l'Evesque en quelques contratz a besoin de la presence de son Chapitre, en des autres non. C'est aux gens d'intelligence de marquer cela es occasions, car on n'en sçauroit faire une regle generale. Il y a quelquefois de l'incommodité, mays on ne sçauroit comme l'oster sans tomber en une plus grande.

            Que M. d'Ulme se nomme vostre Pere spirituel ou non, dans les contratz, cela ne fait ni froid ni chaud; car ce nom la se peut entendre en diverses sortes.

            On peut laisser lire le livre de la Volonté de Dieu jusques au dernier, qui, estant asses inintelligible, pourroit estre entendu mal a propos par l'imagination des lectrices, lesquelles, desirant ces unions, s'imagineroyent aysement de les avoir, ne sachant seulement pas que c'est. J'ay veu des femmes Religieuses, non pas de la Visitation, qui, ayant leu les livres de la Mere Therese, treuvoyent par leur conte qu'elles avoyent tout autant de perfections et d'actions d'esprit comme elle, bien qu'elles en fussent bien esloignees; tant l'amour propre nous trompe.

            Cette parole: «Nostre Seigneur souffre en moy telle ou telle chose,» est tout a fait extraordinaire; et bien que Nostre Seigneur ayt dit quelquefois qu'il souffroit en la personne des siens, pour les honnorer, si est ce que nous ne devons parler si avantageusement de nous mesmes; car Nostre Seigneur ne souffre qu'en la personne [253] de ses amis et serviteurs fideles, et de nous vanter ou prescher pour telz, il y a un peu de presomption. Souvent l'amour propre est bien ayse de s'en faire accroire.

            Quand le medecin doit entrer dans le monastere pour quelque malade, il suffit quil ayt licence au commencement par escrit, et elle durera jusques a la fin de la maladie; le charpentier et masson, jusques a la fin de l'œuvre pour laquelle il entre.

            Si je vay a Rome, je procureray la clausure pour la Mayson de Grenoble, c'est a dire l'establissement en tiltre de Monastere, bien que il ne soit pas absolument necessaire, car Monseigneur de Grenoble pourra l'establir quand il luy plaira, puisque la Mayson d'Annessi, delaquelle est derivee celle la, l'est. Et je pense qu'au plus tard il seroit expedient que cela se fit quand on ira au nouveau monastere.

            Je treuveray bon, sil se peut bonnement, qu'on retranche le manger de seculieres dans la mayson a la reception des filles. Tandis que les femmes pourront entrer dans la mayson, il est raysonnable que les estrangeres soyent preferees.

            Ma Seur Claude Cecile est une bonne fille, au gré de la Superieure et de Monseigneur qui l'ayme bien.

            Vostre chemin est tres bon, ma tres chere Fille, et ny a rien a dire, sinon que vous alles trop considerant vos pas, crainte de choir. Vous faites trop [de] reflexions sur les saillies de vostre amour propre, qui sont sans doute frequentes, mais qui ne seront jamais dangereuses tandis que, tranquillement, sans vous ennuyer de leur importunité ni vous estonner de leur multitude, vous dires non. [254] Marches simplement, ne desires pas tant le repos d'esprit, et vous en aures davantage.

            Dequoy vous mettes vous tant en peine? Dieu est bon, il void bien qui vous estes. Vos inclinations ne vous sçauroyent nuire, pour mauvaises qu'elles soyent, puisque elles ne vous sont laissees que pour exercer vostre volonté superieure a faire un'union a celle de Dieu plus avantageuse.

            Tenes vos yeux haut eslevés, ma tres chere Fille, par une parfaite confiance en la bonté de Dieu. Ne vous empresses point pour luy, car il a dit a Marthe quil ne le vouloit pas, ou du moins quil treuvoyt meilleur qu'on n'eut point d'empressement, non pas mesme a bien faire. N'examines pas tant vostre ame de ses progres, ne veuilles pas estre si parfaite; mays, a la bonne foy, faites vostre vie dans vos exercices et dans les actions qui occurrent de tems en tems. Ne soyes point soigneuse du lendemain. Quant a vostre chemin, Dieu qui vous a conduit jusques a present vous conduira jusques a la fin.

            J'escriray a nos Seurs Marie Marguerite et Marie Françoise au premier jour, car il faut aller celebrer les Ordres. Amen. Vive Jesus! Amen.

            XIII juin 1620.

            Ma Fille, je ne sceu jamais donner cette lettre a ceux qui estoyent venus aux Ordres, car ilz partirent trop tost.

            Demeures tout a fait en paix, sur la sainte et amoureuse [255] confiance que vous deves avoir en la douceur de la Providence celeste. Amen.

            20 juin 1620.

A ma tres chere Fille en N. S.,

            Ma Seur P. Marie de Chastel,

            Superieure de Ste Marie.

                        A Grenoble.

Revu en partie sur l'Autographe appartenant à M. l'abbé L. Eberlé,

curé d'Amance (Haute-Saône).

MDCLXVIII. A Madame de Granieu. Providentiel mélange des douceurs parmi les amertumes. — «Petite prise» inopinée entre l'Official et un ordinand. — Une mortification pour les Sœurs qui s'en vont en France. — Trois lois «pour ne point pecher en la chasse.» — L'amitié des enfants de Dieu

 

Annecy, 16 ou 20 juin 1620.

 

            Vous voyes, ma chere Fille, de quelle confiance j'use avec vous. Je ne vous ay point escrit despuis vostre depart parce que je n'ay peu bonnement le faire, et je ne vous en fay point d'excuses parce que vous estes veritablement et de plus en plus ma plus que tres chere fille.

            Dieu soit loué dequoy vostre retour s'est fait bien doucement et que vous aves treuvé monsieur vostre cher mary tout allegé. Certes, cette celeste providence du Pere celeste traitte avec suavité les enfans de son cœur et, de tems en tems, mesle des douceurs favorables parmy les amertumes fructueuses avec lesquelles il les fait meriter.

            Je suis marri dequoy je ne caressay pas asses le filz [256] de monsieur d'Argenson, mais la presse des Ordres ne me le peut permettre. Et de plus, mon Official et luy eurent une petite prise inopinement, sur ce qu'il s'estoit presenté aux Ordres non tondu ni tonsuré, ni barbe a la façon d'icy, qui l'a fait retourner un peu mescontent; non pas qu'il me l'ayt tesmoigné a moy, mais il le tesmoigna a d'autres en partant. En somme, il y a tous-jours beaucoup a faire a donner promptement et a recevoir amiablement la correction.

            Nous envoyerons sur le commencement du mois prochain, 7 ou huit Seurs en France, lesquelles, comme je pense, passeront a Grenoble; et voyla une mortification pour elles dequoy elles ne vous y treuveront pas, et particulierement pour la Seur Claude Agnes, qui en vain s'en res-jouissoit grandement.

            Or sus, ma tres chere Fille, saches, je vous supplie, que ce m'est une grande consolation de recevoir souvent de vos lettres, et que mon ame cherit grandement ces tesmoignages de la dilection que la vostre a pour elle.

            Monsieur Michel me demandoit ce que j'avois escrit a monsieur le Grand sur le sujet de la chasse; mais, ma tres chere Fille, ce ne fut qu'un article par lequel je luy disois qu'il y avoit trois loix selon lesquelles il se failloit gouverner pour ne point offencer Dieu en la chasse. [257] La 1. de ne point endommager le prochain, n'estant pas raysonnable que qui que ce soit prenne la recreation au despens d'autruy, et sur tout en foulant le pauvre paisan, des-ja asses martirisé d'ailleurs et duquel nous ne devons mespriser le travail ni la condition. La 2. de ne point employer a la chasse le tems des festes signalees esquelles on doit servir Dieu, et sur tout prendre garde de ne point laisser pour cet exercice la sainte Messe es jours de commandement. La 3. de ne point y employer trop de moyens, car toutes les recreations se rendent blasmables quand on les fait avec profusion. Je ne me souviens pas du reste. En somme, la discretion doit regner par tout.

            Or sus, ma tres chere Fille, Dieu soit a jamais au milieu de vostre cœur pour unir toutes vos affections a son saint amour. Amen. Ainsy a il, je vous asseure, mis en mon esprit une tres amiable et tout a fait entiere affection pour le vostre que je cheris incessamment, priant Dieu quil le comble de benedictions. Ainsy soit il, ma tres chere et tous-jours plus tres chere Fille. Amen.

            Le.. juin 1620.

            Ce soir madame de la Flechere est arrivee, qui m'a dit l'ayse qu'elle eut de vous voir. O ma Fille, les enfans de Dieu s'entr'ayment tous-jours bien; soyons le bien donq, ma tres chere Fille, et aymons nous bien a son gré; et certes, j'ay une non pareille consolation de sentir en mon cœur cette toute sincere et incomparable dilection pour le vostre, ma tres chere Fille. Or cela est vray.

 

Revu sur une copie appartenant à M. le baron d'Yvoire,

au château d'Yvoire (Haute-Savoie). [258]

 

 

 

MDCLXIX. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Un projet concernant Genève. — Prière d'écouter favorablement le porteur

 

Annecy, 25 juin 1620.

 

                        Monseigneur,

            Je croy que parmi la multitude des affaires importantes que Son Altesse peut avoir pour le bien de sa coronne et consolation de ses Estatz, il y en a peu qu'elle doive affectionner plus fortement que celle que je proposay a Vostre Altesse quand j'eu l'honneur d'estre aupres d'elle au chasteau de cette ville, pour le retirement de cette autre ville, par voye douce, paysible et asseuree. Or voyla, Monseigneur, un homme, sujet naturel de Son Altesse, qui, sans sçavoir mes pensees, m'a communiqué un veritable dessein qui fait une partie de ma proposition.

            Je supplie tres humblement Vostre Altesse, ains, si elle me le permet, je la conjure par sa propre bonté et par son bonheur, de l'oüir promptement et favorablement, et de donner des maintenant un bon commencement a ce saint projet, puis que il ny a rien a perdre, mais tout a gaigner et encor plus a esperer, par la bonne issue que Dieu en donnera a Vostre Altesse, selon les vœux universelz de tous les gens de bien et mes continuelles prieres pour la prosperité de la coronne de Son Altesse et la vostre,

            Monseigneur, de qui je suis

                                               Tres humble, tres obeissant et tres fidele orateur

                                                                                  et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            25 juin 1620.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat. [259]

 

MDCLXX. A Madame de Geneve, abbesse de Baume-Les-Dames. Un pieux dessein du marquis de Lullin, non réalisé. — Combien important de se préparer de bonne heure à la mort. — Espérance déçue du saint Evêque. — Pourquoi il se réjouit de la nomination de son frère

 

Annecy, juillet 1620.

 

            Il est vray, Madame ma tres chere Mere, que feu monsieur le Marquis vostre frere avoit desseigné de me faire une entiere confession generale de toute sa vie, pour prendre de moy les advis convenables pour en employer le reste plus ardemment au service de Dieu; mais je ne revins pas asses tost pour luy rendre cet office, puisque Dieu l'appella avant mon depart de Paris, avec la grace qu'il luy fit de bien recevoir ses divins Sacremens.

            O ma tres chere Mere, que c'est une diligence bienheureuse que celle que l'on prend de se bien disposer au depart de cette vie, puisque le tems en est incertain! et quand l'estat religieux n'apporteroit aucun autre bien que celuy la, d'une continuelle preparation au trespas, ce ne seroit pas une petite grace.

            Aymés tous-jours bien ma pauvre ame, ma tres chere Mere, car elle est certes toute vostre; pries souvent pour elle, affin que la misericorde divine la reçoive en sa protection parmi tant de hasars et destroitz ou cette vocation pastorale la fait passer.

            Je pensois que quand Son Altesse donna son placet [260] et ses faveurs a mon frere pour le faire estre mon coadjuteur, comme il est maintenant (devant estre consacré Evesque de Chalcedoine a cet effect dans un mois, a Turin ou il est), j'aurois quelque moyen de retirer le petit bout de vie qui me reste pour me mettre en equipage et me disposer a la sortie de ce monde; mais je voy que pour le present je ne puis l'esperer, d'autant que Son Altesse et Madame veulent que ou mondit frere ou moy soyons aupres de leurs personnes, en sorte que l'un estant icy, l'autre soit la. Voyes donq, ma chere Mere, si j'ay besoin de vos supplications devant Nostre Seigneur; car si la charge episcopale est perilleuse, la residence de la cour ne l'est guere moins.

            Cependant, vous voyes comme je respans devant vostre cœur maternel mes pensees fort naïfvement. Et faut que j'adjouste que cette coadjutorie a esté donnee a mon frere sans que je l'aye demandee ni fait demander, ni d'une façon ni d'autre; ce qui ne m'est pas une petite consolation, parce que, n'y ayant rien du mien que le consentement, j'espere que Nostre Seigneur l'aura plus aggreable.

            Or sus, Madame ma tres chere Mere, Dieu soit a jamais au milieu de vostre cœur et du mien, duquel je suis sans fin,

                                                                       Vostre tres humble et plus obeissant filz, frere

                                                                                                          et serviteur,

                                                                                                                      F., E. de Geneve.

 

MDCLXXI. A Madame de Villeneuve. Tendresse surnaturelle et paternelle. — Réponses à des cas de conscience

 

Annecy, 4 juillet 1020.

 

            C'est la verité que non seulement vous estes ma tres chere fille, mais c'est la verité aussi que tous les jours [261] vous l'estes davantage en mon ressentiment; et Dieu soit loué dequoy non seulement il a creé en mon ame un'affection veritablement plus que paternelle pour vous, mais dequoy il a mis l'asseurance que vous en deves avoir dedans vostre cœur. Et certes, ma tres chere Fille, quand en m'escrivant vous me dites par fois: Vostre tres chere fille vous cherit, et que vous me parles en cette qualité, je confesse que j'en reçois un contentement admirable. Croyes-le bien et dites-le bien, je vous supplie, que vous estes tres asseurement ma tres chere fille, et n'en doutes jamais.

            Ce que vous dites pour sauver un peu de bien temporel ne fut pas un mensonge, ains seulement un'inadvertence, de sorte que tout au plus ce ne peut estre qu'un leger peché veniel; et, comme vous m'escrives, encor y a-il de l'apparence qu'il ny en eut point du tout, puisque il ne s'en ensuivit aucune injustice contre le prochain.

            Ne faites nul scrupule, ni petit ni grand, de communier avant que d'avoir ouy la Messe, et sur tout quand il y aura une si bonne cause que celle que vous m'escrives; et quand il ny en auroit point, encor ni auroit pas seulement une veritable ombre de peché. Et tenes vostre ame tous-jours en vos mains, ma tres chere Fille, pour la bien conserver a Celuy qui, pour l'avoir rachetee, merite luy seul de la posseder. Qu'il soit a jamais beni. Amen.

            Certes, je suis tres parfaitement vostre en luy, et

                        Vostre tres humble serviteur, et a la chere Seur,

                                               et a toute vostre mayson,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            4 julliet 1620.

                        A Madame

            [Madame] de Villeneuve,

chez Monsieur d'Interville, son pere.

                        Paris.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Caen. [262]

 

MDCLXXII. A la Mère de Chantal, a Paris. La Sœur d'Avisé jointe à la petite troupe des partantes. — Election d'une Assistante-commise au Monastère d'Annecy. — «Loup par nature, mais brebis par grace.» — Deux lettres que la Mère de Chantal pourra confronter plus tard. — Le formulaire de la Profession chez les Bénédictins et à la Visitation. — Eloge de Mme de Herse et de la comtesse de Fiesque. — Messages affectueux pour plusieurs filles spirituelles du Saint. — Mgr de Belley à Annecy. — Zèle et miséricorde de François de Sales pour une âme

 

Annecy, 5 ou 6 juillet 1620.

 

            Cette commodité d'escrire vous semblera grande, ma veritablement et uniquement tres chere Mere, et neanmoins elle ne l'est pas; car il m'a fallu faire tant de despeches et escrire a tant de Praelatz pour Lyon, Nevers, Orleans, Clermont, quil me faut bien haster pour vous rendre mon devoir, ma tres chere Mere; je dis, selon que je le puis rendre.

            Voyla donq nos Seurs qui s'en vont, et, si je ne me trompe, elles sont toutes fort bonnes et de bonn'observance; et nostre Seur Claude Agnes a si bien fait icy, que, comme je croy, elle fera encor mieux-la. Nous avons pensé de vous envoyer ma Seur Marie Gasparde d'Avise pourvous accompaigner a vostre retour, qui sera quand vous le jugeres a propos, si rien ne presse du costé de Thurin. [263]

            Ma Seur Françoise Marguerite est demeuree Assistante par election et consentement des deux tiers des voix; ma Seur Marie Magdeleine en eut plusieurs, et sans consideration, a mon advis, puis que elle n'est encor point du Monastere, ains seulement de la Congregation, ayant encor demandé terme pour achever ses affaires; ma Seur Marie Andrienne en eut aussi quelques unes. Mais en fin, Dieu voulut que ce fut ma Seur Françoise Marguerite, et il veut tous-jours le mieux; car c'est une bonne femme, sage, constante et veritable servante de Nostre Seigneur; un peu seche et froide de visage, mais bonne de cœur, courte en paroles, mais moelleuse. Nous ne faysons guere de praefaces, elle et moy, ni d'appendices non plus.

            Mays il faut que je vous die que nostre Seur Peronne Marie est une fille tout a fait admirable, en parole, en maintien, en effectz, car tout cela respire la vertu et pieté.

            Je suis tout a fait de vostre advis et de celuy de nostre bon P. Binet pour ma Seur Marie Radegonde. Qu'une [264] fille soit de tant mauvais naturel qu'on voudra, mais quand elle agit en ses essentielz deportemens par la grace et non par la nature, selon la grace et non selon la nature, ell'est digne d'estre recueillie avec amour et respect, comme temple du Saint Esprit. Loup par nature, mais brebis par grace. O ma Mere, je crain souverainement la prudence naturelle au discernement des choses de la grace, et si la prudence du serpent n'est detrempee en la simplicité de la colombe du Saint Esprit, ell'est tout a fait veneneuse.

            Mon Dieu, que nostre grande Fille est admirable! Ell'a regardé ma lettre d'un biays duquel je ne l'ay pas escrit. Il ny a remede: et ma lettre et la sienne sont escrittes; si jamais nous nous revoyons, vous les confronteras et verres qui a le tort. Mais tous-jours ayme je cette fille, et ne crain nullement ses emotions de decouragement; car apres tout cela, Dieu qui a volu que je luy sois ce que je luy suis, luy seul fera qu'elle n'en doutera jamais, ou si elle en doute, ce ne sera que par secousses et comme par maniere de tentation.

            Vous recevres les Formulaires de la reception des Novices a la Profession et des praetendentes a l'habit; je croy qu'il ny a rien a dire par rayson. J'admire ces bons Peres qui croyent qu'on doive adjouster que l'on fait vœu aux Superieurs. S'ilz voyoyent la Profession des Benedictins, qui est la Profession des plus anciens et peuplés monasteres, ilz auroyent donq bien a discourir, car il ny est fait mention quelcomque ni des Superieurs, ni des vœux de chasteté, pauvreté et obeissance, ains seulement [265] de stabilité au monastere et de la conversion des mœurs selon la Regle de saint Benoist. Qui promet l'obeissance selon les Constitutions de Sainte Marie, promet l'obeissance et l'observance des vœux a l'Eglise et aux Superieurs de la Congregation ou Monastere. En somme, il faut demeurer en paix; car qui voudra meshuy ouyr tout ce qui se dira, aura fort a faire.

            Veritablement Mme la Presidente de Herce, est (sic) ma tres chere fille et comere, est toute aymable devant Dieu et es (sic) hommes; je luy escris, et la rayson mesme vouloit bien que je luy eusse plus tost rendu ce devoir. Je vous supplie de l'aymer cherement, encor pour l'amour de moy, qui voudroys que tous les gens de bien l'affectionnassent parfaitement.

            Mme la Contesse de Fiesque est une des dames que j'honnore le plus en ce monde; et je sens encor avec suavité l'odeur de sa pieté et vertu, que je receu en deux seules fois que je la vis chez le bon monsieur de Monthelon et chez Mme de Guise, et m'estimerois grandement favorisé si je pouvois luy rendre quelque digne service. Son ame est bien appellee de Dieu, et je croy qu'elle correspondra heureusement. [266]

            Qu'est il besoin de vous dire ni de lhonneur que je porte a nostre chere Mme de Villesavin, ni de l'affection que j'ay pour sa pieté? car vous le sçaves bien; et si je puis gaigner un moment, je luy escriray, et a M. son mari qui m'a fait lhonneur de m'escrire. Mais si je ne puis, faites luy bien mes honneurs et ne craignes point d'en trop dire, car les paroles de qui que ce soit n'egaleront pas ce que j'en sens.

            Et donnes encor, je vous supplie, la bonne et sainte joye a madame Amelot, de son heureux accouchement; ses consolations seront tous-jours les miennes, puisqu'en toute verité mon ame la cherit tres singulierement. Mlle de Frouville sçait bien qu'ell'est tout a fait ma chere fille; ell'a, je m'asseure, sa response. Je vous supplie de saluer cherement Mlle de Puipeyroux, et de la prier qu'elle asseure Mlle de Crevant et Mme de Verton et la bonne Mme Amori qu'en verité je conserve soigneusement une memoire continuelle du devoir que mon cœur a a leurs ames que je cheris parfaitement.

            Ma Mere, nous avons eu icy huit jours entiers nostre tres aymable Monseigneur de Belley, qui a fait des [267] merveilleusement devotes exhortations, et mesme le jour de la Visitation; ce m'a esté une consolation extreme de le voir et savourer la veritable bonté de son esprit.

            Je n'ay point de nouvelles de mon frere de Boysi des il y a 3 semaines; il attend la venue du P. D. Juste qui, peut estre, arrivera aujourdhuy; mais je ne sçai sil amenera la tres bonne fille, la Signora Donna Genevra, que mon frere m'a escrit il y a quelque tems avoir demandé son congé aux Princes pour venir, impatiente de voir que l'on differe tant l'erection du Monastere de Turin. C'est une fille, comme mon frere m'escrit, tout a fait genereuse et sainte.

            Il est vray, j'ay prié nos Seurs de garder cette grande Peronne, esperant que si les projetz de la reformation de plusieurs Monasteres en ce pais reuscit (sic), je pourray treuver quelque moyen de la faire retirer, et l'oster de l'eminent peril d'estre perdue auquel elle seroit si on la renvoyoit a son pere, qui ne menasse de rien moins que l'envoyer parmi les huguenotz, et qui est homme si terrible, que, puisqu'il le dit, on ne luy fait pas tort d'en douter et le craindre. On fait beaucoup de choses pour sauver une ame, et je n'apprens pas que celle ci face de si grans maux que pour cela on ne puisse luy faire la charité. Et croyes moy, ma tres chere Mere, quand j'importune, il faut que je me sois premierement fort importuné moy mesme. Je treuveray, Dieu aydant, quelque retraitte pour cette fille avec un peu de loysir, et ce pendant, n'ayant pas l'habit on n'en peut pas faire grande consequence.

……………………………………………………………………………………………….[268]

            Je vous envoye nostre chere Seur Marie Gasparde d'Avise, avec nos Seurs de la fondation d'Orleans, affin qu'a vostre retour elle vous serve de compagne; car c'est vrayement une fille vertueuse, sincere, modeste et d'un bon secours aupres de vostre chere personne.

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Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Rennes.

 

 

 

MDCLXXIII. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Un dessein recommandé à l'attention du prince.

 

Annecy, 6 juillet 1620.

 

                        Monseigneur,

            Ce porteur allant pour representer a Vostre Altesse plusieurs moyens et occasions d'amplifier la gloire de Dieu et le bien des sujetz de Son Altesse, a la ruine de l'haeresie, je ne fay nulle difficulté de supplier tres humblement vostre bonté, Monseigneur, de l'ouïr et de gratifier le dessein qu'il a, si elle juge qu'il soit convenable, puisque je sçai qu'elle affectionne grandement toutes les œuvres de pieté comm'est celle ci.

            Et tandis, faysant tres humblement la reverence a Vostre Altesse, je vivray content en lhonneur que j'ay d'estre,

            Monseigneur,

                        Vostre tres humble, tres fidele et tres obeissant

                                               orateur et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            VI julliet 1620, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat. [269]

 

MDCLXXIV. A Madame Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal a Maubuisson. M. Michel député pour une visite. — Il n'y a rien à craindre des misères spirituelles non aimées. — Une fille du monastère de la croix et volonté de Dieu

 

Annecy, 5-7 juillet 1620.

 

            Ce n'est pas escrire que d'escrire si peu, ma tres chere Fille; mais c'est pourtant faire en partie ce que l'on doit quand on fait ce que l'on peut. J'ay dit a M. Michel Favre, mon assistant continuel, que s'il se pouvoit, il vous allast voir de ma part; car si je pouvois, j'irois moy mesme et m'en estimerois plus heureux, ayant tous-jours une tres singuliere complaysance et consolation a seulement penser que vous estes ma tres plus chere fille. Et imagines vous que M. [de Belley] ayant demeuré icy huit jours, ce n'a pas esté sans faire mention de vous, mais non pas certes asses selon mon gré.

            Or, je ne crains point toutes ces miseres dont vous m'escrives que vous estes accablee, tandis que, comme vous faites et feres tous-jours, vous ne les aymeres pas et ne les nourrires pas; car petit a petit vostre esprit se fortifiera contre vostre sens, la grace contre la nature et vos resolutions sacrees contre vos indignations. Envoyes moy bien de vos nouvelles, ma tres chere Fille, et ne vous mettes point en des pensees pour me faire des exhortations a ne point m'incommoder pour vous respondre; car je vous asseure que je ne m'incommode point, ains je m'accommode grandement quand le loysir me le permet.

            A la premiere occasion, j'escriray a la chere seur [270] Catherine de Gennes, qui m'est, je vous asseure, toute cherement chere. La pauvre fille, helas! elle est du vray monastere de la croix et volonté de Dieu.

            Ma tres chere Fille, Dieu m'a rendu vostre, et je le seray invariablement a jamais et tout a fait sans reserve; il est vray, ma tres chere Fille, je le suis plus qu'il ne se peut dire.

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

 

MDCLXXV. A la Présidente de Herse. Une religieuse «protestation» avant un «petit mot de liberté et de franchise.» — Silence réciproque du Père et de la fille. — Pourquoi l'Evêque ne l'a pas rompu. — Le gémissement de saint Paul. — Se résigner à sentir les attaques de l'amour-propre, mais n'y point consentir. — Où se réfugie la vraie indifférence. — Que faire après une chute. — Un charmant filleul de François de Sales; ce que son parrain en attend.

 

Annecy, 7 juillet 1620.

 

                        Madame,

            Dieu nostre Sauveur sçait bien qu'entre les affections qu'il a mises en mon ame, celle de vous cherir infiniment et vous honnorer tres parfaitement est l'une des plus fortes et tout a fait invariable, exempte de vicissitude et d'oubli. Or sus, cette protestation estant faite tres religieusement, je vous diray ce petit mot de liberté et de franchise, et recommenceray a vous nommer du nom cordial de ma tres chere Fille, puisqu'en verité je sens bien que je suis cordialement vostre Pere d'affection. [271]

            Ma tres chere Fille donq, je ne vous ay point escrit; mais dites moy, je vous prie, et vous, m'aves vous escrit despuis mon retour en ce païs? Mais pour cela vous ne m'aves pas oublié. Oh! certes, ni moy non plus, car je vous dis en toute fidelité et certitude, que ce que Dieu a voulu que je vous fusse, je le suis, et sens bien que je le seray a jamais tres constamment et tres fortement, et ay en cela une tres singuliere complaysance, accompaignee de beaucoup de consolation et d'utilité pour mon esprit. J'attendois que vous m'escrivissies, non point pour penser que vous le deussies, mais ne doutant point que vous ne le feries et que, par ce moyen, je vous escrirois un peu plus amplement. Mais si vous eussies tardé davantage, croyes moy, ma tres chere Fille, je ne pouvois plus attendre; non plus que jamais je ne pourray omettre vostre chere personne et toute vostre aymable mayson en l'offrande que je fay journellement a Dieu le Pere, sur l'autel, ou vous tenes, en la commemoration que j'y fay des vivans, un rang tout particulier: aussi m'estes vous toute particulierement chere.

            O je voy, ma tres chere Fille, dedans vostre lettre, un grand sujet de benir Dieu pour une ame en laquelle il tient la sainte indifference en effect, quoy que non pas en sentimens. Ce n'est rien, ma tres chere Fille, que tout ce que vous me dites de vos petites saillies. Ces petites surprises des passions sont inevitables en cette vie mortelle, car pour cela le grand Apostre crie au Ciel: Helas! pauvre homme que je suis, je sens deux hommes en moy, le viel et le nouveau; deux loix, la loy des sens et la loy de l'esprit; deux operations, de la nature et de la grace. Hé, qui me delivrera du cors de cette mort?

            Ma Fille, l'amour propre ne meurt jamais qu'avec nostre cors; il faut tous-jours sentir ses attaques sensibles ou ses prattiques secrettes tandis que nous sommes en cet exil. Il suffit que nous ne consentions pas d'un consentement voulu, deliberé, arresté et entretenu, et cette vertu de l'indifference est si excellente, que nostre viel homme, en la portion sensible, et la nature humaine, selon les facultés naturelles, n'en fut pas capable non pas mesme [272] en Nostre Seigneur, qui, comme enfant d'Adam, quoy qu'exempt de tout peché et de toutes les appartenances d'iceluy, en sa portion sensible et selon ses facultés humaines n'estoit nullement indifferent, ains desira ne point mourir en la croix; l'indifference estant toute reservee, et l'exercice d'icelle, a l'esprit, a la portion superieure, aux facultés embrasees de la grace et en somme a luy mesme, en tant qu'il estoit le nouvel homme.

            Or sus, demeures donq en paix. Quand il nous arrive de violer les loix de l'indifference es choses indifferentes, ou pour les soudaines saillies de l'amour propre et de nos passions, prosternons soudainement, si tost que nous pouvons, nostre cœur devant Dieu, et disons en esprit de confiance et d'humilité: Seigneur, misericorde, car je suis infirme. Relevons nous en paix et tranquillité, et renouons le filet de nostre indifference; puis, continuons nostre ouvrage. Il ne faut pas ni rompre les cordes, ni quitter le luth quand on s'apperçoit du desaccord; il faut prester l'oreille pour voir d'ou vient le detraquement, et doucement tendre la corde ou la relascher, selon que l'art le requiert.

            Demeures en paix, ma tres chere Fille, et escrives moy confidemment quand vous estimeres que ce soit vostre consolation. Je respondray tous-jours fidelement et avec un playsir particulier, vostre ame m'estant chere comme la mienne propre.

            Nous avons eu, ces huit jours passés, nostre bon Monseigneur de Belley, qui m'a favorisé de sa visite et nous a fait des sermons tout a fait excellens. Or, pensés si nous avons souvent parlé de vous et de vostre mayson. Mais que de joye quand M. Jantet me disoit que mon tres cher petit filleul estoit si gentil, si doux, si beau et quasi des-ja si devot! Je vous asseure en verité, ma tres chere Fille, que je ressens cela avec un amour nompareil, et me resouviens de la grace et douce petite mine avec laquelle il receut, comme avec un respect enfantin, la filiation de Nostre Seigneur entre mes mains. Si je suis [273] exaucé, il sera saint, ce cher petit François; il sera la consolation de ses pere et mere, et aura tant de faveurs sacrees aupres de Dieu, qu'il m'obtiendra le pardon de mes pechés, si je vis jusqu'a ce qu'il me puisse aymer actuellement.

            En fin, ma tres chere Fille, je suis tres parfaitement, et sans condition ni exception quelconque,

                                                           Vostre tres humble et tres fidele frere, compere

                                                                                              et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Annessi, le VII julliet....

            Quand vous craindries la perte de vos lettres en chemin, bien que presque jamais il ne s'en perd, vous pouves bien ne point vous signer, car je connoistray bien tous-jours vostre main.

            Oseray-je bien vous supplier de presenter mes tres humbles affections et mon service a madame la Marquise de Menelay? Elle est asses humble pour le treuver bon, et le petit François asses sage pour le luy persuader, et madame de Chenoyse. Encor faut il dire que je salüe madame de la Haye.

A Madame la Presidente de Herce.

                        Rue Pavee

                                   A Paris. [274]

MDCLXXVI. A Monseigneur Maroaurele Maraldi (Fragment). Le décanat de Saint-Germain l'Auxerrois offert à l'Evêque de Belley. — Pourquoi il ne peut l'accepter. — Exposé des raisons qui rendent une dispense légitime et nécessaire. — Un diocèse bien disproportionné à la valeur de son Pasteur.

 

Annecy, 9 juillet 1620.

 

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            A proposito di queste occorrenze, non lasciarô di dire a V. S. Illma che da Parigi vengo avvisato che il vecchio Decano di San Germano Autissiodorense (ch'essi chiamano de l'Auxerrois) ha resignato il suo decanato a Monsignor Vescovo di Belley, con molto gusto del Re, della [275] Regina, et di tutta la corte et di tutti i buoni di Parigi; et che nientedimeno ciè difficoltà per l'incompatibilità del Vescovato et di quel benefìzio. Et certo che la difficoltà è molto ben fundata, parlando secondo la legge ordinaria; ma ciè un'altra legge superiore: Salus populi suprema lex, secondo laquale ardisco dire che maggior servitio a Dio, alla Sede Apostolica et a santa Chiesa non si può fare, che di dispensare in questo caso et dare quel benefizio a quel Prelato: per due considerationi principali.

            La prima delle quali è, che quella chiesa di San Germano è principalissima in Parigi, essendo la parrocchia del Louvre et di tutta la corte et di molte migliaia di persone; et se viene a vacare il decanato per morte, potrà haverlo per brighe et intrighi tale huomo, che sarà nemico [276] dell'unità catholica et dell'authorità Apostolica; che di questi tali vi sono alquanti molto favoriti, et che possono eccitare molti mali movimenti spirituali in quella gran città, che non così facilmente si potrebbero quietare senza male conseguenze.

            L'altra consideratione è, che detto Monsignore di Belley è devotissimo a Dio et alla santa Chiesa, et ha un nome grande in quella città, per essere uno de' più valenti predicatori che sieno in Francia; et che ad ogni modo infine, sarà forzato di resignare il Vescovado di Belley, il quale, con tutta la diocesi, non ha nè tanti sacerdoti, nè tante anime come ha la sola parrocchia di San Germano di Parigi (lasciando a parte la disparità delle qualità), poiché io vedo che il Re, motu proprio, l'ha voluto havere per Consigliere di Stato, et che la Regina ha voluto che, nonostante ch'egli predicasse ogni giorno la Quaresima passata, egli pur venisse la sera a far ragionamenti spirituali inanzi a Sua Maestà: onde vedo che fra pochi giorni bisognerà che ritorni là. [277]

            V. S. Illma et Rma mi perdoni se io di queste cose tratto, che parmi in conscientia di dover dare di questi avvisi.

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            Li 9 Luglio 1620.

 

 

 

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            A propos de ces affaires, je n'omettrai pas de dire à Votre Seigneurie Illustrissime que, de Paris, on me fait savoir qu'à la grande satisfaction du Roi, de la Reine, de toute la cour et de tous les honnêtes gens de la ville, le vieux Doyen de Saint-Germain [275] Autissiodorensis (appelé l'Auxerrois) a résigné son doyenné en faveur de Monseigneur l'Evêque de Belley. Il y a cependant une difficulté, à cause de l'incompatibilité de l'évêché et de ce bénéfice. Et certes, la difficulté est bien fondée, parlant selon la loi ordinaire. Mais il y a une loi supérieure: «Le salut du peuple est la suprême loi,» d'après laquelle j'ose dire qu'on ne saurait rendre un plus grand service à Dieu, au Siège Apostolique et à la sainte Eglise, qu'en usant de dispense en pareil cas et en accordant le bénéfice à ce Prélat: et cela pour deux raisons principales.

            La première: que l'église Saint-Germain est des plus importantes de Paris, étant la paroisse du Louvre, de la cour et de plusieurs milliers de personnes. Aussi, ce doyenné venant à vaquer par la mort de son titulaire, pourrait, par brigues et intrigues, tomber aux mains [276] d'un homme ennemi de l'unité catholique et de l'autorité Apostolique, car il en est beaucoup de cette sorte, très en faveur, et qui pourraient exciter dans cette grande ville de redoutables soulèvements qui s'apaiseraient difficilement ensuite, non sans de tristes conséquences.

            L'autre raison est que Monseigneur de Belley est très dévoué à Dieu et à la sainte Eglise, et qu'il a un grand renom dans la capitale comme l'un des meilleurs prédicateurs de France. Enfin, il sera de toutes manières obligé de résigner l'évêché de Belley qui ne compte, dans tout le diocèse, ni autant de prêtres ni autant d'âmes que la seule paroisse de Saint-Germain de Paris (je laisse à part la disproportion de la valeur du Prélat avec cet évêché), puisque je sais que, de son propre mouvement, le Roi a voulu l'avoir pour conseiller d'Etat et que, bien qu'il prêchât tous les jours ce Carême passé, la Reine désira qu'il allât le soir faire des conférences spirituelles devant Sa Majesté; aussi faudra-t-il que dans quelques jours il retourne là-bas. [277]

            Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime voudra bien me pardonner si je parle de ces choses, mais j'ai cru en conscience devoir l'en avertir.

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            9 juillet 1620.

 

 

MDCLXXVII. A une Religieuse de la Visitation. L'humilité, réparatrice de nos imperfections. — Vertus à pratiquer pour s'unir parfaitement à Dieu.

 

Annecy, 9 juillet 1620.

 

            Ce m'est tous-jours bien de la consolation, ma tres chere Fille, de sçavoir que vostre cœur ne se depart point de ses resolutions, encor que souvent il se relasche a des immortifications; car j'espere qu'a force de s'humilier parmi les signes de son imperfection, il reparera les defautz qu'elle luy apporte.

            Ma tres chere Fille, la condition de vostre esprit requiert que vous en ayes un grand soin, a cause de cette liberté et promptitude qu'il a, non seulement a penser et vouloir, mais a declarer ses mouvemens. Or sus, vous l'aures, je m'asseure, ce soin-la, car vous aspires de plus en plus a la parfaite union avec Dieu, et ce desir vous pressera d'estre de plus en plus exacte en l'observance [278] des vertus qui sont requises pour le contenter: entre lesquelles, la paix, la douceur, l'humilité, l'attention a soy mesme tiennent les premiers rangs.

            Et je prie sa divine Majesté, ma tres chere Fille, qu'elle vous comble de sa dilection, et suis parfaitement vostre.

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce 9 julliet 1620.

 

 

 

MDCLXXVIII. A Madame de Granieu. Retour de la Mère de Chastel à Grenoble. — La commission dont l'avait chargée Mme de Granieu. — Pourquoi le Saint, malgré son désir, n'a pu y répondre. — Sa fidélité aux âmes. — Espérance d'un revoir

 

Annecy, 9 ou 1 o juillet 1620.

 

            Voyla cette chere et bienaymee Mere Peronne Marie qui s'en reva dans son nid, sur ses œufs; je ne l'ay pas veüe a mesme de ce que j'eusse desiré. Elle m'a demandé de vostre part, que je luy marquasse les imperfections que j'aurois remarquees en vostre ame; mais je n'ay pas eu asses de tems pour bien considerer ce qui pourroit estre a dire sur ce sujet. Et si j'eusse eu dequoy luy parler en cela, je l'eusse fait, non seulement pour vous contenter, mais satisfaire a la fidelité que je vous dois; vous asseurant en toute verité, ma tres chere Fille, qu'encor que j'ayme vostre ame d'un amour extraordinaire et lequel est si fort quil ne peut estre dissimulé, si est ce qu'a mon advis, il ne m'aveugle pas pour m'empescher de voir vos tares, si j'avois la commodité de les observer.

            Or sus, ma tres chere Fille, vous estes aux chams, et j'ay quelque esperance de vous y voir, et monsieur vostre cher [279] mary, si vous y estes encor quand j'iray voir le digne M. de Belley.

            Ma tres chere Fille, mon ame est toute vostre, et je suis asseuré que la vostre ne sçauroit douter de cette si veritable verité que Dieu Nostre Seigneur a fait et quil fera durer a jamais pour cette vie et pour l'eternité, selon que je l'espere de sa misericorde. Ainsy je salüe cette chere ame de ma plus chere fille, et suis

                                                                                  Son tres humble serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation d'Annecy.

 

 

 

MDCLXXIX. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Montferrand. Lettre à l'Evêque de Clermont et humilité de l'Evêque de Genève. — Perpétuels délais pour la fondation de Turin. — La Mère de Chastel à Annecy. — Amis du Saint en Auvergne. — Nouvelles de famille

 

Annecy, 9 ou 10 juillet 1620.

 

                        Ma tres chere Fille,

            Voyla une lettre pour Monseigneur de Clermont, puis que vous l'aves voulu. Et je dis ainsy, par ce que [280] n'ayant pas l'honneur d'estre conneu de ce Prelat, je ne pense pas que ma lettre puisse adjouster aucun degré de chaleur a son saint zele.

            Je croy que vous pourres rester encor la quelques moys, ne voyant encor rien de prest a Turin, quoy que Monseigneur le Prince persevere a dire que tout se fera. Au contraire, la signora Donna Genevra, lassee de tant de remises, viendra peut estre icy commencer son noviciat.

            Vous scaves la bonne trouppe qui est [partie] d'icy, ou nous avons encor la Seur Peronne Marie, qui est en verité une tres excellente fille. Elle partira demain pour retourner a Grenoble, d'ou elle avoit amené une rare fille pour faire le nombre necessaire pour Nevers, Orleans et Paris.

            Je loüe Dieu que vostre arrivee en ce païs-la a esté accueillie avec tant de joye, et j'espere que la suite sera tous-jours correspondante; car les amis de Dieu sont trop plus honnorés.

            Vous aves en ce païs-la le bon Pere Theodose, Capucin, mon grand amy, a qui j'escriray au premier jour, et le bon Pere Anselme de [Riom], qui m'ayme incomparablement et qui demeure a Riom, et je m'asseure qu'il vous ira voir.

            Nostre bon monsieur le Premier est presque tout a fait remis, et attendons qu'il nous assigne le tems pour venir [281] icy a la recreation, et faire le baptesme du petit Charles Chrestien. Madame nostre Presidente ma niece est une vraye Seur de la Visitation de dehors.

            J'attens la consecration de mon frere pour me preparer au voyage; mais avant mon depart vous aures une fois de mes nouvelles.

                                                                                  Tout a vous,

                                                                       FRANÇS, E. de Geneve.

                                   A ma tres chere Fille en N. Sr,

                                   Ma Seur Marie Jacqueline Favre,

                        Superieure de la Congregation de la Visitation.

                                               A Montferrand.

 

MDCLXXX. Au Père Jean-Antoine Rigaud, Ermite du Mont-Voiron (Fragment). Repos en l'amitié; sainte armure, invincible confiance.

 

Annecy, 20 juillet 1620.

 

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            J'auray tout le soin de vous que vous sçauries desirer d'un amy et frere fidele. Demeurés en paix, et reposes [282] vous sur cette mienne declaration. Armes vous d'humilité, patience et douceur, et puis chantes joyeusement: Si exsurgat adversum me prœlium, in hoc ego sperabo; Dominus protector vitœ meœ, a quo trepidabo? Demeures sous les aysles de Nostre Dame, et ne craignes rien; ne prenes nul soupçon. Et pax Christi, quœ exsuperat omnem sensum, custodiat corda vestra et intelligentias vestras.

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Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [283]

 

MDCLXXXI. A Messieurs du Conseil de la Sainte-Maison de Thonon (Inédite). La Bulle de fondation de la Sainte-Maison oblige ses ecclésiastiques à la Règle de l'Oratoire. — Moyen nécessaire pour mettre cette condition en vigueur. — Volonté du Prince, ordonnance de l'Evêque. — Projet d'un voyage de François de Sales à Thonon.

 

Annecy, 22 juillet 1620.

 

                        Messieurs,

            Je vous parle clairement, puisque le tems en est venu. Monseigneur le Prince ayant sceu que vostre Bulle fondamentale obligeoit la Congregation des Reverens ecclesiastiques de Nostre Dame a vivre a l'instar de ceux de l'Oratoire, et ne doutant point que cela ne se fit plus heureusement si quelques uns desdits Peres de l'Oratoire, qui sont maintenant establis presque par toute la France, venoyent en ladite Congregation de Nostre Dame pour la dresser et perfectionner selon leur Institut, il me commanda d'en traitter avec ceux de Paris; et despuis peu, j'ay receu nouvel advis de la part de Son Altesse, qu'elle vouloit faire reuscir ce projet, et bientost, avec ordre de tenir la place vacante en attente, affin que plus librement et aysement on la puisse employer pour une si sainte intention. Pour cela donq, ay-je estimé qu'on devoit retarder pour un peu la provision, sans craindre d'alterer ladite Bulle fondamentale, qui en sera au contraire mieux executee et plus selon l'intention de Sa Sainteté. Et croy que messieurs nos ecclesiastiques seront bien ayses d'avoir avec eux des confreres qui les [284] assisteront, non seulement a bien faire l'Office, mays a bien former leur Congregation sur le modelle que la Bulle de leur erection propose; car rien ne se passera en toute cette affaire qu'avec toute equité, debonaireté et douceur, sans quil puisse rester aucune occasion de se douloir a personne du monde.

            Mays puisque je doy dans quelques semaines me treuver avec vous, je pense que nous aurons plus de bonne commodité d'en conferer ensemblement, et ny aura point de hazard de surseoir jusques a ce tems-la toute sorte de resolution. Et cependant je demeure,

            Messieurs,

                                               Vostre plus humble, tres affectionné confrere,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            XXII julliet 1620, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. Paul du Boys,

au château de La Combe de Lancey (Isère).

 

MDCLXXXII. A la Mère de Bréchard, Supérieure de la Visitation de Moulins. Difficulté pour la fondation de Nevers; d'où elle vient et le cas qu'il faut en faire. — L'avis du Saint sur l'emploi des personnes et de l'argent. — Des entreprises «merveilleusement fascheuses;» les supporter, les porter, et les aimer. — Vouloir servir Dieu, sans s'attacher aux moyens de le servir. — Les contradictions, présage de succès. — Une béatitude

 

Annecy, 26 juillet 1620.

 

            Je n'avois garde de deviner que cette difficulté deust jamais arriver pour la fondation de Nevers, ma tres chere Fille; car, quelle consequence y a il? Une fille est a [285] Moulins: il faut donq qu'elle et ses moyens y demeurent. Mais ceux qui la font sont dignes de si grand respect et ont tant de merite sur vostre Mayson et sur toute la Congregation, et ont tant de bon zele et de pieté, qu'encor qu'a la rigueur elle ne soit pas bien forte, il faut, ce me semble, la faire valoir pour une partie, selon l'advis du Reverend P. Recteur, qui, comme m'escrit madamoyselle du Tertre, estime que la moytié suffira pour commencer la fondation, et l'autre moytié pour bien accommoder la Mayson de Moulins.

            Reste la difficulté de vostre personne et de celle de cette chere fille, car je voy aussi la grande affection que monsieur le Mareschal et madame la Mareschale ont que vous vous arresties, et elle aussi, a Moulins; et faut que je confesse que je voy que cette affaire se prend d'un biays que j'apprehende de dire mon sentiment. Je le fay neanmoins, et dis qu'il seroit a propos que vous, qui aves traitté et qui estes conneuë, menassies ma Seur Paule Hieronime a Nevers, et l'y establissies le mieux que vous pourries, pour le sejour d'un mois ou deux. Et quand je dis que vous y allassies, j'entens aussi parler de madamoyselle du Tertre, ma fille, laquelle je sçai estre inseparable [286] d'avec vous. Or, je presuppose que ces Messieurs prennent confiance a la parole que vous leur donneres de revenir infalliblement et de ramener madamoyselle du Tertre. Que si ilz ne le veulent pas, il faudra envoyer ma Seur Paule Hieronime avec deux ou troys qu'elle choisiroit, et faire le mieux qu'on pourroit, pourveu qu'on fist le partage sus escrit; car ma Seur Paule Hieronime a asses de courage et de capacité de bien faire, moyennant la grace de Dieu, pour reuscir en cette entreprise.

            Je vous asseure, ma tres chere Fille, que cette difficulté ne m'a point tant fasché que pour le desplaysir que je sçai que vous en aves eu; sur le sujet duquel il faut que je vous die que vous lisies un peu le chapitre De la Patience, de Philothèe, ou vous verres que la piqueure des mouches a miel est plus douloureuse que celle des autres mouches. Les entreprises que les amis font sur nostre liberté sont merveilleusement fascheuses; mais en fin, il les faut supporter, puys porter, et en fin aymer comme de cheres contradictions. Certes, il ne faut vouloir que Dieu absolument, invariablement, inviolablement; mais les moyens de le servir, il ne les faut vouloir que doucement et foiblement, affin que si on nous empesche en l'employte d'iceux, nous ne soyons pas grandement secoués. Il faut peu vouloir, et petitement, tout ce qui n'est pas Dieu.

            Or sus, prenes courage: si le P. Recteur et moy sommes creus, selon ce que j'ay dit ci dessus, tout n'en ira que mieux. Vous souvenes vous de la fondation de cette Mayson d'icy? Elle fut faite comme celle du monde, de rien du tout, et maintenant on a despensé pres de seize mille ducatons es bastimens, et jamais fille n'en bailla mille que ma Seur Favre. Nevers sera une Mayson benite, et sa fondation ferme et solide, puisqu'elle a esté agitee.

            Mays si d'adventure ces Messieurs de Moulins ne vouloyent pas entendre au parti duquel le P. Recteur et moy sommes d'advis, que feroit on? O certes, je ne me puis imaginer cela; mais en ce cas, il faudroit avoir bien soin de nostre Seur Paule Hieronime et de sa compaignie, et advertir nostre Mere, qui peut estre a quelque autre [287] fondation par les mains, ou elle pourroit estre employee. Si moins, on nous la renvoyera quand le tems sera un peu plus propre. Et en tous evenemens, il faut demeurer en paix dans la volonté de Dieu, pour laquelle la nostre est faite.

            Je salue de tout mon cœur cette chere Seur Paule Hieronime et la Seur Françoise Jacqueline, et toutes nos cheres Seurs.

            En somme, bienheureux sont ceux qui ne font pas leur volonté en terre, car Dieu la fera la haut au Ciel. Je suis infiniment vostre, ma tres chere Fille, et vous souhaite mille benedictions. Salués, je vous supplie, le R. P. Recteur.

            Ce 26 julliet 1620. [288]

 

 

 

MDCLXXXIII. A la Mère de Chantal, a Paris. Grandes lettres à Moulins pour l'affaire de Nevers. — Le titre épiscopal de M. de Boisy. — Souhaits de bénédictions sur des cœurs aimés

 

Annecy, 26 juillet 1620.

 

            Ce chevalier part avec tant de presse que je ne puis quasi pas vous escrire, ayant esté forcé d'escrire a Moulins des grandes lettres sur le sujet de la difficulté qu'on y a fait naistre pour la fondation de Nevers. Je dis que l'on partage ces benitz moyens, car il y aura dequoy commencer la fondation de 15000 francz (on n'en eut pas tant ni icy, ni a Lyon, ni a Grenoble), et que ma Seur Jeanne Charlotte y meine et assiste pour un moys ma Seur Paule Hieronime, puisqu'on ne peut mieux faire.

            Je prie M. des Hayes de desnouer l'affaire aupres de Monseigneur le Cardinal de Retz. Mon frere s'appelle M. de Calcedoine.

            Quand je seray plus asseuré de retourner a Paris, je vous en advertiray. Cependant, mille et mille benedictions sur le cœur de ma tres chere Mere comme sur le mien mesme, et sur le cœur de la tres chere madamoyselle de Frouville, ma fille, et sur tous ceux de nos Seurs. Nous n'avons pas oublié celuy de ma Seur Anne Catherine, puisque c'est aujourdhuy la feste de sainte Anne, 26 julliet 1620.

                        A Madame

            [Madame] de Chantal.

                        A Sainte Marie.

                                   Paris.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [289]

 

 

 

MDCLXXXIV. A Madame du Tertre. Un témoignage que la destinataire doit rendre en faveur de la vérité. — Désintéressement de l'Evêque de Genève. — Les désirs de M. et de Mme de Saint-Géran et d'autres personnes de Moulins. — Comment le vœu de Mme du Tertre en faveur de Nevers devra être exécuté. — Félicitations sur ses progrès dans la piété

 

Annecy, 27 juillet 1620.

 

            Je croy fort seurement, ma tres chere Fille, que vous tesmoignerés par tout en faveur de la verité, que parmi les desirs que j'ay eu de rendre du service et de la consolation a vostre ame, je ne me suis jamais meslé de sçavoir quelz estoyent vos moyens temporelz, ni ne vous ay jamais incité de les employer pour les Maysons de Sainte Marie. Que si vous aves engagé vostre ame envers Dieu pour la fondation d'un Monastere a Nevers, ça esté tout a fait sans m'en communiquer, sinon apres que vous en eutes contractee la sainte obligation. Certes, je ne voudrois nullement estre en estime d'un homme qui attire l'argent et l'or, non pas mesme pour les œuvres pies, car [je ne suis pas appellé a cela. Je ne sçai donq comment on a peu penser que je vous aye addressee a Moulins en consideration des commodités que vous aves, et que ce soit injustice de les divertir ailleurs. Mais il me suffit de vous avoir dit] ces quatre paroles, pour justifier le consentement que j'avois donné a vostre dessein pour Nevers; en quoy il ne me semble pas que j'aye rien commis digne de censure.

            Or maintenant, ma tres chere Fille, je voy les ardens desirs de monsieur le Mareschal et de madame la Mareschale de Saint Geran, et encor de monsieur de Palierne et de Messieurs de la ville de Moulins, dont le zele est digne de mille louanges, et la volonté de toute sorte de respect. Si vous n'esties point obligee par vœu, j'aurois [290] bien tost donné mon advis. Mays la consideration de vostre vœu me fait adhaerer au conseil du R. P. Recteur, qui porte, comme vous m'escrivés, que vous [fassies l'un et ne laissies pas l'autre; puisque, comme il est presupposé, il y a suffisamment pour ayder puissamment la fondation de la Mayson de Nevers et pour appuyer et secourir celle de Moulins. En quoy vostre conscience demeurera du tout accoysee sur la plus grande gloire de Dieu qui] reuscira de ce partage, par le moyen duquel vous servires Dieu au monastere dans lequel vous demeureres, en vostre propre personne et par vos propres actions, et en celuy auquel vous ne seres pas, en la personne des Seurs qui, par vostre moyen, y seront assemblees.

            Voyla tout ce que je vous puis dire, ma tres chere Fille, demeurant au reste plein d'une sainte satisfaction et, sil est permis de le dire, tout glorieux dequoy on m'asseure si fort que vous faites des merveilles en pieté, et dautant plus que c'est madame la Mareschale de Saint Geran, laquelle est, graces a Dieu, sçavante en ce saint mestier; car je croy que vous ne doutes pas que la tres sincere et invariable dilection que Nostre Seigneur m'a donnee pour vostre ame, me face aymer, cherir et sentir tres passionnement vostre establissement et progres au saint service de sa divine Majesté. Continues, ma tres chere Fille; croisses tous les jours en humilité, douceur, pureté, et recommandes souvent a cette celeste Bonté celuy qui vous recommande incessamment a elle, et qui est a jamais, ma tres chere Fille,

                        Vostre tres humble et tres affectionné serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            27 julliet 1620.

                        A Madamoyselle

            Madamoyselle du Tertre — A Ste Marie.

                        A Moulins.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Nantes, chez les Missionnaires

de l'Immaculée Conception. [291]

 

MDCLXXXV. A M. Nicolas de Palierne. Pourquoi François de Sales a choisi le monastère de Moulins pour la retraite de Mlle du Tertre. — Ce qu'il apprit par une de ses lettres. — Affaire où il n'y a nulle sorte d'injustice. — Silence discret du Saint sur un «advis de conscience.» — L'abjection que la Mère de Bréchard devra porter en patience.

 

Annecy, 27 juillet 1620.

 

                        Monsieur,

            Vos discours, pour longs qu'ilz soyent et quel sujet qu'ilz expriment, me sont tous-jours aymables et dignes de respect. Je respons a celuy qu'il vous a pleu de me faire par vostre lettre du 16 de ce moys, et, sans artifice ni deguisement, je vous feray celuy de ma conduite a ce propos.

Je pris a bonheur de pouvoir en quelque sorte servir a Mlle du Tertre pour sa consolation, sur la fin de mon sejour a Paris. Mays elle portera, je m'asseure, ce tesmoignage a la verité, que jamais je ne luy fis aucune sorte de persuasion, non pas mesme indirectement, pour le choix de sa vocation ni pour l'emploite de ses moyens, l'un estant, a mon advis, perilleux, et l'autre, tout esloigné de la condition de mon esprit. Seulement je regarday que la Mayson de Sainte Marie de Moulins, a laquelle je l'addressay [292] comm'a une desirable retraitte, ne pouvoit estre que soulagee temporellement de la pension qu'ell'y contribueroit, et que si Dieu l'inspiroit de s'y arrester tout a fait, elle pourroit donner tres suffisamment dequoy y estre entretenue.

            Or, quand je passay a Moulins, je ne treuvay encor point de disposition en cett'ame pour faire le choix qu'ell'a fait du despuis; seulement, il y a, je pense, deux moys que je sceu par une de ses lettres qu'elle s'estoit engagee envers Nostre Seigneur, non seulement pour sa vocation, mays aussi pour l'erection d'une Mayson a Nevers. Et moy, qui ne pouvois nullement deviner qu'on eut fait dessein pour Moulins sur ses moyens, veu que je ny avois pas mesme pensé que sous une condition tres incertaine et indefinie, je ne peu treuver que bonne son election, comm'en effect elle l'estoit. Et sur cela, estant averti que j'envoyasse une couple de filles, je les ay envoyees, a la verité sans beaucoup de consideration, n'ayant pas preveu que jamais personne deut attribuer a injustice la sortie d'une personne d'un lieu ou elle n'estoit pas obligee de demeurer, ni la translation d'un'autre, pourveu qu'elle laissat en sa place une qui succedat avec suffisante capacité d'exercer sa charge. Voyla, Monsieur, tout ce que j'ay fait jusques a present pour ce regard.

            Maintenant, Mlle du Tertre m'escrit que l'authorité de monsieur le Mareschal et de madame la Mareschale de Saint Geran la retire de son premier projet, et que des dignes theologiens l'asseurent que sa conscience est en liberté pour demeurer ou ell'est. Je n'ay rien a dire sur cela, ne tenant pas les resnes de sa volonté, ne pretendant rien en la disposition de ses moyens, et ne voulant nullement examiner l'advis de conscience qu'ell'a receu de ceux a qui je ne suis veritablement pas comparable en la connoissance requise a telles decisions. Ce qui sera plus selon la gloire de Dieu, sera plus selon mon desir. Reste le desplaysir que, parmi cela, ma bonne Seur Jeanne [293] Charlotte peut recevoir d'avoir donné des paroles a Messieurs de Nevers qu'elle ne peut soustenir, car je croy que rien n'est capable d'affliger un'ame bien nee que cela; mays il ny a remede.

            Et pour finir et vous dire, Monsieur, ce que j'escris a l'une et a l'autre de ces filles: j'escris a Mlle du Tertre, qu'elle face ce que le P. Recteur luy dira pour sa conscience; et a ma Seur de Brechard, qu'ell'endure tout ce qui reuscira de ce conseil, qu'elle reçoive en patience cett'abjection, et qu'elle se resouvienne que les piqueures des avettes sont plus sensibles que celles des mouches, et qu'a cause de leur miel on ne laisse pas de les aymer, encor qu'elles piquent. Les Anges mesme se sont souvent treuvés d'opinions contraires et ont resisté les uns aux autres, sans violer les loix de la charité.

            Je vous honnore de tout mon cœur, Monsieur, et vous supplie de continuer vostre dilection envers ces filles et envers moy, qui seray a jamais

                                                                                  Vostre tres humble serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            27 juillet 1620.

                                   A Monsieur

                        [Monsieur] de Palierne,

            Tresorier general de France au Bourbonnois.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Nevers. [294]

 

 

 

MDCLXXXVI. A Monseigneur Jean-François de Sales, son frère, Evêque nommé de Chalcédoine (INÉDITE). L'inconvenance de la proximité d'une étable et d'une église. — Moyens à prendre pour y remédier.

 

Annecy, 28 juillet 1620.

 

                        Mon tres cher Frere,

            Vous sçaves l'incommodité que l'establerie de M. de Moyron, attachee a l'eglise de Saint François, apporte, et combien elle est messeante. Or, monsieur de Cheinex, qui succede au fondateur, s'est chargé de faire que Son Altesse commandera qu'en payant a ceux qui praetendent avoir droit en ladite establerie ce qui sera jugé equitable, on la face oster de la, comm'il est bien convenable; et les Peres Cordeliers ont desiré que je vous priasse, si l'occasion s'en presente, de faire encor office pour cela. Ce que je fay, adjoustant au paquet d'hier ce billet et les lettres y jointes, qui m'ont seulement esté rendues il y a deux heures, quoy qu'elles soyent du mois d'avril.

            Dieu vous face croistre de plus en plus en sa tressainte grace, mon tres cher Frere, a qui je suis

                                                                                  Tres humble frere et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            2VIII julliet 1620.

 

Revu sur l'Autographe conservé au Carmel de Lons-le-Saulnier. [295]

 

 

 

MDCLXXXVII. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble. Heureuse disposition de la Providence. — Un nouvel Evêque à Grenoble; ce qu'il faudra faire avec lui. — Petite tentation filiale de la Mère de Chastel. — Ne pas «espier» les sentiments de son âme

 

Annecy, vers la fin de juillet 1620.

 

            Or sus, vous aves veu que la divine Providence a bien disposé, et tres favorablement pour vous et vostre Mayson, sur la reception de Mlle Mistral. Si cette mesme Providence establit une Mayson a Valence, elle vous fera voir de mesme que nous ne sçavons gueres, et que nostre prudence doit demeurer doucement en paix et faire hommage a la divine disposition qui fait tout reüscir au bien des siens. O que ses cogitations sont bien differentes des nostres, et ses voyes inconneuës a nos sentimens!

            Non, ne craignes pas que vos sentimens me facent rien faire; car encor que je vous cheris tres parfaitement toutes, si est ce que je sçai bien que vos sentimens ne sont pas vous mesmes, encor qu'ilz soyent en vous.

            Je vous ay asses bien entendue sur vostre orayson: ne vous mettes point sur l'examen pointilleux de ce que vous y faites; ce que je vous en dis suffira pour le present.

            Si vous aves un nouvel Evesque, vous n'aves pourtant rien de nouveau a faire avec luy, sinon de luy offrir vostre [296] obeissance et de luy demander sa protection; et selon que vous le verres aysé et doux, ou par vous mesme ou par une discrette entremise, vous pourres luy demander un Pere spirituel a qui vous vous puissies addresser es occurrences, et par le soin duquel vous puissies traitter avec luy quand l'affaire le requerra. Si c'est M. Scarron, j'espere qu'on en aura de la satisfaction; car bien que je ne le connoisse gueres, si est ce que j'en ay ouy dire de grans biens.

Murmurés tant que vous voudres contre moy, car je ne m'en soucie point, et sçay bien que vous sçaves que je vous cheris et ay une tres entiere confiance en vous. Que si je ne vous ay pas fait voir ces lettres, c'est que je n'y ay pas seulement pensé; comme a la verité, cette multitude et varieté d'affaires m'oste la memoire de la pluspart des choses.

            Ouy, il faut demander M. d'Aouste a ce nouvel Evesque; car a la verité, M. le Grand Vicaire ne sçauroit en cela avoir ce soin particulier parmi le soin universel que son office luy donne.

            Demeurés en paix, ma tres chere Fille, et n'espies pas si particulierement les sentimens de vostre ame; mesprises les, ne les craignes point, et releves souvent vostre [297] cœur en une absolue confiance en Celuy qui vous a appellee dans le sein de sa dilection.

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

                        A la Mere Superieure

            de Ste Marie de la Visitation de Grenoble.

 

 

 

MDCLXXXVIII. A Madame le Maistre. Ce qui soulagerait la destinataire dans ses afflictions. — «L'honneur de souffrir beaucoup,» partage des enfants de Dieu ici-bas. — Deux sentiments de l'âme du Saint. — Demande affectueuse de nouvelles.

 

Annecy, [juillet-août 1620.]

 

                        Ma tres chere Fille,

            Certes, s'il se pouvoit, je voudrois tous les jours recevoir des nouvelles de vostre ame et tous les jours vous en donner de la mienne, car je m'imagine que vous ne vives gueres sans afflictions; si est-ce que par le sentiment de mon coeur je connois que le vostre seroit aucunement soulagé par le commerce spirituel qu'il pourroit avoir avec le mien, selon qu'il a pleu a Dieu de me donner une affection toute singuliere pour vous cherir de toutes mes forces.

            Ma chere Fille, vous sçaves tres bien que Dieu reserve le partage de ses enfans pour la vie future, et que pour celle ci, il ne donne ordinairement a ses mieux aymés que l'honneur de souffrir beaucoup et de porter leur croix apres luy. Je voy vostre cœur assis et affermi sur cette verité; c'est pourquoy, bien que d'un costé je ne puisse [298] pas m'empescher de compatir avec vous, puisque veritablement vous estes ma Fille, d'autre part je me glorifie avec vous en la Croix de Nostre Seigneur, puisque vous estes si heureuse que d'y participer; et ne cesseray jamais de prier le Saint Esprit qu'il establisse de plus en plus le vostre en son obeissance [et en son] tres pur et tressaint amour.

            Faites moy ce bien, ma tres chere Fille, que par la premiere bonne commodité qui se presentera, je puisse sçavoir quelque chose de l'estat de vostre cœur et de toute vostre chere petite trouppe de petitz enfans, que Dieu vous a donnés affin que vous fussies leur mere selon l'esprit encor plus que vous ne l'estes selon le cors; et de nostre frere N. et de nostre seur N., et Sur tout de la bonne madamoyselle vostre mere. Et suis tres invariablement,

            Ma tres chere Fille,

                                                                       Vostre tres humble frere et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve. [299]

 

 

 

MDCLXXXIX. A la Mère Geneviève de Saint-Bernard, prieure du Carmel de Chartres. Quand Dieu nous a donné une charge, il nous doit sa grâce pour la bien remplir. — Petit dialogue. — On est fidèle, si on est humble; on est humble, si on désire l'être. — Le pain quotidien. — Faire bien aujourd'hui, sans penser à demain, se fiant en la Providence

 

Annecy, [juillet-août 1620.]

 

                        Ma tres chere Fille,

            Quelle consolation pour vous que c'est Dieu mesme qui vous a faite Superieure, puisque vous l'estes par les voyes ordinaires. C'est pourquoy sa Providence est obligee, a sa disposition, de vous tenir de sa main affin que vous fassies bien ce a quoy il vous appelle. Croyes, ma tres chere Fille, il faut aller a la bonne foy sous la conduite de ce bon Dieu, et ne point disputer contre cette regle generale, que Dieu qui a commencé en nous le bien, le parfaira selon sa sagesse, pourveu que nous luy soyons fideles et humbles.

            Mays on va rechercher entre ses serviteurs quelqu'un qui soit fidele. Et je vous dis que vous seres fidele si vous estes humble. Mays seray je humble? Ouy, si vous voules. Mays je le veux. Vous Testes donq. Mais je sens bien que je ne la suis pas. Tant mieux, car cela sert a l'estre plus asseurement.

            Il ne faut pas tant subtiliser, il faut marcher rondement; et comme il vous a chargee de ses ames, charges le de la vostre, affin qu'il porte tout luy mesme, et vous et vostre [300] charge sur vous. Son cœur est grand, et il veut que le vostre y ayt place. Reposes vous ainsy sur luy, et quand vous feres des fautes ou des defautz, ne vous estonnes point; ains, apres vous estre humiliee devant Dieu, souvenes vous que la vertu de Dieu se manifeste plus glorieusement dans nostre infirmité. En un mot, ma chere Fille, il faut que vostre humilité soit courageuse et vaillante, en la confiance que vous deves avoir en la bonté de Celuy qui vous a mise en charge.

            Et pour bien couper chemin a tant de repliques que la prudence humaine, sous le nom d'humilité, a accoustumé de faire en telles occasions, souvenes vous que Nostre Seigneur ne veut pas que nous demandions nostre pain annuel, ni mensuel, ni hebdomadal, mais quotidien. Tasches de faire bien aujourd'huy, sans penser au jour suivant; puis, le jour suivant, tasches de faire de mesme; et ne penses pas a ce que vous feres pendant tout le tems de vostre charge, ains alles de jour en jour passant vostre office, sans estendre vostre souci, puisque vostre Pere celeste qui a soin aujourd'huy, aura soin demain et passé demain de vostre conduitte, a mesure que, connoissant vostre infirmité, vous n'espereres qu'en sa providence.

            Il m'est advis, ma tres chere Fille, que je vay bien a la bonne foy avec vous de vous parler ainsy, comme si je ne sçavois pas que vous sçaves mieux que moy tout ceci; mays il n'importe, car cela fait plus de coup quand un cœur ami le nous dit.

            Je suis vostre.

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve. [301]

 

 

 

MDCXC. A la Mère de Chantal, à Paris (Inédite). L’été, mauvaise saison pour la santé de François de Sales. — A quelle condition il écrira courtement à la Mère de Chantal. — Deux sœurs qui s'aiment bien et qui sont très aimées par leur Père spirituel. — Ce que va faire D. Juste en Piémont. — Regret de ne pouvoir envoyer quelques lettres, et messages paternels

 

Annecy, 4 août 1620.

 

                        Ma tres bonne et tres chere Mere,

            Je fay beaucoup de choses, et en laisse beaucoup pour suivre vostre intention. Il y a huit ou 9 jours que j'ay eu un peu des incommodités que l'esté a accoustumé de m'apporter; nostre M. Grandis dit que ce n'est rien, et non seulement je le croy fermement, mais je le sens evidemment. Or il est force pourtant qu'en suite j'escrive le moins que je puis; a ce moys prochain, cette reserve me sera ostee.

            Je n'escriray donq qu'a vous, et encor bien peu, a la charge neantmoins que vous n'en tireres pas consequence que je veuille vous retrancher vos longueurs es lettres, car elles me sont tres agreables, pourveu qu'elles ne vous nuisent pas. Et de plus, si j'eusse sceu plus tost le depart du sire Pierre, j'eusse escrit a cette fille bienaymee que vous aves aupres de vous, fille du jour et de l'oratoire de la Visitation, qui fut si efficacement visitee au jour qu'on celebroit la feste des visites celestes. Mon Dieu, que j'ayme son cœur et celuy de ma tres chere fille sa [302] seur! Il faut bien qu'elles cultivent l'un'et l'autre le don de Dieu. J'ay envoyé a Rome affin d'obtenir l'entree de cette seur, qui sçait bien ce que je luy suis, et que je sçai la sainte et parfaite union qu'ell'a avec cette chere fille, qui merite bien qu'elle la puisse quelque fois voir de plus pres.

            O ma Mere, je vous escriray, et a toutes nos Filles, si tost que nostre bon P. D. Juste sera parti, qui est le plus admirable amateur et admirateur de la Visitation, de nous et de tout ce qui est de nous, quil est possible d'imaginer. Il veut partir dans 4 ou cinq jours, tant pour faire venir la signora D. Genevra, que pour assister a mon frere en son sacre, que pour un autre tout bon dessein que Dieu luy a donné.

            Helas! je n'escriray point a ma tres chere fille Mme de Port Royal, ni a Mlle Le Maistre; mays je prieray Dieu quil les console de l'abondance de son saint amour.

            Je vis avec impatience jusques a ce que j'aye fait un petit mot de congratulation a nostre chere fille sur son mariage, que Dieu veuille a jamais benir. Amen.

            Ma Mere, je salue toutes nos Seurs d'icy, vielles et nouvelles, et toutes celles de dela, et Mme de Gouffiez, ma fille, quoy qu'elle sache dire ni repliquer, et Mme de Villesavin, avec son Anne et son Angelique, et en somme, toutes. J'escriray et respondray a nostre bon M. de Saint Jaques.

            4 aoust 1620.

            Nous avons receu vostre fille de Dijon, delaquelle j'ay [303] bonne opinion; elle porte un je ne sçai quoy de ma tres chere Mere en son visage.

            Dieu, par sa bonté, soit a jamais glorifié en nostre unique cœur. Amen. Vive Jesus! O ma Mere, quand vous verres ma tres chere commere Mme la Presidente de Herce……………………

                        A nostre très chere Mere

            Supérieure de la Visitation d'Annessi.

                                   A Paris.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Limoges.

 

MDCXCI. Au Baron Prosper de Rochefort (Inédite). Pauvre âme à «l'esprit renversé» et à la conscience dévoyée. — Promesse d'intervenir auprès de Mgr de Belley en faveur du destinataire.

 

Annecy, 5 août 1620.

 

                        Monsieur,

            Je parlay encor il ny a que trois jours avec monsieur Rosetain de cette miserable creature de laquelle, et pour mon devoir et pour suivre vostre bon desir, j'avois affectionné la retraitte. Il me dit qu'ell'avoit tout a fait l'esprit renversé, et qu'elle disoit rage de luy et de moy, comme [304] si la voulant retirer icy je l'eusse volu trahir et perdre; et qu'au demeurant, elle fait ses actions en sorte qu'on ne peut rien preuver. Dieu, par sa bonté, y veuille mettre sa sainte main, et guerir son esprit de ce desvoyement de conscience.

            Je ne sçai pas encor quand Monsieur le Rme de Belley voudra que je luy aille rendre mon devoir, et croy qu'il vous estime si entierement que mon entremise sera superflue. Mais puis qu'il vous plait, je l'y contribueray, grandement obligé a vostre bienveuillance de la veritable asseurance que vous prenes de mon affection, qui est toute invariable a vous honnorer fidelement, et a me faire vivre a jamais,

            Monsieur,

                                               Vostre tres humble et plus obeissant parent

                                                                       et serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            V aoust 1620, Annessi.

            Monsieur, je suis fort asseurement tres humble serviteur de monsieur d'Escrivieu, vostre cher et digne filz, et luy souhaite toute sorte de bonheur en sa sollicitation, avec l'incomparable contentement de vous voir [heureux] longuement en cette vie.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le baron de Rostaing,

à Montbrison. [305]

 

MDCXCII. A Dom Jean de Lucinge, prieur de Contamine. Une rixe sur laquelle il faut informer.

Annecy, 5 août 1620.

 

                        Monsieur mon Cousin,

            Comme M. Crosson vint l'autre jour a moy pour se plaindre de son Prieur, aujourdhuy son Prieur vient a moy pour se plaindre de luy, et m'a monstré son visage tout gasté des coups quil dit avoir receu dudit M. Crosson, me priant de vous prier de vouloir aller sur le lieu de l'exces pour informer: ce que je croy estre fort a propos. Et sil vous plait faire l'information en sorte que je m'en puisse servir, il y aura moyen de rendre justice, a l'un par vous, et a l'autre par moy.

            Atant, vous saluant bien humblement, je demeure, Monsieur mon Cousin,

                                               Vostre tres humble cousin et confrere,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            V aoust 1620.

                        A Monsieur

            Monsieur de Lucinge,

                        Prieur de Contamine.

 

Revu sur l'Autographe conservé dans le trésor de l'église

Saint-François de Sales, à Lyon. [306]

 

 

 

MDCXCIII. A la Mère de Bréchard, Supérieure de la Visitation de Moulins (Inédite). Un passage d'une lettre de Mme du Tertre. — Réponse que lui fit François de Sales. — Sa décision après plus ample information. — La douceur des Règles de la Visitation Sainte-Marie. — «Oublier les orages et les flotz,» et ne point se lasser de souffrir

 

Annecy, 9 août 1620.

 

                        Ma tres chere Fille,

            J'ay receu vostre grande lettre, a laquelle je ne me suis pas hasté de respondre par ce que des-ja j'avois respondu a tout ce qu'elle contient par la lettre que j'escrivis et a vous et a Mlle du Tertre, que je mis dans un paquet que j'addressay a monsieur le Mareschal par monsieur des Hayes qui, revenant de Constantinople, alloit en poste au Roy; et je m'asseure que vous l'aures receue.

            Voyci les propres paroles de la lettre que Mlle du Tartre (sic) m'avoit escritte: «Je ne fus pas asses satisfaite d'avoir consulté les Capucins; je desiray voir le bon P. Recteur, auquel je vous puis asseurer, Monsieur, que je dy tout l'engagement, et de la mesme sorte que je vous l'ay escrit. Il me dit que, dans l'interest de Dieu et le mien, je devois me tenir en cette ville, mais neantmoins ayder l'establissement de la Mayson de Nevers, et quil me feroit voir par ses livres que c'estoit avec des tres bonnes raysons quil me disoit que je pouvois transmuer mon dessein.» Sur cela, je luy escrivis, et a vous, qu'elle [307] devroit suivre l'advis de ce Pere, qui ne peut estre que grave personnage, et donner une partie de ses moyens pour Nevers, gardant l'autre pour Moulins, en sorte qu'en faisant l'un elle n'abandonnast pas l'autre.

            Mays on ne m'avoit pas dit tout, et je viens de l'apprendre tout maintenant. Le vœu n'est pas demeuré entre Dieu et Mlle du Tertre; la promesse est passee jusques a Nevers et ell'y a esté acceptee, et en suite de l'acceptation, on a acchepté places, mayson et meubles jusques a dix mille francz, par commission donnee de la part de madamoyselle du Tertre. Certes, j'adjouste donq que, tout au fin moins, les dix mille francz employés par ordre de madamoyselle du Tertre, sur sa parole, en suite de son vœu, ne peuvent ni doivent estre retirés, sinon que, comm'il se peut faire, je sois grandement deceu en l'intelligence des docteurs. Mais je m'asseure que le P. Recteur se sera bien fait expliquer tout le fait et aura, par sa prudence, accommodé toutes choses selon le droit; et je m'asseure que Mlle du Tertre aura eu de la consolation de voir que, par ses moyens, l'une des Maysons soit fondee et l'autre mieux establie en commodités; et cela ne luy devra nullement oster le tiltre de fondatrice, au contraire, elle le meritera doublement.

            Et quant aux exceptions qu'elle desireroit pour moins incommodement vivre dans le monastere: pourveu qu'elle se sousmette aux Regles et aux Constitutions essentielles (en quoy, comme en toutes autres choses, le Pere Recteur et les autres theologiens vous pourront bien conseiller); il ny a Regle au monde, ni Constitutions qui s'accommode (sic) tant aux infirmes que celles de cet Institut. Et quant a l'obeissance, qui est essentielle, ell'est tous-jours bien douce, ce me semble, quand on est en des monasteres ou les Superieures sont bien conditionnees, principalement aux filles infirmes et qui pour quelque digne sujet sont exceptees.

            Le Monastere de Nevers ira bien, apres que toutes ces bourrasques auront esté appaysees. Il n'est pas besoin de se mettre en souci si celles ci ou celles-la y entreront; [308] Dieu, duquel la providence a fait ce buisson, sçait bien quelz oyseaux y doivent chanter ses louanges.

            Si la fille dont vous m'escrives, du marchand qui a mené les affaires, a sa vocation aux Carmelites, qui oseroit avoir pensé de la desirer ailleurs? Elle sera bienheureuse d'estre en une si sainte assemblee. Que si ell'est pour Sainte Marie, ell'y treuvera bien aussi de quoy y servir sa divine Majesté.

            Vous aves grandement bien accompaignee ma Seur Paule Hieronime de luy avoir donné ma Seur de Chatelu. Si celle qui luy succede aupres de vous ne fait pas tant de besoigne, il faut avoir patience; on ne peut pas avoir toutes choses a souhait. Seulement je vous prie de reprendre patience, oublier les orages et les flotz, et mesnager le reste de vostre navigation tranquillement. Vous n'eutes jamais tant de peine ni de mal de cœur que parmi ceste bourrasque; benisses Dieu, demeures humble et courageuse, et ne vous lasses point de souffrir beaucoup.

            Si je puis, j'escriray un mot a Mlle du Tertre; si je ne puis, salues-la cherement. Elle sçait bien que la pretention que j'ay en elle n'est autre chose que son eternelle beatitude, praetention que je la supplie de favoriser de tout son pouvoir. Amen. Vive Jesus!

            Je suis sans fin, et sans varier ni peu ni prou, parfaitement vostre, ma tres chere Fille.

            IX aoust 1620.

                        A ma tres chere Fille en [N. Sr],

            Ma Seur Jean. Charle [de Brec] hard,

            Superieure de Ste Marie de la Visitation.

                                   A Moulins.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Nantes. [309]

 

 

 

MDCXCIV. A la Mère de Chantal, a Paris. Nouvelles réponses à Moulins et à Nevers pour éclaircir les premières. — Le caractère de «race des biens des anciens chrestiens.» — Epreuves de la Mère de Bréchard. — Seule habitation stable de l'Evêque de Genève; regard sur l'autre vie. — Quelques mots de la Communauté d'Annecy. — L'unique chose à traiter à Rome pour la Congrégation

 

Annecy, 9 août 1620.

 

            N'attendes nullement de moy une grande lettre, ma tres chere Mere, car j'ay tant escrit que je n'en puis plus, ayant esté contraint de faire de rechef des lettres pour Moulins et Nevers, plus longues beaucoup que l'ordinaire, pour m'esclarcir sur les responses que j'avois faites, car on ne m'avoit pas dit tout et je n'avois pas respondu tout.

            C'est la verité que le vœu de Mlle du Tartre (sic) ayant esté fait en faveur de Nevers, et ayant esté non seulement accepté, mays en bonne partie executé jusques a l'employ de dix mille francz fait par ordre et procuration de Mlle du Tertre, il ny a nulle apparence qu'elle s'en puisse desdire, au moins quant a la part des-ja employee. Or, je croy que tout ira bien, et l'affaire d'Orleans aussi. Les biens qui se font sans contradiction ne semblent pas estre de la race des biens des anciens Chrestiens. [310]

            La pauvre Seur Jeanne Charlotte a esté bien exercee, a ce qu'on m'escrit; et, ce qui est plus deplorable, c'est que l'on a remué ces vieux bruitz qui, comme tres injustes, avoyent esté ensevelis, ainsy que m'escrit ma chere fille de Goufiez, a laquelle je ne puis escrire, me contentant de la saluer de tout mon cœur pour cette fois. O que le monde est inique, a mon gré, et que sa prudence est haïssable, parce qu'ell'est serpentine et nullement associé (sic) a la simplicité colombine! O il ny a nul danger que vous traitties toutes ces filles maternellement; elles le reçoivent, je m'asseure, filialement.

            Ne vous empresses nullement pour vostre retour; ces fondations de dela sont de si grande importance quil ny faut pas espargner le tems. Et moy, voyant que je suis appellé a suivre M. le Prince Cardinal, soit quil aille a Rome, soit qu'il aille en France, comme l'on dit quil fera, je ne suis plus de ce païs, ains du monde, et fay estat de n'avoir nulle habitation que dans le sein de l'Eglise. Je commence a ne plus arrester ma pensee qu'a la reunion de l'autre vie, en laquelle, comme nous sommes inseparables d'esprit, nous le serons encor de veue. J'attens toutes les heures qu'on m'escrive quil faut partir pour aller en France.

            Je donnay un exemplaire du Formulaire de la reception des filles a l'habit et aux vœux, tres bien escrit, a nos Seurs. Enfin, l'experience a fait voir que quand les filles demeurent a la treille un peu eslevees, on les void mieux et on les entend mieux par tout l'oratoire.

            Ma Mere, je suis cruel a nos Seurs d'icy, car je ne les voy point; mais le monde m'est cruel a moy, qui m'apporte tant de tricheries. Helas! la pauvre Seur Marie Magdeleyne est une bonne Seur, mais je ne sçai quand on la pourra tirer de dessus elle mesme. Mays la pauvre chetifve Seur Jeanne Françoise s'en va petit a petit [311] tout a fait folle, si Dieu ny met sa puissante main. O pourveu que le dernier accident luy arrive en la grace de Dieu, il importera peu. Je suis marri en la partie superieure de cela, et m'estonne dequoy je n'en ay nul sentiment ailleurs.

            Ma Mere, si j'allois a Rome, il ne faudroit nullement traitter des Constitutions, car ce seroit tous-jours a refaire; on deputeroit quelqu'un pour les revoir, qui les renverseroit toutes, peut estre. Il ne faudroit que procurer la perpetuité du petit Office. Jamais il ny eut Religion delaquelle toutes les Constitutions ayent esté appreuvees a Rome par le Saint Siege, il suffit que les Regles le soyent. Tout ce que la prudence y peut faire, se fera a la reveüe; apres cela, il faut demeurer en paix et laisser a la providence de Dieu de les establir, et elle le fera.

            Je vous vay escrire un article pour ma fille Mlle de Frouville et Mme de Villeneuve, que vous pourres monstrer a celle ci, car c'est pour le service de la seur que j'ayme tout a fait.

……………………………………………………………………………………………………..

………………………………………………………….niture sacree quil desire, et n'excepte rien

…………...la feu Infante et Madame eut on fait faire ce de le pouvoir par l'entremise de celle ci.

9 aoust 1620.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Turin. [312]

 

MDCXCV. A Mademoiselle Lhuillier de Frouville. Saint résultat de la promptitude à faire la volonté de Dieu. — Le calme après une rude secousse. — Néant de ce que l'on quitte pour le Seigneur, valeur immense de ce que l'on trouve. — Trois parties de l'holocauste

 

Annecy, 9 août 1620.

 

            Ce m'est une douceur nompareille, ma tres chere Fille, de voir l'operation celeste que le Saint Esprit a faite en vostre cœur, en vostre si forte et genereuse resolution de vous retirer du monde. O que vous fistes sagement, suivant la sagesse surnaturelle, ma tres chere Fille! car ainsy estoit il en l'Evangile de la feste qu'on celebroit, que Nostre Dame s'en alla tout hastivement droit dans les montz de Juda. Cette promptitude de faire la volonté de Dieu est un grand moyen d'attirer de grandes et puissantes graces pour la suite et accomplissement de toute bonne œuvre; et vous voyes, ma tres chere Fille, qu'apres la rude secousse que vostre cœur sentit quand, de vive force, il se desprit de ses sentimens, humeurs et inclinations pour suivre l'attrait superieur, en fin vous voyla toute consolee et accoysee dans le bienheureux buisson que vous aves choysi pour chanter a jamais la gloire du Sauveur et Createur de vostre ame.

            Or, releves, ma chere Fille, releves souvent vos pensees a cette eternelle consolation que vous aures au Ciel, d'avoir fait ce que vous aves fait. Ce n'est rien, certes (et je voy bien que vous le croyes ainsy), ce n'est tout a fait rien en comparayson de vostre devoir et de ces immortelles recompenses que Dieu vous a preparees; car, que sont toutes ces choses que nous mesprisons et quittons pour Dieu? En somme, ce ne sont que des chetifz petitz momens de libertés, mille fois plus sujettes que l'esclavage [313] mesme; des inquietudes perpetuelles, et des pretentions vaines, inconstantes et incapables d'estre jamais assouvies, qui eussent agité nos espritz de mille sollicitudes et empressemens inutiles: et ce, pour des miserables jours, si incertains, et courtz, et mauvais. Mais neanmoins il a pleu ainsy a Dieu, que qui quitte ces neans et vains amusemens des momens, gaigne en contreschange une gloire d'eternelle felicité, en laquelle cette seule consideration d'avoir voulu aymer Dieu de tout nostre cœur et d'avoir gaigné un seul petit grade d'amour eternel de plus, nous abismera de contentement.

            En verité, ma tres chere Fille, je n'avois garde de vous dire: Foules aux pieds vos sentimens, vos desfiances, vos craintes, vos aversions, si je n'eusse eu la confiance en la bonté de l'Espoux celeste, qu'il vous donneroit la force et le courage de soustenir le parti de l'inspiration et de la rayson contre celuy de la nature et de l'aversion.

            Mays, ma tres chere Fille, il faut que je vous die que vous voyla doucement toute morte au monde, et le monde tout mort en vous: c'est une partie de l'holocauste. Il en reste encor deux: l'une est d'escorcher la victime, despouillant vostre cœur de soy mesme, coupant et tranchant toutes ces menues impressions que la nature et le monde vous donnent; et l'autre, de brusler et reduire en cendres vostre amour propre, et convertir tout en flammes d'amour celeste vostre chere ame. Or, ma Fille certes toute tres chere, cela ne se fait pas en un jour, et Celuy qui vous a fait la grace de faire le premier coup, fera luy mesme avec vous les autres deux; et parce que sa main est toute paternelle, ou il le fera insensiblement, ou, s'il vous le fait sentir, il vous donnera la constance, ains la joye qu'il donna au Saint duquel nous faysons la feste, sur la grille. C'est pourquoy vous ne deves point apprehender: Qui vous a donné la volonté, il vous donnera l'accomplissement. Soyes seulement fidele en peu de choses, et il vous establira sur beaucoup de choses.

            Vous me promettés, ma tres chere Fille, que si on vous [314] le permet, vous m'escrires toutes les rencontres de vostre heureuse retraitte; et je vous prometz qu'on vous le permettra, et que je recevray ce recit avec un extreme amour.

            Dieu soit a jamais beni, loué et glorifié, ma tres chere Fille, et je suis en luy et pour luy, tres singulierement,

                                                           Vostre tres humble et tres affectionné serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce 9 aoust 1620, Annessi.

            Le bon oncle Chartreux sera bien consolé quand il sçaura que vous estes [Religieuse],

A Madamoyselle de Frouville.

            A Sainte Marie.

                        A Paris.

 

 

 

MDCXCVI. A Madame de Villeneuve. Une action héroïque, digne des premiers temps du christianisme. — Servir Dieu en Dieu. — Consolation et force

 

Annecy, 9 août 1620.

 

            Je me res-jouys avec vous, ma tres chere Fille, de la retraitte de la chere seur, tant par ce qu'en verité ell'a esté faite genereusement, saintement et, pour le dire comme je l'entens, heroiquement et a la façon de ces anciennes ames du christianisme de l'aage plus saint, qu'aussi dautant que, comme m'a escrit la bonne Mere Superieure, vous aves autant de part en cette retraitte, et plus encor, que si vous vous fussies retiree vous mesme, en cas quil vous eut esté loysible. O c'est ainsy, ma Fille tres cherement bienaymee, quil faut servir Dieu, car c'est le servir en Dieu et par l'amour souverainement et incomparablement excellent. [315]

            Je sçai le fort, vif et tendre amour de vostre cœur envers cette seur, et que cette petite separation luy aura costé des grans effortz, et c'est cela qui me donne mille playsirs en la partie superieure; car en l'inferieure, croyes moy, ma Fille, j'ay treuvé mon sentiment engagé dans le vostre, tant il est vray en un sens tres sincere, que «l'amour egale les amans.» Vous aves donq si bonne part en ce sacrifice aggreable, que je m'en res-jouis tres affectionnement avec vous, et croy que la divine Bonté aura une douce souvenance de vostre holocauste et confirmera vostre conseil, et vous rendra, selon l'intention de vostre cœur, une consolation qui vous fera tousjours croistre en cet amour, ou une force qui, sans consolation, vous fera tous-jours de plus en plus parfaitement servir ce celeste amour.

            Je ne sçai que vous dire, ma tres chere Fille, sinon que je suis indiciblement et incroyablement vostre.

            Vive Jesus! Amen.

            IX aoust 1620.

                        A Madame

            Madame de Villeneufve.

 

Revu sur l'Autographe appartenant aux Filles de la Croix de Trèguier.

 

 

 

MDCXCVII. A M. François Lhuillier d'Interville. Félicitations à un père qui a généreusement donné sa fille à Dieu. Grâces qui naîtront de son sacrifice.

 

Annecy, 9 août 1620.

 

                        Monsieur,

            Ayant sceu avec combien de resolution vous aves consenti a la soudaine et inopinee retraitte de madamoyselle [316] de Frouville, vostre fille bienaymee, je ne me puis retenir de m'en res-jouyr de tout mon cœur avec vous, comme d'une action en laquelle Dieu aura pris son bon playsir, et dont les Anges et les Saintz auront glorifié extraordinairement la divine Providence. Car je sçai bien, Monsieur, que cette fille vous estoit parfaitement pretieuse, et que vous n'auries peu la donner a la divine volonté que premierement vous ne vous fussies abandonné tout a fait vous mesme a son obeissance, qui est le plus excellent bonheur qu'on puisse souhaitter.

            Or, j'augure de plus que, pour ce saint sacrifice spirituel que vous aves si franchement fait a Dieu, sa souveraine et [infinie] Bonté vous donnera les mesmes benedictions qu'elle donna en pareille occasion au grand Abraham. Et ce sont les desirs que je fay sur vous et sur toute vostre mayson, qu'en vous benissant elle vous benisse, establissant vostre posterité en sa grace, contre toutes sortes de contradictions.

            Et vous saluant tres humblement, avec madamoyselle d'Interville, vostre compaigne, je demeure,

            Monsieur,

                                                                       Vostre tres humble serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 9 aoust 1620. [317]

MDCXCVIII. Au Père Antoine Antoniotti, de la Compagnie de Jésus (Inédite). Appréciation du Saint sur une traduction de l'Introduction a la Vie devote. — Critiques qu'il réfute; corrections qu'il a faites. — Envoi du Traitté de l'Amour de Dieu; multiples fautes d'impression de la sixième édition. — Trois ou quatre mille sermons en vingt-huit ans. — Pourquoi l'Evêque de Genève ne peut écrire comme ses amis l'en prient. — Philothée réimprimée plus de quarante fois.

 

Annecy, 16 août 1620.

 

Molto Reverendo Padre in Christo osservandissimo,

            Rimando alla P V. la traduttione sua, laquale havendo veduta dal principio sino al fine, parmi esser molto bella [318] et ben fatta; et ringratio humilmente V. P. che si è degnata di mettervi la mano.

            Una sola cosa mi dà da pensarvi: et è che alcuni signori Italiani dicono che li capi nelli quali io tratto de giochi, balli, corteggi et simili trastulli et passatempi, et anco il capo Della honestà del letto nuptiale et la comparatione ch'è nel trattato delle Tentazioni, della principessa sollecitata, risguardano la leggierezza et libertà della natione francese, et che la severità et gravità naturale de gl'Italiani non ha bisogno che si tratti di cose tali. Et questo io lo lascio al giuditio di V. Ptà, sapendo bene tuttavia che in più luoghi d'Italia et si balla, et si giocha, et si fan corteggi, massime nelli luoghi vicini a Todeschi et alla Francia, come è il nostro Piemonte. Et di più, in Spagna si è trodotto (sic) questo libretto senza eccettione, dove pur si fa molto conto del sossiego. Et in simili opere, bisogna che li savii habbino patienza mentre si tratta con altri men prudenti, perchè parlando [319] a secolari, corteggiani et altri, sapientibus et insipientibus debitor sum.

            Ho corretto molti luoghi doüe il stampatore di Lyone haveva errato, et alcuni pochi doüe le parole francesi non erano state ben intese, come: austruches, che non vuol dire tartaruche, ma struzzi; detraquer, sconcertare; detraquè, sconcertato; goderon, lattuca; et alcune altre simili, poche in numero et anco in importanza.

            Mando a V. P. la carta qui alligata, dove vederà i luoghi di S. Gregorio Nazianzeno, et un pazzo (sic) del capo Della honestà del letto nuptiale, dove sarà forsi bene di non esprimer tanto alla scoperta la comparatione. Mi è parso bene di mandar adesso questa opera, perchè temo che Sua Altezza non voglia che io passi in Francia all'hora che io non vi pensarò.

            Mando anco a V. P. il Trattato che io feci dell'Amor [320] d'Iddio, il quale si traduce da un gentilhuomo, assai felicemente, per quanto io intendo. Et mi rincresce che in questa ultima editione, che è la sesta, siano trascorsi tanti errori in un libro doüe sarebbe necessario che non se ne trovassero, poiché facilmente l'errore del stampatore può far senzi falsi in materie importanti; et s'io havessi potuto trovar copie della prima editione, l'haverei senza dubbio mandata.

            Vederà nella Praefatione V. P., che io scrivo molto poco: il che non aviene per mancamento di materia, perchè io havrei molte cose da scrivere dell'amor del prossimo, et delle cose che io [ho] praedicato in tre o quatro mille sermoni che io [ho] fatti de 28 anni in qua, che a molti pare che sarebbono cose utili al ben publico; et l'anno passato, che io fui in Parigi col Serenissimo Principe Cardinale, molte persone di gran qualità ne fecero instanza. Ma è impossibile, sotto a questo peso pastorale, [321] il scrivere per far stampare; se sua divina Maestà lo vuole, mene darà la commodità, et se non vuole, neanche io devo volerlo.

            Et quanto alla Introduttione, è vero che è stata utilissima in Francia, in Flandria, in Inghilterra, et è stata ristampata più di 40 volte, in diversi luoghi, nella lingua francese, et ha servito ancora a convertire gli haeretici, si come nota il P. Giacomo Galterio, della Compagnia, nel sesto (sic) secolo delle sue Tavole chronographique. [322] Non sô mo se riuscirà cosi in Italia. Faccia il Signor Iddio che la fatigha di V. P. et l'humiltà colla quale Ella si è degnata di dare a questa operina il bel vestimento italiano del quale ella è ornata, sia utilissima alla salute di molte anime.

            Et così resto,

                        Di V. P. molto Rda,

            Humilissimo fratello et servitore,

                        FRANCO, Vescovo di Geneva.

            16 di Agosto 1620. [323]

 

 

 

Très Révérend et très honoré Père dans le Christ,

            Je renvoie à Votre Paternité sa traduction, que j'ai revue depuis le commencement jusqu'à la fin. Elle me paraît très belle et bien [318] faite; aussi je vous remercie très humblement d'avoir daigné l'entreprendre.

            Une seule chose me donne à réfléchir: c'est que quelques personnages italiens disent que les chapitres où je traite des jeux, des bals, des amourettes et de semblables amusements et passe-temps, comme aussi celui De l'honnêteté du lit nuptial et la comparaison de la princesse sollicitée, qui se trouve dans le traité des Tentations, conviennent à la légèreté et liberté de la nation française; mais que la retenue et la gravité naturelle des Italiens n'ont pas besoin qu'on parle de tels sujets. Je laisse ceci au jugement de Votre Paternité, sachant bien toutefois qu'en plusieurs endroits d'Italie et l'on danse, et l'on joue, et l'on courtise, surtout dans les lieux voisins de l'Allemagne et de la France, tels que notre Piémont. De plus, ce livret a été traduit sans aucun retranchement en Espagne, où cependant on fait grand cas de la gravité extérieure. Il faut, d'ailleurs, que les sages prennent patience lorsqu'en de semblables ouvrages [319] on traite avec de moins prudents; car, parlant aux gens du monde, à des courtisans et autres, je me dois aux sages et aux insensés.

            J'ai corrigé beaucoup d'endroits où l'imprimeur de Lyon avait fait des fautes, et quelques-uns où les mots français n'avaient pas été bien compris, comme: «austruches,» qui ne signifie par tartaruche (tortues), mais struzzi; «detraquer,» sconcertare; «détraqué,» sconcertato; «goderon,» lattuca; et quelques autres du même genre, peu nombreux et aussi de peu d'importance.

            J'envoie à Votre Paternité la feuille ci-jointe, où elle verra les textes de saint Grégoire de Nazianze, et un passage du chapitre De l'honnêteté du lit nuptial, où peut-être sera-t-il bon de ne pas exprimer si ouvertement la comparaison. Il m'a semblé mieux d'expédier maintenant ce travail, car je crains que Son Altesse veuille me faire aller en France à l'heure où j'y penserai le moins.

            Je vous adresse aussi mon Traitté de l'Amour de Dieu, qu'un [320] gentilhomme traduit assez heureusement, à ce que j'entends dire. Il me fâche que dans cette dernière édition, qui est la sixième, tant d'erreurs se soient glissées en un livre où il n'en faudrait point; car une faute d'impression peut facilement donner un sens faux en matières importantes. Si j'avais pu trouver un exemplaire de la première édition, assurément je vous l'aurais envoyé.

            Votre Paternité verra dans la Préface que j'écris très peu. Ce n'est pas, certes, faute de sujet; car j'aurais beaucoup à écrire de l'amour du prochain et des choses que j'ai prêchées en trois ou quatre mille sermons faits depuis vingt-huit ans, qui, de l'avis de plusieurs, seraient utiles au bien public. L'année dernière, étant, à Paris avec le Sérénissime Prince Cardinal, nombre de personnes de grande qualité m'en firent même de vives instances. Mais il est [321] impossible sous cette charge pastorale, d'écrire pour faire imprimer. Si la divine Majesté le veut, elle m'en donnera le loisir; et si elle ne le veut pas, je ne dois pas le vouloir non plus.

            Quant à l'Introduction, il est vrai qu'elle a été très utile en France, en Flandre, en Angleterre; on l'a réimprimée en français plus de quarante fois, en divers lieux; elle a même servi à convertir les hérétiques, comme le remarque le P. Jacques Gaultier, de la Compagnie de Jésus, au sixième siècle de ses Tables chronographiques. [322] Je ne sais si elle aura autant de succès en Italie. Plaise à Dieu notre Seigneur que la peine prise par Votre Paternité et l'humilité avec laquelle Elle a daigné donner à ce petit ouvrage le beau vêtement italien dont il est orné, devienne très profitable au salut de beaucoup d'âmes.

            Je demeure, de Votre très Révérende Paternité,

            Le très humble frère et serviteur,

            FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            16 août 1620. [323]

 

 

 

Minute de la lettre précédente (Fragment inédit)

 

Molto Reverendo Padre in Christo osservandissimo,

            Trovandomi adesso incerto se ritornarò in Francia, et temendo che quando meno ci pensaró sarò subito necessitato di partire, et dall'altra parte havendo questa commodità de Padri Barnabiti che vanno costi, rimando alla Ptà Vostra l'Introduttione fatta da lei italiana. Et l'ho veduta da capo a piedi, parendomi che stia molto bene; et io [sono] ubligatissimo a V. Ptà che si sia degnata assumere questa gariga.

            In certi luoghi, il stampatore di Lyone havea errato, et in consequenza haveva dato causa d'errore nella traduttione; et io vi ho messo la correttione. In altri, l'energia delle parole francese non era stata ben capita, et questi erano pochissimi, anzi non me recordo che fossero più de tré o quatro. Detraquement, che vien dal verbo detraquer, [324] sconcertare; detraqué, sconcertato; ma detraquement, non sô se si possa dire sconcertamento; et anco detraquer vuol dire sviare. Goderon è la lattuca che si porta al collo; et alcuni simili, come les defenses du sanglier, che sono i denti che escono fuor di bocca, che in francese non si chiamano denti, ma solomente (sic) defenses; come venayson, che è il grasso et il star bene de cervi.

            Dirò liberamente a V. P. che da signori Italiani ho havuto avisi molto differenti circa questo libretto, perché alcuni dicono che i capi nelli quali io tratto delli giochi, delli balli et simili passatempi, et nelli quali si parla delli corteggi et della honestà dello letto matrimoniale, et anco la comparatione che si fa nelli capitoli della tentatione, di quella principessa sollecitata, non sonno a proposito in Italia, doüe la severità et prudenza naturale della natione non permette que (sic) queste tali cose si facciano; et che dall'altra parte bisogna parlar molto accortamente delle cose appartenenti alla honestà, acciò non si ecciti l'imaginatione delle (sic) vitii contrarii. Altri dicono che se bene in alcune provintie d'Italia quella [325] severità regna, nientedimeno in altre provincie et si balla, et si attende a quelle legierezze, nelli confini …. de Todeschi et Francesi………………..paese de Venetiani, Piemonte et costa di Nizza.…………………………

 

Revu sur l'Autographe conservé à Rome, au Vatican, dans la chapelle des Reliques du Pape.

 

 

 

Très Révérend et très honoré Père dans le Christ,

            Dans l'incertitude où je suis au sujet d'un nouveau voyage en France, et craignant un départ précipité au moment où j'y penserai le moins, ayant d'autre part cette bonne occasion des Pères Barnabites qui s'en vont là-bas, je renvoie à Votre Paternité l'Introduction traduite par Elle en italien. Je l'ai revue d'un bout à l'autre, elle me semble fort bien; aussi suis-je très obligé à Votre Paternité de ce qu'Elle a daigné se charger de ce travail.

            En certains endroits, l'imprimeur de Lyon s'est trompé, et, par conséquent, a occasionné des erreurs dans la traduction; je les ai corrigées. En d'autres, la force des mots français n'avait pas été bien saisie, et ceux-ci sont en fort petit nombre; je ne me rappelle même pas qu'il y en ait plus de trois ou quatre. Détraquement, qui [324] vient du verbe détraquer, sconcertare; détraqué, sconcertato; mais je ne sais si détraquement peut se traduire par sconcertamento; et détraquer signifie aussi sviare. Goderon est la fraise qu'on porte autour du cou; et tels autres mots, comme les défenses du sanglier, qui sont les dents qui sortent de sa gueule, lesquelles en français ne s'appellent pas dents, mais seulement défenses; et encore venaison, qui est la graisse et l'embonpoint des cerfs.

            Je dirai simplement à Votre Paternité que j'ai reçu, au sujet de ce livret, des avis très différents par des personnages italiens. Les uns disent que les chapitres où je traite des jeux, des bals et de semblables passe-temps, et ceux où il est parlé des amourettes et de l'honnêteté du lit nuptial, comme aussi la comparaison de la princesse sollicitée que je fais dans les chapitres sur la tentation ne sont pas à propos pour l'Italie; car la retenue et la prudence naturelle de cette nation ne permettent pas qu'on fasse de telles choses. D'autre part, il faut, dit-on, parler très prudemment de ce qui touche la pudeur, afin de ne pas éveiller l'impression des vices contraires. D'aucuns avouent cependant que, quoique cette retenue [325] règne en plusieurs provinces d'Italie, ailleurs néanmoins on danse et on se livre à ces légèretés,…..aux frontières de l'Allemagne et de la France………………..pays des Vénitiens, en Piémont et sur la côte de Nice………………………………………………………………………………………………..

 

 

 

MDCXCIX. A Monseigneur Jean-François de Sales, son frère, Evêque nommé de Chalcédoine (Inédite). La paix en France, et les projets du Prince Cardinal. — Déplaisirs de ce monde. —Nécessité croissante de réformer certains Monastères. — Les intrigues du sacristain Perret. — Cuisinier et tailleur à «façonner au service et a la modestie.» — Salutations respectueuses. — «Un article de foy morale.» — Remerciements à faire à plusieurs Cardinaux

 

Annecy, 22 août 1620.

 

                        Mon tres cher Frere,

            Plus je vay avant, moins j'escris, car il me semble qu'il y a moins a dire.

            Les nouvelles asseurees de la pacification en France m'ostent tout a fait du doute auquel j'estois du voyage [326] de Monseigneur nostre Prince Cardinal, ains me mettent en quelque opinion que si elles arrivent a Son Altesse avant son depart pour l'abbouchement qu'elle devoit faire avec M. de Lesdiguiere, elle en desfera le dessein; et si elle vient, ce sera pour si peu, que je ne croy pas que sans importunité je luy puisse faire la reverence.

            Si monsieur le Marquis de Saint Damien vient, je m'essayeray de luy tesmoigner combien je me sens obligé a sabienveuillance. La pauvre Mme de la Croix sera grandement a plaindre sur la nouvelle de la rupture de son mariage, car a mesure qu'ell'a eu de la peine d'aymer son prœtendu serviteur, elle aura de la peine a le des-aymer. Ce monde est tout plein de desplaysirs.

            Ce fut pour Aberes que Monseigneur le Prince prouveut. Si je sçavois qu'on ne mit pas la main a la reforme generale des Monasteres, selon le projet de Monseigneur le Serenissime Prince, je supplierois Monseigneur le Cardinal de la procurer pour son abbaie d'Aux, ou neantmoins je ne croy pas qu'on la puisse faire de duree sans mutation d'Ordre ou de Congregation. [327] J'escriray a Monseigneur le Prince soudain que je sçauray quil sera de retour, affin quil luy playse faire reuscir ce bon œuvre general, car tous les jours il y a plus de necessité.

            M. le sacristain Perret est allé a Cluny, ou il remüe tant quil peut pour son dessein, et de la il veut passer a Rome pour remonstrer a Sa Sainteté ce quil pense propre pour rompre celuy de Monseigneur le Prince.

            Je n'ay garde de m'engager a Lyon pour la seconde fois, que je ne sache asseurement de pouvoir tenir parole; la providence de Dieu fera son coup selon sa gloire.

Mlle l'Ancienne de Sainte Catherine vous escrit, et m'a prié de la vous recommander aupres de monsieur son neveu.

            Voyla deux laquais, dont l'un est aucunement cuysinier, et l'autre est bon tailleur. Il les faudra façonner au service, et peut estre a la modestie, bien quilz soyent bons enfans. Quand vous marqueres le tems, M. Rolant ira vous servir.

            Vives heureux et joyeux en la grace de Nostre Seigneur, mon tres cher Frere, et notamment puisque vous aves maintenant le P. D. Juste qui vous ayme tant. Je l'ay prié de faire faire un pourtrait du Saint Suayre; mais puisque monsieur Rollant va la, il aura le soin de payer l'ouvrage.

            Je salue tres humblement monsieur le Chevalier de Lescheraine, et suis son tres humble serviteur. Je fay revenir mon neveu de Lyon, pour luy faire faire son cours [328] le filosophie icy et le stiler aux offices du chœur, puisque il l'a desiré.

            Je salue tres humblement madame de Saint George, que j'honnore plus qu'il ne se peut dire, et la signora Donna Genevra, ma chere fille, et Mme de Berné, et toutes ces dames qui me font la faveur de me vouloir du bien, et madame de Sarsenas a part, comme l'honnorant singulierement. De nostre Pere D. Juste je n'en dis rien, car il sçait bien que c'est un article de foy morale que je suis tres entierement tout sien.

            Le bon M. du Crest de l'Estoile est mort, et a laissé, comme on me dit, messieurs de Chevron ses heritiers en ce quil peut.

            Je pensois escrire peu, et en voyla beaucoup. Je remercieray monsieur l'Ambassadeur soudain que vous aures les Bulles, et le Cardinal Aldobrandin, qui m'a escrit une lettre bien honnorable, et le Cardinal Melin et le [329] Cardinal Sauli qui m'escrit combien d'obligation nous avons en cett'occasion a Monseigneur nostre Prince Cardinal.

            Or sus, Dieu soit a jamais nostre unique support, et je suis en luy tout vostre.

                                                                                                                      F., E. de G.

            XXII aoust 1620.

            Vous estes le premier auquel j'escris en cette mienne 54e annee que je commence aujourdhuy.

                                   A Monseigneur

             [Monseigneur] le Rme Evesque de Calcedoine,

                        premier Aumosnier de Madame.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [330]

 

MDCC. A la sœur de Morville, novice de la Visitation de Moulins. Inspirations partielles du Saint-Esprit. — Le père de l'Evangile et ses deux fils. — Dieu ne veut être aimé que totalement. — Qu'attend-il pour verser dans les cœurs le «don sacré de l'orayson?» — Baume divin et parfums de ce monde. — A qui appartient une aumône déjà livrée. — Il doit être indifférent à Mme du Tertre de donner ici ou là, puisqu'elle donne au Seigneur

 

Annecy, fin août-septembre 1620.

 

            O combien de benedictions Dieu espandra-il sur vostre cœur, et que de consolations sur le mien, si vous alles croissant en la prattique parfaite du divin amour, ma tres chere Fille! Le Saint Esprit tient quelquefois la methode d'inspirer par parties ce qu'il veut faire du tout, et ces vocations ont accoustumé d'estre grandement solides. Ce bon homme de l'Evangile, ayant deux garçons, dit a l'un d'iceux: Va, mon enfant, en ma vigne, pour y travailler; et il dit: Je n'en feray rien. Puis, faysant reflexion et revenant a soy, il y alla et travailla tres bien. Puis, le pere dit a l'autre: Mon enfant, va travailler en ma vigne; et il respondit: Je m'y en vay, et neanmoins il n'en fit rien. Or, dit Nostre Seigneur, lequel des deux a fait la volonté du pere? Sans doute le premier, ma tres chere Fille.

            Vous aves le courage trop bon pour ne faire pas parfaitement ce qu'il faut faire pour l'amour de Celuy qui ne veut estre aymé que totalement. Marchés donq bien ainsy, ma tres chere Fille, l'esprit relevé en Dieu et qui ne regarde que le visage et les yeux de l'Espoux celeste [331] pour faire toutes choses a son gré; et ne doutes point qu'il ne respande sur vous sa tressainte grace pour vous donner des forces esgales au courage qu'il vous a inspiré. Le don sacré de l'orayson est tout prest en la main droitte du Sauveur, soudain que vous seres vuide de vous mesme, c'est a dire de cet amour de vostre cors et de vostre volonté propre; c'est a dire, quand vous seres bien humble, il le versera dedans vostre cœur.

            Ayes patience d'aller le petit pas, jusques a ce que vous ayes des jambes a courir, ou plustost des aisles a voler. Soyes volontier pour encor une petite nymphe, bien tost vous deviendres une brave avette.

            Humilies vous amoureusement devant Dieu et les hommes, car Dieu parle aux aureilles abbaissees. Escoute, dit il a son Espouse, et considere, et abbaisse ton aureille; et oublie ton peuple et la mayson de ton pere. Ainsy le Filz bienaymé se prosterne sur sa face quand il parle a son Pere eternel et qu'il attend la response de son oracle. Dieu remplira vostre vaysseau de son baume quand il le verra vuide des parfums de ce monde, et quand vous seres humble, il vous exaltera. Mais, ma tres chere Fille, ne dites pas comme le jeune filz de cet homme: J'iray travailler, qu'avec un ferme desir d'y aller.

            Or sus, c'est la verité que j'ay escrit une seule fois a N. qu'une aumôsne voiiee et non delivree pouvoit estre en quelque sorte transferee d'un lieu auquel elle estoit destinee en un autre d'egale pieté; mais qu'estant voüee, delivree et executee on ne pouvoit plus s'en desdire, puisqu'une aumosne delivree n'est plus a celuy qui l'a faite, mais, de plein droit et tres certainement, appartient a celuy qui l'a receuë, et sur tout quand il l'a receuë sans condition, ou avec une condition qu'il est prest de son costé d'executer. Mais que je me sois plaint de vous, certes, je ne l'ay jamais fait, ni n'ay nullement inculqué mon advis, qui est l'advis de tous les theologiens.

            Voyla cependant qui va le mieux du monde, que vous [332] le veuillies suivre, nonobstant ce que le monde voudroit dire. Aussi vous est il egal de donner ou icy ou la, puisque le Dieu du Monastere de [Nevers] est le Dieu du Monastere de [Moulins], et que toutes les deux Maysons sont egalement a la tressainte Vierge, et a vous, ma tres chere Fille, que je conjure de perseverer a m'aymer constamment en Nostre Seigneur, comme tres invariablement je suis a jamais et sans reserve vostre; et ne cesse point de supplier la tressainte Vierge, la plus aymee Dame du Ciel et de la terre, qu'elle vous ayme et vous rende toute bien-aymee de son Filz, par les continuelles inspirations qu'elle impetrera de sa Majesté divine.

                                                           Vostre plus humble pere et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            1620.

 

 

 

MDCCI. A la Mère Favre Supérieure de la Visitation de Montferrand (Fragment). Double joie du saint Fondateur de la Visitation

 

Annecy, [août-septembre] 1620.

 

……………………………………………………………………………………………………..

            Vous verres, ma chere grande Fille, que Dieu vous fera recueillir de bons et beaux fruitz de vostre travail. Ah! que de joye a mon ame de sçavoir ma Mere a Paris et nostre unique chere fille en Auvergne, toutes deux cooperant avec le Saint Esprit a un service si digne et si saint!

…………………………………………………………………………………………………….

 

Revu sur le texte inséré dans la Vie manuscrite de la Mère Favre, par la Mère de Chaugy, conservée à la Visitation d'Annecy. [333]

 

MDCCII. A la Mère de Chantal, a Paris (Inédite). Lettre pour les Barnabites à Mgr de Bourges. — Douce espérance de revoir la Sainte à Paris. — Le Monastère d'Orléans. — Réponses que François de Sales pense faire de vive voix. — Les désirs de «plusieurs gens de bien » au sujet de Mgr Camus. — Ce qui contrebalance les réels défauts de Mme de Port-Royal. — Combien il lui serait avantageux de se retirer un peu à la Visitation; difficultés à ce projet. — Des «honneurs» à faire

 

Annecy, 11 septembre 1620.

 

            Hier bien tard je receu vos lettres, ma tres chere Mere, de la veille de Nostre Dame, et ce matin je vous escris hastivement par le sire Pierre qui va partir; et c'est le 22 de septembre, jour de saint Maurice.

            Or, tandis que je m'en resouviens, il faut que je vous die que nos Peres Barnabites m'ont fait escrire la lettre ci jointe a Monseigneur l'Archevesque de Bourges, de laquelle il leur importe grandement que j'aye response. Vous la verres, ma tres chere Mere, et si vous sçaves quelque chose sur ce sujet avant que Monseigneur de Bourges m'escrive, vous ne laisseres pas de me l'envoyer.

            Apres cela, ma tres chere Mere, il faut que je vous die que le voyage de M. le Prince Cardinal en France se remet en train, et mon frere m'escrit qu'on le tient pour asseuré et, quant et quand, que je le feray, ce Prince voulant que je l'accompagne par tout ou il ira; de sorte que me revoila a la veille de vous aller voir, si le Roy va faire l'hiver a Paris. [334]

            J'espere avec vous, ma tres chere Mere, que nostre Seur Claude Agnes fera bien, et sur tout estant si proche de vous en ce commencement, car il me semble qu'Orleans est un fauxbourg de Paris. Et cette si digne et bonne Princesse les protegeant si favorablement, il m'est advis qu'il ny a qu'a beaucoup attendre de progres pour cette Mayson-la, moyennant la grace de Dieu, [335] qui est le souverain et unique objet de toutes nos confiances.

            Je seray grandement ayse quand je sçauray que vous seres logees, et dedans la ville, puisque mesme c'est le sentiment de nostre bon P. Binet qui a tant de charité pour vous et tant de bonne conduite. Je vay tous-jours differant de luy escrire, et peut estre le verray-je plus tost, bien que je croy que le voyage ne se fera que sur l'extremité du moys prochain ou sur le commencement de novembre. Et tandis que je m'en resouviens, je vous prie de dire a monsieur de Saint Jaques que j'attens de luy respondre par les effectz de ce quil m'a demandé, mon frere m'ayant escrit quil n'oubliera rien pour satisfaire a son desir.

            J'attens avec crainte vos premieres nouvelles sur la maladie de la Seur Marie Marguerite de Saint Bonet, car je voudrois bien qu'elle guerit, si Dieu le vouloit, sans la volonté duquel je ne veux rien vouloir. Demain je vay voir M. de Belley son frere, que je treuve tous-jours plus aymable; mais je ne voy pas comme on puisse luy persuader de quitter ces gestes immoderés de la praedication, ni arrester le cours de sa plume, comme vous m'avies escrit que c'estoit le desir de plusieurs gens de bien. Or, il escrit maintenant des choses que les Peres Jesuites de deça et quelques theologiens qui les ont veues [336] jugent devoir estre fort utiles parmi le monde: c'est une besoigne de mesme espece que la Memoire de nostre pauvre Darie. Je vous escriray de rechef par luy, qui part au commencement du moys prochain.

            O que mon cœur a esté touché d'une douceur extreme dequoy ma tres chere fille Mme de Port Royal a esté avec vous! car il est vray, je luy dis que devant estre a jamais tout a elle, je vous donnois egalement et uniquement aussi avec moy, et j'eusse deu dire en moy. Or sus, je suis infiniment ayse encor que vous la treuvies si aymable. Elle l'est a mon gré tout a fait, non obstant tout ce qu'elle dit contre elle mesme, qui [est] voyrement veritable, mais qui est contrechangé par une si bonne et franche volonté que cela ne tient point de place, et sur tout par ce qu'elle ne l'ayme pas et que un jour tout cela s'esvanouira devant la grace de Dieu. Penses, ma tres chere Mere, si [je] voudrois pouvoir seconder son désir et contenter son cœur bienaymé; car je suis bien avec vous, que si ell'avoit le loysir d'estre un peu retiree avec nous, elle gaigneroit beaucoup. Mays quel moyen? plus j'y pense, moins je voy de possibilité: cest Institut-la tient un plus grand rang que le nostre, cet Ordre, grandement accredité. Mays Dieu sçait des choses que nous ne sçavons pas: sil est expedient pour sa gloire, il fera possible ce qui nous semble ne le pouvoir pas estre, et s'il laisse cette fille la, il fera pour elle, la, tout ce que nous pourrions desirer. De luy escrire il ny a pas moyen, car voyla le sire Pierre qui presse. Ma tres chere Mere, salues tres cherement son ame de la part de mon cœur qui est le vostre et qui est sien. Et Dieu tire tout a soy, en soy et pour soy. Amen.

            Je ne sçaurois escrire a Mme la Marquise de Meneley, qui m'a escrit si cordialement, ni a madame la Generale des Galleres, que j'honnore si parfaitement: faites [337] bien mes honneurs, sil se peut. Je suis tres obeissant serviteur de Mme la Comtesse de Saint Paul.

            Tout se porte bien icy. Je salue Mme la Presidente de Herce, a laquelle j'escriray dans peu de jours, et toutes nos tres cheres Seurs.

            22 septembre 1620.

                        A ma tres chere Mere [en N.] Sr,

La Mere [Superieu]re de Ste [Marie] de la Visitation.

                                   Paris.

            A M. de Frouville et de Villeneufve, a nostre grande fille, mille salutations.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

 

 

 

MDCCIII. A un gentilhomme. Une importante affaire dont le succès dépend en partie de l'intervention du destinataire.

 

Annecy, 23 septembre 1620.

 

Illustrissimo Signor osservandissimo,

            Ho pregato il signor advocato Bovardo, latore della [338] presente, d'andar a Monmelliano per un negocio che è d'importanza a me et a Monsignor di Calcedonia, mio fratello, come intenderà dal sudetto latore. Et perchè haverà egli forsi bisogno della authorità di V. S. Illma per riuscirne, io la supplico di concederla doüe ne fosse mestieri, per amor del signor Abbate di Abondanza, che mi vuol tanto bene, et per amor d'Iddio dell'honor del quale in parte si tratta in questo negocio.

            Et promettendomi facilmente questo favore dalla cortesia et generosità di V. S. Illma finisco, augurandoli ogni santa prosperità.

            Di V. S. Illma,

                        Humilissimo et affettionatissimo servitore,

                        FRANCO, Vescovo di Geneva.

            In Annessi, alli 23 di Septembre 1620.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à la famille Berthet, à Annecy. [339]

 

 

 

Illustrissime et très honoré Seigneur,

            J'ai prié M. l'avocat Bouvard, porteur de cette lettre, de se [338] rendre à Montmélian pour une affaire qui m'intéresse aussi bien que Monseigneur de Chalcédoine, mon frère, comme vous l'apprendrez par le susdit porteur. Et parce qu'il aura peut-être besoin de l'autorité de Votre Seigneurie Illustrissime pour réussir, je vous prie de la lui accorder là où elle sera nécessaire, pour l'amour de M. l'Abbé d'Abondance qui me chérit si fort, et pour l'amour de Dieu, dont l'honneur est en partie engagé dans cette affaire.

            Me promettant aisément cette faveur de la courtoisie et de la libéralité de Votre Seigneurie Illustrissime, je finis en lui souhaitant toute sainte prospérité.

            De Votre Seigneurie Illustrissime,

                        Le très humble et très affectionné serviteur,

                        FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            A Annecy, le 23 septembre 1620. [339]

 

 

 

MDCCIV. A une dame. La partie inférieure de l'âme se ressent des incommodités du corps. — Dieu ne laisse pas d'agréer les actes de l'esprit faits avec peine et sans joie sensible. — Etre juste envers nous-même. — Comment changer le plomb en or. — Un peintre Capucin. — La future «image vivante de la divine Majesté.»

 

Annecy, 29 septembre 1620.

 

                        Ma tres chere Fille,

            Je ne suis nullement estonné si vostre courage vous semble un peu plus pesant et engourdi, car vous estes grosse; et c'est une verité manifeste que nos ames contractent ordinairement les qualités et conditions de nos cors, en la portion inferieure. Et je dis ainsy, ma tres chere Fille, en la portion inferieure, parce que c'est celle la qui tient immediatement au cors et qui est sujette a participer aux incommodités d'iceluy. Un cors delicat estant appesanti par le faix d'une grossesse, debilité par ce travail du port d'un enfant, incommodé de plusieurs douleurs, ne peut pas permettre que le cœur soit si vif, si actif, si prompt en ses operations. Mays tout cela ne prejudicie nullement aux actes de l'esprit, de cette pointe superieure, autant aggreables a Dieu comme ilz sçauroyent estre parmi toutes les gayetés du monde, ains certes, plus aggreables, comme faitz avec plus de peine et de conteste; mais ilz ne sont pas si aggreables a la personne qui les fait, parce que, n'estant pas en la partie sensible, ilz ne sont pas aussi sensibles ni delectables selon nous.

            Ma tres chere Fille, il ne faut pas estre injuste, ni exiger de nous que ce qui est en nous. Quand nous sommes incommodés de cors et de santé, il ne nous faut exiger de nostre esprit que les actes de sousmission et d'acceptation du travail, et des saintes unions de nostre volonté au bon playsir de Dieu qui se forment en la cime de l'ame; et quant aux actions exterieures, il les faut ordonner et faire au mieux que nous pouvons, et nous contenter de les [340] faire encor que ce soit a contrecœur, languidement et pesamment. Et pour relever ces langueurs et pesanteurs et engourdissemens de cœur, et les faire servir a l'amour divin, il faut en advoüer, accepter et aymer la sainte abjection: ainsy vous changeres le plomb de vostre pesanteur en or, et en un or plus fin que ne seroit celuy de vos plus vives gayetés de cœur. Ayes donques patience avec vous mesme; que vostre portion superieure supporte le detraquement de l'inferieure; et offres souvent a la gloire eternelle de nostre Createur la petite creature a la formation de laquelle il vous a voulu prendre pour cooperatrice.

            Ma tres chere Fille, nous avons a Nessi un peintre Capucin, qui, comme vous pouves penser, ne fait point d'images que pour Dieu et son temple; et bien que travaillant il ayt une si grande attention qu'il ne peut faire l'orayson a la mesme heure, et que mesme cela occupe et lasse son esprit, si est ce qu'il fait ces ouvrages de bon cœur, pour la gloire qui en doit reuscir a Nostre Seigneur et l'esperance qu'il a que ces tableaux exciteront plusieurs fideles a louer Dieu et benir sa bonté. Or, ma chere Fille, vostre enfant qui se forme au milieu de vos entrailles sera une image vivante de la divine Majesté; mais ce pendant que vostre ame, vos forces, vostre vigueur naturelle est occupee a cet œuvre, elle ne peut qu'elle ne se lasse et fatigue, et vous ne pouves pas en mesme tems faire vos exercices ordinaires si activement et gayement. Mais souffres amoureusement ces lassitudes et pesanteurs, en consideration de l'honneur que Dieu recevra de vostre production; car c'est vostre image, qui sera colloquee au temple eternel de la celeste Hierusalem et sera regardee eternellement avec playsir de Dieu, des Anges et des hommes; et les Saintz en loueront Dieu, et vous aussi quand vous l'y verres. Et ce pendant, prenes patience de [341] sentir vostre cœur un peu engourdi et assoupi, et, avec la partie superieure, attaches vous a la sainte volonté de Nostre Seigneur qui en a ainsy disposé selon sa sagesse eternelle.

            En somme, je ne sçai pas ce que mon ame ne pense pas et ne desire pas pour la perfection de la vostre, laquelle, puisque Dieu l'a voulu et le veut ainsy, est certes au milieu de la mienne. Playse a sa divine Bonté que et la vostre et la mienne soyent toutes deux selon son tressaint et bon playsir, et qu'il remplisse toute vostre chere famille de ses sacrees benedictions, et specialement monsieur vostre tres cher mari, de qui, ainsy que de vous, je suis invariablement,

                                                           Tres humble et plus obeissant serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            Le jour saint Michel 1620.

 

 

 

MDCCV. A la Mère Marie de Jésus, prieure du Carmel d'Orléans. Une affeçtion vieille de dix-huit ans. — Grande qualité des amitiés créées par le Ciel. — Les desseins miséricordieux de la Providence sur les trois filles de Mme Acarie. — Espérance pour ses trois fils. — Portrait en échange de reliques. — Les Sœurs de la Visitation en visite au Carmel; une règle qui leur fut «souvent inculquee.»

 

Annecy, [septembre ou octobre] 1620.

 

                        Ma tres chere Fille et Reverende Mere,

            J'ay receu vos deux lettres avec un contentement, a la verité, tout particulier, d'avoir veu en icelles des marques evidentes que l'affection que Dieu avoit mise en [342] vostre cœur pour moy, il y a dix huit ans, estoit non seulement toute vive, mais avoit pris de saintz accroissemens avec celle que vous aves pour la divine Bonté, que l'excellente profession que vous faites a rendue, je m'asseure, tres grande.

            C'est une qualité des amitiés que le Ciel fait en nous de ne perir jamais, non plus que la source dont elles sont issues ne tarit jamais, et que la presence ne les nourrit non plus que l'absence ne les fait languir ni finir, parce que leur fondement est par tout: puisque c'est Dieu, auquel j'ay rendu graces tres humbles de vostre vocation et de celle des deux cheres Seurs a un si saint Institut; et sur tout dequoy il vous y maintient avec tant de faveur, que toutes trois vous y rendes du fruit et devenes toutes, les unes apres les autres, Meres en une si honnorable famille, pour l'establissement de laquelle, en France, vostre veritablement sainte mere avoit tant prié et travaillé, comme pour sa finale retraitte et vostre habitation en cette vie. O mon Dieu, ma tres chere Fille, ma Mere, que de benedictions sur vous! que de fideles correspondances vostre ame doit rendre a la douceur que la divine Providence a exercee en vostre endroit!

            Oserois-je bien parler en confiance a vostre cœur? Certes, je ne pense jamais en vostre bienheureuse mere que je n'en ressente du proffit spirituel, avec mille consolations de voir que ses vœux ont esté exaucés en ses trois filles. Or, j'espere que ses trois filz aussi, quoy qu'il tarde, recevront quelque bonne affluence de la misericorde de Celuy a qui je sçai qu'elle les avoit consacrés. J'ay eu le bien de les avoir tous reveus a ce dernier voyage que j'ay fait en France, et le contentement d'avoir reconneu en [343] leurs ames des grandes marques du soin que le Saint Esprit a d'eux.

            Vous me demandes par vostre premiere lettre, ma Reverende Mere, certaines reliques que je m'essayeray de treuver, et si ma queste en cela se rencontre heureuse, je vous les envoyeray. Mais prepares vous aussi de m'envoyer alhors une image d'un portrait que vous aves, que j'eusse sans doute fait copier tandis que j'estois a Paris, si j'eusse sceu qu'il y en eust eu au monde.

            Et pour finir, ma tres chere Fille, ce m'est une satisfaction nompareille que la Superieure et les Seurs de Sainte Marie de la Visitation vous ayent veuë; parce que je sçai que cela les aura toutes encouragees a servir bien le Filz et la Mere de Dieu, a qui elles sont consacrees. A la verité, estant ce qu'elles me sont, elles ne pourront que d'avoir en vous une tres cordiale et tres asseuree confiance en vostre dilection, en vous rendant tous-jours, et a tout vostre Monastere, un veritable honneur et respect, selon la grande estime et amour que toute la Mayson de cette ville, dont elles sont, a conceu de toutes les vostres, et (puisque je parle avec vous, ce me semble, cœur a cœur) je puis adjouster, et selon la veritable regle que je leur ay souvent inculquee, qu'il failloit que chacun cultivast la vigne en laquelle il estoit, fidelement et tres amoureusement pour l'amour de Celuy qui nous y a [344] envoyés; mais qu'il ne falloit pour cela laisser de connoistre et reconnoistre franchement la plus grande excellence des autres, et a mesme mesure leur porter toute reverence et veneration.

            C'est asses pour cette fois, car je me prometz de vous escrire souvent, et, si vous me le permettes, de joindre tous-jours le mot de nostre ancienne alliance, vous appellant ma Fille, a celuy que le rang que vous tenes en vostre Ordre vous a acquis; et suis de tout mon cœur a jamais,

            Ma Reverende Mere,

                                                           Vostre tres humble et tres affectionné frere

                                                                                  et serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

 

 

 

MDCCVI. Au Supérieur d'une communauté (Minute). François de Sales attend, pour permettre une quête et une publication d'Indulgences, une attestation des pouvoirs du quêteur

 

Annecy, [mai-octobre 1620.]

 

Admodum Reverende Domine,

            Accepimus litteras nomine Dominationis Vestrae nobis datas, quibus postulabatur ut eleemosynas fidelium in [345] nostra diocaesi colligere, Indulgentias publicare et Confraternitati Domus vestrse utriusque sexus Catholicos adscribere, procuratori vestro liceret. Nos, pro Domus vestrae fama et longe lateque diffuso splendore, litteras quidem amanter scriptas, amantissime vidimus et perspeximus, neque sine magna quadam animi propensione id praestandi quod petebatur. Yerum, cum ad rem ventum est, ubi ab eo qui litteras illas attulit postulatum est ut facultatis rerum Domus vestrse gerendarum authenticum diploma ac Bullam aut Breve, vel transcriptum concessionis Indulgentiarum proferret, respondit se non habere. At vero multum, Reverende Domine, et jure canonico et decreto Concilii Tridentini cautum est ne quis ad Indulgentiarum publicationem, earum maxime quae cum eleemosynarum collectione conjunctae sunt, admittatur, nisi fidem faciat omni exceptione majorem, de illarum concessione. [346] Prudentia autem multis experimentis comprobata docet non cuilibet dicenti se nomine locorum piorum eleemosynas colligere debere credendum esse, aut concedendum quod quaerit; qua de re non ita pridem ipsamet Sancta Sedes nos peculiari cura monuit.

            Quare, donec de potestate hominis qui litteras attulit et de concessione Indulgentiarum nobis constet, a collectione eleemosynarum et publicatione Indulgentiarum abstinendum decrevimus; parati tamen ex animo vestris adesse votis Domusque vestrae commodis, ubi per legum ecclesiasticarum Canones nobis licuerit. Dominationem Vestram id non aequo tantum, sed etiam laeto et consentiente accepturam animo credimus, nosque nihilominus suis suorumque precibus Deo optimo commendaturam, quod et nos vicissim facimus.

            Annessii Gebennensium. [347]

 

 

 

Très Révérend Seigneur,

            Nous avons reçu de la part de Votre Seigneurie la lettre où vous demandez qu'il soit permis à votre procureur de recueillir des [345] aumônes dans notre diocèse, de publier des Indulgences et d'enrôler des catholiques de l'un et de l'autre sexe dans la confrérie de votre Maison. Quant à nous, en considération de la notoriété de celle-ci et du grand éclat qu'elle répand de toutes parts, nous avons reçu et nous avons lu de très grand cœur votre si affectueuse lettre, non sans éprouver une grande inclination à faire ce qu'elle sollicitait de nous. Mais quand on est venu au fait et qu'on a demandé au porteur de la lettre de fournir une pièce authentique qui le constituât votre chargé d'affaires, une Bulle ou un Bref, ou une copie de la concession des Indulgences, il a répondu qu'il n'en avait pas. Cependant, Révérend Seigneur, le droit canon et le décret du Concile de Trente ont eu grand soin de défendre que personne puisse publier des Indulgences, surtout celles qui sont jointes à la quête des aumônes, s'il ne produit sans faillir la preuve qu'il en a obtenu la concession. [346] La prudence même, confirmée par de nombreuses expériences, nous apprend à ne pas ajouter foi au premier venu, quand il se dit chargé de recueillir des aumônes au nom des établissements de piété, et de ne pas lui accorder ce qu'il demande. A ce sujet, récemment encore, le Saint-Siège nous avertissait d'y veiller d'une façon toute spéciale.

            Aussi, jusqu'à ce qu'il nous conste des pouvoirs du porteur de la lettre et de la concession des Indulgences, nous avons fait surseoir à la quête des aumônes et à la publication des Indulgences, sincèrement disposé toutefois à nous rendre à vos désirs et à nous intéresser à votre Maison, aussitôt que les lois canoniques nous le permettront. Nous sommes persuadé que Votre Seigneurie recevra cette lettre, non seulement avec bienveillance, mais même avec plaisir et conformité de pensées avec nous, et de plus, qu'Elle nous recommandera à la Bonté divine, comme réciproquement nous en usons envers Elle.

            Annecy en Genevois. [347]

 

 

 

MDCCVII. A la Mère de Chantal, a Paris. L'opinion de François de Sales sur la juridiction la meilleure pour les Ordres de femmes

 

Annecy, [juillet-octobre 1620.]

 

                        Ma tres chere Mere,

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            Je voy des gens de qualité qui penchent grandement et jugent qu'il faudra que les Monasteres soyent sous l'authorité des Ordinaires, a la vielle mode restablie presque par toute l'Italie, ou sous l'authorité des Religieux, selon l'usage introduit des il y a quatre ou cinq cens ans, observé presque en toute la France.

            Pour moy, ma tres chere Mere, je vous confesse franchement que je ne puis me ranger pour le present a l'opinion de ceux qui veulent que les Monasteres des filles soyent sousmis aux Religieux, et sur tout de mesme Ordre, suivant en cela l'instinct du Saint Siege, qui, ou il peut bonnement le faire, empesche cette sousmission. Ce n'est pas que cela ne se soit fait et ne se fasse encor a present loüablement en plusieurs lieux; mays c'est qu'il seroit encor plus louable s'il se faysoit autrement: sur quoy il y auroit plusieurs choses a dire.

            De plus, il me semble qu'il n'y a non plus d'inconvenient que le Pape exempte les filles d'un Institut de la jurisdiction des Religieux du mesme Institut, qu'il y en a eu a exempter les Monasteres de la jurisdiction ordinaire qui avoit une si excellente origine et une si longue possession.

            Et en fin, il me semble que veritablement le Pape sousmis en effect ces bonnes Religieuses de France au [348] gouvernement de ces Messieurs; et m'est advis que ces bonnes filles ne sçavent ce qu'elles veulent, si elles veulent attirer sur elles la superiorité des Religieux, les-quelz, a la verité, sont des excellens serviteurs de Dieu, mais c'est une chose tous-jours dure pour les filles, que d'estre gouvernees par les Ordres, qui ont coustume de leur oster la sainte liberté de l'esprit.

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            O ma tres chere Mere, je salue vostre cœur qui m'est pretieux comme le mien propre. VIVE JESUS!

                                                                                                          FRANÇ5, E. de Geneve.

 

 

MDCCVIII. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Montferrand (Fragment). Le rôle de la destinataire et celui de l'Introduction à la Vie dévote.

 

Annecy, 1er octobre 1620.

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            Je me resouviens, ma tres chere Fille, que vous m'escrivistes une fois que messieurs les confesseurs de ce païs-la vous renvoyoyent les femmes, affin de les faire esclaircir, par vostre entremise, des difficultés et scrupules qu'elles avoyent es choses secrettes de leur vocation. Ma tres chere Fille, vous faites bien de les renvoyer a l’Introduction, ou je declare suffisamment tout cela en une sorte que si elles le veulent considerer, pour peu qu'on les ayde (si elles sont si rudes ou simples qu'elles ne l'entendent pas), elles le pourront entendre utilement; car vostre vocation et la qualité de fille ne vous permet pas de leur rendre ce service en autre façon.

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            1er octobre 1620. [350]

 

 

 

MDCCIX. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Exposé des facilités d'une fondation d'Oratoriens à Rumilly et des avantages qui en résulteraient. — Que devrait faire le prince pour aider à cette bonne œuvre. — Les curés d'Armoy et de Draillant toujours sans argent.

 

Annecy, 7 octobre 1620.

 

                        Monseigneur,

            En attendant que Vostre Altesse face reuscir le projet du restablissement de la vraye pieté en tous les monasteres et es autres eglises de cet Estat de deça les montz, voyci une digne occasion qui se praesente pour Rumilly. Le sieur de Saunaz, Prieur de Chindrieu en Chautaigne, desire sans fin de consacrer sa personne et son prieuré au service de Dieu et des ames sous l'Institut des Peres de l'Oratoire; et parce que son prieuré est proche de Rumilly, il a jetté ses yeux sur ce lieu-la, duquel la cure estant asses bonne, icelle, jointe au prieuré avec quelques autres petitz benefices, pourroit suffire a l'entretenement de dix ou douze bons ecclesiastiques dudit Oratoire qui auroyent un grand employ en cette ville-la et en tout le voysinage. Mays pour avoir l'evenement propice, il seroit requis, Monseigneur, que Vostre Altesse nous tesmoignast son consentement et contentement, et que par apres elle favorisast les poursuites qu'il sera requis de faire a Rome.

            Et de tout cela, je l'en supplie tres humblement, comm'aussi de commander que les pauvres cures d'Armoy et de Draillens soyent assistees de l'argent que tant de foys Vostre Altesse leur a ordonné; n'estant pas en nostre pouvoir, ni par prieres, ni par sousmissions, ni par [351] importunité d'en rien avoir, des cinq ou six ans en ça, sinon 50 escus, sans plus. Yostre Altesse sçait combien cette supplication est juste; qu'il soit donq son bon playsir de la faire reuscir, tandis que nous prions Nostre Seigneur qu'il la conserve et face de plus en plus prosperer.

            Je suis, Monseigneur,

                                                                       Tres humble, tres obeissant et tres fidele orateur

                                                                                  et serviteur de Vostre Altesse Serenissime,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            VII VIIIre 1620, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat.

 

MDCCX. A la Mère de Chantal, a Paris. Pourquoi le Saint se réjouit du retard du voyage en France. — L'Evêque de Luçon et la Reine mère. — M. Michel apportant de Paris «une milliasse de lettres.» — L'Abbesse de Port-Poyal auprès de la Mère de Chantal

 

Annecy, 11 octobre 1620.

 

            Que de desirs de vous pouvoir bien et longuement escrire, ma tres chere Mere, sur le sujet que vos deux dernieres lettres m'en fournissent! mays certes, il ny a pas moyen, car, sil plait a Dieu, il faut que j'escrive encor a Moulins.

            Or sus, il est certain que je feray le voyage de France, mais non pas si tost: dont je suis bien ayse, car cependant il se pourra faire que le Roy ira a Paris, unique moyen de nous y faire aller aussi. J'escriray, s'il se peut, encor aujourdhuy a M. l'Evesque de Lusson qui me fit tant de caresses et de faveurs a Tours, qu'a mon [352] advis il fera encor quelqu'estat de ma supplication. Mays a la Reyne Mere, certes, je ne le feray pas si tost, car il faut bien du sujet pour escrire a ces Majestés. Je croy bien que Mme de Soyssons ne vous [a] ni favorisees ni defavorisees, sur tout si vous ne l'aves priee de rien; mays a quelque chose malheur est bon. Cette grande Reyne sera, ce crois-je, plus ardente et plus voysine si elle revient a Paris, comme l'on tient asseuré.

            J'attens M. Michel, et par luy bien des nouvelles de nos Seurs. Quelle consolation de la guerison de la petite Seur de Saint Bonet, et de l'autre que je ne connois, ce me semble, pas.

            Mays voyci nostre M. Michel arrivé avec une milliasse de lettres. O mon Dieu, que je dois et devray de responses! mais je payeray tout avec un peu de loysir, et notamment je remercieray nostre bon Pere Binet de ses advis, quand je les auray leuz, et feray tout ce que je pourray et sçauray pour mettre en bon estat les Constitutions.

            O ma Mere, que de joye en l'imagination de voir ma fille tres chere aupres de ma Mere, en allant et venant de Port Royal! comme nous en parlerons amplement, si je vay, ainsy que je l'espere. Mays pressé, je la salue par vostre entremise, et toutes nos cheres Seurs. Helas, je n'ay encor veu que la fine moindre partie des lettres que [353] M. Michel m'a apportees; j'escriray par tout ou vous voudres.

            Cependant, vives toute en Dieu et pour Dieu, ma tres chere Mere; je recommande nostre unique cœur a sa sainte misericorde.

            Annessi, le XI VIIIre 1620.

A ma tres chere Mere en Nostre Seigr,

            La Mere Superieure de Paris.

                        A Paris.

 

Revu sur l'Autographe qui se conservait à Annecy, chez les RR. PP.

Missionnaires de Saint-François de Sales.

 

 

 

MDCCXI. A Madame de Granieu. Les effets des affections saintes. — Humble sentiment de reconnaissance de l'Evêque de Genève. — Avis sur la santé de la Supérieure de la Visitation de Grenoble

 

Annecy, 16 octobre 1620.

 

            Certes, il est vray que vostre inopinee visite de Belley, ma tres chere Fille, me laisse tout plein de sainte consolation. O que les affections celestes ont bien d'autres effectz et d'autres consequences que les humaines! Beni en soit le nom de Dieu qui en est l'autheur et le conservateur. Ce m'est une douceur toute aggreable de penser a cela, ma tres chere Fille, et supplie sa divine Majesté qu'elle me face la grace de bien correspondre a ses bien-faitz et au soin qu'ell'a d'appuyer mon pauvre chetif courage par l'association qu'il luy donne avec plusieurs ames, et particulierement avec la vostre, a laquelle je suis lié d'un nœud indissoluble. Soyons bien fideles, tres humbles, tres doucement et amiablement fervens a continuer dans le chemin auquel cette celeste Providence nous a colloqués, ma tres chere Fille. [354]

            Il faut que nostre Superieure de Grenoble se face traitter comme pleine ou de vers ou de matiere de vers, et si de six semaines en six semaines elle repete les remedes, j'espere que Dieu la delivrera. Je luy escris, et je vous salue de tout mon cœur, ma tres chere Fille en Jesuschrist, par qui et pour qui et en qui je suis tres absolument vostre, et le seray eternellement.

            16 octobre 1620, Annessi.

                        A Madame

            Madame de Granieu.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Riom.

 

MDCCXII. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble (Fragment). La Sainte Vierge aussi bien Mère de Notre-Seigneur sur le Calvaire qu'à l'heure du Magnificat. — Paternelle sollicitude du Saint pour la santé de la destinataire. — Sentiment et consentement

 

Annecy, 16 octobre 1620.

 

            Je le croy bien, ma tres chere Fille, que ce seroit vostre advis que nous vous ostassions la charge de Mere, mais il n'est nullement le nostre. Helas! ma Fille, penses vous que Nostre Dame fust moins Mere de Nostre Seigneur quand, outree de douleur, accablee d'ennuy et toute submergee d'affliction, elle respiroit cette parole: Ouy, mon Filz, parce qu'ainsy il vous plait, que quand, [355] d'un accent tres humblement joyeux, elle chanta le celeste cantique de son Magnificat?

            Ne craignes point de mal edifier nos Seurs: Dieu y pourvoira. Vostre cœur est naïf, rond et sincere.............Soulages vostre pauvre cœur, que j'ayme parfaitement et paternellement…….

            O ma pauvre fille Peronne, si les vers avoyent blessé vostre cœur, vous series morte, car cette partie, qui est la premiere a recevoir la vie et la derniere a la perdre, n'est jamais piquee pour peu que ce soit qu'elle n'en meure, et par consequent celuy en qui elle est. La douleur que vous aves sous le sein gauche a quelque autre cause que la blesseure du cœur par les vers. Je croy bien toutefois que vous en aves: vostre teint, vostre couleur, vostre action le font connoistre, et deves prendre quelque remede contre iceux.

            Ne vous estonnes nullement de ce que vous n'aves pas les sentimens de devotion pendant vos langueurs, puisque les consentemens et au bien et au mal peuvent estre sans sentiment, et le sentiment sans le consentement. Demeures donq paysible, ma chere Fille; soyes Mere, et bonne Mere, tout autant de tems que Dieu l'ordonnera.

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Revu sur le texte inséré dans la Vie manuscrite de la Mere Peronne-Marie

de Chastel, par la Mère de Chaugy, conservée à la Visitation d'Annecy. [356]

 

MDCCXIII. A Madame de Granieu. Des maladies utiles à deux âmes. — Comme le monde se trompe dans ce qu'il appelle bien et mal. — Double prière et souhait paternel.

 

Annecy, 23 octobre 1620.

 

            Certes, ma tres chere Fille, j'aymerois volontier les maladies de monsieur vostre cher mari, si la charité me le permettoit, parce qu'a mon advis elles vous sont utiles pour la mortification de vos affections et sentimens. Or sus, laissons cela a discerner a la celeste et eternelle providence de Nostre Seigneur, si elles sont pour le bien de vostre ame ou pour celuy de la sienne, toutes deux exercees qu'elles sont, par ce moyen, en la sainte patience. O ma Fille, que le monde appelle souventesfois bien ce qui est mal, et encor plus souvent mal ce qui est bien!

            Cependant, puisque cette souveraine Bonté, qui veut nos travaux, veut que neanmoins nous luy en demandions la delivrance, je la supplie de tout mon cœur qu'elle redonne une bonne et longue santé a ce cher mari, et une tres bonne et tres excellente sainteté a ma tres chere fille, affin qu'elle marche fortement et ardemment dans le chemin de la vraye et vivante devotion.

            J'escris a la Mere de la Visitation. En somme, graces a Dieu, il y a mal de tous costés; mais mal qui est un grand bien, comme j'espere. A jamais le bon playsir de sa divine Majesté soit nostre playsir et nostre consolation es adversités qui nous arriveront. Amen.

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 23 octobre 1620. [357]

 

MDCCXIV. A M. Louis de Gerbais de Sonnaz. Le saint Evêque consent à la retraite du destinataire. — Un oncle qu'il faut contenter. — Attente d'une réponse du prince de Piémont.

 

Annecy, 27 octobre 1620.

 

                        Monsieur,

            Je voy dans vostre lettre le desir que vous aves de sortir promptement du monde, auquel je ne veux nullement contredire, puisque mesme vostre retraitte n'empeschera pas l'execution de vostre dessein. Mays en tout ce qui se pourra bonnement, il faut donner satisfaction au bon oncle, qui vous a tous-jours aymé, et je voy que vous ne laisseres pas, estant dans l'Oratoire, de bien le contenter. [358] Il m'escrivit l'autre jour une lettre digne certes de luy et de la forte estime que j'ay tous-jours faite de sa veritable pieté.

            Au reste, hier au soir je receus lettres de Piemont, par lesquelles mon frere m'escrit que Monseigneur le Prince attendoit de m'envoyer la response sur la proposition que je luy ay faite de vostre affaire, jusques a ce qu'il ayt conferé avec Son Altesse son pere; et qu'il aura soin de solliciter. Il faut tous-jours avoir un peu de patience avec les Princes, mais j'espere que le tout reuscira a vostre gré, et supplie Nostre Seigneur qu'il respande de plus en plus abondamment ses saintes graces sur vous,

            Monsieur, a qui je suis, de tout mon cœur,

                                                                       Tres humble et tres affectionné confrere,

                                                                                  FRANÇS, E. de Geneve.

            Annessi, 27 octobre 1620. [359]

MDCCXV. A Madame Gasparde de Ballon, Religieuse de l'abbaye de Sainte-Catherine. La solitude mentale au milieu du monde. — Comment suppléer aux exercices de piété qu'on ne peut faire. — Préparation à la fête de la Toussaint et à celle des Morts

 

Annecy, fin octobre [1620 ou 1621.]

 

            Il faut souffrir cette incommodité de l'amour de nos parens qui ne pensent pas qu'il y ayt de la comparayson entre la satisfaction d'estre chez eux et celle que l'on prend au train du service de Dieu. Soyes donq, ma chere Cousine, ma Fille, en la solitude mentale, puisque vous ne pouves estre en la solitude reelle. Tout est doux aux doux, et tout est saint aux saintz.

            Vous sçaves de quelle sorte il faut resister a toutes ces petites attaques d'impatience, chagrin et autres. Benisses Dieu, ma chere Fille, de ces petitz essays qui vous arrivent pour tesmoigner vostre fidelité. Oyes la Messe dans vostre cœur, quand vous ne pourres l'ouÿr ailleurs, et adores le Saint Sacrement.

            Quant aux bonnes festes qui approchent, vous n'aves rien a faire de plus, apres vos Offices, qu'a tenir vostre esprit en la celeste Hierusalem, parmi ses ruës glorieuses ou vous verres de toutes partz retentir les loüanges de Dieu. Voyes cette varieté de Saintz, et vous enqueres d'eux comme ilz sont parvenus la; et vous apprendres que les Apostres y sont allés principalement par l'amour; les Martyrs, par la constance; les Docteurs, par la meditation; [360] les Confesseurs, par la mortification; les Vierges, par la pureté de cœur, et tous generalement, par l'humilité. Vous ires aussi le jour des Mortz en Purgatoire, et verres ces ames pleines d'esperance qui vous exhorteront de profiter le plus que vous pourres en la pieté, affin qu'a vostre depart vous soyes moins retardee d'aller au Ciel.

            Bon soir, ma chere Fille.

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

 

 

MDCCXVI. A une Religieuse de l'abbaye de Sainte-Catherine. On peut dire son mal, mais il ne faut pas s'en plaindre. — Un coup d'œil sur la Jérusalem céleste

 

Annecy, fin octobre [1620 ou 1621.]

 

            O ma chere Fille, puisque la cessation de vostr'exercice ne vous donne aucun allegement, vous pourries le reprendre, mais tout bellement, n'y employant que demy heure a la fois. Il est vray, sans doute, l'humilité, la patience, l'amour de Celuy qui nous donne la croix, requierent que nous la recevions sans en faire des plaintes; mais voyes vous, ma tres chere Fille, il y a difference entre dire son mal et s'en plaindre. On le peut donq dire, ains, en beaucoup d'océasions on est obligé de le dire, comme on est obligé d'y remedier; mais cela se doit faire paysiblement, sans l'aggrandir par paroles ni plaintes. C'est cela que dit la Mere Therese; car se plaindre, ce n'est pas dire son mal, mais le dire avec des lamentations, doleances et tesmoignages de beaucoup d'affliction. Dites le donq naïfvement et veritablement, sans nul [361] scrupule; mais que ce soit en sorte que vous ne tesmoignies point de ne vouloir pas y acquiescer doucement, car aussi faut-il y acquiescer de tres bon cœur.

            Passes bien devotement ces saintes festes; voyes bien ces belles ruës de la Hierusalem celeste, ou tant de bienheureux S aintz, resident et ou tous jubilent autour de leur grand Roy et en l'amour de Dieu, [lequel,] comme une celeste source vive, respand de toutes partz ses eaux qui arrousent ces glorieuses ames et les font fleurir, chacune selon ses conditions, d'une beauté incomprehensible. «Que la soyent nos cœurs,» ma Fille, «ou sont ces vrays» et desirables playsirs.

            VIVE JESUS! N'est ce pas nostre mot de guet? Non, rien n'entrera dans nos cœurs qui ne die en verité: VIVE JESUS! Il sçait, ce doux Sauveur, que je suis en verité tout vostre.

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

 

 

 

MDCCXVII. A la soeur de Blonay, maitresse des novices a la Visitation de Lyon (Fragment). Souvenirs charmants de l'enfance de Marie-Aimée de Blonay. — L'ardente foi d'alors doit la consoler dans le trouble de la tentation actuelle

 

Annecy, [octobre ou novembre 1620.]

 

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            Ma Fille, ne doutés point de vostre salut; vous esties encor bien petite, que vostre foy me parut grande. Vivés [362] conformement aux verités qu'elle nous enseigne et en cultives le don pretieux que vous aves si advantageusement receu. Souvenes vous quand vous m'apportastes les livres heretiques que vous avies pris chez N. N., et que vous me disies avec tant d'ardeur qu'il les failloit brusler et tous ceux qui les lisoyent. Souvenes vous aussi que vous demandant si vous n'avies point la curiosité de les lire, vous me respondistes hardiment que si l'envie vous prenoit d'apprendre quelque chose contre la sainte Eglise Catholique, Apostolique et Romaine, vous voudries vous mesme de bon cœur estre bruslee.

            O ma Fille tres chere et tous-jours veritablement aymee, je n'ay point oublié ce trait de vostre enfance. Consoles en maintenant vostre cœur dans ce petit ombrage de trouble, et au lieu de disputer sur les choses que l'ennemy vous suggere, rendes graces a Dieu de ce que, des l'aage de neuf a dix ans, il vous a donné le desir de mourir pour la foy de la sainte Eglise. Maintenant, ma Fille, moures a vous mesme pour la pureté de cette foy, aneantissant vostre esprit dans ces bienheureuses tenebres.

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MDCCXVIII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Témoignage de la fidélité et du mérite du collatéral Flocard

 

Annecy, 2 novembre 1620.

 

                        Monseigneur,

            Je ne doute nullement que Vostre Altesse Serenissime ne sache qui est le sieur collateral Flocard, qui aura [363] lhonneur de luy presenter cet escrit. Mays je ne laisseray pas de rendre ce veritable tesmoignage pour luy, qu'en toutes les occurrences esquelles il a esté employé au service de Vostre Altesse, il a rendu toutes les preuves qu'on sçauroit desirer, de probité, fidelité et constance, comm'un vray et tres asseuré sujet doit faire; qui me fait tres humblement supplier Vostre Altesse de le vouloir gratifier de son bon œil.

            Et prie Dieu qu'il la conserve et protege de ses plus saintes faveurs a longues annees, qui suis,

            Monseigneur,

                                                                       Vostre tres humble, tres fidele et tres obeissant

                                                                                              orateur et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            11 novembre 1620, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat.

 

MDCCXIX. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Un serviteur fidèle de Son Altesse

 

Annecy, 2 novembre 1620.

 

                        Monseigneur,

            Vostre Altesse aura, je m'asseure, conservé la memoire d'avoir veu, en ce païs et a Paris, le sieur collateral Flocard, present porteur, servir fidelement Son Altesse es occurrences. Mais puisqu'il le desire, je ne laisseray pas [364] de rendre veritable tesmoignage a Vostre Altesse, qu'il est tous-jours luy mesme en probité, fidelité et constance pour cette affection, et certes, digne d'estre confidemment employé.

            Et sur cette verité, je fay tres humblement la reverence a Vostre Altesse, a laquelle je supplie nostre Sauveur de vouloir departir le comble de ses graces; qui suis

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MDCCXX. A la Mère de Monthoux, Supérieure de la Visitation de Nevers. «Lettre d'attente.» — Quelle réponse faire à l'Evêque de Nevers. — Les filles ineptes ne doivent pas être reçues. — Echange de bréviaires.

 

Annecy, 2 novembre 1620.

 

            Ce n'est icy qu'une lettre d'attente, ma tres chere Fille, pour seulement vous dire qu'au premier jour je respondray par le menu a toutes celles que vous m'aves fait la consolation de m'escrire jusques alhors. [365]

            Vous pourres ce pendant respondre a Monseigneur l'Evesque, que ces bonnes filles de Moulins, comme vous aussi, n'estes la que pour faire le service de la fondation, et que quand le Monastere sera establi, vous pourres [retourner] en vos Maysons de profession, ou [l'on vous recevra]; et que partant, il ne faut rien demander pour ces [filles] la a la Mayson de Moulins, qui demeure oblig[ee de les] recevoir quand elles retourneront…..Il semble qu'il n'est pas [a propos de presser] nostre Seur Marie Aymee de Morville; ains qu'elle mesme laisse librement les dix mille francz.

            Tenes vostre courage hautement relevé et saintement humilié en Dieu, ma tres chere Fille. [366]

            Certes, ces filles si ineptes ne doivent point estre receües a profession, et quand on les connoist telles avant la reception a l'habit, elles ne doivent point y estre admises; mais je vous diray cela en detail.

            Vous pouves employer les Seurs qui doivent estre Domestiques, et qui ne sont point vestues, au service du dehors, par lequel elles meritent tous-jours davantage leur reception future a l'habit.

            Je vous remercie de vos beaux breviaires, et envoyeray les miens vieux a la premiere commodité. Ma tres chere Fille, je suis tres parfaitement tout a fait vostre, et comme a ma chere fille [Françoise-Jacqueline] et comme a ma Seur Marie Aymee.

            VIVE JESUS!

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            2 novembre 1620.

A ma tres chere Fille Paule Hieronime,

            Superieure a Nevers. [367]

 

MDCCXXI. A la soeur de Chastellux, Assistante de la Visitation de Nevers. Le Saint se réjouit de la savoir Directrice à Nevers. — L'esprit qu'il faut donner aux Novices.

 

Annecy, 2 novembre 1620.

 

                        Ma tres chere Fille,

            Ce m'a esté une grande satisfaction de vous sçavoir aupres de ma Seur Paule Hieronime, ou vous estes cooperatrice en l'establissement de cette nouvelle Mayson [368] de Nevers; car, des que j'eu le contentement de vous voir a Moulins, j'ay tous-jours pensé que Dieu vous employeroit a son service fort utilement.

            Tenes vostre courage humblement eslevé en Dieu, ma tres chere Fille; serves-le fidelement et faites toutes vos œuvres pour son bon playsir, car a cela estes vous appellee. Donnes le plus que vous pourres l'esprit d'un (sic) tres humble mais courageuse simplicité, et de l'amour de la croix a ces ames que vous nourrissés, affin qu'elles soyent aggreables a Celuy qui desire les rendre ses espouses.

            Dieu soit au milieu de vostre ame, ma tres chere Fille, et je suis en luy,

                                                                       Vostre tres humble frere et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            2 novembre 1620, Annessi.

                        A ma tres chere Seur M. de Chateluz,

            Assistente au Monastere Ste Marie de la Visitation.

                                                           A Nevers.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [369]

 

MDCCXXII. Aux membres du souverain sénat de Savoie (Inédite). La cure de Rumilly étant désormais unie au Chapitre des Altariens, les poursuites du Prieur contre le Curé n'ont pas de raison d'être.

 

Annecy, 7 novembre 1620.

 

                        Messieurs,

            Ayant sceu que M. le Prieur de Rumilly inquietoit le sieur Curé dudit lieu pour certaine reconnoissance qu'il prœtend de luy, j'ay creu que je vous devois rendre ce veritable tesmoignage, que la cure de Rumilly n'est plus au Curé (bien que, comme il est raysonnable, les fruitz luy soyent reservés), puisque il l'a resignee par supplication qu'il m'a faite de l'unir au Chapitre ou cors des Altariens de cette eglise-la, et que j'ay fait toutes les formalités praeparatoires a laditte union, delaquelle les finales expeditions seroyent signees et mises en execution, si Monseigneur le Serenissime Prince ne m'eust fait sçavoir que, voulant faire unir quelques autres pieces [370] pour le plus grand bien de cette eglise, il desiroit que j'attendisse pour un peu, affin de faire tout ensemble ce qui sera requis.

            Mays cependant, en un'assemblee que les ecclesiastiques de Rumilly et les scindiques firent devant moy, monsieur le Prieur traitta de toutes ses pretentions, en cas de l'union de la cure, laquelle est a la veille d'estre faite, puisque je n'attens que le commandement de Monseigneur le Serenissime Prince qui ne doit pas tarder. De sorte, Messieurs, que la cure estant hors des mains du sieur Curé et se treuvant es miennes pour laditte union, a laquelle le sieur Prieur a consenti par authorité mesme de ses Superieurs, je vous supplie tres humblement de tenir ledit sieur Curé exempt de faire cette reconnoissance que le cors des Altariens fera, en la façon convenue, soudain que l'union sera achevee.

            Et priant Dieu qu'il vous comble de ses celestes benedictions, je demeure de tout mon cœur en luy,

            Messieurs,

                                                           Vostre tres humble et tres affectionné serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            VII novembre 1620, Annessi.

                        A Messieurs

            Messieurs les gens de S. A. Sme,

                        tenans le souverain Senat de Savoye.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Rome. [371]

 

 

 

MDCCXXIII. A M. Jean Rosetain. L'Evêque de Genève charge son Officiai forain d'une affaire qui intéresse le Chapitre de sa cathédrale. — Prochain départ pour le Faucigny.

 

Annecy, 7 novembre 1620.

 

                        Monsieur,

            Voyla que ces Messieurs de nostre eglise cathedrale recourent a moy en vostre personne, qui represente par dela la mienne, pour un'affaire qu'ilz ont, a mon advis, grande rayson d'affectionner. Ilz ne doutent nullement que vous ne leur rendies bonne, briefve et fidele justice; mais je doy vous recommander leurs affaires comme les miennes propres, puisque Dieu m'a joint plus particulierement a eux et m'a enjoint la conservation de leurs droitz. Je le fay donq autant quil m'est possible.

            Et sur l'advis que vous me donnastes l'autre jour, j'envoyeray lundi M. Rollant a monsieur de Mont Saint Jean, puisque je suisforcé de passerjusques en Foucigni pour affaire qui presse, et retourneray icy pour quelques [372] jours, passé lesquelles (sic), je m'en iray a Gex; mais vous en seres adverti. Et tandis, je demeure,

            Monsieur,

                                                           Vostre tres humble et tres affectionné confrere,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            7 novembre 1620, Annessi.

                        A Monsieur

            [Monsieur] Rosetain,

[Official fo]rain de l'Evesché [de Gen]eve

                        en Beugey, Valromey et Gex.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Pignerol.

 

 

 

MDCCXIV. Au Baron Jean-Claude de Clermont-Mont-Saint-Jean (Inédite). Demande de papiers, inutiles au destinataire, et très utiles à François de Sales.

 

Annecy, 9 novembre 1620.

 

                        Monsieur,

            Lhonneur que j'ay d'estre aymé de vous me servira de preface, et la confiance que j'ay en ce porteur me servira de narration. Je vous supplie seulement de luy donner le loysir de vous faire ma supplication et, si vous la juges [373] juste et equitable comme je croy qu'elle le soit, vous me favoriseres en l'enterinant. En somme, c'est avoir certains papiers, inutiles a vous, Monsieur, ou je suis le plus trompé homme du monde, et utiles a moy qui, apres mon retour d'un voyage forcé que je vay faire, auray bien peut estre lhonneur de vous offrir mon service en presence, comme, absent et present,

            Monsieur,

                                                                                  Vostre tres humble serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            9 novembre 1620, Annessi.

                        A Monsieur

            [Monsieur] le Baron de Mont St Jean

                                   et de la Bastie.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. Bosch, ministre plénipotentiaire

de la République Argentine, à Paris.

 

MDCCXXV. A la Mère de Monthoux, Supérieure de la Visitation de Nevers. La Visitation n'est pas instituée pour l'éducation des petites filles. — Double inconvénient de donner entrée au monastère à de trop jeunes enfants. — Quelques avis sur différentes affaires. — La source des «tendretés» sur soi-même. — Une pensée dangereuse pour les fondatrices. — Combien rares les femmes «sans fantasie et malice et bigearrerie.» — Sous quelle condition promettre aux aspirantes de les recevoir. — Ne pas prêter facilement les Constitutions jusqu'à ce qu'elles soient corrigées. — Faut-il se laisser peindre? — Divers conseils relatifs aux Règles et observances. — Pour quelle raison admettre les postulantes riches; pourquoi les pauvres ne doivent pas être rejetées. — Considération et désintéressement dans l'admission des sujets. — Les dix mille francs de la Sœur de Morville

 

Annecy, 9 novembre 1620.

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            Vous pouvés, avec la permission de Monseigneur [374] l'Evesque, recevoir la petite fille qui est d'un naturel si bien conditionné, selon que vous me dites, que l'on doit esperer qu'il n'en arrivera point d'inquietude a la Religion; mais, ma tres chere Fille, il faut tout a fait eviter de recevoir des autres filles avant l'aage, car Dieu n'a pas esleu vostre Institut pour l'education des petites filles, ains pour la perfection des femmes et filles qui, en aage de pouvoir discerner ce qu'elles font, y sont appellees. Et non seulement l'experience, mais la rayson nous apprend que les filles si jeunes estant reduites sous la discipline d'un Monastere, qui est ordinairement trop disproportionnee a leur enfance, elles la haïssent et prennent a contrecœur. Si elles desirent par apres de prendre l'habit, ce n'est pas par le vray et pur motif que requiert la sainteté de l'Institut.

            Et ne s'ensuit pas que ce qui s'est fait pour cette fois [375] il le faille faire pour des autres, non plus qu'il ne s'ensuit pas qu'un homme s'estant chargé d'une juste charge pour un amy, il doive se surcharger d'une seconde charge pour un autre amy; et ceux qui le seront aussi de vostre Institut auront patience jusques a ce que les enfans soyent d'aage convenable. O ma tres chere Fille, que les cogitations des hommes sont inegales! Que de gens crient quand on reçoit leurs enfans grans, meurs et rassis, et que de gens les voudroyent donner des le berceau!

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            Pour la fondation de Roan, il en faut escrire a nostre Mere, puisque Roan est au dela de Paris, et que d'envoyer des filles d'icy-la il auroit bien de la peine.

            Il seroit a propos de dire ou faire dire doucement a Monseigneur l'Evesque que vous prendres le P. Lallemant pour faire vos confessions extraordinaires a ce commencement, bien qu'il suffise pour cela d'en conferer avec vostre Pere spirituel.

            Je ne pense pas qu'on puisse rien demander pour les Seurs qui vous ont accompagné de Moulins, pour la rayson que je vous ay escritte, l'autre jour que je respondis a cet article.

            Il ny a nul mal de demander aux Novices comm'elles se portent; mais quand elles marquent des maux de nulle consequence, il ne faut pas les attendrir, ains simplement leur dire: Vous seres bien tost guerie, Dieu aydant; puisque, a la verité, le sexe est merveilleusement enclin a se plaindre ou a desirer d'estre plaint, et c'est la verité que ces tendretés prennent leur source de paresse et amour propre. O mon Dieu, que saint Bernard dit une chose estrange et remarquable des Religieux malades; mais je la vous-diray un jour. Vous aves donq fait grandement [376] bien pour la fille de Moulins trop amie de soy mesme, de l'exercer et occuper exterieurement.

            Ma chere Fille, il ne faut pas que vous autres qui fondes des Maysons, facies ces pensees, si vous reviendres ou non, avant quil en soit tems. Or, il n'en est pas tems au commencement de vostre besoigne. Ecoute, ma fille, et voy, et abbaisse ton aureille, et oublie ta mayson; et le Roy te desirera, car il est ton Dieu: c'est a dire, il te ferareyne, car il est bon. Faites bien ainsy; bandes tout a fait vostre esprit, avec fidelité et douceur, a une magnamité (sic) et force particuliere.

            Serves vous a ce commencement des Seurs domestiques de dehors, et ce pendant, elles demeureront en leur habit modestement seculier. Nous n'avons encor pas pensé sil faudra les garder un'annee ainsy, mais nous y penserons bien tost.

            Vous aves bien fait touchant ce sentiment, puisque il ny avoit nul consentement ni arrest volontaire; cela doit estre negligé et mesprisé, sinon quil y eut quelque violence tout a fait extraordinaire.

            Je treuve bon l'advis donné a nostre Seur de Lyon sur la reception d'une fille tout a fait bonne, et nullement fantasque ni bigearre, mais d'un esprit tout a fait grossier. Il n'en faut pas remplir la mayson, de telles filles, mais prenes celle la; car il se treuve si peu de personnes en ce sexe, sans fantasie et malice et bigearrerie, que quand on en treuve on les doit recueillir. Je dis ceci pour ma certes tres chere fille de Chateluz, que j'ayme cordialement. Si quelquefois elle est difficile a traitter en ses incommodités corporelles, petit a petit cela passera. L'esprit humain fait tant de destours sans que nous y pensions, que il ne se peut quil ne face des mines; celuy pourtant qui en fait le moins est le meilleur. [377]

            Il ny a nul danger, ains il est expedient de faire dextrement bien concevoir au Pere spirituel l'importance de la Constitution De la Clausure, toute tiree du sacré Concile de Trente, et de mesme a Monseigneur l'Evesque.

            Il ne faut pas donner promesse a point de fille de la recevoir, sinon en cette façon: Nous vous recevons en ce qui nous regarde, mais il faut que Monseigneur l'Evesque le treuve bon; et faire tous-jours conferer avec le Pere spirituel, car il sçaura tous-jours bien les defautz, sil y en a.

Il faut eviter de prester vos Constitutions, en disant qu'en la premiere impresse beaucoup de fautes se sont glissees, pour la haste de ceux qui les ont transcrittes, que l'on corrige; et que bientost l'on fera les (sic) reimprimer, et que alors vous les communiqueres volontier. Mays les personnes estant discrettes et de condition, en les advertissant de ce defaut, qui a la verité y est grand, vous pourres selon vostre prudence les prester.

            Il ne se faut pas laisser peindre, si Monseigneur l'Evesque ne le commande ou vostre Pere spirituel, auquel vous pouves obeir en cela comm'es autres choses indifferentes, c'est a dire qui ne sont pas contre l'Institut. J'en dis de mesme des autres Seurs, ausquelles il faut pourtant bien donner des remedes contre la vanité, delaquelle toutefois il ny a pas grand sujet d'estre peint sur de la toile, puisque il ny en doit point avoir d'estre peint en nostre propre personne a l'image de Dieu.

            Il faut, a la verité, bien reverer l'Evesque, establi superieur en l'Eglise par le Sacrement de son Ordre, c'est a dire par le Saint Esprit, comme dit saint Paul, et par la Regle propre et par la Constitution; et Dieu benira vostre obeissance, qui est l'obeissance des Religieux anciens.

            Il ne faut pas dire au Confiteor: et beatum Augustinum, par ce que vostre Congregation est sous le tiltre de Sainte Marie de la Visitation, quoy que sous la Regle de saint Augustin. [378]

            Il n'est pas necessaire de donner les Constitutions aux praetendentes qu'en les leur expliquant. La filosophie des bains de cette bonne fille est gratieuse; en somme, il ny a rien qu'un esprit foible ne glose; on ne peut remedier a telles nyayseries qu'avec la patience d'inculquer la verité.

            Pour ces filles indisposees a estre de la Congregation, il faudra suivre le conseil des sages et spirituelz, apres un peu d'essay de correction. En somme, ce sont des choses que le Saint Esprit, le conseil et l'œil vous feront discerner.

            La fille au bras court doit estre receue, si elle n'a pas la cervelle courte; car ces deformités exterieures ne sont rien devant Dieu.

            Vostre sentiment est le mien: il ne faut pas recevoir les riches au choeur par ce qu'elles sont riches, mais par ce qu'elles ont le talent d'y servir; et si elles ne l'ont pas: qu'elles soyent des Associees si elles sont foibles, ou vielles, ou maladives; si elles sont fortes, qu'on les puisse employer au service de la Mayson, ou du moins a cooperer aux Domestiques si quelque consideration les fait mettre parmi les Associees, comme seroit leur delicatesse, ou la bonté de leur esprit qui les rendra habiles a servir de Superieure ou aux autres offices, hors celuy d'Assistente. Et les pauvres ne doivent estre rejettees, puisque Nostre Seigneur a tant aymé la pauvreté que, de tous ses Apostres, la pluspart estoyent pauvres de condition. Mays pourtant il faut avoir quelque egard aux charges de la Mayson, autant que la sainte prudence et la grandissime confiance en Dieu le dicteront.

            En vostre chapelle, vos fenestres doivent estre voylees [379] affin qu'on ne vous puisse pas voir distinctement; mays avec cela, il faut ouir le sermon le voyle de vos faces levé.

            On peut recevoir Associees les femmes et filles qui ne sçavent pas lire, car tout ce qui est dit de la lecture s'entend pour celles qui sçavent lire.

            Vous aures les Indulgences de tout l'Ordre de Saint Augustin, car le Brief de vostre institution les vous donne; nous prouvoirons de les avoir imprimees.

            Ne receves pas legerement les filles: mais selon que la prudence vous enseignera, ou de differer ou de se haster, faites le; si elles s'en vont ailleurs, Dieu les veuille conduire et en soit loué.

            N'entreprenes que doucement, selon la petitesse des moyens que vous verres vous pouvoir arriver; et pour les choses necessaires Dieu ne vous abandonnera point.

            Nostre Seur Marie Aymee de Morville m'escrit une lettre toute sainte et dit qu'elle donnera tout a fait les xoooo (dix mille) francz a Nevers, sans contredit.

            Or sus, ma tres chere Seur, tenes vos yeux sur Dieu et sur son eternité de recompenses, et sur le cœur de la tressainte Vierge, et marches tous-jours humblement et courageusement. Et a jamais, sans reserve, je suis tout vostre et

                                               Vostre pere et vostre serviteur,

comme a ma fille Paule Hieronime (sic) et a ma Seur Marie Aymee.

            Vive Jesus! Amen.

            IX novembre 1620.

            Salues Monseigneur l'Evesque, vostre Pere spirituel et le P. Lallemant.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Nevers. [380]

 

 

 

MDCCXXVI. A la Mère de Chantal, a Paris (Fragment inédit). Une lettre toute d'or

 

Annecy, vers le 9 ou le 10 novembre 1620.

 

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            Nostre bonne Seur Marie Aymee de Morville m'escrit une lettre toute d'or: qu'elle a deschiré son papier, qu'elle laisse les dix mille francz a Nevers, et qu'elle s'abandonnoit tout a fait a Dieu et a sa sainte Mere. Voyla pas une ame bien aymee de Dieu?.............................................

 

Revu sur le texte cité dans une lettre autographe de Ste J.-Fse de Chantal,

conservée à la Visitation de Nevers.

 

MDCCXXVII. A Monseigneur Jean-François de Sales, son frère, Evêque nommé de Chalcédoine. Profonde douleur du Saint sur un apostat. — Aveuglement étrange de cette âme et étonnantes contradictions. — Sa séparation du monde et de l'Eglise. — Espérance de conversion pour l'Angleterre. — Les effets de cette chute sur l'esprit et le cœur de François de Sales. — Quelle assurance Mgr de Chalcédoine devra donner au malheureux tombé

 

Annecy, 21 novembre 1620.

 

            Voyla une lettre que j'ay ouverte sans m'appercevoir qu'elle n'estoit pas pour moy. O Dieu, mon tres cher [381] Frere, que de douleurs a mon ame quand je l'ay leüe! Certes, il est vray que de ma vie je n'ay eu un si fascheux estonnement. Est il possible que cest esprit se soit ainsy perdu? Il me disoit tant qu'il ne seroit jamais autre chose qu'enfant de la sainte Eglise Romaine, quoy qu'il creust que le Pape excedast les bornes de la justice pour estendre celles de son authorité. Et cependant, apres avoir crié qu'il ne failloit pas que le supreme Pasteur, officier en l'Eglise, entreprist de delivrer les sujetz de l'obeissance du supreme Prince de la Republique, pour aucun mal qu'il fist: luy mesme, pour des abus pretendus, se va rendre rebelle a ce supreme Pasteur, ou, pour parler selon son langage, a tous les Pasteurs de l'Eglise en laquelle il a esté baptizé et nourri! Luy qui ne treuvoit pas asses de clarté, disoit il, es passages de l'Escriture, pour l'authorité de saint Pierre sur le reste des Chrestiens, comme s'est il allé ranger sous l'authorité ecclesiastique d'un Roy duquel l'Escriture n'a jamais authorisé la puissance que pour les choses civiles? S'il treuvoit que le Pape excedoit les bornes de son pouvoir, entreprenant quelque chose sur le temporel des Princes, comme ne treuve-il pas que le Roy sous lequel il est allé vivre excede les limites de son authorité, entreprenant sur le spirituel?

            Est il possible que ce qui ramena et maintint saint Augustin en l'Eglise n'aye peu retenir cest esprit? Est il possible que la reverence de l'antiquité et l'abjection de la nouveauté n'aye point eu le pouvoir de l'arrester? Est il possible qu'il aye creu que l'Eglise ayt tant erré, et que les huguenotz ou Anglo-calvinistes ayent si heureusement rencontré par tout la verité, qu'ilz n'ayent point erré en l'intelligence de l'Escriture? D'ou peut estre venue cette si universelle connoissance du sens de l'Escriture en ces testes-la, es matieres de nos controverses, que par tout ilz ayent rayson, et nous tort par tout, en sorte qu'il nous faille quitter pour adherer a eux?

            Helas! mon cher Frere, vous vous appercevres bien du trouble que j'ay en mon esprit, quand vous verres que je vous dis tout ceci. La modestie avec laquelle il traitte [382] en vous escrivant, l'amitié laquelle il vous demande avec tant d'affection, et mesme avec sousmission, m'a fait une grande playe de condoleance en mon ame, qui ne peut s'accoiser de voir perir celle de cest ami. J'estois a la veille de luy faire faire place ici, et monsieur Jantet avoit charge de traitter avec luy pour cela; et maintenant, le voyla separé de tout le reste du monde par la mer, et de l'Eglise par le schisme et l'erreur! Dieu neanmoins tirera sa gloire de ce peché.

            J'ay une inclination particuliere a cette grande Isle et a son Roy, et en recommande incessamment la conversion a la divine Majesté, mais avec confiance que je seray exaucé, avec tant d'ames qui souspirent pour cet effect; et des-ormais, encor prieray je plus ardemment, ce me semble, pour la consideration de cette ame-la. O mon tres cher Frere, bienheureux sont les enfans de la sainte Eglise en laquelle sont trespassés tous les enfans de Dieu. Je vous asseure que mon cœur a une continuelle palpitation extraordinaire pour cette cheute, et un nouveau courage de servir mieux l'Eglise du Dieu vivant et le Dieu vivant de l'Eglise.

            Il faut cependant tenir secrette cette miserable nouvelle, qui ne peut estre que trop tost respandue pour tant de parens et amis de celuy qui la nous donne. Que si vous luy escrives, selon qu'il me semble vous y inviter, par la voye de monsieur Gabaleon, asseures le que toutes les eaux de la mer d'Angleterre n'esteindront jamais les flammes de ma dilection, tandis qu'il me pourra rester quelque esperance de son retour a l'Eglise et a la voye de son salut eternel.

            Mon Frere, quand vous seres consacré, faites le moy sçavoir, et me recommandes a la misericorde de Nostre Seigneur, qui soit a jamais l'unique esperance et amour de nos ames. Amen. [383]

            Au P. D. Juste, mille salutations; a la signora Donna Genevra, ma chere fille; a monsieur Viboz, que je remercieray au premier jour.

            Annessi, le XXI novembre 1620.

                        A Monsieur

            Monsieur l'Evesque de Chalcedoine.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

 

 

 

MDCCXXVIII. Au même. Quantité de lettres au retour d'un voyage. — Dispositions du Prieur de Rumilly toutes favorables à l'établissement des Pères de l'Oratoire. — L'élection de M. du Châtelard au doyenné de Notre-Dame. — Quelqu'un que le Saint voudrait servir de son propre sang. — Nouvelles de famille. — Tentative pour le retour d'une âme à la foi. — A qui appartient le Royaume des cieux.

 

Annecy, 21 novembre 1620.

 

            J'ay receu tout a coup cinq de vos lettres ou billetz, mon tres cher Frere, a mon retour en cette ville du voyage que j'ay fait a Six, a Viu, a Melan, a Merens, pour diverses affaires. Toutes les nouvelles que vous me donnes sont bonnes; Dieu nous face jouir des effectz entiers de tant de bonnes volontés qu'il inspire a nostre bon Prince.

            O que l'establissement des Peres de l'Oratoire reuscira heureusement a Thonon et a Rumilly, et comme Dieu [384] le favorisera! car voyla M. le Prieur dudit lieu qui, ce soir, m'est venu dire qu'en le recompensant, il donnera son prieuré pour les intentions de Son Altesse. Et il ne sera nullement malaysé de le recompenser sur Chindrieu, affin que d'abord les Peres de l'Oratoire soyent logés, et dans l'eglise et dans le prieuré, a Rumilly. Or il ne sçait pas pourtant le projet, sinon par conjecture quil tire de l'entree que fit, il y a dix jours, monsieur de Saunaz en l'Oratoire de Lyon, d'ou il m'a escrit avec beaucoup de tesmoignage de consolation.

            Pour Ripaille, je ne pense pas que Son Altesse y puisse loger plus a propos aucuns Religieux que les Chartreux, en se reservant ce quil luy plaira pour y bastir son palais.

            Au reste, en fin M. du Chatelard est Doyen, avec mille contradictions et avec autant de promesses d'y faire des merveilles, et a moy de faire tout ce que je luy conseilleray.

            Le bon M. Buccio m'a prié de le vous recommander en son affaire, que son frere vous dira, et qui est, ce me semble, grandement favorable. Madame de la Flechere de Fossigni m'a aussi prié de vous recommander son filz, auquel elle dit que vous aves des-ja fait bien des [385] faveurs. Certes, tandis que sa praetention durera et quil y aura apparence qu'elle doive reuscir, non seulement je ne voudrois luy nuire, mais je voudrois le servir de mon sang propre; car, comme sa mere est ma tres chere fille, je le cheris aussi comme mon filz.

            Voyla la response de M. l'Abbé, qui a maintenant dit sa Messe avec beaucoup de devotion. Mon frere et ma seur de Cornillon vous saluent cherement, et vous prient de les excuser silz ne vous escrivent si souvent. Nostre Seur Marie est toute guerie et reprend grandement son bon visage.

            Je ne sçai plus que vous dire, mon tres cher Frere, pour cette fois, ayant le cœur si oppressé de douleur de la perte de ce miserable qui vous escrit, que je confesse de n'avoir jamais eu tant de sensible desplaysir que j'en ay eu; mays par ce que je sens encor un peu d'esperance en Dieu pour son retour, je vous escris la lettre ci jointe, affin que vous la luy envoyïes. Qui sçait si, conservant un peu de credit sur son esprit par cette voye, Dieu s'en servira pour le retirer? Mays je ne sçai pourtant que vous dire la dessus, sinon que bienheureux sont les humbles, car a eux appartient le Royaume des cieux. Ce miserable ne fut jamais que vanité.

            Or sus, Dieu soit a jamais vostre tout, mon tres cher Frere.

            Le 21 novembre 1620.

            Mon tres cher Frere, je vous prie de ne point encor dire la fascheuse nouvelle de la lettre ci jointe, laquelle [386] vous garderes, car il me semble a propos de ne la pas perdre. Certes, je suis tout estonné, car il ny a que deux jours que je la sçai.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Chambéry.

 

 

 

MDCCXXIX. A la Mère de Chantal, A Paris. Affliction profonde, mélangée d'espérance. — Causes de la chute de M. de Granier. — Le jugement, «partie rare.» — Quelle consolation le Fondateur reçoit de sa Congrégation. — Le tardif, mais beau fruit du dattier

 

Annecy, 22 novembre 1620.

 

            Je suis grandement affligé, ma tres chere Mere, de la perte spirituelle de cet amy qui a tant demeuré avec moy. O la vanité de l'esprit humain tandis qu'il se fie en soy mesme! O que les hommes sont vains quand ilz se croyent eux mesmes! Il est expedient que scandale arrive, mais malheur a celuy par qui il arrive. Ce jeune homme [ne s'est jamais voulu gouverner a mon gré, tous-jours il a] repoussé le joug tres doux de Nostre Seigneur. [Or sus, je ne desespere pas] de le voir un jour repasser la mer et venir au port, [mais je pleure sur luy de tout mon cœur.]

            Il escrit luy mesme sa perte a [mon frere,] avec [387] tant de respect, de sousmission et de courtoysie que rien plus, et avec ces termes: «Je me separe de la communion de l'Eglise pour me retirer en Angleterre, ou Dieu,» dit il, «m'appelle.» Qui ne gemiroit sur ce mot la: «Je me separe de la communion de l'Eglise»? puisque se separer de l'Eglise, c'est se separer de Dieu. Laisser l'Eglise, o Dieu, quelle frenesie! Mais la chair et le sang le luy ont persuadé. La curiosité, l'instabilité, la liberté, la presomption de son esprit, fondee sur le talent naturel de bien et promptement parler, avec la sensualité, en fin l'ont perdu. En somme, le jugement est une partie rare, tous-jours accompaignee de meureté et d'humilité. Or sus, peut estre n'en sçaves vous rien encor: s'il est ainsy, n'en sçaches donq rien, ma tres chere Mere, et demeures en paix.

            Que de consolations, au contraire, de sçavoir que nostre petite Congregation se multiplie en bonnes ames; que ma tous-jours plus chere fille de Port Royal tient son cœur haut eslevé en Dieu; que ma chere dame de Montigni souffre en patience sa maladie. Ma Mere, resalues la de ma part cherement, et luy faites sçavoir que je la cheris tres cordialement, et la croix sur laquelle elle est. Je salue tres parfaitement madame N., a laquelle je dis par vostre entremise, n'ayant nul loysir, que sa retraitte est comme une datte, qui en fin produira une belle palme de triomphe, mais peut estre seulement d'icy a cent heures, ou a cent jours, ou cent semaines, ou cent moys; et les contradictions qu'elle a eues serviront a cela.

            Dieu nous face de plus en plus abonder en la pureté et simplicité de sa dilection, et en la fermeté et sincerité de celle du prochain. [388]

            Or sus, [Dieu tire sa gloire de ceux qui l'abandonnent. Il faut finir] en vous asseurant, ma tres chere Mere, que par la cheute de ce jeune homme, Dieu m'a gratifié de nouvelles douceurs, suavités et lumieres spirituelles, pour me faire tant plus admirer l'excellence de la foy catholique.

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            Bon soir, ma tres chere Mere. Jesus Christ soit a jamais nostre jour en l'eternité et nostre cierge ardent en la vie presente. Amen.

            Ce 22………1620.

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

 

 

 

MDCCXXX. A la Mère Thérése de Jésus, prieure du Carmel de Lyon (Fragment). Une vocation divine pour l'Oratoire. — Troubles au Carmel. Un pourquoi qui serait long à dire.

 

Annecy, 24 novembre 1620.

 

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            C'est Dieu, ma tres chere Seur, qui a conduit M. de Saunaza l'Oratoire, et je l'en remercie profondement, [389] estimant que ce jeune gentilhomme y servira tres fidelement la gloire de son nom.

            J'ay sceu le petit trouble que quelques uns de vos Monasteres ont fait. Helas! ilz ne sçavent rien de ce qu'ilz desirent, ni peut estre ce qu'ilz disent. Qui est bien, s'y doit tenir de pres. En Italie, on a conneu manifestement que les Monasteres de filles n'estoyent nullement si bien sous la conduitte des Peres de leur Ordre que sous les prestres et autres Ordinaires; le pourquoy est long a dire, mays il est manifeste.

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            24 novembre 1620.

A la Mere Therese de Jesus,

            Prieure des Carmelites

                        de Lyon.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à Paris, Archives Nationales (M. 234).

 

 

 

MDCCXXXI. A Madame de Granieu. Les matériaux des bâtiments célestes «au quartier des hommes.» — Ce que les Anges pourraient nous envier. — Transformer l'infirmité en oraison. — Comment Notre-Seigneur nous fait souvent le plus de bien. — Un cœur faible et assoupi, mais non point infidèle.

 

Annecy, 24 novembre 1620.

 

            Or sus, ma tres chere Fille, vous voyla tous-jours aupres de la Croix, parmi les tribulations, en la maladie de monsieur vostre cher mary. O que ces pierres qui semblent si dures sont pretieuses! Tous les palais de la Hierusalem celeste, si brillans, si beaux, si aymables, sont faitz de [390] ces materiaux, au moins au quartier des hommes; car en celuy des Anges les bastimens sont d'autre sorte, mais aussi ne sont ilz pas si excellens. Et si l'envie pouvoit regner au royaume de l'amour eternel, les Anges envieroyent aux hommes deux excellences qui consistent en deux souffrances: l'une est celle que Nostre Seigneur a enduree en la croix pour nous, et non pour eux, du moins si entierement; l'autre est celle que les hommes endurent pour Nostre Seigneur: la souffrance de Dieu pour l'homme, la souffrance de l'homme pour Dieu.

            Ma chere Fille, si vous ne faites pas des grandes oraysons parmi vos infirmités et celles de monsieur vostre mary, faites que vostre infirmité soit une orayson elle mesme, en l'offrant a Celuy qui a tant aymé nos infirmités, qu'au jour de ses noces et de la res-jouissance de son cœur, comme dit l'Amante sacree, il s'en couronna et glorifia: faites ainsy.

            Ne vous assujettissés pas a un mesme confesseur, tandis que, pour gaigner tems, il sera requis d'aller au premier rencontre.

            Je suis marry que madame de N. soit ainsy incommodee; mais puisqu'elle ayme Dieu, tout luy reviendra a bonheur. Il faut laisser a nostre doux Seigneur la tres aymable disposition, par laquelle il nous fait souvent plus de bien par les travaux et afflictions que par le bonheur et consolation.

            Ma tres chere Fille, ne me dites pas tant [de mal] de vostre cœur, car je l'ayme tant que je ne veux point qu'on parle ainsy. Il n'est pas infidele, ma tres chere Fille, mays il est un peu foible quelquefois, et un peu assoupi. Au reste, il veut estre tout a Dieu, je le sçai bien, et aspire a la perfection de l'amour celeste. Dieu donq le benisse a jamais, ce cœur de ma tres chere Fille, et luy face la grace d'estre de plus en plus humble.

            Dieu soit beni.

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 24 novembre 1620. [391]

 

MDCCXXXII. A M. Amédée Berchat, Curé de Notre-Dame du Chastel (Inédite). Délégation pour enquête canonique.

 

Annecy, décembre 1620.

 

                        Monsieur Berchat,

            Ayant sceu que la Pernon Bottollier a donné l'enfant qu'ell'a fait a François de Levaut, je vous commetz par ce billet pour oüir ladite Pernon et ledit François sur ce cas; et leurs responses ouÿes, vous m'en envoyeres l'information et l'acte du baptesme de l'enfant.

            Et m'asseurant de vostre fidellité et diligence a cela, je prie Dieu qu'il vous donne ses plus desirables benedictions, et suis

                                                           Vostre humble, tres affectionné confrere,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat. [392]

 

 

 

MDCCXXXIII. A Monseigneur Jean-François de Sales, son frère, Evêque nommé de Chalcedoine. Désagrément causé par les neiges. — Un service à rendre à M. de la Pierre. — Métamorphose soudaine du sieur Bonfils. — Pourquoi l'Evêque de Genève cèle le plus qu'il peut la nouvelle d'une apostasie. — Bonne mine et bon jeu. — Maladies, mariage et mort. — Témoignages d'honneur et d'affection donnés par le Saint au nouvel Evêque de Chalcédoine

 

Annecy, 8 décembre 1620.

 

            L'aspreté du tems et la grandeur des neiges ont retenu comme par vive force le bon M. l'Abbé [jusques] a present, mon tres cher Frere; et ce qui me desplait en ceci, c'est qu'il n'arrivera pas asses tost pour vous donner la commodité de nous faire jouir de vostre chere presence pour ces premieres festes. Mais il n'y a remede: il faut croire que, Nostre Seigneur le voulant ainsy, ce sera le mieux.

            M. de la Pierre n'a sceu comprendre que Son Altesse eust quelque degoust de luy; il dit qu'il sçait bien qu'elle l'ayme et sçaura bon gré a qui luy presentera sa lettre, qu'il vous prie de luy faire tenir seurement; et se promet que, si vous en parles a M. Le Grand, il se [393] chargera volontier de le faire, et qu'en cela il n'y a point de hasard. Que si cela se peut faire bonnement, ce me seroit un grand playsir de le contenter. Il en escrit a M. le Collateral, affin qu'il en confere avec vous.

            J'escris a M. le Comte de Montmayeur, pour le remercier du soin qu'il eut de me faire tenir une de vos lettres tandis que j'estois en Fossigni. J'escris a M. Vibo, me res-jouissant de le voir au service de Madame, nostre Maistresse.

            Je vous pourrois dire un monde de nouvelles. Tenés aujourd'huy,……..pour toutes asseurances de la triomphante sortie de M. Bonfilz, qui est a mesme tems establi General des Finances, avec un si extreme credit que nul ne pourra plus vivre que par sa bonne grace. Toutefois, plusieurs ne veulent croire cette si soudaine metamorphose; et, quant a moy, je ne diray sinon: peut estre qu'il est vray, et peut estre que non.

            C'est une merveille qu'en ce païs on ne sçait encor point la deplorable adventure de M. de [Granier]; car, quant a moy, je la cele le plus que je puis, affin de n'infecter point l'air d'une si puante nouvelle. Quelle grace Dieu luy a faite de l'avoir reduit, par sa providence, dans la prison!

            Mes freres sont tous-jours apres a faire descombrer la [394] mine de laquelle plusieurs ont une grande opinion; mais Dupra n'en peut rire, craignant qu'une si bonne mine ne soit pas accompaignee de bon jeu.

            M. le Prevost eut un rude accident de fievre avant hier; mais ce n'a esté qu'une fievre ephemeride, Dieu mercy. M. Perret est grandement malade; et s'il mouroit, il y auroit danger qu'on impetrast sa place a Rome, comme il l'impetra luy mesme.

            Ceux de Rumilly et le Curé ont receu leurs lettres avec toute obeissance religieuse; que bien tost on leur face le bien pour lequel on retarde.

            La Seur Marie se porte tres bien, avec grand playsir d'avoir l'habit.

            Le bon M. l'Abbé nous oblige grandement a l'aymer, a l'estimer, a le servir, pour l'extreme affection qu'il nous tesmoigne avec toute sorte de confiance. C'est pourquoy je le vous recommande de tout mon cœur, et vous prie de me tenir en la bonne grace de madame de Sarsenas qu'on m'a dit estre grosse, dont je me res-jouis grandement.

            Ce que M. de Vallon vous a escrit touchant le mariage de M. de Charmoysi avec la fille de M. de Montmayeur, m'empeschera de vous en faire un plus long recit. [395]

            M. l'Abbé de Six est en fin trespassé, et on m'a dit que M. l'Esleu ne demeure pas sans affaires avec les Religieux qui ne le veulent pasreconnoistre, parce qu'ilz croyent qu'il n'a pas ses permissions de Rome.

            Je ne vous entretiendray pas davantage, ains me rapportant a la suffisance de M. le porteur, je vous salue tres humblement, et, si vous estes consacré, je vous bayse les mains et la cime de vostre teste parfumee de l'onction sacree, que je supplie Nostre Seigneur de faire saintement descouler jusques a la robbe de cette Eglise, et que la rosee de vostre Hermon soit heureusement transportee jusques en nostre sein. C'est aujourd'huy le jour anniversaire de mon sacre, par lequel je commence la dix neufviesme annee.

            Je suis sans fin,

                                               Vostre tres humble frere et serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            A nostre M. le Collateral que luy diray je? Il sçaura que je suis parfaitement sien.

            8 decembre 1620.

A Monseigneur l'Evesque de Chalcedoine,

            premier Aumosnier de Madame. [396]

 

MDCCXXXIV. Au Président Jean-Georges Crespin (Inédite). François de Sales assure le destinataire de son souvenir et de son dévouement. — Ermite qui saura bientôt toutes les nouvelles de la cour.

 

Annecy, 9 décembre 1620.

 

                        Monsieur,

            Je prise trop l'honneur de vivre en vostre souvenance, pour laisser partir monsieur de Barraux sans luy donner ces quatre motz de tesmoignage de celle que j'ay de vous, laquelle est tous-jours accompaignee d'un extreme desir de vous rendre service, si mon bonheur m'en laissoit arriver quelqu'occasion. Car, de vous dire des nouvelles, ce seroit hors de propos, puisque le porteur en sçait bien plus que moy, qui, presque aussi solitaire qu'un hermite et plus esloigné des affaires du monde que plusieurs hermites, ne sçai rien de tout cela que ce qu'on ne peut ignorer. Mon frere Monsieur de Chalcedoine sera icy dans dix jours, ainsy qu'il m'escrit, et lors il me sera force d'apprendre toutes celles qui courent en nostre cour, ou je ne pense point d'aller qu'apres Pasques.

            Et ce pendant, Monsieur, je vous supplie tres humblement de cooperer a l'inclination que Monseigneur de Montpellier a de m'aymer, et de continuer a me croire, comme je suis,

            Monsieur,

                                                                                              Vostre tres humble serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            IX decembre 1620, Annessi.

A Monsieur le President Crespin.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Turin. [397]

 

 

MDCCXXXV. A Madame Bellot. Prière à la destinataire de donner les ordres nécessaires pour le bon succès d'une œuvre de charité.

 

Annecy, 10 décembre 1620.

 

                        Madamoyselle ma tres chere Fille,

            Puisque vous aves treuvé bon, par l'advis mesme de monsieur l'Aumosnier vostre frere, que la charité que vous avies destinee pour le bien spirituel de Belley soit employee pour l'establissement des RR. PP. Capucins en ce lieu-la, qui feront les offices que vous desiries y introduire, il ne restera sinon qu'en suite il vous playse d'ordonner a monsieur de Courtines qui a l'argent, de le delivrer ainsy que les Peres qui sont la luy marqueront. Et ainsy s'accomplira heureusement vostre sainte intention, et aures la consolation d'en voir les fruitz avant que d'aller jouir de la recompense d'icelle au Ciel; et moy je demeureray, Madamoyselle,

                                                           Vostre plus humble et affectionné serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

            Annessi, 10 decembre 1620.

A Madamoyselle l'Esleue Bellot.

                                   A Lyon. [398]

 

 

 

MDCCXXXVI. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Excès de misère de la Sainte-Maison de Thonon, et sa triste conséquence. — D'où vient cette détresse. — Comment on peut y remédier

 

Annecy, 11 décembre 1620.

 

                        Monseigneur,

            L'extreme desolation qui est en la Sainte Mayson de Nostre Dame de Thonon ne peut recevoir remede que de vostre serenissime providence: la pauvreté y est demesuree, et les enfans du Seminaire tout fin nuds, deschaux et transis de misere; les prestres de la Mayson et les Peres Barnabites n'ont justement que pour manger et habiter, et non pour se vestir, et le reste va tres mal en point; mays, ce qui est le pis, c'est que cette calamité y fait naistre une lamentable desunion, tandis que chacun s'essaye de tirer a soy le peu de moyens et d'argent qu'on y porte. Le remede, Monseigneur, a ce mal qui, a la verité, est de plus grande consequence qu'il ne semble, consiste en ces pointz:

            Le projet de cette Mayson a esté fait fort grand et ample, et failloit quatre mille escus pour le soustenir annuellement. Despuys, on a de beaucoup amoindris les moyens qui y devoyent estre employés et, pour un seul coup, on a osté le prieuré de Nantua, qui sont mille escus de revenu, et environ deux mille ducatons que Son Altesse par sa liberalité y a destinés, ne sont pas touchés a commodité. Il est vray encor, avec tout cela, Monseigneur, que la mauvayse intelligence des membres de cette [399] Mayson et la mauvaise conduite de ses affaires l'apauvrit de plus en plus.

            Monseigneur, si Vostre Altesse fait reuscir le projet d'establir-la des vrays prestres de l'Oratoire, en lieu de ceux qui y sont, on sauvera de ce costé la 300 ducatons; car faysans une vie tout a fait commune, il ne faudra aucun gage comm'il en faut aux autres, layssant a part le lustre et le proffit spirituel qu'ilz apporteront. Si Vostre Altesse fait reuscir le dessein d'appliquer toutes les praebendes de Contamine aux PP. Barnabites, ormis cinq ou six, ou mesme sept, pour y faire faire le service parroissial et celebrer les Messes de fondation, on sauvera cinq cens escus de revenu, et les finances de Son Altesse deschargees d'autant. Et puis, Monseigneur, si le projet de la reformation des Monasteres et du clergé reuscit, on trouvera bien encor des bons et gracieux moyens d'accommoder pour le reste.

            Mays tandis que tous ces biens s'acheminent sous les auspices et par le soin de Vostre Altesse Serenissime, je croy qu'il sera requis que, pour le present, elle face recevoir l'argent des assignations a ce porteur, le sieur Gilette, affin qu'il en secoure les necessités pressantes de laditte Sainte Mayson. Et je me prometz de vostre bonté, Monseigneur, que Vostre Altesse me pardonnera aysement l'importunité de cette lettre, escritte de la main et du cœur,

            Monseigneur, de

                        Vostre tres humble, tres fidele et tres obeissant

                                               orateur et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            XI decembre 1620, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat. [400]

 

 

 

MDCCXXXVII. A la Mère de Chantal, a Paris. Le Saint «accommode» les Constitutions. — Comment tenir unies les Maisons du nouvel Institut? — A défaut d'un hôtel «asses beau,» il faut se contenter d'un «trop beau.» — Démarches que doit faire à Rome Mme de Port-Royal pour obtenir de passer de son Ordre dans celui de la Visitation

 

Annecy, vers le 25 décembre 1620.

 

            C'est tous-jours ainsy, ma tres chere Mere, que je vous escris sans loysir et sans haleyne; voyla que M. du Tellier, gentilhomme de Mme de Mercœur, envoye prendre mes lettres, et faut que je les finisse avant que de les avoir commencees.

            J'ay accommodé les Constitutions le plus que j'ay sceu, au gré du tres bon P. Binet et au vostre, et ne voy pas que pour des Constitutions on y puisse guiere plus rien adjouster. Reste a voir comme on pourra tenir toutes les Maysons jointes; et certes, je ne sçai pour le present aucun moyen qui ne trayne quant et soy des grandes repugnances. Mays je vous en escriray plus au long, apres que, pendant ces festes, j'y auray un peu mieux pensé, avec l'advis de monsieur l'Abbé d'Abondance que nous avons de conversation.

            Que je seray content si je vous puis voir bien logees! L'hostel de messieurs Zameth n'est, ce me semble, que trop beau; neanmoins, a faute d'un asses beau, il se faudra contenter d'un trop beau. [401]

            Par la premiere occasion, je vous supplie, un peu des nouvelles de madame la Generale des Galeres, de Mlle de Frouville et de madame de Villesavin, et de Mlle de Montigni, si ell'est tous-jours malade ou non.

            D'escrire a present a madame de Port Royal, ma fille, il ny a nul moyen. Que ne ferois-je pas pour contenter son cœur! Voyci mon advis: puysque elle n'a jamais peu croire que ce fut la volonté de Dieu qu'elle demeurast en cet Ordre, et que parmi toutes ses actions de vœux, de Profession, de susception de charge ell'a tous-jours excepté devant Dieu de se retirer dudit Ordre a la premiere bonne occasion, je pense qu'elle fera donq bien de faire un essay pour cela, et de faire escrire a Rome pour avoir dispense, laquelle, si ell'exprime bien son intention, ne sera pas, si je ne me trompe, difficile d'estre obtenue; car quand elle dira que ce n'est pas pour retourner au monde, mais pour se retirer en une Religion en laquelle l'observance religieuse est en vigueur, il ny aura rien a dire. Mais il ne faut pas qu'elle nomme la Religion en laquelle elle se veut retirer, ains seulement qu'elle die qu'ayant la licence elle se retirera en un Monastere, pour y faire profession, auquel l'observance est en vigueur. Or, il suffira que cela s'essaye par la voye d'un banquier ordinaire, mays auquel, par le moyen du commis d'un secretaire d'Estat qu'elle m'escrit luy estre grandement affectionné, on envoye une lettre qui puisse obliger monsieur [402] l'Ambassadeur de favoriser l'affaire en cas de besoin. Avec cela, et le memorial estant bien fait, comm'il ne peut manquer de l'estre si elle mesme s'explique bien a celuy qui le dressera, je ne doute point qu'elle ne soit consolee d'un depesche favorable, estant une chose asses ordinaire. Puys, quant a l'execution, il faudra prendre le biays le plus doux et avantageux qu'on pourra.

Mays, ma tres chere Mere, voyci un fascheux rencontre, car il seroit expedient que cette fille fut un peu assistee et dressee par vostre amour tout affectionné; et neanmoins, voyla qu'a Turin le Monastere est accepté, et le P. D. [Juste]…………………………………………………………..

……………………………………………………………………………………………………………………………………….la fondation de nostre chere Congregation a Turin presse, et bien que je promette d'y faire aller nostre grande Fille, ma Seur Favre, ces Princesses, sur tout nostre chere Madame, vogliono la Madre……………………………......................................................

            Helas! il n'est nullement vray que je me soys fasché en la partie superieure des advis que vous m'aves envoyés sur les Constitutions; mais ayant de prim'abord jetté les [403] yeux sur celuy de l'exclusion des maladives, qui est tout a fait contre mon esprit et sentiment, je dis par un'inconsideree soudaineté: Qui laissera gouverner la prudence naturelle, elle gastera la charité et ne sera jamais fait.

……………………………………………………………………………………………………..

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Turin.

 

 

 

MDCCXXXVIII. A Monseigneur Jean-François de Sales, son frère Evêque nommé de Chalcedoine. Préparatifs pour le voyage de France. — L'Evêque voudrait laisser son frère en sa place. — L'impossibilité où il se trouve d'aller jusqu'à Turin. — Insolence de deux laquais au logis de François de Sales; démêlé qui en résulte entre M. de la Valbonne et le baron de Tournon. — Méthode pour garder la paix et gagner les cœurs. — Prises d'habit au Monastère d'Annecy

 

Annecy, 28 décembre 1620.

 

            Je n'ay encor point receu de commandement de Son Altesse pour le voyage de France, Monsieur mon tres cher Frere, ni ne sçai encor pas quel nombre de personnes je pourray mener. Ce pendant je me vay preparant, affin de n'estre pas tout a fait surpris; que si je puis vous laisser icy en ma place, je m'en iray bien plus joyeux. [404]

            Nostre monsieur le Collateral me conseille que, si je puis, j'aille voir comme Madame se porte bien et exerce plusieurs vertus dignes d'elle, affin d'en pouvoir parler plus particulierement au Roy et a la Reyne Mere; mays je voy que je suis trop pressé pour prendre ce loysir-la, et sur tout en ce tems que les jours sont si cours, et faudroit une trop grande diligence; car autrement, cela seroit fort a propos.

            Voyla la lettre de monsieur de la Pierre, qui a receu asseurance, ainsy quil m'a fait voir, que Son Altesse l'ayme; dequoy je ne doute point. Si donq vous le juges a propos, vous luy feres le bon office qu'il desire.

            Vous aures sceu ce qui s'est passé de la part de monsieur le Baron de Tornon envers monsieur de la Valbonne. Ce qui m'en desplait le plus, c'est le mespris de la justice, et que, sans ma coulpe, j'en aye esté l'occasion. Je ne sçai pourquoy, deux garçons de 20 ou 22 ans vindrent faire un'asses deshonneste insolence ceans, avec des huees et urlemens asses grans: l'un avoit esté laquay de Chappe l'aisné; l'autre estoit palefrenier de monsieur le Baron de Tornon. Or, monsieur le President les fit saysir et emprisonner, et dans deux jours me les envoya pour me demander pardon, sans que ni d'effect ni [405] de paroles on leur fit autre chastiment. Le jour suivant, monsieur le Baron de Tornon treuva le secretaire de monsieur le President et, luy sautant dessus, luy donna des coups de baston en luy disant: Tien, porte cela a ton maistre. Et bien que je ne sçai pas si ces paroles ont esté preuvees, si sçai-je bien qu'elles furent dites.

            Je vous escris l'histoire seulement affin que vous la sachies, et par ce que monsieur le President a recouru a monsieur le Marquis de Saint Damien qui, peut estre, vous en parlera; affin que vous sachies que, quant a moy, je ne me suis nullement plaint, et avois de tres bon cœur pardonné l'insolence, laquelle fut sans doute faite de guet a pend et sans que j'aye jamais offencé ni les maistres ni les valetz; mais je sçai de certaine science qu'il faut dissimuler beaucoup et mespriser toutes les offences qui le peuvent estre, et que, par cette methode, on garde la paix et en fin on gaigne les cœurs des plus inconsiderés. Seulement suys-je marri de ces deux gentishommes, qui prennent des habitudes si contraires a la courtoysie et generosité a laquelle leur naissance les obligent (sic) envers la justice et tout le monde; et je ne doute point que monsieur le Marquis ne les convie a faire quelque sorte de tesmoignage a monsieur le President, de des-playsir de l'avoir ainsy traitté.

            Mays tout ceci, mesnages-le selon que vous jugeres a propos, car il ne faut pas de lite facere lites, ni rien dire ou faire qui puisse ennuyer monsieur le Marquis de Saint Damien, puis que il nous fait lhonneur de nous [406] aymer et qu'il oblige chacun, par sa vertu, a lhonnorer. En somme, c'est cela qu'il faut faire pour fleurir et fructifier.

            Mays voyla l'heure qui m'appelle pour me praeparer a la Messe, que je vay dire a la Visitation, pour donner l'habit a nostre Seur Marie et a madamoyselle de Servieres, niece de monsieur de Pezieu, avec lequel je disneray ceans, Dieu aydant. Dequoy nostre bon P. D. Juste sera bien ayse, et moy aussi, qui suis,

            Monsieur mon Frere,

                                                                       Vostre tres humble frere et serviteur,

                                                                                                          FRANÇS, E. de Geneve.

            Jour des Innocens.

            J'ay fait ce que monsieur l'Abbé mon cousin m'escrivit a son depart, pour M. Mathieu, et feray ce qui me sera possible pour M. de Lea, estimant que je verray monsieur de Ballon, mon oncle, bientost. [407]

            Mille salutations a nostre monsieur le Collateral qui m'excusera si je ne luy escris.

                        A Monseigneur

Monseigneur l'Evesque de Calcedoine,

            premier Aumosnier de Madame.

 

Revu sur l'Autographe conservé dans l'église paroissiale de Castel-Viscardo,

près Bolsena (Italie).

 

MDCCXXXIX. A la Sœur Thérése de Jésus, sous-prieure du Carmel d'Orléans. Dangereuse tentation survenue dans quelques Monastères de Carmélites. — Quand on est bien, ne pas chercher le mieux, de peur de trouver le mal. — Eloge des Supérieurs du Carmel. — Le manteau d'Elie et son esprit.

 

Annecy, [décembre 1620.]

 

……………………………………………………………………………………………………...

            Quand vous escrires a la Mere qui est allee a Xaintes, je vous prie de l'asseurer de lhonneur et amour que je porte a sa pieté. [408]

            J'ay sceu la petite, mays dangereuse tentation survenue pour le changement qu'on a pretendu faire au gouvernement de vos Monasteres. Certes, dit saint Augustin a ses Filles, vous aves pris naissance, nourriture et accroissement ainsy, pour la plus grande gloire de Dieu et l'establissement de vostre salut: demeures donq ainsy, mes bienaymees, et qui est bien, qu'il ne se meuve pour rien que soit, de peur qu'au lieu de mieux on treuve le mal.

            Vos Superieurs modernes ont tant travaillé pour vous: cela ne merite-il pas que vous les reveries comme vos Peres, puisque mesme s'ilz ne sont Carmelites d'habit, ilz le sont en effect par le zele et la pieté d'Helie? O combien de Carmelites y aura-il au monde qui n'ont receu que le manteau d'Helie, et non son esprit au double! et combien de prestres seculiers qui, sans le manteau, auront receu son esprit! Combien de Theresiennes sans l'habit, combien de Theresiennes sans l'esprit de la Mere Therese!

            Demeures en paix, ma tres chere Fille, et aymes tous-jours mon ame devant Dieu.

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Revu sur une ancienne copie conservée à Paris, Archives Nationales (M. 216). [409]

 

MDCCXL. A la Mère Marie de Jésus, prieure du Carmel d'Orléans (Inédite). Le Carmel ne doit point désirer de changer de Supérieurs. — Affection du saint Evêque pour cet Ordre et spécialement pour la Prieure et la Sous-prieure d'Orléans

 

Annecy, [décembre 1620.]

 

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            Pour moy, je dis a vostre cœur de tout le mien, ma tres chere Fille, ce que le grand saint Augustin disoit en une epistre aux Seurs de sa Regle: «Perseveres en vostre bon propos, et vous ne desireres point de changer de» Superieurs, sous lesquelz, «par tant d'annees, vous estes accreuës en nombre, en aage,» en Monasteres, en reputation. «Sous» eux, «vous aves esté instruites» en la vie religieuse, «voylees, multipliees. Vous devries pleurer si on vous les vouloit oster.» Ce n'est pas que je veuille faire l'arbitre en un differend porté de part et d'autre de tant de gens; mais je vous parle comme a mon ancienne et cordiale fille, en toute confiance.

            Dieu soit beni qui vous a donné une sincere dilection pour ces Seurs de Sainte Marie, et dequoy elles sont parfaitement dediees a vous honnorer et cherir comme elles doivent.

            Moy, ma tres chere Fille, je suis tres sincerement vostre et a toute vostre Congregation, specialement a la Mere Sousprieure, ma fille; et je suis bien ayse de vous escrire un peu sans ceremonie et de vous oser nommer [410]simplement ma Fille, et de traitter cœur a cœur avec vostre ame que j'ay tous-jours cherement aymee, et que je prie Dieu de vouloir combler de son tressaint amour. Amen.

…………………………………………………………………………………………………….

 

Revu sur une ancienne copie conservée à Paris, Archives Nationales (M. 216).

 

MDCCXLI. A Madame Louise de Ballon, Religieuse de l'abbaye de Sainte-Catherine. L’«humeur» de l'Abbesse de Sainte-Catherine et celle de l'Evêque de Genève. — Aversion de l'esprit humain à recevoir «les conceptions d'autruy.» — Le Dieu de paix triomphant au milieu de la guerre. — Bonne saison pour la récolte

 

Annecy, 1620.

 

                        Ma Fille,

            Dieu se sert du tems pour faire reuscir les decretz de sa providence. Je connois l'esprit de madame l'Abbesse, elle ne fera pas la moytié des choses que sa repugnance de maintenant luy suggere. Nous ne sommes pas de mesme humeur, elle et moy; mais je ne laisse pas d'esperer qu'elle ne quittera pas tout a fait ma conduitte, que j'essayeray de rendre bonne, douce et juste. Voyes vous, ma Fille, l'esprit humain ayme ses ayses et son propre jugement; ainsy, il ne faut pas treuver estrange si on reçoit avec contradiction les conceptions d'autruy, quelque saintes qu'elles soyent. [411]

            Or sus, demeures en paix, souffres en paix, attendes en paix, et Dieu, qui est le Dieu de paix, fera reuscir sa gloire au milieu de cette guerre humaine. Faites belle moysson pendant qu'il en est la sayson, recueilles bien les benedictions des contradictions; vous proffiteres plus ainsy dans un jour, que vous ne feries en dix d'une autre sayson.

            Dieu parlera pour ceux qui se taisent, il triomphera pour celles qui endureront, et il couronnera la patience d'un evenement salutaire.

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve.

 

 

MDCCXLII. A deux Religieuses de l'abbaye de Sainte-Catherine

 

Annecy, 1620.

 

                        Ma Fille,

            Je voudrois bien me courroucer avec vous, mais je ne le puis, parce que je ne suis pas en humeur de le faire.

                        Ma Fille.

            La reforme se fera, et Dieu y fera cooperer les hommes lhors qu'on y pensera le moins. [412]

 

 

 

MDCCXLIII. A M. Charles Bally (Inédite). Un Capucin peintre de tableaux d'église. — Indications du Saint pour le groupement des personnages.

Annecy, [1616-1620.]

 

                        Monsieur le Chatelain,

            Je vous prie d'achetter tout ce qui sera requis pour les tableaux que les Reverens Peres Capucins me font la faveur de faire faire par l'un des leurs, pour l'eglise de Viu et de Thorens.

            Je suis vostre plus affectionné a vous faire service,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve. [413]

            Je voudrois que le tableau de Thorens fut grand, et de la Nativité de Nostre Seigneur, avec un saint Maurice d'un costé. et saint Sebastien de l'autre; et celuy de Vieu, de la Passion, avec un saint Blayse et saint François.

 

Revu sur l'Autographe conservé au presbytère de Viuz-en-Sallaz

(Haute-Savoie). [414]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Appendice

 

 

 

 

 

Les notes marginales indiquent la corrélation des pièces de l'Appendice avec le texte des Lettres de saint François de Sales.

 

I. Lettres adressées a saint François de Sales par quelques correspondants

 

A. Bref de Sa Sainteté Paul V

 

Venerabili Fratri Episcopo Gebennensi

 

PAULUS PP. V.

 

            Venerabilis Frater, salutem et Apostolicam Benedictionem.

            Inter multiplices Pastoralis officii Nostri curas, illa Nos non leviter urget, ut divinus cultus et devotio praesertim in Ecclesiis et aliis piis locis conscrventur, majoraque in dies suscipiant incrementa, et si in aliquibus exciderint, modis congruis, quantum in Domino fieri potest, restituantur opportunis. Hinc est quod Nos felici, prosperoque Domus Beatae Mariae Compassionis, seu Septem Dolorum nuncupatae, presbyterorum saecularium, loci Tonnonis, Gebennensis dioecesis, regimini et gubernio prospicere volentes, ac de tua singulari fide, prudentia, doctrina et religionis catholicae zelo plurimum in Domino confisi, Tibi per prsesentes committimus et mandamus, ut tanquam noster et Apostolicse Sedis delegatus, dictam Domum, omnesque et singulos illius superiores, presbyteros aliasque personas etiam Nobis et dictas Sedi immediate subjectas tam in capite quam in membris, semel tantum, auctoritate Apostolica visites ac in illorum statum, vitam, mores, ritus et instituta diligenter inquiras, necnon evangelicae et apostolicae doctrinae, sacrorumque [417] Canonum et generalium Conciliorum et praesertim Tridentini decretis ac Sanctorum Patrum traditionibus, dictaeque Domus regularibus institutis a Sede Apostolica approbatis inhaerendo, quacumque mutatione, correctione, emendatione, revocatione et renovatione indigere cognoveris, reformes, mutes, corrigas et etiam de novo condas ac condita sacris Canonibus et Concilii Tridentini decretis et regularibus dictae Domus institutis non repugnantia confirmes; abusus quoscumque tollas; regulas, institutiones et ecclesiasticam disciplinam, ubicumque illse exciderint, modis congruis restituas et reintegres; ipsasque personas ad debitum et honestum vitae modum revoces, et quidquid statueris et ordinaveris observari facias; inobedientesque, per censuras ecclesiasticas aliaque opportuna juris et facti remedia, cogas et compellas; aliaque in praemissis et circa ea necessaria quomodolibet et opportuna facias, geras et exequaris. Super quibus omnibus et singulis plenam, liberam et amplam facultatem auctoritate praedicta, tenore praesentium, concedimus et impartimur. Mandantes propterea omnibus et singulis ad quos spectat, ut Tibi in omnibus supradictis pareant, faveant, obediant et assistant; tuaque salubria monita et mandata suscipiant, humiliter et efficaciter adimplere procurent; alioquin sententiam sive poenam quam rite tuleris seu statueris in rebelles ratam habebimus et faciemus, auctore Domino, usque ad satisfactionem condignam inviolabiliter observari.

            Volumus autem, ut si quae graviora in hujusmodi visitatione repereris, illa, necnon informationes omnes in hujusmodi visitatione sumendas, sub tuo sigillo clausas, ad Nos quam primum diligenter transmittas, ut quod in illis statuendum sit matura consultatione adhibita decernamus. Non obstantibus Apostolicis ac in universalibus, provincialibusque et sinodalibus Conciliis editis, generalibus vel specialibus Constitutionibus et Ordinationibus, necnon dictae Domus etiam juramento, etc., roboratis statutis et consuetudinibus, privilegiis quoque indultis et literis Apostolicis eidem Domui illiusque superioribus et personis in contrarium praemissorum quomodolibet concessis, confirmatis et innovatis. Quibus omnibus et singulis eorum tenore pro plene et sufficienter expressis habentes illis, etc., permansuris, ac vice dumtaxat specialiter et expresse derogamus, caeterisque contrariis quibuscumque.

            Datum Romae, apud Sanctam Mariam Majorem, sub annulo Piscatoris, die 30 Augusti 1619, Pontificatus Nostri anno decimo quinto.

                                                                                                          S. CARD. S. SUSANNAE.

 

Revu sur une copie inedite, conservee a la Visitation d'Annecy. [418]

 

 

 

B. Lettres de Charles-Emmanuel Ier, duc de Savoie

 

I

 

Très Révérend, très cher, bien amé, féal Conseiller et dévot Orateur,

 

            Nous accordâmes, il y a quelque temps, à Claude du Noyer, le père duquel mourut au siège de Verceil, après Nous avoir longuement servi parmi ces guerres dernières, une prébende des trois qui étaient vacantes au prieuré de Contamine. Ce que Nous fîmes d'autant plus volontiers que, outre la particulière inclination et dévotion que ce jeune homme montre d'avoir à cet habit de Saint-Benoit, Nous sommes convié d'en prendre quelque soin en mémoire des services du père qui a délaissé plusieurs autres enfants sans commodités ni moyens de s'élever aux vertus.

            Peu de temps après, les RR. PP. Barnabites recoururent à Nous pour faire révoquer cette provision, pour divers prétextes, comme Nous fîmes; Nous donnant entre autres à entendre que les trois prébendes étaient entièrement nécessaires aux réparations dudit prieuré, auxquelles néanmoins Nous savons n'y avoir été employé jusqu'ici que ce que peut porter le revenu de deux, lequel peut honnêtement suffire, suivant mêmement l'ordre qu'en a donné le Visiteur général. Chose qui Nous occasionne de vous donner charge pour cela d'embrasser avec votre saint zèle accoutumé, de Notre part, cette affaire; tenir main que le Prieur claustral dudit Contamine mette le froc audit Claude du Noyer, et dispose par même moyen lesdits Pères à payer librement le revenu de sa prébende dès le jour de la vacance, en suite de la provision qu'il en a de Nous; en quoi ils Nous feront chose très agréable de consentir, sans Nous donner plus sujet d'en être importuné davantage ni d'un côté ni d'autre. D'ailleurs, vous verrez le Mémorial ci-joint du [419] Sacristain, qui s'offre de payer auxdits Pères les 500 ducatons qui leur sont assignés sur ledit prieuré, d'employer annuellement 200 ducatons aux réparations d'iceluy et d'accroître encore l'aumône de dix coupes de froment, si [l'on] veut laisser à sa disposition le revenu avec les autres deux prébendes vacantes: qui sont véritablement toutes considérations remarquables et qui Nous font désirer d'autant plus l'effet de la consolation dudit du Noyer, lequel Nous vous recommandons par ce bien particulièrement.

            Et prions Dieu, sur ce, qu'il vous conserve longuement en sa sainte garde.

            De Turin, ce 13 de mai 1620.

                                                                                  Le Duc de Savoie,

                                                                                                          C. EMMANUEL.

 

 

 

 

 

II

 

Tres Reverend, tres cher, bien amé, feal Conseiller et devot Orateur,

 

            Le Secrestain du prieuré de Contamine vous aura remis une nostre touchant la prebande que Nous avions cy devant accordée sur ledit prieuré a du Noyer son neveu. Sur quoy neantmoins Nous vous repliquons de ne mouvoir chose aucune que premierement vous Nous ayez envoyé la dessus vostre advis, afin que Nous puissions estre mieux esclaircy de ce qui se debvrà bonnement fere sur ce suject.

            Atant, prions Dieu qu'il vous conserve en sa sainte garde.

            De Turin, ce 24 de may 1620.

                                                                                                          Le Duc de Savoye,

                                                                                                                      C. EMANUEL

            CROTTI.

A l'Evesque de Geneve.

                        A Tres Reverend Pere,

tres cher, bien amé, feal et devot Orateur,

                        L'Evesque de Geneve.

 

Revu sur l'original inédit, conservé aux Archives communales d'Annecy

(Série GG, Fonds du Collège Chappuisien, 217). [420]

 

II. Lettres & Pièces diverses

 

A. Lettre du Chanoine Jean-François de Sales a M. Barthelemy Flocard

 

                        Monsieur,

            Vous aures, ce croy je, receu la response a celle que vous pristes la peine de m'escrire dernierement; maintenant je la fais a celle que François m'a apportee, par laquelle je voy que, graces a Dieu, nous sommes presque a la veille de nostre depart. Monseigneur s'y resoult de tres bon cœur, et se delibere de sortir de Paris le lendemain de Nostre Dame. Il ne vous escrit pas, estant asseuré que vous vous contenteres de luy pour ce coup s'il vous salue de tout son cœur par nostre entremise, estant occupé aupres de cette bonne dame, qui l'a tout a fait guery; de quoy je benis Nostre Seigneur, comme aussi de vostre santé, laquelle il faut conserver pour faire le voyage allegrement.

            Monsieur de Royssieu nous oblige infiniment par le soin qu'il [421] prend de noz affayres; je luy escris, et vous luy feres tenir la lettre, sil vous plait. Je suis estonné que l'on tarde tant de nous fayre sçavoir le jour de nostre depart, et que le conducteur qui doit donner ordre pour nous fayre desloger ne vienne point. J'admire la sortie de Mr le President sans en donner advis a personne, et pense diverses choses la dessus, meilleures a dire entre nous deux qu'a les escrire.

            J'ay receu les nouvelles du gentilhomme dont vous me parlies par la vostre precedente, et j'ay tres bien opiné du succes de ses affayres. Sy vous voyes la damoyselle, je vous conjure de me tenir fort en sa bonne grâce et de l'asseurer que nous serons lundy a Paris, Monsieur l'Evesque estant arresté pour sacrer Dimanche le grand autel de ceans, chose qui ne se doit fayre qu'en jour de feste. Je meurs d'envie de luy parler. Je connois de vue celuy qui le poursuit, lequel, avec toutes les bonnes qualités que vous luy donnes, est de tres mauvaise mine.

            J'admire les nouvelles que vous nous dites de Savoye, mais plus la premiere que la derniere, du sieur Bonfilz; nous en parlerons a loysir.

            Monseigneur le Reverendissime a esté grandement affligé du malheur des Cordeliers; il faut advertir nos gentz que l'on soit fort sur sa garde et que l'on se mesle le moins que l'on pourra.

            Nous serons seulement a Paris lundy, ancore pour le soir. Je vous bayse les mains et suis de tout mon cœur,

            Monsieur,

                                                                       Vostre tres humble et tres affectionné serviteur,

                                                                                                          J. FRANÇS DE SALES.

            A Maubuisson, le XXX aoust 1619.

                        A Monsieur

                        Monsieur Flocard,

Conseiller de S. A. et Collateral au Conseil de Genevois.

 

Revu sur l'Autographe inédit, conservé à la Visitation de Chambéry. [422]

 

 

 

B. Brevet de Charles-Emmanuel Ier, duc de Savoie, pour la coadjutorerie de Jean-François de Sales

 

POUR LA COADJUTORERIE DE JEAN-FRANÇOIS DE SALES

 

            CHARLES EMANUEL, par la grace de Dieu Duc de Savoye, Chablais, Aouste et Genevois, Prince et Vicaire perpetuel du Sainct Empire Romain, Marquis en Italie, Prince de Piemont, Marquis de Saluces, Conte de Geneve, Nice, Ast et Tendes, Baron de Vaux et Foucigny, Seigneur de Verceil, du Marquisat de Ceve, Oneille, Marro, etc.

            Dautant que l'Evesché de Geneve est de tres grand poidz et tire appres soy beaucoup de soing et de travail, tant pour la grande estendue de sa diocese que la voysinance de l'heresie de Geneve, outre les grandes fatigues que tres Reverend nostre tres cher, bien amé, feal Conseiller et devot Orateur, Messire François de Sales, moderne Evesque, faict aux predications et autres exercices spirituelz pour exciter les ames a luy commises a leur perseverance a la devotion: il Nous a semblé luy estre grandement necessaire un Coadjuteur, et que Nous ne pourrions faire nomination de personne plus digne et de plus de merite que de Reverend nostre tres cher, bien amé et feal, devot Orateur Jean François de Sales, frere dudict Evesque et premier Aulmosnier de Madame; lequel, pour sa bonne vie, doctrine et autres vertuz, et pour satisfaire au desir dudict Evesque, Nous avons nommé et presenté, et par ces presentes, en vertu du droict de nomination qui Nous appertient sur ledict Evesché, nommons et presentons a Nostre Tressainct Pere le Pape, pour Coadjuteur et futeur successeur audict moderne Evesque et Evesché de Geneve, suppliant Sa Saincteté de le vouloir aggreer et luy faire expedier ses Bulles et provisions a ce necessaires, moyenant lesquelles Nous voulons qu'il soit receu, admis et maintenu en la plaine et legitime jouissance de ladicte coadjutorie, aucthoritez, prerogatives et autres choses quy en despendent, sans aucune difficulté: car ainsy Nous plait.

            Donné a Thurin, ce XII febvrier 1620.

                                                                                                                      C. EMANUEL.

            Va ARGENTERO.

                                                                                                                      CROTTI.

            Pour Messire Jean François de Sales, premier Aulmosnier de Madame, lequel [423] V. A. nomme et presente pour Coadjuteur et futeur successeur au moderne Evesque et Evesché de Geneve.

                                                                                                                                 Gratis.

                                                                                                                                 ARGENTERO.

 

Revu sur l'original inédit, conservé à la Visitation d'Annecy.

 

 

 

C. Lettre de Christine de France, Princesse de Piemont, au Cardinal Scipion Caffarelli-Borghese

 

                        Monsieur mon Cousin,

            Ayant pleu a Son Altesse d'accorder a ma consideration a Monsieur de Boissy, mon premier Aumosnier, la coadjustorerie de l'Evesché de Geneve, et ayant recognu le soin et l'affection qu'il a a mon service, J'ay pensé qu'estant particulierement informée de ses vertus et merites, que vous auries agreable que Je vous rendisse ces tesmoignages de ses louables et estimables qualités, affin de faciliter ses expeditions. Mais parce que J'ay donné charge a l'Abbé Scaglia de vous en faire de tres particulieres instances de ma part, Je vous prieray d'adjouster creance a ce qu'il vous dira, desirant recevoir sur ce sujet des effetz de la continuation de vostre bonne volonté, dont Je vous prie de tout mon cœur.

            Ce pendant, Je vous asseureray que Je cheriray tousjours avec passion les occasions qui vous pourront faire cognoistre que Je suis entierement,

            Monsieur mon Cousin,

                                                                                  Vostre tres affectionée cousine,

                                                                                              CHRESTIENNE.

            Turin, ce premier mars 1620.

A Monsieur le Cardinal Bourgueze,

            mon Cousin.

 

Revu sur l'original inédit, conservé à Rome, Archives Vaticanes

(Borghese II, 83, p. 208). [424]

 

D. Lettres de Victor-Amedee, Prince de Piemont, a l'abbé Philibert-Alexandre Scaglia

 

I

 

                        Molto Reverendo Oratore nostro carissimo,

            Molti sono li rispetti per li quali Sua Altezza si è mossa di compiacere al Vescovo di Geneva in concederli di haver un Coaggiutore, et non meno sufficienti sono le cause di haver fatta nominatione del fratello di lui, huomo di tanta bontà di vita et buon essempio che si può dir che va del pari col sudetto Vescovo. Oltre quello che Sua Altezza vi scrive, non habbiamo potuto ommetter di aggiungervi queste righe, non per altro che di esservi invitati dall'officio che tiene di primo Elemosiniero di Madama. Perciò, nel procurare le sue speditioni, spenderete il mio nome, insieme a quello di Sua Altezza, con Nostro Signore, col signor Cardinale Borghese et altrove, secondo che vederete essere necessario, abbracciandone la cura come di cosa che a Noi sarà di particolare gusto et sodisfattione.

            Nostro Signore di mal vi guardi.

                                                                                                          Il Prencipe di Piemonte,

                                                                                                                      V. AMEDEO.

            CARRON.

Da Torino, li 19 di Marzo 1620.

 

Revu sur l'original inédit, conservé à Turin, Archives de l'Etat

(Lettere Ministri, Roma, Mazzo 31). [425]

 

 

 

II

 

(FRAGMENT)

 

………………………………………………………………………………………

            Il non essersi fatta mentione della nominatione di Sua Altezza nelle Bolle del Vescovo di Geneva deve essere difetto di Cancellaria, forse a dissegno di far evanouire le ragioni di Sua Altezza, perchè sempre si sono spedite le nomine per tutti gli beneficii dei quali spetta a Sua Altezza; ma per questo in particolare non si è ommesso, et li Ministri di Sua Altezza costì non gli haveranno havuto l'avvertimento ch'erano obbligati. Perciò, nel far spedire le Bolle di Monsignor di Boisy, procurarete che vi si faccia mentione di detta nomina. Intanto si farà diligenza di haver quella che fu fatta per Monsignor di Geneva………………………………………………………

……………………………………………………………………………………………………...

                                                                                                          Il Prencipe di Piemonte,

                                                                                                                      V. AMEDEO.

            Maggio 1620.

 

Revu sur l'original conservé à Turin, Archives de l'Etat

(Lettere Ministri, Roma, Mazzo 31).

 

 

 

E. Lettres de l'abbe Philibert-Alexandre Scaglia

 

I. Au duc de Savoie

 

                        Serenissimo mio Signore,

            Rappresentai nell'ultima audienza a Sua Santità il desiderio che tiene Vostra Altezza di veder fatto Coadiutore del Vescovo di [426] Geneva il signor Giovanni Francesco di Sales, fratello del medesimo Vescovo et Elemosiniero di Madama Serenissima. Sua Beatitudine intese volontieri l'instanza, et mi rispose che haverebbe rimesso il negotio alla Congregazione Consistoriale, conforme è solito di fare sempre in simili materie, appresso della quale io non mancarò di tenerlo sollecitato acciò se ne habbia quanto prima l'espeditione.

            Intanto è necessario mi si mandi la Bolla del sudetto Vescovo, affinchè a suo tempo io possa con fondamento esibire la presentanone di Vostra Altezza per mantenimento del suo jus; chè in altra maniera s'incontrarebbono delle difficoltà. Ch'è quanto con questa mi occorre dire in tal proposito a Vostra Altezza, con farle per fine humilissima riverenza.

            Di Vostra Altezza Serenissima,

                                                           Humilissimo, fedelissimo et obbligatissimo suddito

                                                                                              et servitore,

                                                                                                          ALESSANDRO SCAGLIA.

            Di Roma, li 4 di Aprile 1620.

 

Revu sur l'Autographe inédit, conservé à Turin, Archives de l'Etat

(Lettere Ministri, Roma, Mazzo 31).

 

 

 

II. Au Prince de Piemont

 

                        Serenissimo mio Signore,

            Sua Santità ha inteso volontieri l'instanza fattali da me a nome di Vostra Altezza et del Serenissimo Padre di Lei, di conceder per Coadiutore del Vescovo di Ginevra il signor Giovanni Francesco Sales, fratello del medesimo Vescovo et Elemosiniero di Madama Serenissima. Et conforme alsolito, ne ha rimesso il Memoriale alla Congregazione del Consistoro, dove io non mancarò di tener solicitato il negotio con ogni calore.

            Intanto, perchè la nomina di Sua Altezza non riceva incontro alcuno di difficoltà, sarà necessario mi si mandino le Bolle del sudetto Monsignore, affinchè con esse si possa provare il jus di Sua Altezza et mantenere il possesso del presentare. Supplico però l'Altezza Vostra dia ordine mi s'inviano quanto prima le dette Bolle, [427] acciò io possa, in conformità del mio obligo, fore il servitio di Vostra Altezza, alla quale resto, facendo humilissima riverenza,

            Di Vostra Altezza Serenissima,

                                                           Humilissimo, fedelissimo et obbligatissimo suddito

                                                                                              et servitore,

                                                                                                          ALESSANDRO SCAGUA.

            Di Roma, li 4 di Aprile 1620.

 

Revu sur l'Autographe inédit, conservé à Turin, Archives de l'Etat

(Lettere Ministri, Roma, Mazzo 31).

 

 

 

III. Au duc de Savoie (Fragment)

 

            Quanto alla nominatione che si desidera espressa nella speditione del Vescovo di Geneva, devo dire a Vostra Altezza che per molte diligenze usate in Cancellarla non si è potuto trovare che nelle passate speditioni o nelle altre antiche si sia mai espressa tal nominatione. Et qua si tratta di cosa insolita et impossibile insieme, che la sudetta Cancellarla admetta espressione di nominatione, se non si mostrano gli essempi o non si fa constare de legitima fundatione....................................

            Di Roma, li 5 Giugno 1620.

 

Revu sur l'Autographe inédit, conserve à Turin, Archives de l'Etat

(Lettere Ministri, Roma, Mazzo 31).

 

 

 

IV. Au même (Fragment)

 

……………………………………………………………………………………………………...

            Al Cardinale Aldobrandino ho trattato in materia della nomina alla Chiesa di Geneva. Egli trova le medesime difficoltà che già avvisai, et se non si mostrano altre scritture, Vostra Altezza ha solo [428] da poter proporre soggetti grati, in virtù di privilegi concessi da Martino Quinto et altri Pontefici; ma questi non danno il jus nominandi che è proprio de' Padronati..........

……………………………………………………………………………………………………...

            Di Roma, li 25 Luglio 1620.

 

Revu sur l'Autographe inédit, conservé à Turin, Archives de l'Etat

(Lettere Ministri, Roma, Mazzo 31).

 

 

F. Lettre du Cardinal Pierre Aldobrandini au Prince de Piemont

 

                        Il Cardinale Aldobrandino al Principe di Piemonte.

            L'Ambasciatore del Serenissimo Signor Duca, Padre di Vostra Altezza, non mi ha parlato della coadiutoria da farsi del Vescovado di Geneva in persona di Monsignor Boysi, se non quando è venuto il tempo di proporla in Concistoro; di modo che tutto il negotio s'è trattato senza ch'io n'habbia saputo cosa veruna; quindi è che se non haverò potuto servire a Vostra Altezza Serenissima com'era suo desiderio, sono degno di scusa.

            Hora che mi comanda con la sua de' 18 del passato, resami dal medesimo Ambasciatore, ch'io procuri sia fatta mentione nelle Bolle che si spediranno, della nominatione fatta dal Serenissimo Signor Duca a questa coadiutoria del medesimo Monsignor di Boysi, io non mancarò d'affaticarmi quanto sarà in me e quanto è l'obligo e volontà mia di servire a Vostra Altezza Serenissima et a cotesta Serenissima Casa. Dubito bene che ci saranno delle difficoltà, perchè vorranno qui che s'habbia relatione alle Bolle spedite dagli [429] altri antecessori, e seguitar la forma e stilo di esse; si che, quando costà se ne trovassero alcune nelle quali si facesse tal menzione, credo che il negotio si renderebbe con l'essempio manco difficile. Mi rimetto però alla prudenza di Vostra Altezza Serenissima, se le paresse bene di far usar diligenza di trovar le Bolle d'altri Vescovi di quella Chiesa e dar ordine che fossero mandate qua, che serviriano ove potessero servire.

            Et io mi adopererò con tutto lo spirito perchè segua la sodisfattone del Serenissimo Signor Duca et di Vostra Altezza, a cui bacio di cuor le mani.

            Di Vostra Altezza Serenissima,

                                                                                                          Il Card. ALDOBRANDINO.

            Roma, 18 Luglio 1620.

Al Principe di Piemonte.

 

Revu sur l'original inédit, conservé à Turin, Archives de l'Etat

(Lettere Ministri, Roma, Mazzo 30). [430]

III. La fondation du Monastère de la Visitation de Nevers, huitième de L'ordre

 

            Le Monastère de Moulins était établi depuis trois ans (1616), et la renommée de sa ferveur se répandait dans les provinces voisines, attirant les âmes désireuses de se donner à Dieu. Deux jeunes filles de Nevers souhaitèrent d'y être reçues; leur père, M. Bonsidat, honnête bourgeois fort considéré pour son mérite et sa probité, voulut les présenter lui-même à la Mère Jeanne-Charlotte de Bréchard. En route, les voyageurs rencontrèrent le baron de Lange; informé de leur dessein: «Il y a quelque chose de mieux à faire,» leur dit-il. Et il expose le projet d'une fondation de la Visitation à Nevers même; les dots des demoiselles Bonsidat en feraient les premières avances, et, pour lui, il se chargeait d'obtenir les permissions nécessaires de l'Evêque, Mgr Eustache de Saint-Phal, et de Charles de Gonzague-Clèves, suzerain du Nivernais. La proposition fut goûtée; M. Bonsidat en fit part à la Supérieure de Moulins. Celle-ci, de l'avis des Fondateurs, l'agréa, et bientôt les deux sœurs venaient commencer auprès d'elle leur noviciat.

            Mme du Tertre eut vent de ce qui se passait. Manœuvrant par dessous main, elle donna promesse en bonne forme de trente mille francs à M. Bonsidat, avec facilité d'en toucher le tiers sans retard; elle se constituait ainsi fondatrice temporelle d'une Maison dont — elle n'en doutait pas — la Mère de Bréchard serait la pierre fondamentale. Telle n'était pas pourtant la décision prise; le Monastère de Moulins avait encore besoin de sa vénérée fondatrice; il fut donc résolu que la Supérieure de Nevers viendrait d'Annecy avec les Sœurs destinées à Paris et à Orléans. Grande déception pour la jeune veuve! Elle déclare alors son dessein de se «dédier» à Dieu «avec tous» ses «biens en la Maison qui s'établira... à Nevers, [431] mais à la charge toutefois que» la «très chère Sœur Jeanne-Charlotte y sera toujours» sa «Mère.» Cela fit réfléchir. La Mère de Chantal savait de quels ménagements il fallait user avec une âme qu'on voulait sauver à tout prix; elle connaissait d'ailleurs l'incomparable condescendance de François de Sales, et, sans craindre de trop l'engager, elle écrit à Mme du Tertre le 24 mars 1620: «Ne doutez point que notre bon Père ne vous concède votre désir selon toute l'étendue de son pouvoir, qui est toujours de plusieurs années.» Avec prudence, la Fondatrice ajoute: «Mais nous nous assurons que Dieu vous ayant confirmée en son saint amour pendant plusieurs années, vous fera aimer la conservation des Règles.» La réponse de l'Evêque de Genève est identique: «Que celte chere Mere soit Superieure, j'y consens sans difficulté; mays que cela se puisse faire si absolument comme vous m'en parles, je n'en sçay pas les moyens... Mais... faites ce que» Dieu «vous a inspiré pour sa gloire, et ne doutés nullement qu'il ne face pour vostre bien ce qui sera le meilleur.»

            Tout semblait donc devoir marcher sans obstacles désormais. Mme du Tertre ne songeait qu'à se préparer à revêtir l'habit de la Visitation; ses parents, enchantés de sa résolution d'être Religieuse, lui faisaient pour le temporel «un bon parti,» non toutefois sans trainer en longueur les préliminaires du contrat, sans «faire des grandes assemblées de parents et de grands mystères,» qui ne plaisaient pas trop à la Mère de Chantal. De son côté, la prétendante réclamait des exemptions et privilèges qu'il était difficile de spécifier «par le menu,» comme elle le voulait. Grâce à l'inlassable charité des deux Saints, on finit par s'entendre: en juin, les pièces furent signées à Paris et à Moulins.

            A Nevers, les permissions étaient obtenues. François de Sales avait écrit à Mgr de Saint-Phal qui, «pour le respect qu'il pourtoit a» la «rare vertu et saincteté» du Serviteur de Dieu, donna franchement son autorisation. «Madame,» dit-il dans sa lettre à la Mère de Bréchard, «je viens de signer la permission que vous avez desiree de moy pour vostre establissement en cette ville, avec autant d'affection qu'affaire que j'aye signé de ma vie. L'on vous porte avec icelle le tesmoignage de la bonne volonté de Messieurs de Nevers en vostre endroit.» Le duc Charles de Gonzague, non seulement [432] liberté pour la fondation, mais il en montra beaucoup de satisfaction, à cause de «l'estime qu'il faisoit» du saint Evêque de Genève. M. Bonsidat, avec les dix mille livres de Mme du Tertre, et trois mille avancées par le Monastère de Moulins, achetait, au mois de juin, des maisons et jardins, faisait faire les répations nécessaires pour recevoir les Religieuses.

            Ce fut alors que s'éleva un terrible orage. Quand on sut à Moulins ce qui se préparait pour Nevers, il y eut une clameur générale. Le gouverneur et la gouvernante — M. et Mme de Saint-Géran —, le trésorier de Palierne, s'en mêlèrent. Ils écrivirent à l'Evêque de Genève, protestant qu'ils ne laisseraient jamais sortir de la ville ni la Mère de Bréshard, ni Mme du Tertre. L'estime universelle vouée à la première, la convoitise des biens de la seconde qu'on voulait conserver à la Maison de Moulins, excitaient ces troubles et provoquaient ces démarches.

            François de Sales, si éloigné des considérations humaines et des questions d'intérêt, ne comprenait pas bien qu'on pût «attribuer a injustice la sortie d'une personne d'un lieu ou elle n'estoit pas obligee de demeurer, ni la translation d'un'autre, pourveu qu'elle laissat en sa place une personne qui luy succedat avec suffisante capacité d'exercer sa charge.» Il envoya, en juillet, la Sœur Paule-Jéronyme de Monthoux pour remplacer à Moulins la Mère de Bréchard, avec la Sœur Françoise-Jacqueline de Musy pour compagne. Leur arrivée ne fit qu'envenimer les choses. On enferma même pendant dix jours la jeune veuve au château de la Ville pour l'empêcher de partir. Peut-être ces arrêts n'étaient-ils pas tout à fait contre le gré de la prisonnière! — «J'eusse grandement souhaité qu'elle n'eût bougé de notre maison,» écrivait la Sainte à M. de Palierne, «assuré que l'on doit être que c'est un lieu où l'on ne force personne; mais bien, puisque Dieu a permis cela, patience! Nous vous supplions toutefois que, puisqu'elle est résolue de continuer sa bonne volonté, elle y retourne au plus tôt.»

            La Mère de Bréchard ne savait quel parti prendre. Sa parole était donnée à l'Evêque de Nevers pour aller elle-même commencer la fondation; son Supérieur, l'Evêque de Genève, l'avait désignée pour cela. Elle écrivit à Annecy; nous avons plusieurs lettres du Saint en réponse à cette communication. M. Michel Favre, qui conduisait la Mère de la Roche et ses compagnes en France, en parla à Paris; la Mère de Chantal prit aussitôt la plume: «J'ai appris par l'aumônier de Monseigneur de Genève,» dit-elle, «ce qui se [433] passe à Moulins contre le dessein de la fondation de l'une de nos Maisons à Nevers. Vrai Dieu!... que ces soulèvements ont touché mon cœur!» Et mettant le doigt sur la plaie: «Quoi! il n'est question que d'argent! Et qu'est-ce que cela? Si Mme du Tertre en veut plus donner à Moulins qu'à Nevers, au nom de Dieu soit-il! cela nous est indifférent; nous chérissons nos Maisons également, et la chère dame sait bien que c'est son pur mouvement qui l'avait portée à Nevers. Si maintenant elle est persuadée par d'autres raisons et inclinations, qu'elle les suive; mais je vous supplie que ce soit en sorte qu'il ne s'ensuive point de brouillerie ni de procès. »

            Le nœud de l'affaire, en effet, c'étaient ces trente mille francs promis, dont dix mille avaient déjà été dépensés. Les amis du Monastère de Moulins, par un zèle qui n'avait rien de désintéressé, n'entendaient pas qu'on portât ailleurs ces ressources, et Mme du Tertre écoutait volontiers de tels conseillers. «Quand les intérêts particuliers se fourrent parmi nos affaires,» continuait la Mère de Chantal, «ils nous font bien souffrir!» S'adressant à Mme du Tertre elle-même: «Eh bien!» écrit-elle, «vous avez ouï et reçu des raisons et persuasions qui vous ont été faites pour demeurer à Moulins. J'en serais consolée si tout se fût passé paisiblement; car, quel intérêt en tout cela?... L'une des Maisons nous est chère comme l'autre, et nous ne demandons, sur toutes choses, que la paix pour vivre tranquillement en nos petites observances. C'est pourquoi, ma très chère Fille, je vous conjure que, pour éviter les maux et embarrassements que je prévois, vous laissiez à la Maison de Nevers ce que vous lui avez déjà donné irrévocablement, et ce que vous ne pouvez lui ôter sans faire soulever de grandes mutineries en ce lieu-là: chose qui nous serait insupportable et nous ferait tout quitter...Il restera assez à Moulins, et la Supérieure que Monseigneur de Genève a envoyée vous donnera pleine satisfaction, n'en doutez point.»

            La solution indiquée par la Sainte était conforme, pour le partage des biens, à celle que donna quelques jours plus tard François de Sales: que Mme du Tertre demeure à Moulins avec ses vingt mille francs, et que les dix mille autres, déjà employés, appartiennent à la Maison de Nevers. Restait à décider le choix de la Supérieure fondatrice de Nevers. L'avis de la Mère de Chantal était que les obédiences fussent suivies; le Saint inclinait aussi pour ce parti. Mais si la future Sœur Marie-Aimée de Morville avait renoncé à [434] son premier projet, c'était surtout parce que, voyant les oppositions de la Ville, elle croyait que la Mère de Bréchard demeurerait en Bourbonnais. Elle pousse à la roue et travaille si bien pour arriver à ses fins, qu'une seconde fois la condescendance des saints Fondateurs surnage au-dessus de toutes les difficultés; l'échange des obédiences est autorisé, mais l'Evêque de Genève demande cependant pour la Mère de Bréchard un séjour «d'un mois ou deux» à Nevers, afin d'aider à l'installation. Quand sa lettre, datée du 26 juillet, arriva, la question était déjà tranchée. Il avait fallu précipiter les événements; sur le conseil du R. P. Foissey, Recteur des Jésuites, et du Supérieur du Monastère de Moulins, la Mère Paule-Jéronyme était partie secrètement pour Nevers, avec les Sœurs Marie-Hélène de Chastellux, Françoise-Jacqueline de Musy, Marie-Péronne de Gerbais, Marie-Marthe Bachelier et Jeanne-Elisabeth Brugerat. Elles arrivèrent le soir du 22 juillet; le lendemain, l'Evêque fit la cérémonie de l'établissement et donna l'habit à une des filles de M. Bonsidat et à une nièce de M. de Lange; le P. Lallemant prêcha.

            Les deux Mères de Bréchard et de Monthoux payèrent cher leur abnégation. La première, blâmée par ceux de Nevers comme leur ayant manqué de parole, se voyait à Moulins en butte aux calomnies: on lui attribuait faussement «le dessein premier de Mme du Tertre;» on l'accusait d'avoir eu «de grandes passions pour aller à Nevers» et de s'être montrée «trop inflexible et sensible sur la rupture de ce dessein;» des esprits «plus curieux que charitables» allaient plus loin, et semaient contre la vénérable Mère les bruits les plus injustes.

            La seconde, qu'on n'attendait pas à Nevers, fut accueillie très froidement par Messieurs de la Ville. «Elle leur parut si jeune qu'ils disaient hautement qu'on leur avait envoyé une enfant pour être Supérieure de ce nouvel établissement; ils lui demandaient son âge et combien il y avait qu'elle était Religieuse, et plusieurs choses de cette nature qui marquaient le peu de succès qu'ils se promettaient de sa conduite.»

            L'une et l'autre eurent une vertu plus forte que les épreuves. François de Sales conseille à la Mère de Bréchard de relire «le chapitre De la Patience, de Philothee.» A la Mère de Monthoux, la Sainte répète: «Mon Dieu, ma très chère Fille, pourquoi [435] vous étonnez-vous de toutes les petites contradictions? N'en ayez pas la moindre émotion du monde. Nous sommes à Dieu, rien ne nous arrivera que selon son bon plaisir. Eh bien! quand l'on nous renverrait d'où nous sommes venues, s'en faudrait-il troubler? Nullement, ma Fille. Faites donc en paix vos petites affaires, et ne vous troublez de rien, quand tout renverserait.»

            C'est que tout, en effet, était prêt de renverser. Les protecteurs du Monastère de Moulins, non contents de la somme qu'on lui abandonnait, réclamaient encore les dix mille francs qui avaient été livrés et employés à Nevers. Ceux de Nevers, l'Evêque en tête, invoquant la promesse authentique de Mme du Tertre, demandaient le total des dix mille écus. Personne ne voulait céder, et l'affaire menaçait d'être portée devant la justice. Le Saint, averti plutôt que consulté par la dame bienfaitrice, déclare que son vœu subsiste; et la Mère de Chantal multiplie ses lettres pour parer le coup qu'elle redoute: «Il faut, s'il vous plaît, contenter Monseigneur de Genève et le croire,» écrit-elle à Mme du Tertre, «car pour nous, nous ne voulons avoir ni débat, ni procès; nous quitterions plutôt cent fois autant que ce que vous donnez, estimant incomparablement davantage la paix avec la sainte pauvreté, que tous les biens du monde et le moindre trouble... Or sus donc,... qu'il ne se parle plus de tout cela, s'il vous plaît, puisque vous avez le sentiment de Monseigneur de Genève et son avis; car nos pauvres Sœurs des deux Maisons sont affligées d'entendre parler de choses qu'elles n'ont pas accoutumé d'ouïr.» Et quatre jours après, elle expose les choses avec sa logique et sa clarté ordinaires à M. de Palieme, soutient le conseil donné par le Saint, supplie d'accepter ce moyen terme, et conclut: «Si après toutes ces raisons et prières très humbles, Mme du Tertre et ceux de Moulins veulent agir contre ceux de Nevers, qu'elle fasse ce qu'il lui plaira; mais pour nous, nous n'attaquerons ni ne nous défendrons. A Dieu ne plaise que nous le fassions! Monseigneur de Genève m'avouera; et plutôt, je m'assure, l'on quitterait tout d'une part et d'autre.»

Les deux Supérieures de Moulins et de Nevers apaisèrent elles-mêmes leurs amis, et les amenèrent à acquiescer aux décisions de l'Evêque de Genève et de la Mère de Chantal. Mme du Tertre, devenue au mois d'août Sœur Marie-Aimée de Morville, écrivait enfin, vers le 9 novembre, «une lettre toute d'or» à saint François de Sales, annonçant qu'elle laissait absolument à Nevers ces dix mille [436] francs, objet de tant de contestations. La Maison de Nevers paya même à celle de Moulins la rente des mille écus qui lui avaient été par elle avancés, jusqu'à ce qu'elle pût rembourser le capital. On verra, dans la suite de la correspondance, le Fondateur s'employer avec zèle pour enlever à ses Filles toute ombre de propre intérêt, et protester avec énergie qu'il préférait à un avantage temporel, quel qu'il fût, la parfaite union fraternelle. Ses leçons furent comprises, et les Mères de Bréchard et de Monthoux se montrèrent dignes de leur Père et prêtes à tous les sacrifices. [437]




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